quiet evening, evening confessions (zola)

Et j'étais là, sur ce bateau illuminé par plusieurs guirlandes suspendues, à attendre la personne qui m'avait gagnée lors de la vente aux enchères organisée par la ville. Avant d'en prendre connaissance, je n'aurais pas imaginé une seule seconde que Troy puisse avoir joué le jeu pour moi. Et pourtant, sans savoir réellement pourquoi, il avait remporté l'enchère... et moi avec. Etrangement, cela constituait une agréable surprise. Ces jours-ci, nous avions partagé un bon moment sur les vagues, et il me plaisait de croire que cela avait été partagé au point qu'il souhaite être l'heureux gagnant de cet évènement. Cela supposait que nous passions une soirée ensemble, et je lui avais confié qu'une soirée au calme me conviendrait parfaitement. Les derniers jours avaient été houleux, et j'avais une petite idée de ce qui nous ferait plaisir à tous les deux. Soucieuse de prendre à mon tour les choses en main, j'avais accompagné ma réponse d'une adresse et d'un numéro. Celui d'un bateau. Grâce à la complicité de  Charlotte, j'avais accroché de nombreuses guirlandes lumineuses sur son bateau, qui serait à nous pour la soirée. J'avais déposé quelques coussins colorés et une dizaine de bougies pour éclairer le sol. J'avais également pris soin de prendre une bouteille de vin blanc, disposée au frais dans le frigo de la cabine, et quelques petites choses à grignoter. Je ne voulais pas faire quelque chose de trop élaboré puisque le lieu et la décoration en mettaient déjà plein la vue. Il ne fallait pas que cela passe pour une soirée romantique non plus, car ce n'était certainement pas l'optique dans laquelle Troy se trouvait et il était hors de question que je mette en péril notre soirée. Une soirée qui s'annonçait très agréable, à en juger par les sourires que nous nous échangeâmes dès son arrivée.  « Je suis bien arrivé ? Pas trop en retard j'espère. » dit-il en enjambant l'espace qui séparait le ponton de mon bateau éphémère. Je repassai machinalement ma robe légère aux tons émeraude, assortie à mes yeux, avant de me pencher pour lui faire une bise amicale. La première, puisque nous avions l'habitude, au centre, de nous faire signe ou, au mieux, de nous serrer la main. Il semblait qu'entre nous, peu à peu, des barrières tombaient. « Pour cette fois, je ne t'en tiendrai pas rigueur. » Je lui souriais, taquine, plaçant malgré moi l'idée selon laquelle nous pourrions continuer à nous voir après cette soirée qui commençait à peine. « Ça te plait ? » Je m'enquis de connaitre son avis sur le bateau et les quelques petits aménagements auxquels j'avais procédé, espérant que cette idée de soirée à la belle étoile ne soit pas too much.

En tant que patronne, il aurait pu paraitre déplacé de mettre en place toute cette décoration, je n'en doutais pas. Mais depuis quelques temps, le feeling passait plutôt très bien avec Troy. Si bien que j'en oubliais parfois que notre relation était celle d'une patronne et de son employé. A vrai dire, je n'aimais pas trop y penser. J'avais l'impression de m'imposer, de lui faire perdre son temps et qu'il n'oserait jamais refuser quoi que ce soit pour la simple et bonne raison que mon centre nautique était son gagne pain. Alors quand il m'apprit qu'il m'avait acheté lors de la soirée "vente aux enchères" d'Island Bay, je tombai des nues. Pourquoi avait-il fait cela, si nous n'étions que dans une relation professionnelle ? Il n'avait guère besoin de me brosser dans le sens du poil puisque 1. je l'appréciais déjà et 2. tout le monde savait que le centre se remettait à flot petit à petit et qu'il m'était impossible d'octroyer des augmentations. De nombreuses questions m'étaient passées par la tête avant que je les balaye de mon esprit. Après tout, quelle qu'en soit la raison, nous pourrions passer une excellente soirée. D'où mes efforts pour ce bateau décoré sur lequel Troy grimpa bientôt. « C'est très.. lumineux. » Une partie de mon visage se figea certainement sans que je m'en rende compte, tant je craignais qu'il soit gêné par... tout ça. Heureusement, il m'adressa un sourire réconfortant. J'en déduisis finalement, à tort ou à raison, que le lieu lui plaisait. « Tu es très jolie. » Nous partageâmes un sourire complice. « Tu n'es pas mal non plus. » Plus encore que mon caractère, c'était une certaine forme de défense que de le charrier. Evidemment, Troy était très beau. Mais je ne pouvais pas lui en faire part, du moins pas pour l'instant. Il était plus convenable de mesurer mes propos pour ne pas passer pour une patronne au comportement dérangeant. « Je t'ai acheté, tu es donc censée faire tout ce que je veux. » Bon, finalement, il n'était peut-être pas nécessaire de me faire autant de souci pour notre soirée, puisque Troy semblait tout à fait à l'aise. « Tiens donc. » J'arquai à mon tour un sourcil, amusée par l'aplomb dont il faisait preuve. « Quoique je ne serais pas méchant, je n'ai rien à y gagner. » Je fis mine de réfléchir un instant en plaçant mon index sur ma bouche. « C'est le moins qu'on puisse dire. » Un regard faussement hautain plus tard, un léger rire s'échappa de ma gorge. « Je ne sais vraiment pas jouer la patronne sans coeur. » Sur ces mots, je versai du vin dans deux verres à pied et lui en tendis un. « A notre soirée ? » Nous trinquâmes ensemble et, une gorgée plus tard, j'entamai une nouvelle conversation. « Il va vraiment falloir me dire pourquoi tu m'as achetée, qui voudrait passer une soirée à la belle étoile avec son employeur ? »

Maintenant que j'avais mis les pieds dans le plat en réclamant une explication à toute cette histoire d'enchère, j'attendais la réponse de Troy avec une impatience non dissimulée. « Je me disais que l'on ne se connaissait pas vraiment et que ce pourrait être un moyen de faire connaissance. » J'acquiesçai, satisfaite de cette réponse plutôt soft. Je ne sais pas si je craignais quoi que ce soit, mais j'étais soulagée d'entendre que ses intentions étaient plus qu'honorables. « De toi, je ne connais que ton père et le fait que tu sois un vrai tyran. » Je ris sans retenue, manquant de peu de renverser mon verre de vin. Mince, je passais certainement pour une cinglée maintenant. « Excuse-moi, c'est nerveux ! » Cela m'échappa ; oui, j'étais un peu nerveuse au fond. Et j'avais le rire facile dans ces cas là. Le fait qu'il parle de mon père, auprès duquel il avait travaillé pendant ma longue absence, puis de ma fausse tyrannie avait eu raison de mon sérieux. « C'est... je ne m'attendais tellement pas à ce que tu fasses cette offre. Mais j'en suis ravie ! Et je mettrai ma tyrannie de côté, promis. » Je lui souris avant de boire une nouvelle gorgée d'alcool. « Me concernant, tu en connais encore moins. Il faut croire que j'aime bien jouer le mystérieux. » J'arquai un sourcil, amusée par cet aveu connu de tous. « Ça plait aux filles, c'est pour ça que tes cours sont toujours blindés. » J'en étais réellement persuadée : son côté mystérieux allié à son corps de dieu grec (on ne va pas se mentir) étaient un véritable aimant à femmes. « On pourrait jouer au jeu des vérités ? Chacun notre tour, on fait une révélation, petite ou grosse, à nous de voir. » J'étais agréablement surprise : en plus de détendre l'atmosphère, ce petit jeu nous permettrait d'apprendre à nous connaître. C'était parfait. J'opinai du chef en avalant une gorgée de vin. « Je commence. » Je l'écoutai sagement, trépignant d'impatience à l'idée d'entendre un scoop. « J'ai quatre sœurs. Une plus âgée que moi et trois plus jeunes. » Bon, pour le scoop, on attendra un peu. « Mon pauvre, ça n'a pas dû être facile tous les jours d'être entourée de filles ! » Et j'étais bien placée pour le savoir ! Entre les potins du soir, les histoires de coeur et les films à l'eau de rose, il avait dû en prendre pour son grade. Je ris avant de réfléchir quelques instants à la première vérité que je pourrais lui délivrer. « Hm. Je considère mes cousines, Charlotte et Roxy, que tu connais, comme mes soeurs. » Je continuais sur sa lancée familiale, soucieuse de ne pas en faire trop. La décoration avait déjà fait l'effet d'une surprise (bonne ou mauvaise), alors j'étais bien décidée à y aller piano piano.

L'ambiance cosy que j'avais tenté d'installer sur le bateau avec mes quelques illuminations et autres décorations semblait finalement plaire à mon hôte ; si j'avais eu quelques soupçons, l'apparente détente de Troy me confortait dans l'idée que j'avais eu raison de faire autant d'efforts. Avant qu'il n'arrive jusqu'au bateau de Charlotte, ma plus grande crainte était de faire face à des silences pesants qui, heureusement, n'avaient pas encore eu lieu entre nous. A vrai dire, je croyais même que cela n'aurait jamais lieu. Il régnait entre nous une ambiance chaleureuse, où les confidences futiles coulaient à foison. Plutôt que d'être gênés par cette conversation timide, nous nous amusions à raconter quelques petites anecdotes. Quand je confiais à Troy ma compassion pour lui d'avoir été entouré de filles pendant tant d'années, il m'avoua sans aucune retenue : « Je coiffe les poupées à la perfection, encore aujourd'hui. » Un rire amusé d'échappa de ma gorge. Nous partagions un bon moment, et c'était à moi de faire une révélation. Soucieuse de conserver cette même ambiance, je ne pris aucun risque en avouant simplement mon lien fraternel avec mes cousines. C'était une solution facile, en réponse à son premier aveu, plutôt timide. Vint rapidement le tour de Troy. « J'ai vécu à Perth, pendant vingt-huit ans, avant d'arriver ici. » Je penchai la tête, surprise d'entendre cette nouvelle que j'aurais certainement dû connaitre. « Je n'ai jamais eu l'occasion d'y aller, mais j'en ai entendu que du bien. » Je réfléchissais à la personne qui avait bien pu me dire ça, et étonnamment, mes pensées se dirigèrent vers Cameron. Sans réfléchir bien plus (et l'alcool n'aidant en rien), je grimpai d'un cran sur l'échelle des confidences. « Ma dernière aventure était avec une femme. » Je me cachai derrière mon verre avec un petit sourire amusé, sans me rendre compte de ce que j'étais en train d'avouer à mon employé... Je lui mentionnais un détail particulièrement intime avec une cliente dont il avait fait les frais récemment. Ça, il l'ignorait encore. Mais ce qui était certain, c'est que l'alcool me montait bien plus vite à la tête qu'auparavant.

« C'est une très belle ville. » C'était une sage révélation que celle d'avouer avoir vécu à Perth pendant de longues années, mais il me plaisait d'en connaitre davantage sur lui. Mais nous n'étions pas au bout de nos peines. Car au fur et à mesure que le temps passait, le petit jeu instauré par Troy donnait à la soirée un petit air de confessions secrètes. Sans trop savoir pourquoi, je lui avouai que ma dernière aventure était avec une femme. Je remarquai avec malice, à moitié cachée derrière mon verre presque vide, le visage stupéfait de Troy. « Oh.. » Il ne se doutait certainement pas que les femmes me plaisaient, et le mystère planait sûrement davantage sur ma bisexualité. « Moi aussi. » Je ris légèrement. Pour nourrir le cliché, il y avait tellement de femmes qui l'adulaient sur la plage que si quelqu'un devait être hétéro dans cette ville, c'était bien lui. Je remplissais de nouveau nos verres de vin lorsque Troy me fit une nouvelle confession. Plus... surprenante, cette fois. « J'ai un fils, de 6 ans. » Je relevai soudainement la tête, les sourcils haussés. Surprise par cet aveu, je manquai de renverser de l'alcool sur tout le bateau. Je mis la bouteille de côté pour écouter, avec impatience, la suite.   « Mais la dernière fois où nous nous sommes vus remonte à mon départ de Perth. » « Oh... » A mon tour de perdre mes mots. En l'espace de quelques secondes, j'avais vécu un léger ascenseur émotionnel : un large sourire avait commencé à se dessiner sur mon visage, curieuse de découvrir un Troy paternel. Je commençai même à l'imaginer accompagner son fils à l'école avant de venir travailler au centre. Mais je n'eus même pas le temps de réfléchir aux heures supplémentaires qu'il faisait régulièrement, et qui n'étaient pas cohérentes avec sa potentielle vie de parent, que son sourire disparut. Troy semblait nostalgique, presque mélancolique. « Comment ça se fait ? » Ma spontanéité avait eu raison de mon tact. Je tentai de me reprendre, de justesse. « Enfin, si ce n'est pas trop indiscret. » Evidemment, que ça l'était. Mais l'ambiance qui régnait sur ce bateau depuis le début de la soirée et les vapeurs d'alcool décuplaient ma curiosité. J'avais l'étrange impression que Troy n'avait pas une vie aussi facile que je l'avais toujours cru.

A en juger par son attitude soudainement mélancolique, je m'attendais à entendre une douloureuse confession de la part de Troy. « Je ne veux pas te faire peur Zola. » Mon estomac se noua instantanément. J'étais dévorée par la curiosité, mais aussi par l'inquiétude. Qu'allait-il m'annoncer ? Des dizaines de scénarios se bousculaient dans mon esprit, certains plus glauques que d'autres. Je secouai très légèrement la tête de droite à gauche, comme pour chasser ça de ma tête. Ce n'était vraiment pas le moment de faire des plans sur la comète. « Je suis reconnaissant envers ton père, car il n'a pas cherché à connaître mon passé lorsqu'il m'a embauché. » Un sourire se dessina sur mon visage au souvenir de mon défunt père. Je n'avais jamais douté de sa bienveillance, mais que Troy partage cette idée avec moi emplissait mon coeur d'une indicible émotion. Sans dire mot, je lui adressai une moue signifiant que j'étais désormais prête à tout entendre. « S'il l'avait fait, il aurait.. » Mes yeux se froncèrent. L'inquiétude grimpa d'un cran. « J'ai interdiction d'approcher des mineurs. Ça rend une relation père-fils compliquée. » L'interdiction d'approcher des mineurs ?! Les mots délits, pervers et justice résonnèrent automatiquement dans ma tête. Malgré moi. Je restai sans voix.  « J'ai été accusé d'abus sexuels sur une lycéenne de seize ans. » Cette bombe me coupa le souffle. Je laissai échapper un violent soupir, parfaitement audible. Depuis ma rencontre avec Troy, le puzzle de sa vie prenait forme. Petit à petit. Mais il manquait encore une pièce maitresse pour que le dessin se forme. Et cette pièce, Troy venait de me la livrer. Il l'ignorait, mais ce n'était pas la première fois que je la voyais ; je connaissais ce dessin, ces courbes, cette fourberie. Cette pièce portait le nom de Cameron. « Ce qui n'est pas vrai, je t'en fais la promesse. Mais c'est difficile de se défendre dans ces moments-là, tout le monde croit uniquement le mineur. » Tout se bousculait dans mon esprit. Pour une fois, Cameron avait été honnête en m'avouant cette sombre histoire. Et si cela m'avait consternée, j'étais loin de me douter qu'elle avait eu un tel impact sur la vie de famille de Troy. Ma colère envers Cameron n'avait jamais été aussi vive qu'à cet instant, mais je parvins miraculeusement à prendre assez de recul pour jouer l'ignorante. Troy n'avait vraiment pas besoin que je pose une deuxième bombe, voire une troisième lorsqu'il apprendrait qu'elle était la femme de ma dernière aventure. Pas maintenant. Je vins m'asseoir à ses côtés pour lui prendre la main. « Moi, je te crois. » Même si je n'avais pas eu connaissance des circonstances et de l'esprit tordu de la mineure en question, je l'aurais cru. Je l'aurais cru parce que Troy dégageait quelque chose de solaire, de vrai. Je plongeais mes yeux dans les siens. « Tu es quelqu'un de bien. » Je ne laissai pas la moindre place au doute. Sous cette lune d'argent, quelque chose de magique vint m'attraper. Envoûtée par son regard, je m'approchai de lui, silencieuse, jusqu'à ce que quelques centimètres à peine séparent nos lèvres. Mon coeur battait à tout rompre lorsque je brisai cette ultime distance. Nos lèvres brulantes se touchèrent, et je perdis pied. Peut-être était-ce le vin qui me faisait tourner la tête comme jamais, ou peut-être était-ce autre chose. Quelque chose que je ne saisissais pas encore.