Retrouvailles imprévues - Levi

J’attrape le stylo sur la table basse et écris quelques lignes : repas de famille ce midi, je ne sais pas quand je rentre. Je vous ai fait des lasagnes. A toute ! PS : je sais, vous m’aimez. Sans vouloir me vanter, mes lasagnes déchirent ! Bref. Ma tante a invité toute la famille à manger. Bon j’exagère, pas toute la famille, sinon, on ne s’en sortirait pas. Ca fait bien longtemps qu’on ne s’est pas tous réunis autour d’une table. Depuis le décès de mon oncle à vrai dire. C’est étrange, j’aurais cru qu’on aurait tous sauté sur la moindre occasion pour se retrouver. Je veux dire, ca a été particulièrement difficile, pour elle, pour ses enfants. Je me souviens des funérailles comme si c’était hier. Je me rappelle avoir cherché Levi du regard, sans succès. Il n’a pas eu le temps de rentrer. Nous n’avons jamais eu l’occasion d’en discuter, à vrai dire, ça fait un moment que l’on n’a pas parlé. Et j’ai les boules. J’en ai gros sur la patate. Levi c’est le grand frère que je n’ai jamais eu. Fille unique, je suis particulièrement envieuse des fratries en général. Alors je me surprends souvent à chercher des frères ou sœurs de substitution, comme Alex par exemple. Mais c’est encore différent avec mon cousin. On a grandi ensemble, lui, ses sœurs et moi. Il a tenu rapidement une grande place dans mon quotidien. J’étais fière lorsqu’il s’est engagé, pétrifiée, mais fière. Après tout ça, ne recevoir qu’un message pour signifier qu’il est en vie, ce n’est pas suffisant. Je pousse un soupir. Passer l’après-midi avec ma famille fait remonter pas mal de choses. J’attrape mon sac à la va-vite et file.

Je rejoins mes parents devant la maison de ma tante. « Timing parfait ! » je leur dis en les prenant dans mes bras. Un baiser sur la joue de ma mère et mon bras lié à celui de mon père, nous entrons. Il y a pas mal de monde, mais c’est coutume pour les Barton d’arriver à la bourre. Plusieurs accolades pour saluer mes proches et je pars en cuisine pour retrouver ma tante, qui s’affaire derrière les fourneaux. Je pose un baiser sur sa tempe en souriant. Nous ne sommes pas liées par le sang mais c’est tout comme aujourd’hui « Dis-moi ce que je peux faire pour t’aider » La sonnette retentit « Tu peux aller ouvrir » J’éclate de rire et me rends au salon, avec un plateau que j’ai récupéré. Je le pose sur la table basse en passant avant d’ouvrir la porte, le sourire aux lèvres. Sourire qui disparaît rapidement lorsque je réalise qui se tient sur le pas. « Levi ? » C’est comme voir un fantôme.

Le retour à Island Bay avait été compliqué, et je dois avouer que c'est de ma faute. J'ai fait l'erreur de vouloir me couper du monde après le décès de mon père. J'envoyais juste quelques messages à ma famille pour signaler que je suis toujours en vie pour éviter qu'ils s'inquiètent, mais comme je n'arrivais pas à gérer ma peine, je me suis isolé. Aujourd'hui, je regrette énormément ce choix parce que maintenant, je dois assumer ceci face à tous ceux que je vais retrouver une fois rentré au bercail. Comme je m'en veux ! C'est terrible. La première chose que j'ai fait, c'est aller voir ma mère et mes soeurs. Maya m'a pourri comme jamais quand elle m'a vu, j'ai bien failli pleurer d'ailleurs. Et Mila n'a fait que me serrer fort contre elle tout en pleurant et en me suppliant de ne plus jamais repartir. On s'est posé tous les quatre autour de la table et je leur ai expliqué que je ne pourrais plus piloter à cause de mon tendon à l'épaule. Puis j'ai cherché un appartement, que j'ai trouvé facilement grâce à mon salaire et l'argent mis de côté. Et maintenant, je me retrouvais à aller au repas de famille régulier des Barton. Je suis à deux doigts de faire demi tour, mais ma mère me tuerait si je ne viens pas en sachant que mes soeurs et elle ont tenu leurs langues sur mon retour. J'avoue quand même temps, je n'ai pas fait le fier et que je suis resté sagement chez moi, ne sortant que pour les nécessitées, comme mon rendez-vous chez le kiné. Après plus de cinq minutes devant la porte familiale à me demander si je ne dois pas rebrousser chemin, je prends mon courage à deux mains et je décide de sonner. Quelques minutes après, la porte s'ouvre sur une brune que je n'ai pas vu depuis longtemps. Jude. Je vois son sourire disparaitre, et celle que je considérais comme une troisième petite soeur devient livide. Je fais un sourire timide avant de baisser la tête. « Et oui ! Surprise, je suis de retour. » Okay, je ne suis pas sûr que ce soit la bonne idée de dire ça, mais j'avoue que j'ai paniqué. Je n'ai pas bien le temps de rester sur le pas de la porte que Mila passe derrière, tout sourire. « Levi ! C'est pas trop tôt, on ne t'attendait plus. M'enfin, on a l'habitude avec toi. » Touché, coulé. « Allez, tonton et tata vont être content de te revoir. » Je rentre timidement et fait la bise à ma cousine, avant de déposer mes affaires dans l'entrée, comme si j'essayais à tout prix de retarder l'inévitable.

Lorsque nous passons la porte avec mes parents, presque tout le monde est arrivé. Que voulez-vous, il faut savoir ménager ses entrées. Je salue mes proches mais c’est surtout ma tante que je veux voir. Elle est la preuve vivante que les liens du sang ne font pas tout. Elle a l’habitude depuis des années d’écouter mes conneries, déboires, chagrins d’amour. Bien sûr, il y a ma mère pour ça, mais c’est ma mère justement, elle aura toujours à coeur de me protéger et puis, je ne peux pas vraiment tout lui dire non plus. C’est différent avec ma tante. Et franchement, j’en ai gros sur la patate ces derniers temps. Peut-être pourra t-elle me conseiller au mieux. Je n’ai pas le temps d’aborder quoique ce soit que la sonnette se fait entendre. C’est déterminée, que je vais ouvrir la porte. Les autre sont tellement absorbés par leurs conversations, qu’ils ne prennent pas la peine de lever le nez. Ca me fait sourire. Et pourtant, je le perds bien vite en apercevant l’ homme devant moi. Mon cousin. En chair et en os. Je me retrouve con, à ne pas savoir quoi dire. Sa tentative pour détendre l’atmosphère échoue lamentablement. C’est la voix de Mila qui me sort de ma torpeur. Attend quoi ? C’est une blague ? C’était donc prévu qu’il soit là. Il est en vie, on l’avait tous déduit des trois mots qu’il envoyait quand ça lui pétait. Je sens que je suis en colère. Ma cousine le fait entrer après qu’il m’ait fait la bise et je lève les yeux au ciel en l’entendant. Mes parents seront certainement moins rancunier. Je ferme la porte et retourne en cuisine. Ma tante a besoin d’aide et ça me permettra de rester à distance quelques instants. Plusieurs assiettes sont prêtes. Elle a fait à manger pour un régiment ma parole. Non. Mauvais jeu de mot Jude. Je sens son regard sur moi. J’attrape les assiettes « Levi est arrivé » je lâche pour toute réponse et quitte la pièce. A vrai dire, je ne souhaite pas voir la joie sur son visage. Parce qu’il est évident qu’elle sera plus qu’heureuse. Je dépose le tout sur la table tandis que le reste de ma famille le bombarde de questions. Allez-y, ça m’évitera de faire la conversation. J’avise la table et repère qu’il n’y a rien à boire. Le bar sera le bon endroit pour commencer. Bien entendu, je ne compte pas boire d’alcool. Je suis venue avec Debby, ma vieille caisse, une sorte d’hommage à ma mère, Deborah. Alors pas question de faire de conneries. Je sens une présence à côté de moi et ne prends pas la peine de le regarder « Puis-je te proposer quelque chose à boire ? » Mon ton est froid et légèrement condescendant. A vrai dire, j’ignore pourquoi je suis autant en colère. Quelque part, ce n’est pas ma place, je ne devrais pas. Vu l’accueil, ses sœurs et sa mère l’ont pardonné pour son absence. Alors qui suis-je pour lui en tenir autant rigueur ? Mais il faut croire que je ne suis pas en mesure de rationaliser.

C'est Jude qui m'ouvre la porte, et elle n'a pas l'air ravie de me voir. Mila intervient finalement et je m'avance dans l'entrée, faisant la bise à la brune. Je dépose vite fait mes affaires dans l'entrée avant de me diriger vers la salle à manger pour rejoindre tout le monde. Tout de suite, je repère Julian et Deborah, mon oncle et ma tante par alliance. « Oh ! Levi, ça faisait longtemps ! » me fait la mère de Jude avant de m'ouvrir les bras. Je lui rends son étreinte, un peu tendu parce que je ne m'attendais pas à cette réaction. Mon oncle a l'air tout aussi heureux de me voir et Maya, l'aînée de mes deux soeurs m'invite à m'asseoir et je tape dans les gâteaux apéritifs. Très vite, on me pose des questions sur ce qu'il s'est passé les derniers mois de ma vie. J'avoue que je fais en sorte d'abréger le plus possible mes réponses, je ne peux empêcher la culpabilité me ronger en me rendant compte à quel point j'ai tenu à l'écart tout le monde de ma vie alors qu'ils avaient aussi besoin de moi que moi d'eux. « Tu vas rester longtemps ici ? » me demande Julian. « Je sais pas... Ils m'ont proposé un poste de formateur mais je ne sais pas si je vais accepter. » Mon oncle a l'air content pour moi et je regarde Jude se diriger vers le bar. La conversation se détourne sur les études de ma plus jeune soeur et j'en profite pour me lever et suivre Jude. « Puis-je te proposer quelque chose à boire ? » Je me fige face à son ton. « Une bière, ça me suffira. » Peu de temps après, elle me la tend, et je m'appuie contre le meuble de bar. « Je suis désolé. Ça change rien au fait que je n'ai pas donné de nouvelles mais je suis vraiment désolé. » Je baisse les yeux, fixant le sol, faisant tourner ma bouteille de bière dans ma main. Dire que je suis mal à l'aise serait un euphémisme.

Ca se voit sur ma tronche quand je suis contrariée. Et je pense que le message est clair. Levi reste poli et me fait la bise avant de rejoindre le reste de la famille. Mais j’ai besoin de m’éloigner un peu. Tout le monde est ravi de le revoir, et moi aussi quelque part. Sauf qu’il est hors-de-question que je ne l’avoue pour le moment. Mes parents en profitent pour le bombarder de questions. Ca ne m’étonne pas venant d’eux. Ils ont toujours été avenants, souriants. C’est le genre de personne qui sait vous mettre à l’aise, jamais de jugement, de tabou, de rancœur. A se demander de qui vient mon côté rancunier et tête de con. Mon oncle peut-être. Préparer les boissons semble être une bonne distraction mais bien vite, mon cousin me rejoint. Mon ton est piquant, je le sais. Je prépare sa bière et la lui tends. Viennent alors les excuses. Mes mains saisissent le bar en bois devant moi. J’ai besoin de passer mes nerfs « Tu fais chier Levi ! » je lâche, un peu plus fort que je ne l’aurais voulu. Certaines têtes se tournent vers nous. Je pousse un soupir, saisis son poignet et l’entraîne avec moi à l’écart. Il va bien falloir briser la glace à un moment. Plus tôt sera le mieux. La porte se referme derrière moi et on se retrouve dans le bureau de mon oncle. Levi est toujours là, avec sa bière. Mon regard se pose enfin sur lui « T’étais où bordel  ?! » Combien de fois on s’est demandé avec mes proches si tout allait bien pour lui ? Combien d’histoire d’anciens militaires on entend, qui reviennent complètement bousillés, détruits. Dire que je me suis inquiétée pour lui est l’euphémisme du siècle. Oui, il m’a manqué, terriblement. Mais actuellement, je suis beaucoup trop en colère. Ou bien est-ce finalement le soulagement de le voir en chaire et en os face à moi. J’ai l’impression de relâcher toute la pression accumulée ces dernières semaines. Il n’est qu’en partie responsable et pour le reste, il faudrait que je jette un coup d’oeil dans le miroir. Je me cale contre le bureau, les bras croisés « Je t’écoute, t’étais où ? » Sérieux ? Il vit où ? Il fait quoi de ses journées ? J’ai vaguement entendu tout à l’heure qu’on lui avait proposé du boulot mais qu’il n’était pas certain de saisir l’opportunité.

C'était obligé que Jude soit fâchée. Tout le monde ne pouvait pas oublier le fait que je n'ai pas donné de nouvelles comme ça et il me fallait bien quelqu'un pour me le reprocher. Mes excuses sont bidons et je ne peux pas lui en vouloir. « Tu fais chier Levi ! » Elle hurle presque et on se retourne vers nous. Jude attrape mon bras et m'entraîne à l'écart. Je vais en prendre pour mon grade, mais je ne pouvais pas y échapper de toute façon. Nous nous retrouvons dans le bureau de mon père et ça me fait tout drôle d'être ici. La dernière fois que j'y ai mis les pieds, c'était durant ma dernière permission quand je suis venu voir ma famille, avant qu'il ne décède. je fais le tour de la pièce, examinant les photos, les souvenirs qu'il a entassé. Tout ce qu'il a laissé derrière lui. « T’étais où bordel  ?! » J'échappe un rire nerveux avant d'attraper un album photo rangé dans la bibliothèque et de me mettre à le feuilleter. Ça me fait mal au coeur de voir des photos de nous, de me rappeler que je n'ai pas pu être là pour son enterrement, et la colère de Jude fait écho à celle que je ressens envers moi-même. « Je t’écoute, t’étais où ? » Je pose l'album photo avant de me retourner vers elle. « Tu crois que ça m'a amusé de pas vous donner de nouvelles ? Je me sens terriblement coupable et je sais que je ne pourrai jamais revenir en arrière.  » Je balaye la pièce de la main en espérant qu'elle comprenne que je ne pourrai pas revenir à ce fameux jour, celui de son décès, et même celui de son enterrement. « Je n'ai pas pu venir. Et après ça, je me sentais comme une merde. Je... » Je passe ma main sur mon visage avant de m'appuyer contre le meuble derrière moi. « Vous viviez un deuil, je ne voulais pas vous rajouter ma culpabilité sur le dos. Alors effectivement, je n'ai pas appelé. Je donnais juste signe de vie de temps en temps. Mais je ne pouvais pas vous rajouter ça. »

J’ignore pourquoi je suis autant remontée contre lui. Ok, il n’a pas donné des nouvelles, on s’est inquiété mais au-delà de ça, ce n’est pas comme si il avait tué quelqu’un. Pourtant, je reste incapable de redescendre en pression. Une vraie grenade dégoupillée. Impossible de m’arrêter. Cette conversation doit avoir lieu et il est préférable qu’on fasse ça à l’écart. Une fois seuls, je me lâche complet. Ce sont des réponses qu’il me faut. Avoir les infos qu’il me manque pour comprendre. Parce que je suis paumée. Levi sonde la pièce, et en profite pour feuiller un album. A se demander s’il m’écoute.Son rire sarcastique me le confirme. Et je ne lâche pas le morceau, inflexible, bornée. Il finit par ranger l’album et se tourne vers moi. Je l’écoute, sonnée, prenant la mesure de l’endroit où nous sommes. Je n’ai pas réfléchi plus loin que le bout de mon nez. Je n’ai pas le temps d’en placer une et je pense que sa dernière phrase m’achève « Et merde ... » je souffle. La réalité me revient en pleine tête «  On est ta famille Levi … » je lâche, avant de m’effondrer. Parce que c'est trop. En ce moment, c'est trop. Je comble les quelques mètres qui nous séparent et le prends dans mes bras. Les larmes brouillent ma vue, mais je m’en tape « On est là pour toi, quand ça va, quand ça va pas, quand t’as ta gueule de con » La vérité c’est qu’il m’a manqué. Horriblement manqué. Il a toujours été plus un frère qu’un cousin pour moi « On t’aime, tu n’es pas un fardeau. Et tu ne le seras jamais » Je ne relâche pas ma prise, pour m’assurer qu’il est bien là et lui faire comprendre que je ne compte pas le laisser partir. Nous ne le laisserons pas partir à nouveau « Et on a besoin de toi. J’ai besoin de toi dans ma vie » Parce que je suis qu’une putain d’égoïste finalement. Mes derniers déboires l'ont prouvé. Toute cette situation avec Milo et Felix. Et aujourd'hui, j'ai besoin de retrouver mon pilier, qu'on se soutienne comme avant.