solidarité féminine (saskia)

Une soirée. Il n’a fallu qu’une soirée pour que mes amies récupèrent mon téléphone, y installent une application de rencontre et commencent à discuter avec plusieurs garçons dessus. Désarmée face à un groupe de quatre filles, je n’ai même pas essayé de lutter, pensant certainement que je n’aurais qu’à supprimer l’application une fois qu’elles auront le dos tourné. Seulement, c’était sans compter sur le fait qu’elles seraient efficaces et qu’elles arriveraient à me trouver un rendez-vous en une seule soirée – il faut croire que malgré les années, mon charme opère toujours. Bien sûr, j’ai essayé d’annuler ce rendez-vous, de me trouver une excuse, mais mes amies et cet inconnu n’ont pas laissé cela arriver. C’est bien pour cela, qu’une fois la boutique fermée, je me retrouve dans le centre d’Island Bay, dans un bar que je ne connais pas – il faut dire que ce n’est pas vraiment le genre d’endroit où je me sens vraiment à l’aise. En poussant la porte de l’établissement, je jette un rapide coup d’œil autour de moi pour voir si mon partenaire est déjà arrivé. Visiblement, non. Ou alors, inconsciemment, je cherche à l’éviter. Quoiqu’il en soit, pour l’instant, mon attention se porte sur un groupe d’hommes qui se tiennent debout, à côté d’une table où se trouve une jeune femme. Je ne peux m’empêcher de me demander s’ils se connaissent et vu la phrase que j’arrive à capter, j’ai rapidement une réponse. « Mademoiselle.. juste un verre. Après on vous laisse tranquille. » Comme approche, on a connu mieux. Je ne sais pas vraiment ce qui me prend, mais je me sens obligée d’intervenir – sûrement parce que dans sa situation, j’aurais apprécié qu’on me vienne en aide aussi. Les hommes lourds, c’est malheureusement un fléau de nos jours. « Je suis désolée ! Impossible de trouver une place pour me garer ! J’ai dû faire deux fois le tour du pâté de maison. » Dis-je, tout en arrivant à côté d’elle. Complètement plongée dans mon personnage, j’ose même une accolade amicale à destination de la jeune femme. Si je suis crédible et qu’ils pensent qu’elle est accompagnée, alors peut-être qu’ils la laisseront tranquille. Quoique.. pour eux, peut-être que deux femmes, c’est mieux qu’une seule. « Bonsoir. Je prendrais un Virgin Mojito. » Je tourne le visage vers celui qui s’est adressé à elle tout à l’heure. « Vous n’êtes pas le serveur ? » Je dois paraître naïve et si je devais rejoindre "mon amie", je peux bien supposer qu’il est là simplement pour la servir. Seulement, ou plutôt par chance, cette phrase semble le faire fuir et il s’éloigne avec son groupe d’amis. « Je ne voulais pas m’imposer, mais je les ai trouvé un peu insistants. Je vous laisserais quand ils auront pris un peu de distance. » Et pour l’instant, ça me permet aussi de fuir mon rendez-vous – s’il a eu l’occasion d’arriver entre temps.

Malheureusement, de nos jours, il est devenu difficile d’être une femme. Il ne faut bien sûr pas en faire une généralité, mais ce groupe d’hommes n’aide en rien à leur donner le bénéfice du doute. Ils étaient quatre, elle était seule et ils n’ont pas hésité une seule seconde à insister, comme s’ils avaient bien compris qu’elle était sans défense et qu’elle ne pourrait rien faire pour les arrêter. Par chance – malgré mon poids plume –, je suis entrée dans ce bar au bon moment et j’ai naturellement fait le choix de m’insérer dans cette conversation. Comme toutes les personnes autour de nous, j’aurais pu faire abstraction de tout cela et faire comme si ça ne me concernait pas, mais je me suis mise à sa place une seconde et je me suis dit que j’aurais aimé que quelqu’un me vienne en aide si j’étais vraiment elle. Grâce à un bon jeu de comédie, ma présence semble faire fuir ces hommes – en espérant qu’ils ne s’en vont pas effrayer une autre femme seule. Par contre, comme il ne s’agissait vraiment pas d’un serveur, il va falloir que je me débrouille seule pour avoir ma boisson. La blonde me remercie et je lui rends naturellement son sourire. Il est important d’être solidaire, surtout quand on voit la détresse qui se dessinait sur son visage. « Enchantée Saskia. Moi c’est Andrea. Mais appelez-moi Andi. » Maintenant, nous ne sommes plus de parfaites inconnues, alors si par malchance ils reviennent, notre petit jeu sera d’autant plus rodé. « Pas vraiment. Ce n’est peut-être pas la première fois, mais mon nombre de visites doit pouvoir se compter sur les doigts d’une main. » Dis-je, alors qu’elle me questionne sur la fréquence où je viens ici. Que ce soit dans ce bar ou dans un autre, ma réponse aurait été la même : mon style de vie n’est pas celui que tout le monde aimerait avoir. « Pour être honnête, je suis ici pour rencontrer un homme. Ce sont mes amies qui l’ont choisi pour moi. » Dis comme ça, ça sent le piège à plein nez. Ce n’est peut-être pas si surprenant que je cherche à fuir ce rendez-vous. « Je donne l’impression de vous avoir sauvé la mise, mais je crois que vous me sauvez un peu la mienne aussi, en repoussant le moment où je devrais le rejoindre. » S’il est bien venu. Je tente quelques regards sur le côté depuis tout à l’heure, à la recherche de quelqu’un qui pourrait coller physiquement aux photographies que j’ai vues et pour l’instant, il n’a pas l’air d’être là. N’allant pas non plus dans le détail, peut-être que je me trompe simplement et qu’il est assis là, quelque part, à m’attendre depuis plusieurs minutes maintenant. « Et vous ? Était-ce votre première et votre dernière fois ici ? » Si ces hommes étaient la première chose que Saskia voyait, je ne lui en voudrais pas de ne plus vouloir remettre les pieds ici.