lire comme dans un livre ouvert (jill #2)

lire comme dans un livre ouvert
crédit/ tumblr ✶ w/jill

Après presque trois jours à la caserne, il est bientôt l'heure que l'on rentre tous chez nous. Plus Lilly grandi et plus j'attends ces jours-là, ceux de repos, avec impatience. Aujourd'hui, je sais que Toni a déposé la petite fille chez notre mère, avant de vaquer à ses occupations. Lilly aura donc passé une bonne journée et aura plein de choses à mon raconter. Pour ne pas bloquer ma mère trop longtemps, je lui ai proposé à travers un message de venir déposer sa petite fille directement à la caserne, peu de temps avant la fin de ma garde : elle n'aura pas à attendre que je range tout ce qui traine ici, que je fasse la queue dans le trafic ou encore, que je me fasse embarquer dans je ne sais quel coup foireux que pourrait prévoir mes collègues — ce sera aussi l'avantage d'avoir Lilly ici : j'aurais une excuse pour partir vite et rentrer chez moi pour me reposer. On ne peut pas vraiment dire que ces derniers jours ont été reposants et ce serait mentir de dire que je ne rêve pas de mon lit depuis deux courtes nuits.
« Mais qui est cette adorable petite fille ? » J'ai à peine le temps de descendre du camion que je comprends que Lilly et ma mère sont déjà arrivées. « Maman ! » Dit-elle, après avoir quitté les bras du premier pompier qu’elle a croisé et courant maintenant dans les miennes. « Mon amour ! » Je la soulève, la serré contre moi et la couvre de baisers. Qu’est-ce que cette odeur de bébé est agréable ! Surtout après une intervention dans les flammes. « Tu as passé une bonne journée avec ta grand-mère ? » Lilly hoche vivement la tête, avant de commencer à jouer avec le col de mon haut. L’élan de politesse de mes collègues passé, j’ai enfin les membres de ma famille pour moi. Je m’approche de ma mère et lui offre une accolade — sans trop d’effusion quand même, je ne suis pas sûre de sentir très bon après ces dernières heures d’action. « Merci beaucoup de l’avoir gardée aujourd’hui ! » Je sais bien qu’elle n’a pas fait cela à contrecœur, mais je trouve important de les remercier, elle ou les autres membres de ma famille, quand ils prennent de leur temps pour s’occuper de la petite fille. « Est-ce que tu veux boire quelque chose avant de repartir ? Un café, un thé ou un jus de fruits ? » Ma garde se termine dans une heure à peu près. Avec un peu de chance, nous n’aurons plus d’intervention et cela me permettra de pouvoir passer un peu de temps avec ma mère et Lilly, même si cette dernière a déjà trouvé des compagnons de jeu avec mes collègues.

Je n’ai pour l’instant qu’une seule petite fille, et je prends beaucoup de plaisir à m’en occuper. Romi a un emploi du temps assez peu banale avec la caserne, au moins aussi bancal que le mien à l’hôpital. Mais heureusement, il arrive que ses jours de garde tombent sur mes jours de repos, et à ce moment là, je peux m’occuper de Lilly avec le plus grand plaisir. C’était le cas aujourd’hui, mais malheureusement la journée touche à sa fin. C’est avec un pincement au coeur - comme toujours - que je laisse à nouveau ma petite fille à sa mère. Je sais que sa garde se termine dans peu de temps mais qu’elle peut être retenue sur une urgence. Ayant un rendez-vous dans une heure alors je préfère prendre les devants et accompagner Lilly à la caserne, il y aura toujours un des collègues de Romi pour prendre le relais le temps que ma fille sorte d’intervention.
Par chance, son équipe est sur place, et les retrouvailles entre mère et fille sont absolument adorables. J’assiste à cette effusion d’amour avec un sourire bienveillant au coin des lèvres. Lilly hoche vivement la tête lorsque sa mère lui demande si la journée s’est bien passé. Elle m’a épuisée - comme à chaque fois, même si c’est avec bonheur - mais il est évident qu’elle a passé une bonne journée. A mon tour de recevoir une étreinte chaleureuse de la part de ma fille, et j’en profite un court instant. « Merci beaucoup de l’avoir gardée aujourd’hui ! » Je lui réponds par un large sourire, avant de passer tendrement ma main dans les cheveux de ma petite fille. « C’est toujours un plaisir de passer du temps ensemble, pas vrai ma puce ? » Elle hoche la tête en souriant avant de se lover dans le cou de sa mère. « Est-ce que tu veux boire quelque chose avant de repartir ? Un café, un thé ou un jus de fruits ? » Je jette un oeil à ma montre, j’ai encore un peu de temps avant mon rendez-vous qui n’est pas très loin d’ici. « Je veux bien un café oui, s’il te plait. » Un jeune homme passe près de moi en me saluant et je le reconnais immédiatement. Il ressemble beaucoup à sa mère, et j’ai souvent vu des photos de lui, je l’ai même quelques fois croisé, même si c’était il y a longtemps. « J’allais me servir un café, vous en voulez ? » demande-t-il avant de planter son regard dans celui de Romi qui s’est tournée vers lui à sa question. « Hallenstein ? » ajoute-t-il en lui montrant un mug vide. Mon regard alterne entre le fils de Loïs et Romi qui me semble mettre un peu trop de temps à répondre à la question. « Volontiers ! » répondis-je avec enthousiasme, tout en sentant une vague d’électricité traverser la pièce.

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Ne connaissant jamais le temps que je peux avoir avec mes proches, lorsqu’ils viennent me voir à la caserne, je ne peux pas me permettre de perdre du temps, même quelques minutes. Alors maintenant que j’ai Lilly blottie contre moi, je demande à ma mère si elle veut boire quelque chose avant de repartir. J’aurais bien l’occasion de la revoir dans les jours à venir, mais j’ai grandi dans une famille où les moments ensemble comptent – même quand ils sont courts--, alors tout naturellement, j’ai envie de la voir rester un peu ici, avant qu’elle ne doive partir pour le boulot. Un pompier arrive derrière nous et il me faut quelques secondes pour comprendre qu’il s’agit d’Otis. De tous les hommes de la caserne, il a fallu que ce soit lui qui arrive à ce moment précis.. La petite fille le reconnaît rapidement et lui offre l’un des sourires charmeurs dont elle a le secret. De mon côté, je suis un peu plus longue à la détente. Lorsqu’il propose de nous servir du café, comme il en prend lui-même, je bloque, sans trop savoir pourquoi. Mon regard le suit dans son geste et ce n’est qu’à la réponse de ma mère que je sors de mes pensées. « Je veux bien. » Rapidement, il s’exécute. « Moi aussi ! » Avec ces mots, la petite personne dans mes bras rend la situation plus légère. « Toi, tu as le droit à un peu de jus de fruits. » Dis-je, alors que je la pose sur le sol pour m’occuper de sa boisson. Être occupée est sûrement le meilleur moyen pour que tout cela ne devienne pas trop étrange – par chance, nous sommes en petit comité dans cette pièce. Je récupère un verre dans le placard et le remplit de boisson, avant de le tendre à Lilly qui s’empresse d’en boire quelques gorgées. Peu de temps après, le pompier dépose une tasse près de moi et en donne une à ma mère. « Merci Otis. » Un rictus de dessine sur mes lèvres, un presque sourire résultat de la carapace que j’ai pris l’habitude de me forger quand il est dans le coin. Maintenant servi, il quitte la salle et mon regard le suit. Peut-être un peu trop, même si j’essaye de me persuader que je suis discrète. « Et si nous allions dans mon bureau ? » On y sera plus tranquilles et je pourrais facilement donner une feuille et des crayons à la petite fille si elle ressent le besoin de s’occuper un peu. Je prends les devants et guide toute ma famille vers le bureau – ou chambre selon l’heure de la journée – que j’occupe. Arrivées là, il ne faut pas longtemps à Lilly pour monter sur mon lit. Ici, elle a beaucoup de laissez-passer, sûrement parce que sa mère était appréciée et que suite à son décès, chaque pompier a pris à cœur de lui offrir une enfance la plus agréable possible. « Qu’est-ce que vous avez eu l’occasion de faire ? » Déjà bien occupée par l’envie de rebondir sur le lot, j’ai perdu l’attention de la brune. C’est donc à ma mère que cette question est adressée.

L’électricité que je sens dans la pièce à l’instant où Otis entre, n’est pas anodine. Je suis catégorique, je ne suis pas celle qui a provoqué ça en lui, même s’il me connaît et qu’il sait que je suis une amie de sa mère. Il n’ignore pas ce que nous avons pu partager dans notre adolescence sa mère et moi, à la différence de mes enfants. Romi finit par accepter le café proposé par le jeune pompier, et je remarque aussitôt les yeux brillants de Lily, qui semble avoir succombé au charme du jeune Wairua. De toute évidence, c’est une affaire de famille. Je la laisse offrir à sa fille un peu de jus d’orange alors que je reste silencieuse, me contentant d’observer les deux pompiers, l’un après l’autre, en espérant voir des détails qui confirmeraient ma suspicion. Je récupère la tasse que me temps Otis et accompagne mon remerciement d’un sourire. Romi en fait de même, et j’ai rarement vu ce genre de sourire au coin de ses lèvres. En tout cas, pas depuis le décès d’Alice, et ça me semble être une éternité. « Et si nous allions dans mon bureau ? » Pour ne pas rester dans la même salle que son jeune pompier ? Il vaudrait mieux, si ils ne veulent pas faire péter toutes les ampoules de l’étage. Je hoche la tête en emboîte le pas de ma fille, la suivant dans son bureau.
Là, Lily prend ses aises et je la regarde sauter sur le lit avec un sourire au coin des lèvres. « Cette enfant est une vraie princesse ici ! » Ce n’est qu’une observation, je ne doute pas, au contraire je trouve ça même adorable. « Qu’est-ce que vous avez eu l’occasion de faire ? » Je repose mon regard dans celui de ma fille aînée en comprenant que la question m’est adressée. Il faut dire que Lily est bien trop occupée pour répondre à la question de sa mère. « On a fait des puzzles. Trois, et j’ai été impressionnée par son avancée comparé à la dernière fois ! Et ensuite on a fait des cookies, mais je ne t’en ai pas rapporté parce que Abby et Madd’ sont passés par là… » Je laisse échapper un rire amusé, avant de porter mes lèvres à ce mug de café, gentiment préparé par Otis. « Ça se passe bien, avec ta nouvelle recrue ? » Je ne sais pas encore si Romi a pu faire le lien entre Otis et Loïs, et de ce fait, le lien avec moi. Mais peu importe, ce n’est pas le sujet qui m’interroge le plus. « En tout cas, le courant a l’air de bien passer… » Le sous entendu est gros comme une maison, et comme s’il n’était pas assez gros, j’offre à ma fille un petit sourire en coin.

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Cela fait maintenant plusieurs semaines qu’Otis travaille ici et pour être honnête, ce n’est pas tous les jours facile. Il n’est pas compliqué à vivre, ce n’est pas ça. Disons juste qu’avec ce qui s’est passé entre nous, avant que l’on apprenne que nous allions travailler ensemble, tout est devenu tout de suite plus bizarre. Dès qu’il se passe quelque chose, je ne peux m’empêcher de penser différemment qu’avec les autres et ce n’est pas vraiment une bonne chose. La dernière fois où cela est arrivé, Alice était encore là et elle travaillait à sa place – plus ou moins, car de nous deux, elle a toujours été la plus expérimentée. Auprès des autres pompiers, cela n’est pas encore visible et ce n’est pas plus mal. Cependant, aujourd’hui, avec la visite de ma mère, les choses risquent de changer. Elle me connaît plutôt bien et malgré ce que je pourrais chercher à cacher, j’ai comme l’impression qu’elle ne s’arrêtera pas à une simple question. J’ai la confirmation de tout cela à notre arrivée dans mon bureau : avoir croisé Otis n’a clairement pas aidé, mais je ne pouvais pas l’ignorer et faire comme si de rien était, cela aurait simplement aggravé les choses. Après avoir répondu à mon interrogation sur leur programme de la journée, ma mère me questionne sur la nouvelle recrue. « Je ne sais pas pourquoi, mais tout le monde me pose cette question. À croire que je serais capable de le martyriser. » Certes, je peux être un peu dure parfois, mais simplement pour le bien de mes hommes. En dehors de cela, je ne pourrais pas aller jusqu’à ruiner la carrière de quelqu’un, surtout pour le simple plaisir de le faire. « Je ne sais pas si "bien" est le terme exact. » Dis-je, alors qu’elle évoque le courant, quelque peu électrique, qui existe entre nous. « Disons que c’est bizarre.. compliqué. » Même si j’essaye de rester assez flou à ce sujet, je ne peux pas non plus mentir : je le fais déjà avec mes autres collègues et c’est suffisant. En plus, peut-être qu’elle pourrait m’aider un peu, qu’elle pourrait me remettre sur le droit chemin. « Pourquoi est-ce que tu dis ça ? » Avant de me livrer complètement à elle, j’essaye de la sonder un peu, de voir ce qu’elle a compris et où elle veut en venir. Peut-être que je me trompe complètement et qu’elle n’a aucune idée de ce qui se passe entre Otis et moi, de cette électricité qui s’est créée suite à une nuit partagée. « Nous nous sommes rencontrés avant qu’il n’arrive ici. Pas dans les meilleures conditions qui soient, pas pour notre boulot. » Je laisse encore quelques doutes planer et la possibilité à ma mère de s’imaginer certaines choses. Mais ce serait trop simple si je balançais tout comme ça. Trop simple et surtout très bizarre, car hormis avec le jeune homme, je n’ai jamais vraiment évoqué la chose.

Comme à chaque fois que je passe un moment avec Lilly, je raconte ce que nous avons fait à sa maman, pas tellement pour lui rendre des comptes, mais plutôt pour lui faire part de mon ressenti sur le fait que cette petite bouille grandit bien trop vite. Et puis, c’est important aussi pour Romi de savoir si nous sommes sorties ou non, s’il y a des choses à raconter etc.. Mais je ne m’étale pas, il y a un autre sujet qui me brûle les lèvres. Otis. Je sais de source sûre que le fils de Loïs a été embauché ici, et qu’il est sous les ordres de Romi. Ce que je ne savais pas par contre, c’est l’électricité qui sévit entre ces deux là. « Je ne sais pas pourquoi, mais tout le monde me pose cette question. À croire que je serais capable de le martyriser. » Je laisse échapper un rire amusé. Martyriser je ne sais pas, mais ma fille a du caractère - les pommes ne tombent jamais loin du pommier - et si elle a quelqu’un dans le collimateur, elle peut se montrer plus rude qu’elle n’en a l’air. « Je ne sais pas si "bien" est le terme exact. Disons que c’est bizarre.. compliqué. » Cette fois, je penche la tête sur le côté, cherchant à la sonder davantage. Bien sûr qu’il y a quelque chose qu’elle ne dit pas, mais quoi ? Je la connais assez bien pour savoir que quelque chose cloche, et je ne vais certainement pas en rester là. « Pourquoi est-ce que tu dis ça ? » Je hausse les épaules avant d’apporter ma tasse de café jusqu'à mes lèvres et d’en boire une gorgée. « Parce que j’ai senti une sorte de.. tension. » Je pèse mon mot. Clairement, il y a quelque chose d’impalpable mais d’évident entre ces deux là. « Nous nous sommes rencontrés avant qu’il n’arrive ici. Pas dans les meilleures conditions qui soient, pas pour notre boulot. » Il ne m’en faut pas plus. Je lève les yeux au ciel, comprenant très bien où elle veut en venir. « Oh. Je vois. » J’arque un sourcil, plus amusée qu’autre chose, alors que je vois bien qu’elle n’a pas l’air si emballée que ça. Moi, ça m’amuse juste de savoir que ma fille a fricoté avec le fils de mon premier amour. Comme quoi… « J’imagine que personne ici n’est au courant en dehors de vous deux ? » Que je sache, même si elle s’entend bien avec ses collègues, ils ne sont pas pour autant des amis, et surtout pas pour confier ce genre de chose. « Vous en avez parlé ? Ça s’est reproduit depuis qu’il est ici ? » Je demande quand même, parce qu’à sentir la tension entre eux, je suis totalement en droit de me poser la question…

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Si je voulais mentir à ma mère, c'est raté. Même si j'ai quand même réussi à garder ce secret un certain temps. Toni, qui vit sous le même toit que moi et pour qui il est compliqué de cacher mes allers et venues, a eu connaissance de la nuit que j'ai passée avec Otis, mais elle ignore encore aujourd'hui qu'il s'agissait de l'un de mes collègues. Mais finalement, à bien y réfléchir, comme ma relation avec le jeune homme reste un peu.. compliquée, c'est peut-être mieux que quelqu'un soit au courant. Ça me permettra d'obtenir des conseils, voire même de l'aide pour prendre des décisions. Visiblement, il ne faut pas longtemps à ma mère pour comprendre où je veux en venir. Par chance, Lilly est encore un peu jeune pour le faire et surtout bien trop occupée à s'amuser à côté, ça m'évitera de devoir lui donner des explications sur quelque chose qui ne la concerne pas. « En effet. C'est très bien comme ça. » Moins les autres sont au courant et mieux ce sera. Avec les années, mes collègues ont appris à me respecter et à m'obéir quand c'est nécessaire, mais je n'en reste pas moins une femme, à un poste de direction et je sais que c'est quelque chose de friable. Une seule brèche et cela pourrait se retourner contre moi. Ici, ils ne sont pas malhonnêtes et s'amuseraient simplement de la situation. Cependant, en dehors des murs de la caserne, on ne sait pas vraiment de quoi les autres sont capables. Qui sait, quelqu'un pourrait peut-être se servir de cette information pour obtenir ma place. « Parler ? C'est sûrement un grand mot. Disons que nous nous sommes mis d'accord pour ne plus en parler justement et pour faire comme si rien ne s'était passé. » Et c'est très bien comme ça. Pour l'instant, je ne sais pas si je suis prête à avoir la fameuse conversation avec mon chef – une conversation que nous avions eue avec Alice à l'époque de nos premiers rendez-vous. Surtout que si cela ne mène à rien, comme ça semble être le cas, ça ne sert à rien d'impliquer les autres membres de la caserne : il ne faudrait pas qu'ils soupçonnent du favoritisme ou qu'ils pensent que ça changerait quelque chose lors des interventions. « Il a une copine. Si je l'avais su sur le moment, il ne se serait rien passé entre nous. Alors pourquoi cela arriverait maintenant ? » La solidarité féminine, non ? De nos jours, certains appelleraient ça comme ça. Si l'homme ne peut pas se tenir, alors en tant que femme, je dois éviter d'aller volontairement en voir un qui a déjà quelqu'un dans sa vie. S'en tenir à quelque chose de professionnel nous convient tous les deux, alors il n'y a pas de raison que ça change maintenant – même s'il serait mentir de dire qu'il n'est pas le genre d'homme qui pourrait me plaire.

Je sens Romi vraiment tendue au sujet d’Otis, j’ignore encore beaucoup de choses mais je comprends vite, et je la connais assez bien pour savoir lire entre les lignes. C’est ma fille après tout. « Parler ? C'est sûrement un grand mot. Disons que nous nous sommes mis d'accord pour ne plus en parler justement et pour faire comme si rien ne s'était passé. » C’est une solution comme une autre. Je fais une petite moue, accueillant la réponse de Romi sans broncher, ni même donner mon avis pour autant. Après tout, c’est une grande fille et mon avis n’est pas requis pour le moment. C’est facile de dire ce qu’on pense des choses quand on est extérieur à la situation, et puis souvent, les gens n’ont pas envie d’entendre un avis lorsqu’ils ne l’ont pas demandé. Alors je reste silencieuse pour le moment, et la laisse venir à moi, me dire ce qu’elle aura envie de me dire. « Il a une copine. Si je l'avais su sur le moment, il ne se serait rien passé entre nous. Alors pourquoi cela arriverait maintenant ? » Je hausse les épaules cette fois. « Aucune idée, vous êtes des adultes, c’est à vous de voir ce qui est bien ou ne l’est pas. Et puis c’est un grand garçon, il a pris sa décision en bon état de cause. » J’ai souvenir que Loïs m’a raconté il y a quelques temps un accident terrible qui a coûté les jambes de la petite amie d’Otis. Peut-être que ce n’est pas si évident, et je ne savais même pas qu’ils étaient encore ensemble mais ça ne me regarde pas après tout. « C’est peut-être parce que je te connais et que je sais lire en toi, mais franchement, la tension est évidente. J’espère pour toi que personne d’autre que moi n’est témoin de vos échanges de regards… » Je me retiens de sourire, mais c’est difficile. Parce que depuis la mort d’Alice, je n’ai pas vu Romi craquer pour quelqu’un, et de toute évidence, il se passe quelque chose avec Otis. Et je sais aussi de source sûre que c’est un garçon bien, je n’ai pas d’inquiétudes à son sujet, surtout en sachant comment il a été élevé. Mais bref. Encore une fois, je ne suis pas là pour donner mon avis. « Bon, et de toute manière, l’important c’est encore que vous arriviez à faire votre boulot correctement l’un comme l’autre. C’est le cas, rassure-moi..? » Elle n’est pas assez perturbée par le bellâtre pour faire n’importe quoi ? Je ne la crois pas de ce genre, même avec un sérieux béguin pour quelqu’un, elle reste très professionnelle, parfois même un peu trop, mais mon avis reste mon avis.

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C'est vrai que nous sommes des adultes. Peu importe ce qui s'est passé entre nous, nous ne devrions pas agir comme des adolescents et ce qu'il a fait à sa petite amie, ce n'est pas censé me regarder. Depuis Alice, ce n'est pas la première aventure que j'ai. Pourtant, contrairement aux autres personnes avec qui j'ai été intime, le fait que nous travaillions ensemble me donne l'impression que je dois me soucier de lui et de sa famille, comme je peux le faire avec tous les autres pompiers. C'est comme ça à la caserne : on se soutient, on se serre les coudes. Cependant, à elle, à cette femme que je n'ai jamais vue, j'ai l'impression de lui avoir fait la pire des trahisons. Je ne sais pas comment Otis fait pour la regarder dans les yeux, pour lui faire croire qu'ils forment encore un tout et c'est peut-être pour cela que je suis encore un peu plus dure avec lui depuis que je sais. Chaque jour où je le vois, j'imagine la douleur que cette femme pourra ressentir le jour où elle apprendra tout cela. Peut-être que je devrais arrêter, peut-être que je devrais prendre mes distances face à tout cela et simplement laisser le jeune homme gérer à sa façon, comme il l'entend. Surtout si ça commence à se voir, comme le souligne ma mère. Par chance, nous n'avons pas eu de remarques jusque là, alors je suppose que si elle a capté aussi vite les choses, c'est parce qu'elle est ma mère et que je suis bien incapable de lui cacher de genre de choses — ou de le faire trop longtemps. Je ne compte plus les années de vie commune qu’elle a avec mon père, ça doit forcément aider à comprendre les gens, les signaux envoyés entre deux personnes qui se plaisent. Cette remarque faite, Jill s’interroge sur l’impact que cette relation quelque peu compliquée peut avoir sur notre boulot. « Je suis peut-être un peu dure avec lui.. » Dis-je, tout en haussant les épaules. « C’est une nouvelle recrue, c’est normal. Je ne peux pas prendre le risque qu’une erreur de débutant arrive. » Il a moins d’expérience que les autres, c’est comme ça. Mais un jour, quelqu’un prendra sa place et il aura alors un peu plus de liberté. Moins de surveillance. Même s’il ne sera jamais seul lors d’une intervention — pour une question de sécurité et non d’ego. « Après.. peut-être que je suis un peu plus cruelle avec lui qu’avec les autres nouveaux. Mais c’est bon enfant. » Enfin.. je crois. Si vraiment je dépassais les bornes, je pense qu’Otis me le dirait — je l’espère. Certes, je suis un peu froide avec lui, mais je nuis en rien à sa carrière. Je ne le laisse pas de côté, je ne lui impose pas de tâches ingrates pendant que ses autres collègues se la coulent douce. Il y a bien la cuisine et la vaisselle, de temps en temps, mais ça, ce n’est pas lié à lui exclusivement. « Personne ne se met en danger, si c’est ce qui t’inquiète. » Si je ne souhaite pas faire à la petite amie d’Otis suite à notre nuit ensemble, j’ai encore moins envie que cela arrive dans le cadre d’une mauvaise nouvelle faisant suite à une mauvaise intervention.

Je vois bien que c’est tendu, qu’il y a un malaise et que les choses n’ont pas été mises à plat. Je pose quand même la question à ma fille, pour savoir où elle en est, ce qu’elle ressent. Ce n’est qu’une discussion d’adulte à adulte, et même si je suis sa mère, elle a tout à fait le droit de m’arrêter si elle n’a pas envie de répondre à l’une de mes questions. Leur relation quelle qu’elle soit ne me regarde pas, je lui offrirai une oreille attentive si elle en a besoin mais je ne suis pas là pour juger. La seule chose qui m’importe c’est que chacun puisse faire son travail sans mettre en péril qui que ce soit - et surtout pas elle-même. « Je suis peut-être un peu dure avec lui.. C’est une nouvelle recrue, c’est normal. Je ne peux pas prendre le risque qu’une erreur de débutant arrive. »  Je hoche la tête pour lui dire que je comprends son positionnement. J’occupe tout comme elle un poste à haute responsabilités, et je dois gérer des équipes avec des hommes souvent, donc je comprends très bien ce qu’elle veut dire, même si les vies de mes équipes ne sont pas en péril, c’est plutôt les vies de nos patients qui le sont, par ricochet. « Après.. peut-être que je suis un peu plus cruelle avec lui qu’avec les autres nouveaux. Mais c’est bon enfant. »  J’esquisse un sourire. Bon enfant dans sa bouche, je ne suis pas sûre que ce soit perçu par le jeune homme de la même manière, mais après tout, je ne suis personne pour juger. Finalement, Romi cherche à me rassurer « Personne ne se met en danger, si c’est ce qui t’inquiète. »  « Bien sûr que c’est ce qui m’inquiète !! »  lui dis-je avec conviction. C’est ma fille, et je m’inquièterai pour n’importe lequel de mes enfants de la même manière. « Mais je te sais professionnelle. Alors j’ai confiance. »  Je lui souris et tends le bras pour caresser tendrement sa joue, comme la mère que je suis. Mon téléphone se met à vibrer dans ma poche et je m’excuse auprès de ma fille. Le travail m’appelle, et je dois filer sans trop tarder. « Je suis désolée chérie, je peux pas rester plus longtemps. Mais tu sais que si tu as besoin de me parler de cette histoire plus tard, quand tu veux, je suis là ! »  Je l’embrasse sur le front une fois debout, et vais enlacer ma petite fille avant de les saluer et quitter la caserne.