Rory - work under progress

Rory Hallenstein

ft. Jenna Ortega

l'histoire de ma vie

Un rayon de soleil chatouilla la paupière gauche de Rory, qui plissa machinalement les yeux en sécurisant le téléphone entre son épaule et son oreille. De ses mains désormais libres, elle attrapa et déboucha le feutre bleu qui se trouvait aimanté au frigo, à côté de l'ardoise qui organisait méticuleusement sa vie. Elle écrivit, en majuscules appliquées quoique pressées : "Repas chez Papa et Maman". Elle ajouta un petit cœur à côté du rendez-vous, comme si ses parents pouvaient le voir, et repris sa conversation « Voi-là, articula-t-elle, C'est noté, dimanche 11h. Je préviendrai Romi quand elle rentrera de la caserne » Rory reboucha le stylo, et, à la prononciation du prénom de sa sœur, se tourna instinctivement vers la progéniture de cette dernière : Lilly. Elle coloriait approximativement un portrait imprimé de La Reine des Neiges, sur une table en plastique qui lui était réservée -et heureusement, étant donné son apparente propension à dépasser non seulement des lignes, mais également de la feuille. A sa décharge, à 3 ans seulement, il ne fallait pas attendre d'elle qu'elle passe du Pointillisme à sa Période Bleue sans quelques expérimentations préalables. « Non, je n'ai cours qu'à 15h aujourd'hui » Continua-t-elle d'articuler dans le combiné, distraite. « Oui... Oui... A dimanche alors ! Je t'aime aussi Maman » Annonça-t-elle enjouée alors qu'un sourire étirait inconsciemment ses lèvres. Elle raccrocha et reposa son téléphone sur l’ilot de la cuisine. Elle alla alors s'asseoir aux côtés de sa nièce, au sol, les genoux pliés contre son buste. « C'est très joli Lilly ! » La congratula-t-elle en passant une main dans ses cheveux d'enfant. Rory savait quels bienfaits psychologiques un soutien sans faille pouvait avoir sur un être en pleine construction. Elle-même avait toujours éprouvé une grande fierté à se sentir aimée dans le regard de ses parents et de ses frères et sœurs. Petite dernière d'une grande fratrie, elle avait rapidement compris que sa véritable force ne résidait pas seulement dans ses compétences, mais dans sa capacité de les développer. Et pour les développer sans crainte, rien n'était si efficace qu'une famille bienveillante. Elle considérait d'ailleurs aujourd'hui que sa confiance en elle lui venait de cet amour inconditionnel. Il y avait toujours eu dans sa tête une petite voix qui lui répétait "ce n'est pas grave, j'ai les Hallenstein". Et il y avait de quoi la jalouser. Elle admirait énormément ses parents, tant par leur réussite et leur intelligence que par leur bonté. Elle savait à quel point il était peu commun d'avoir la chance de grandir non seulement sans soucis financiers, mais également dans un environnement psychologique sain. Alors, bien sûr, il y eut des crises, des cris, bien sûr elle avait pu se sentir étouffée par cette surpopulation familiale, par la nécessité de s'adapter non pas à un ou deux mais bien à 7 autres caractères et ambitions, mais cela lui avait également appris qu'il n'y avait d'amour que dans la compréhension que l'autre était différent, distinct, parfois décevant.
Malgré cette prédisposition à comprendre et analyser sa relation aux autres, Rory commençait à réaliser qu'elle ne croyait qu'en l'amour familial. L'amour de couple était probablement une invention, ou quelque chose de tordu et de fragile. Combien de ruptures, combien de drames et de soucis évitables ? Sa famille, au moins, ne pouvait pas cesser de l'aimer. Elle avait vu sa sœur perdre sa femme et se retrouver seule mère d'un enfant en bas âge, et se disait donc que le destin avait une bien cruelle façon de féliciter ceux qui trouvaient l'amour dans le chaos d'une vie.
Ceci dit, si elle était honnête, Rory reconnaîtrait qu'elle avait bien un exemple de couple heureux, accompli et sain : celui de ses parents. Ils restaient sa petite lueur d'espoir quant à la possibilité de connaître ceci un jour mais, pour l'instant, elle avait d'autres chats à fouetter. Elle avait une nièce dont il fallait s'occuper régulièrement -et elle adorait ça, ne vous méprenez pas-, une sœur ainée dont il fallait s'assurer qu'elle ne se relève des tours ô combien mesquins que la vie lui jouait, des parents par qui elle appréciait toujours de se faire chouchouter... En réalité, si elle ne se l'avoue pas vraiment, Rory quitte encore à reculons l'adolescence et tout ce qu'elle en connaissait si bien. Sa belle-sœur est décédée il y a plusieurs années, Lilly grandit en pleine santé, ses frères et soeurs construisent leur nid... Et pour la première fois de sa vie, Rory est soumise à une introspection qui ne lui plaît guère : si elle ne reniera jamais le sentiment fort d'appartenance et d'accomplissement que lui prodigue sa famille, qui veut-elle devenir, elle, en dehors de celle-ci ?