visite surprise (eden #9)

Ce soir, nous ne sommes que deux, Eden et moi. Aucun enfant à l’horizon et autant dire que je compte bien en profiter. C’est bien pour cela qu’après ma journée de boulot, j’ai donné rendez-vous à Eden, chez elle, pour que nous puissions nous rendre dans l’un des restaurants de son quartier. Nous aurions pu commander et rester à la maison, mais c’est déjà ce que nous faisons quand les enfants sont couchés. Là, je voulais un peu de changement et comme nous en sommes au début de notre relation, de cette nouvelle relation, un restaurant est exactement ce qu’il nous fallait. Le repas se passe sans encombre, avec de longs regards qui en disent longs et des gestes tendres. La note payée, nous reprenons la route en direction de la maison d’Eden à pied, comme nous sommes venues. « Parfois, j’oublie ce que ça fait de ne pas avoir d’enfant. Même si ce n’est que pour une soirée. » Et encore, j’ai de la chance d’être entourée. D’avoir une grande famille aussi, car les personnes à se proposer pour garder mes enfants sont plus nombreuses. Même si maintenant, avec l’arrivée de Harper, les garçons n’ont plus l’exclusivité de cette nouvelle génération et qu’il peut être plus compliqué de les faire garder à droite ou à gauche. Ce soir, c’est ma meilleure amie qui s’est proposée. Visiblement soucieuse du temps à deux que nous pourrions passer avec sa demi-sœur, elle a décidé de les prendre chez elle pour la nuit. Ce n’est pas la place qui manque chez elle et avec sa colocataire, ainsi que son chien, je n’ai aucun doute sur le fait qu’ils vont bien s’amuser. « Demain, nous pourrons faire une grasse matinée. Alors que Marley.. » Ce n’est pas la première fois qu’elle garde Elliot. Mais là, elle a les deux garçons chez elle et je suis presque sûre qu’ils trouveront tous les moyens possibles pour lui faire tourner la tête. J’espère quand même qu’ils ne le feront pas trop vite, histoire que cette soirée en tête-à-tête avec Eden ne soit pas stoppée nette d’ici quelques minutes. Notre trajet à pied touche bientôt à sa fin. Nous sommes maintenant dans la rue où la jeune femme habite et dans quelques maisons, nous serons devant la sienne. « Eden ? » À mesure que nous nous rapprochons de la porte d’entrée, la silhouette d’une jeune femme, blonde, se dessine. Je ne sais pas qui elle est, mais vu le prénom qu’elle vient de prononcer, elle se trouve exactement là où elle voulait être. À travers la main que je tiens, je ressens rapidement que l’institutrice n’est pas à son aise. Il n’y a pas dix mille personnes qui peuvent la mettre dans un tel état. Alors même si je me suis tenue loin des réseaux sociaux, que je n’ai fait aucune recherche pour savoir à quoi pouvait ressembler l’ex-femme de ma petite amie, je comprends bien vite que c’est elle qui se trouve face à nous. Inconsciemment et dans un geste de défense – je crois, ma main vient lâcher celle de ma petite amie. Qu’est-ce qui va se passer maintenant ? Est-ce que je dois les laisser seules et rentrer chez moi ? Je ne suis pas certaine que ce soit la meilleure solution, surtout si Morgan est ici dans l’espoir de récupérer Eden. Pourtant là, tout de suite, j’ai vraiment envie de me cacher. Peut-être à cause du regard foudroyant que m’offre cette blonde : elle n’est visiblement pas fan de ma présence. Ça se comprend, mais il ne fallait pas merder comme cela avec l’institutrice.

Cette soirée s'annonçait bonne, mais là, avec cette visite surprise, les dés sont relancés. La question d'Eden, induite par sa surprise, confirme rapidement l'hypothèse que je me suis faite sur l'identité de la blonde qui se trouve face à nous. Je ne devrais sûrement pas, mais au moment où la brune fait les présentations, officiellement, mon cœur se serre un peu. Il n'y a plus rien avec elles, n'est-ce pas ? Alors même si Morgan souhaite avoir une discussion avec son ex-femme, ou femme selon le point de vue des deux, ça ne veut rien dire. Est-ce que j'essaye de m'en convaincre ? Tout à fait. Pourtant, c'est d'Eden qu'on parle. Si vraiment les choses devaient changer entre nous, je sais qu'elle ferait les choses bien et non pas qu'elle partirait sans un mot. « Enchantée. » Je répète ce qu'elle dit pour ne pas passer pour celle qui est mal-polie. Pourtant, je ne suis pas si enchantée que ça de faire sa connaissance. « Nous devrions peut-être rentrer. » Je préférerais qu'elle parte d'ici, qu'elle quitte la ville même, mais si elle tient vraiment à cette conversation, c'est sûrement mieux de la faire sous le toit d'Eden, à l'abri des regards des voisins – ils n'ont pas l'air présents, néanmoins la curiosité de certains pourrait prendre le dessus si le ton de cette conversation augmente. Je ne sais pas à quoi à m'attendre, alors autant se préparer au pire, non ? Même si le fait qu'elles se crient dessus serait finalement une bonne chose pour moi. Sans un mot de plus, des deux côtés, les femmes acceptent ma proposition. Eden prend les devants, Morgan clôture la marche et je me glisse entre les deux. Je crois savoir ce qu'elle a dans la tête, alors mon objectif est de lui mettre des bâtons dans les roues si j'en ai l'occasion. Eden invite son ex-femme à aller dans le salon et avant de la rejoindre à notre tour, nous avons l’occasion d’être seule quelques secondes. L’une de mes mains vient se poser naturellement dans le dos de la brune. Ce moment sera court, alors autant lui montrer mon soutien rapidement. « Est-ce que ça va ? » Même si je n’aime pas ce qui est en train de se passer, je ne peux pas ignorer que la visite de Morgan doit secouer ma petite amie. Je me rapproche d’elle et dépose un baiser sur sa joue, avant que nous ne soyons obligées d’aller dans le salon. « C’est joli ici. Ça ressemble un peu à notre maison. » Respirer. Rester calme. Respirer. Je ne peux pas craquer, même si j’ai comme l’impression que c’est le souhait de la blonde. Est-ce que je peux la blâmer pour ça ? Je ne pense pas. À sa place, si j’étais aussi en train de perdre une femme comme Eden, je ferais tout pour pouvoir la récupérer – même si je n’aurais sûrement pas passé la nuit avec quelqu’un d’autre. « Le climat est un peu différent ici. » C’est là le début d’une conversation banale, mais je trouve important de ne pas laisser le monopole de la situation à Morgan. Et puis, il ne faudrait pas qu’elle se sente chez elle ici. Eden a décidé de partir, de revenir en Nouvelle-Zélande et la blonde doit se faire une raison. « Vous êtes ensemble depuis longtemps ? » Je serre un peu les dents. J’ai cherché à reprendre le dessus, mais l’anglaise a visiblement de la ressource. Je ne sais pas ce qu’Eden compte dire ou ne pas dire et je ne déciderais pas à sa place. Est-ce qu’elle a déjà eu l’occasion de lui parler de moi ? J’en doute. Selon moi, évoquer son premier amour n’est pas quelque chose que l’on fait au début ou au cours d’une nouvelle relation. « Je devrais peut-être rentrer chez moi et vous laisser discuter. » Cette optique ne m’emballe pas, mais là, j’ai comme l’impression d’être de trop.

Clairement, cette soirée ne ressemble plus à celle que j’imaginais : Eden, moi, seules chez elle, sans enfants, sans personne. Et voilà que Morgan, son ex-femme — bientôt, pointe le bout de son nez. À bien y réfléchir, je crois que j’aurais préféré avoir les enfants avec nous plutôt qu’elle. Mais ça, je ne peux plus rien y faire maintenant. Je pourrais partir en prenant mes jambes à mon cou. Néanmoins, ce serait simplement lui donner raison. Alors à la place de ça, je décide de limiter les dégâts avec le voisinage en proposant de rentrer à l’intérieur. Et oui, si elle pensait que je céderais à sa présence, elle se trompait — je ne suis pas bête, je ne vais quand même pas laisser Eden avec une femme qui ne demande qu’à lui sauter dessus. À l’intérieur, j’interroge rapidement l’institutrice sur son ressenti, avant de devoir rejoindre Morgan, déjà.. Respirer et être détendu, voilà les mots d’ordre pour gérer du mieux possible cette situation. Néanmoins, ma force de persuasion est rapidement mise à rude épreuve lorsque la blonde nous questionne sur notre relation. Merde.. je ne pensais pas être passé au crible comme ça. À l’explication d’Eden, je prends une autre dimension aux yeux de Morgan. Elle ne le dit pas clairement, mais ça se lit sans trop de mal sur son visage. Elle ne perd pas ses moyens, mais on ne peut pas non plus dire qu’elle est toujours aussi confiante qu’à son arrivée. Ne voulant pas tourner autour du pot plus longtemps, ma petite amie ne tarde pas à lui redemander pourquoi elle est là, ce qu’elle cherche vraiment. Elle veut parler du divorce, je suppose que c’est une bonne chose. Néanmoins, la phrase qu’elle prononce ensuite ne m’emballe pas trop. « Quelques temps ? » C’est sorti tout seul, malheureusement. Il y a peut-être quelque chose qui m’échappe, mais en toute logique, signer une feuille de papier ne demande pas autant de temps — et encore moins des milliers de kilomètres. « Est-ce que tu loges dans un hôtel ? » Je suppose, sauf si elle espérait pouvoir rester ici plusieurs nuits. Elle n’a pas l’air de promener de valise avec elle, alors on peut peut-être rayer ses possibilités. « Oui, je ne voulais pas m’imposer ici. C’est d’autant plus vrai maintenant que je sais qu’Eden n’est pas seule. » Sur ce coup-là, elle marque des points — même si cela l’importe sûrement peu d’avoir ma reconnaissance. « Ça fait beaucoup de kilomètres pour une discussion. » Eden a fait la même chose il y a quelques mois, mais je pensais que ce serait la dernière fois où elles se verraient. Je pensais qu’elles avaient déjà eu cette fameuse conversation, qu’est-ce qu’il pourrait y avoir à rajouter ? « Je voulais revoir Eden, une dernière fois. Il y a cette histoire d’adoption aussi. » Une dernière fois ? Je ne suis pas née de la dernière pluie.. ça devait déjà être l’autre fois, maintenant il y a aujourd’hui et puis quoi après, elle va revenir ici dans quelques mois ? Je m’emballe sur un point qui n’est peut-être pas le plus important dans sa phrase. L’adoption ? Mais.. je ne pensais pas que c’était encore un sujet d’actualité : divorcée, leur dossier aura très peu de chances, voire aucune, de passer. « Je croyais que ça tombait à l’eau. » Dis-je, cette fois-ci à l’attention de ma petite amie. J’ai l’impression d’être prise au dépourvu, comme si la communication entre nous n’était pas idéale. Mais peut-être que le problème ne vient pas de là, peut-être que c’est Morgan qui tire des conclusions là où il ne faudrait pas. « Une mère en Nouvelle-Zélande et l’autre en Angleterre, ce n’est pas l’idéal. » Quelle grossière erreur de dire cela à voix haute. Je ne sais pas exactement pourquoi, mais je me dis qu’avec ça, Morgan serait capable d’y trouver une invitation à déménager dans le coin. Non. Non, ce n’était pas mon intention et en réalité, si elle pouvait partir, le plus tôt possible et le plus loin possible, ce serait vraiment bien.

J’aimerais croire que Morgan a de bonnes intentions, mais le fait qu’elle ait pu faire des milliers de kilomètres pour voir Eden ne va pas vraiment dans ce sens. Étant en instance de divorce, elle n’avait qu’une mission à faire : celle de signer les papiers. Alors pourquoi rendre tout cela plus compliqué que nécessaire ? La brune qui se trouve à nos côtés semble tout aussi perdue que moi, alors à sa façon, son ancienne compagne essaye d’éclaircir un peu la situation. De ce qu’elle dit, je comprends que les deux femmes ne sont plus vraiment sur la même longueur d’ondes, que ce soit au sujet de l’adoption qu’elles prévoyaient de faire ou de leur mariage – un point qui a sûrement dû changer depuis les beaux jours qu’elles ont partagé à Londres. Morgan ne veut pas divorcer. Comment ça ? Cette soirée monte crescendo et j’ai comme l’impression qu’elle cherche à m’énerver un peu plus. Cherchant à savoir où l’institutrice se situe, la blonde l’interroge sur les chances que peuvent avoir leur mariage. Selon moi, elles sont faibles, mais est-ce que mon avis peut vraiment être pris en compte ? Depuis quelques minutes, c’est comme si j’avais disparu pour elle – il faut dire que quand Eden se trouve face à nous, c’est un sentiment normal – mais là, avec sa dernière phrase et son regard qui m’est directement destiné, je suis remise sur le devant de la scène. « Il fallait peut-être y penser avant. » Quand on me cherche, on me trouve. Je pourrais rappeler les faits, histoire que la mémoire de Morgan lui revienne, mais cela pourrait blesser Eden et ce n’est pas mon but. Alors à la place de faire cela, je décide de faire en sorte que ce moment gênant touche à sa fin. Cette soirée avait bien commencé, il serait dommage que l’anglaise vienne gâcher cela. « Il est tard. Tu ferais sûrement mieux de retourner à ton hôtel. » J’étais prête à partir tout à l’heure, mais maintenant que je connais ses intentions envers Eden, je ne peux plus les laisser seules – même si ça finira sûrement par arriver à un moment donné et que je fais totalement confiance en ma petite amie. J’essaye doucement de reprendre le dessus sur tout cela, de lui montrer que je suis là et que je ne me laisserais pas piétiner comme ça. Je ne souhaite pas voir l’institutrice m’échapper : il y a presque treize ans, c’était la fois de trop. « À cette heure-ci, une discussion n’apporterait rien de bon. » Il fait nuit, nous sommes trois pour une conversation qui ne concerne que deux personnes, alors cela n’aboutira à rien, j’en suis convaincue. Et par chance, il ne faut pas longtemps à Morgan pour se ranger de mon côté. « Très bien. Nous nous verrons autour d’un café. » Cette phrase ne m’est pas destinée. Pourtant, ça me fait serrer les dents. J’essaye de me sortir de cette situation et en même temps, j’ai l’impression de m’enfoncer petit à petit. Sans plus de débats, la blonde quitte la maison d’Eden, nous laissant désormais seules. Morgan ou bien un ouragan, là, c’est la même chose. Elle est arrivée ici, à fait du remue-ménage et voilà que maintenant qu’elle est partie, nous devons essuyer les plâtres. « Quand elle dit qu’elle veut se battre pour toi, je la comprends. Qui ne voudrait pas le faire. » Un fin sourire se dessine sur mes lèvres, pour faire bonne figure. Mais je suis presque sûre que l’inquiétude que j’éprouve à ce moment précis peut se ressentir dans ma voix. Je ne suis pas n’importe qui pour Eden, mais est-ce que ce sera suffisant ? « Combien de temps avez-vous été mariées déjà ? » Je ne suis pas bête, même si les choses ne se sont pas terminées comme elles l’espéraient, elles ne peuvent pas tirer un trait sur une telle histoire comme ça.

Morgan. S'il y a bien quelqu'un que je ne voulais pas rencontrer un jour, c'était bien elle. Pourtant, comme je ne la connais pas, beaucoup de personnes diront que c'est complètement bête d'en arriver à la détester. D'ailleurs, est-ce que je la déteste vraiment ? Non, je ne pense pas. Enfin.. je ne le faisais pas. Mais maintenant, de la voir ici avec l'intention de récupérer Eden, ça ne me motive pas à vouloir essayer de l'apprécier. Et pour être honnête, je crois que la réciproque est vrai également. Ça se comprend : entre nous, il y a une femme fantastique, une femme pour laquelle nous sommes toutes les deux prêtent à faire de gros efforts – à se battre même et qui dirait non à un combat dans la boue un jour ? Si la blonde pensait prendre l'avantage sur moi ce soir, elle se trompait et j'essaye de lui faire comprendre au mieux. Bien sûr, je connais leur situation – même s'il me manque peut-être certains détails – et forcément, je ne peux pas vouloir être de son côté. Néanmoins, peu importe les intentions de Morgan, avoir une conversation ce soir n'est pas une idée et ça, Eden est d'accord avec moi. Deux contre une.. face à ça, l'anglaise ne peut pas vraiment rivaliser, alors elle quitte la maison, lançant une invitation à son ex-femme pour avoir une conversation. De nouveau seules, nous ne pouvons pas faire comme si de rien était et presque naturellement, je m'intéresse sur leur histoire, sur leur passif, histoire de savoir contre qui je suis, contre quoi je me bats. Néanmoins, malgré leurs années passées ensemble, Eden ne semble pas donner l'avantage à Morgan. Après ce qu'elle lui a fait, c'est normal, mais ça fait toujours plaisir à entendre. « Merci. » Ce n'est peut-être pas ce qu'elle attendait comme réponse. Peut-être même qu'elle s'attendait à ce que je hoche simplement la tête, sans rien ajouter. Néanmoins, elle n'était pas obligée de me dire cela, de me rassurer alors que je n'avais pas évoqué d'inquiétudes, pas à haute voix. Mais.. dans le fond, je crois que la jeune femme me connaît pas trop mal. Non, je ne crois pas, j'en suis sûre. Malgré les années passées loin l'une de l'autre, nous sommes restées les mêmes – en grande partie au moins. « S'il faut faire le chemin inverse.. de ce que je vois, il n'est pas compliqué de faire un voyage entre la Nouvelle-Zélande et l'Angleterre. » Bien sûr, cette situation n'arrivera pas, surtout après ce qu'elle vient de dire. Mais dans l'éventualité où elle pourrait changer d'avis, elle doit savoir que moi aussi, je me battrais pour elle. Nous ne nous sommes pas retrouvées depuis longtemps, pourtant je sais ce que je veux et c'est elle. Pour ne pas donner raison à Morgan, pour ne pas la laisser se mettre entre nous, je me rapproche de l'institutrice et viens passer mes bras autour de sa taille. « J'ai comme l'impression que je vais passer du temps au café.. » Si Morgan pense que je vais baisser les bras comme ça, que je vais lui laisser le champ libre, sous prétexte qu'elle a été mariée presque dix ans à Eden, elle se trompe. Et pour ça, quoi de mieux qu'être présente au café lorsqu'elles viendront pour discuter ? Bien sûr, je ne m'immiscerais pas dans leur conversation, mais j'ai la sensation que ma simple présence, au loin, pourra jouer. Et si jamais Eden a besoin de moi, alors je ne serais pas loin. Cependant, toute cette théorie fonctionnera si l'institutrice et sa future ex-femme décident de se retrouver au Jardin d'Eden, sinon je n'aurais qu'à me torturer en imaginant ce qui se passe vraiment entre elles – chez l'un de mes concurrents qui plus est. « On peut dire qu'elle sait comment casser l'ambiance.. nous en étions où avant qu'elle n'arrive ? » Même si je sais que ce ne sera pas simple, je dois faire abstraction de Morgan et de sa présence en ville – ce serait comme lui donner victoire sinon. Et puis, avant de la voir, Eden et moi étions bien, il n'y a pas de raison pour que ça change.

La porte de la maison refermée, je me sens tout de suite mieux. Pourtant, même si Morgan n’est plus là, nous ne pouvons pas dire que les choses sont comme à leur habitude. Après un tel ouragan, comment pourraient-elles l’être ? Néanmoins, à ce moment précis, je suis celle qui se trouve aux côtés d’Eden et avec les mots qu’elle ajoute pour me rassurer, je devrais arrêter de penser à elles, au moins pour ce soir. C’est bien plus simple à dire qu’à faire, croyez-moi. Mais j’ai comme la sensation que la blonde sortirait gagnante de tout cela si je la laissais ruiner notre soirée – surtout qu’elle était prometteuse avant son arrivée : sans enfants, l’inverse aurait été bizarre. Histoire de me remettre sur le droit chemin, je me rapproche de la jeune femme, de ma petite amie, et je l’interroge sur le moment où nous avons été interrompues. Visiblement autant désireuse de passer à autre chose que moi, l’institutrice nous remet dans le bain et propose de regarder un film. Un peu coupées dans notre élan, c’est sûrement la meilleure des choses à faire : nous serons l’une contre l’autre et nos pensées seront occupées à autre chose. La brune est la première à s’installer sur le canapé. Je viens la rejoindre, alors qu’elle ouvre ses bras pour que je vienne m’y glisser. C’est à moi de choisir la suite du programme, comme si ça pouvait m’aider à éradiquer complètement Morgan de mon esprit.. Quel choix faire ? Un film romantique ? Oui, s’il n’est pas question d’une relation passée dedans. Un film d’action ? Ça demande peut-être un peu trop d’attention. Une comédie ? Je crois que c’est la meilleure option qui se présente à nous. Alors que je lance le premier film de ce type que je trouve, ma petite amie évoque le fait que tout cela aurait été bien pire si son ex femme, future ex femme, n’avait pas prévu de logement en ville. « Tu as conscience que je serais venue aussi. Cela aurait sûrement été coquasse, mais je ne l’aurais pas laissée seule avec toi. » En plus, j’ai toujours un sac qui traîne dans le coin – avec quelques affaires dedans, histoire d’être prête les jours où je passe la nuit chez Eden – il ne m’aurait donc fallu que quelques secondes pour être prête et pour voir le sourire maléfique de Morgan disparaître de son visage. Est-ce qu’elle en aurait eu un dans cette situation ? Je ne sais pas, mais comme elle a parcouru tous ces kilomètres pour retrouver Eden et espérer la reconquérir, malgré ma présence, je me dis que ça pourrait bien arriver. « Toi, moi et elle dans le lit, dans cet ordre là, cela aurait sûrement été marrant. » Marrant n’est sûrement pas le terme le plus approprié, mais autant rire de la situation plutôt que d’en pleurer. « Demain est un autre jour. » Et nous verrons bien ce qu’il nous réserve. En attendant, je préfère me concentrer sur les quelques heures qu’il nous reste dans cette journée. « Mais ce soir, tu es à moi. Toute à moi, même si nous avons été interrompues quelques minutes. » Je me tourne vers elle, laisse l’une de mes mains se poser sur son abdomen et je viens lui voler un tendre baiser. Dix ans de vie commune, ça ne s’oublie pas comme ça. Et même si  j’ai l’impression de piquer la place de Morgan – même si pour le coup, elle l’a perdu toute seule en couchant avec une autre – je ne dois pas lui donner satisfaction. Il est vrai que je serais pleinement rassurée quand elle aura quitté la ville. Mieux encore, quand elle aura signé les papiers du divorce. Mais en attendant, je dois essayer de me souvenir que pour l’instant, je suis celle qu’Eden a choisi.