devenir responsables (mason)

Aujourd'hui est une journée qui va sortir un peu de l'ordinaire. Après un petit tour habituel au vélodrome, j'ai posé mon après-midi pour passer la demi-journée avec l'un de mes amis – si je peux qualifier Mason comme cela. Nous ne serons pas seuls, puisqu'il m'a demandé de l'aide pour animer un atelier avec des jeunes en difficulté. Quand nous étions plus jeunes, faire du vélo nous a aidé à nous défouler un peu et c'est exactement ce qu'il veut leur proposer. Je trouve ça louable de sa part et comme j'avais plusieurs vélos à disposition, je me suis dit que nous pouvions former une bonne équipe. J'ai prévu le coup et j'ai demandé la camionnette à mon père : plus simple et plus écologique, cela m'a permis de faire un unique trajet entre la boutique et le point de rendez-vous. Arrivée sur place, avec un peu d'avance pour que tout soit prêt en temps et en heure, je commence à sortir les vélos et à remonter les roues avant que j'ai pu démonter un peu plus tôt pour que tout rentre à l'arrière de la camionnette. Lorsqu’elles sont toutes réinstallées, il me reste encore un peu de temps, alors je m’occupe de regarder les freins et les passages de vitesses – il serait quand même dommage qu’un accident arrive dans un moment qui est censé être agréable. C’est à ce moment-là que l’organisateur du jour arrive. « Salut Mason ! » Je lui offre un tendre sourire et m’avance vers lui pour lui faire une accolade. De nombreuses années se sont écoulées depuis le jour où nos chemins se sont séparés, mais rien ne nous oblige à rester là-dessus, surtout qu’on s’entendait plutôt bien à l’époque. « J’ai apporté plusieurs vélos, de tailles différentes. J’espère que ce sera suffisant. » Je ne connaissais pas assez les participants pour anticiper ce genre de détails avant de venir. Mais une scelle à monter ou à descendre, ce ne sera pas long – surtout qu’avoir le réglage parfait dès le premier essai, c’est plutôt rare. « Est-ce que tu sais combien il y aura de participants ? » C’est Mason qui est à l’origine de cet atelier, alors je suppose que oui. Mais peut-être qu’il l’a juste proposé aux jeunes, sans  aucune obligation ou inscription, et nous allons nous retrouver à deux cet après-midi – ça nous rappellera le bon vieux temps.

Faire un atelier de la sorte, c'est une nouveauté pour moi. Mais si les choses se passent bien, alors pourquoi pas réitérer l'expérience plus tard. Sans que ce soit obligatoirement avec Mason, je pourrais, par exemple, proposer mes services au sein d'une école, pour permettre aux enfants d'apprendre à faire du vélo ou simplement pour faire de la prévention sur les risques qu'il peut y avoir lorsque l'on circule sur une route partagée. Ce n'est pas mon métier à proprement parlé, mais mon expérience et ma pratique au quotidien pourraient me permettre d'apporter des conseils utiles. Aujourd'hui, de ce que j'ai pu comprendre, il n'est pas question d'apprendre à faire du vélo — puisque notre public est suffisamment mature pour cela, mais de leur permettre d'utiliser ce moyen pour se défouler un peu. Nous sommes tous passés par là à un moment donné. Néanmoins, suis-je suffisamment préparé pour ce qui m'attend avec ces jeunes ? Je ne sais pas. Je n'ai pas le temps de me poser des plus de questions pour l'instant : l'organisateur de cet événement, et mon ami par la même occasion, arrive. « Je vais bien. Et toi ? Prêt pour cet après-midi ? Pas trop stressé ? » Si ce n'était pas le cas, je doute que mes questions aident dans ce sens. Après m'avoir remercié d'être là, une nouvelle fois par rapport à nos échanges de messages, il répond à ma question concernant le nombre de participants. Dix, c'est gérable. Pourtant, à la suite de ses propos, mon visage se décompose un peu. Sont-ils vraiment difficiles ces jeunes ? « Qu’est-ce qui pourrait mal se passer ? » Cette hypothèse ne faisait pas partie de celles que j’avais envisagé, mais si Mason est inquiet, je devrais peut-être l’être aussi. Il m’interroge ensuite sur les éventuels autres ateliers du genre que j’ai pu faire. Cela me ramène aux pensées que j’ai pu avoir un peu plus tôt. « Non, jamais. » Mais je suppose qu’il faut un début à tout. À l’ouverture de la boutique, je ne pensais pas que c’était quelque chose qui pourrait fonctionner. Si je remarque que cela plaît aujourd’hui, alors je pourrais peut-être revoir ma position. « Ça ne fait qu’un an que j’ai la boutique. Avec mes entraînements, à côté, je me suis toujours contentée de vendre ou de louer, mais jamais sans accompagner les personnes. » Si cela peut me permettre d’avoir un revenu supplémentaire, il pourrait être intéressant de creuser l’idée. Surtout qu’une multitude de choses peuvent être envisageables : auprès de jeunes, de retraités, d’un public exclusivement féminin, etc. Alors que nous nous attelons à la préparation des vélos, Mason évoque mon frère, lui aussi sportif, mais dans un autre domaine. « Au cas où ils t’en font voir de toutes les couleurs aujourd’hui, tu voudrais les noyer, c’est ça ? » Dis-je, en rigolant légèrement. Il s’agit là de plaisanterie, je doute que ce soit une idée qui pourrait traverser l’esprit de mon ami — même si poussé à bout, c’est quelque chose qui peut arriver à tout le monde d’y penser un peu, juste pour nous décharger d’un surplus d’émotions, sans que l’idée d’aller jusqu’au bout soit vraiment là.

Durant quelques années, nos chemins se sont séparés et pour être honnête, je ne pensais pas retomber sur Mason un jour. Mais le voir à ma boutique, même par accident, m’a fait me demander si le destin ne mettait pas certaines personnes sur notre chemin pour une bonne raison. Bien que voisins pendant notre enfance, nous avons aussi partagé la passion du vélo et savoir que certaines choses ne changent pas, ça ne peut qu’être motivant pour moi : pour retrouver la même passion qui m’animait à l’époque – la passion est toujours là, mais les objectifs sont différents et ça change quelque peu les séances. Lorsqu’il m’a proposé cet atelier, même si ce n’était pas quelque chose que j’avais déjà fait, je ne pouvais pas refuser. Aujourd’hui, je vis pour cela, à travers ma boutique ou mes entraînements, alors il serait bête de ma part de ne pas vouloir faire partager ma passion à des adolescents. D’ailleurs, même si c’est nouveau, ce n’est peut-être pas compliqué. Comme Mason le souligne, tout devrait bien se passer. Des chutes seront sûrement à prévoir, ça fait partie du sport et souvent, ce n’est rien de grave. La pire chose qui pourrait arriver, c’est un accident. Mais ça, ça reste assez rare quand on fait un minimum attention et puis, il serait dommage de porter la poisse à mon ami en envisageant cette option. Nous continuons de préparer les vélos et il m’interroge sur l’avancée de mes entraînements. « Bien ! Ce n’est plus aussi simple qu’avant, je trouve. Comme quoi, dans le sport, les choses peuvent vite changer : quelques années de plus et j’ai l’impression d’être une grand-mère qui fait du vélo. » Si les champions sont repérés et entraînés tôt, ce n’est sûrement pas pour rien. Plus nous sommes jeunes et plus nous sommes en capacité d’entraîner notre corps à un tel effort, à repousser ses limites. Le rouquin se redresse légèrement lorsqu’il voit un groupe de jeunes arriver. « S’ils arrivent par groupes, nous pourrons bientôt partir. » Malgré ces mots, je ne fais plus vraiment la fière. C’est peut-être bête, mais les voir arriver comme cela a quelque chose d’intimidant – ils se connaissent tous et moi, je suis la petite nouvelle. Arrivés à notre hauteur, je décide de prendre les devants et de me présenter. « Bonjour ! Je m’appelle Andi et je suis ici pour aider votre encadrant, Mason. » J’ignore la relation qu’entretient mon ami avec ces jeunes, ce qu’ils savent de lui et ce qu’il a pu leur dire au sujet d’aujourd’hui. Alors pour éviter de faire une bêtise et de mettre un peu trop les pieds dans le plat, je décide d’y aller doucement et de rester sur quelque chose de formel. « J’ai apporté différents vélos, vous pouvez choisir celui qui vous arrange le plus, sans vous battre, et nous pourrons commencer à les régler à votre taille. » À deux, je suis sûre que ces réglages se feront vite et puis, entre eux, je pense même qu’ils peuvent s’aider – monter ou descendre une selle de vélo, ce n’est pas compliqué.