swing from the chandelier → elliott

Je ne sais pas exactement ce qui me gêne ce soir, mais j'ai du mal à trouver le sommeil. Je ne crois pas avoir l'esprit encombré pourtant, pas au point de faire une nuit blanche. C'est peut-être mon sommeil léger qui joue. Je n'ai jamais été une grosse dormeuse et j'ai la sensation que le voisinage est bruyant — ou alors c'est le souffle du vent qui me fait croire ça. Quoi qu'il en soit, je me tourne dans un sens, puis dans l'autre, désespérée de trouver la position idéale pour enfin sombrer dans les bras de Morphée. Alors que je pensais enfin y parvenir, un nouveau bruit me fait sursauter. Cette fois-ci, il semble bien plus proche de moi et forcément, à cette simple pensée, mon cœur se met à battre un peu plus vite. Et si mon inconscient me gardait éveillée pour une bonne raison — si nous sommes dans un cas de cambriolage, il aurait certainement été mieux qu'il s'en prenne à Victor ? Un bruit différent se fait entendre, le bruit de trop, alors je décide de me lever. Je vais peut-être faire la une des faits divers demain, mais tant pis, je ne peux pas rester dans mon lit à attendre que cela passe, sans rien faire. Je laisse volontairement mes chaussons dans la chambre, pour ne pas attirer l'attention en marchant. Je passe par la cuisine et attrape une poêle que j'ai laissé là hier, lorsque j'ai décidé que la vaisselle sécherait seule pendant la nuit. Je sais qu'il ne faut pas se faire justice soit même, mais avec cette poêle entre les mains, je me sens un peu plus en sécurité — en cas de légitime défense. J'ai l'impression d'être dans un mauvais film d'horreur.. j'espère quand même ne pas être la première personne à mourir dans cette histoire. Alors que je me rapproche du salon, un nouveau bruit se fait entendre : la respiration exagérée de quelqu'un — me confirmant ainsi que je ne suis pas seule. Je contourne silencieusement le canapé, pour être face à la personne qui s'y trouve — pour attaquer ce sera mieux, et je viens allumer la lumière. Mon hypothèse est confirmée. Mais pour être honnête, nous sommes plus près d'une loque que d'un tueur en série. Les yeux maintenant bien ouverts et la scène complètement dévoilée, je peux reconnaître la personne qui se trouve dans le salon. Dans MON salon. « Francis ? Je peux savoir ce que vous faites là ? » Inutile pour moi de m'approcher trop près, l'homme sent l'alcool à des kilomètres à la ronde : il est ivre et n'a sûrement pas conscience qu'il s'est trompé de maison. Pourtant, avec la clef qui ne voulait certainement pas ouvrir la porte, cela aurait dû lui mettre la puce à l'oreille. Mais.. rassurez-moi, sa clef ne lui a quand même pas permis de rentrer chez moi ? Et si c'est correct, alors comment a-t-il fait pour déverrouiller la porte ? « Vous êtes chez moi là ! » Dis-je, en haussant légèrement la voix. Je pourrais m'emporter un peu plus, mais je ne voudrais pas que les autres habitants de cette maison soient réveillés.

Isaac a fait cette maison seul, de ses propres mains, alors forcément, ce n'est pas étonnant de parfois entendre des grincements. Quand il était encore là, il disait que c'était le bois qui se faisait. C'est à cette phrase que je repense au départ, à ces bruits que j'entends au beau milieu de la nuit, mais plus les minutes passent et moins j'en suis convaincue. Histoire d'en avoir le cœur net, je me lève et quitte ma chambre sur la pointe des pieds – ce n'est peut-être rien, alors il est inutile de réveiller toute la maison. Néanmoins, lorsque j'arrive dans la cuisine, je ressens le besoin de prendre quelque chose pour me défendre. C'est peut-être bête, mais c'est ce que mon inconscient me souffle de faire et en découvrant que quelqu'un se trouve dans mon salon, je le remercie pour ça. Je m'empresse d'allumer la lumière et de lever ma poêle, prête à attaquer. Cette lueur soudaine ne semble pas emballer l'invité surprise, mais ce n'est pas vraiment quelque chose qui me dérange. En plus, il se plaint. On est où là ? Il faut encore quelques minutes à mon interlocuteur pour émerger et c'est autant de temps où je me sens bouillir de l'intérieur. Je n'arrivais pas à dormir, c'est vrai, mais ce n'était pas une raison pour que quelqu'un fasse éruption chez moi, en pleine nuit. Finalement, alors que je confirme l'identité de l'homme qui se trouve face à moi, il réalise que ce n'est pas un chat qu'il tient entre ses bras. « C'est bien Einstein, vous voulez une médaille ? » Dis-je, énervée. Je viens néanmoins baisser ma poêle : vu son état, je doute qu’il soit en capacité de me faire du mal. Quoi que.. c’est parfois dans ce genre de situation que certains se découvrent une certaine violence. « Vous venez de prendre une serpillière pour un chat.. » Il ne faut pas avoir fait de longues études pour comprendre qu’il y a quelque chose qui cloche. « Vous avez bu.. Est-ce que vous êtes ivre ? » Je pose cette question, mais au fond de moi, j’ai déjà la réponse. Je pourrais bien l’interroger sur autre chose, car ce n’est pas les questions qui me manquent. Néanmoins, s’il est avachit comme cela sur le canapé, qu’il a pris une serpillière pour un chat, c’est qu’il ne sera certainement pas en capacité pour me répondre. « Vous ne devriez pas être là. Vous venez de rentrer illégalement chez moi, je devrais appeler la police. » Qu’est-ce qui se serait passé si c’était Mila qui l’avait trouvé ici, à son réveil, demain matin ? Je n’ose même pas l’imaginer. Je commence déjà à chercher mon téléphone, dans l’espoir de lui faire peur, plus que pour appeler la police. Malheureusement, l’appareil est resté dans ma chambre. Qu’est-ce que je suis bête..

C’est bête d’en arriver là, mais en découvrant que Francis est allongé dans mon salon, alors qu’il devrait être chez lui, je me dis que trouver un cambrioleur ici aurait certainement été mieux. Ce soir, ou ce matin – je ne sais même pas quelle heure il est exactement, je n’ai pas la force de m’occuper de ça, de lui. Surtout qu’à chacune de ses réactions, je comprends un peu plus qu’il n’est pas dans son état normal – comment pourrait-il l’être alors qu’il confond une serpillière avec un chat. Si je l’interroge sur son état de sobriété, j’ai déjà une réponse et Francis ne fait que me le confirmer. État d’ivresse, intrusion par effraction : je ne suis pas avocate, mais ça ne sent pas bon pour lui. Pour éviter d’en arriver là, je pourrais être indulgente avec lui et simplement laisser couler. Ce n’est pourtant pas dans mes plans – sûrement parce qu’il m’énerve naturellement et que je me sentirais vraiment mieux de le voir emmené de force en dehors de chez moi. « Vous n’avez pas fait exprès ? Vous allez me dire que vous avez crocheté ma serrure par accident ? Que votre épingle ou que sais-je d’autre a glissé dedans sans faire exprès ? » S’il n’était pas évident qu’il était saoul, je pourrais croire qu’il se fout de moi. Et pour être honnête, je ne crois pas que l’un empêche l’autre. Mais c’est sûrement plus simple de lui trouver des excuses, d’envisager qu’il n’est pas aussi con au quotidien. Pourtant, malgré mes essais pour lui trouver une once de gentillesse, cachée quelque part – sûrement bien profond, plus il ouvre la bouche et plus il s’enfonce. Il entre chez moi par effraction, en pleine nuit et il s’attend à ce que je lui fasse à manger ? On est où là ? « Mais ça ne va pas.. » Je soupire longuement et viens passer une main dans mes cheveux. Rester calme, je dois rester calme. Pourtant, Francis semble avoir le don pour que l’opposé se produise et malgré mes tentatives, je sens la chaleur qui monte en moi. « Je n’ai jamais compris ce qu’Isaac vous trouvait et aujourd’hui n’arrange pas les choses. » Parler pour essayer de me détendre, c’est la meilleure option que j’ai trouvé. Si je suis réveillée, ce n’est pas le cas des autres habitants de cette maison et il n’y a pas de raison pour que cela change. Mon téléphone en mains, tout sera réglé d’une minute à l’autre, lorsque j’aurais appelé la police pour qu’ils l’emmènent ailleurs. « Une fin de nuit en cellule de dégrisement devrait vous remettre les idées en place. » Du moins, je l’espère. Surtout pour les prochaines personnes qu’il croisera. De mon côté, j’en ai assez et une fois que les flics seront venus le chercher, ça ne sera plus mon problème.

Il défend son point de vue, je défends le mien et pourtant, même si le mien se rapproche un peu plus de réalité, j'ai comme l'impression qu'il n'en démordra pas. « Vos clefs .. ? » Il est exaspérant, mais il n'est sûrement pas l'heure pour continuer à le reprendre et à lui expliquer, même avec des mots utilisés avec des enfants de quatre ans, que ses clefs n'auraient pas pu ouvrir ma porte, qu'il les ait perdues ou pas et qu'il aurait sûrement été mieux de trouver une autre solution que de forcer l'entrée. Je ne m'arrête même plus sur le fait qu'il ait pu confondre sa maison et la mienne, car à en voir son état, je comprends facilement qu'il n'a plus la capacité pour faire de différence. Le fait que je n'apprécie pas mon voisin n'aide clairement pas à la situation, pourtant je ne peux m'empêcher de penser à Isaac et à la compassion qu'il pouvait avoir pour cet homme. Un homme qui semble d'ailleurs avoir oublié son existence – bien que décédé, c'est quand même cruel de balayer son souvenir ainsi. Je soupire légèrement. Elliott.. reste calme. Je ne sais pas si c'est naturel chez lui ou si le fait d'être au plein milieu de la nuit aide, mais je crois que je commence à le détester un peu plus, si c'était possible. Je commence à en avoir marre de tourner autour du pot et quand il me demande de lui préparer à manger, c'est la goutte de trop : il n'y a pas douze mille solutions possibles, les flics sont les mieux placer pour répondre à ce genre de problème. Et là, soudainement, à cette évocation, Francis semble avoir dessoûlé légèrement. Aurait-il un cœur sous cette carapace – derrière cette tête à claques ? « C'est bien de penser à elle après vos conneries. » Rassurez-moi, elle n'est pas toute seule chez lui, alors qu'il est parti faire la fête pendant des heures ? C'est la nuit, c'est vrai, mais ça ne justifierait pas un tel geste pour autant. Bien décidé à ne pas se faire prendre, il s'excuse une nouvelle fois. Je crois que j'ai du mal à me retrouver sur la même longueur d'ondes que lui. Ce n'est pas si surprenant quand on imagine le nombre de verres qu'il a bien pu boire pour finir dans un tel état. Mais dans son geste pour récupérer la serpillière, qu'il a prit pour un chat jusque là, peut-être qu'il essaye d'être gentil – même si je ne serais pas surprise qu'il évoque cet objet pour que je l'utilise dans ma future quête de ménage, je ne suis qu'une femme après tout. « Pourquoi est-ce que je ne vous balancerais pas ? » Ma conscience sûrement, mais je me garde bien de lui dire. Je ne voudrais pas qu'il trouve satisfaction à tout cela aussi vite.

Je ne sais pas vraiment pourquoi je me retiens comme cela. N’importe qui à ma place aurait déjà appelé les flics, non ? Il faut croire que même dans l’au-delà, Isaac a une influence sur moi : il appréciait ce gars – je ne sais pas vraiment pourquoi – alors je me vois mal le livrer comme ça, sans même lui donner une chance de s’expliquer. Surtout qu’à bien y réfléchir, il est juste rentré par effraction.. il n’a rien cassé ou abîmé, hormis peut-être l’odeur d’alcool qu’il a pu mettre sur la serpillière avec ce câlin offert gracieusement en pensant que c’était son chat. Lorsqu’il évoque sa fille, je tique un peu, mais je demande quand même si cela devrait être suffisant pour m’arrêter et empêcher que j’appelle les forces de l’ordre pour qu’ils le punissent de son intrusion en pleine nuit. Même si j’ai mon téléphone en main, je me résonne un peu et décide de ne rien faire – en espérant que je ne regretterais pas ce geste plus tard. Je suis moi-même une maman, j’ai une petite fille qui compte sur moi chaque jour qui passe. Alors forcément, quand il a évoqué le prénom de cet enfant, son enfant, je ne peux que me résoudre à faire un monde honorable aujourd’hui. Est-ce vraiment une bonne idée au final ? Et s'il est comme ça quand il est avec elle, est-ce que je ne finirais pas par regretter de ne pas lui avoir donné une leçon ? Tout d'un coup, l'homme semble pris de remords, de vrais remords, au point même d'appeler sa marraine aux alcooliques anonymes sur-le-champ. « Il est tard.. ce n'est peut-être pas la meilleure des idées de l'appeler tout de suite. Ce serait dommage qu'elle vous déteste, elle aussi. » Et s'il rentre chez lui, qu'il se glisse dans son lit sans de nouveau excès, il n'est peut-être pas à quelques heures près pour cet appel – en espérant qu'il le passera bien, même si je ne suis plus là pour le surveiller. « La prochaine fois, il serait peut-être bien de penser à Sarah avant de boire. Non ? » Il n'aura sûrement pas le titre de père de l'année dans tous les cas, mais ce sera déjà ça de pris. S'il tient vraiment à sa fille, alors il serait quand même dommage de donner raison aussi facilement aux juges et avocats. C'est peut-être ce qu'il mérite, un petit électrochoc pour éviter les conneries, mais qui suis-je pour dire si oui ou non il le mérite ? « Vous devriez vous laver à l'eau de Javel quand vous serez chez vous. C'est sûrement la seule chose qui fera partir l'odeur de l'alcool. »

Se faire réveiller en pleine nuit, ce n’est jamais agréable. Mais l’être par quelqu’un qui pénètre chez vous, quelqu’un que vous n’aimez pas, c’est bien pire. Alors clairement, face à ce voisin, je perds patience rapidement — si l’on peut dire que j’ai eu de la patience un jour avec lui. Son état et la quantité d’alcool qu’il a visiblement ingéré n’aident pas et je suis même à deux doigts d’appeler les forces de l’ordre pour qu’ils le remettent à sa place. Pourtant, lorsqu’il commence à me parler de sa fille, je me retrouve comme prise au piège. C’est donc ça d’avoir un cœur ? Et ce n’est malheureusement que le début.. à mesure qu’il énumère les conneries qu’il pourrait faire, à cette heure, j’essaye de le rattraper, comme je peux, et de lui souffler de meilleures idées. Faudrait-il encore qu’il arrive à les comprendre correctement. « Vous entrez chez quelqu’un par effraction et maintenant, vous avez des pensées suicidaires.. ça fait beaucoup, non ? » Mais peut-être qu’il ne s’en rend même pas compte. Il n’y aurait rien d’étonnant à cela pour être honnête. D’ailleurs.. il n’a même pas l’air de se rendre compte que boire de la Javel pourrait lui faire du mal. Ou peut-être que si. Je ne sais plus trop et son comportement ne m’aide pas vraiment à y voir clair. À un moment, il danse sur un pied et la seconde d’après, il danse sur l’autre. Qu’est-ce que je suis censée faire ? Le suivre ? Je ne suis pas certaine d’avoir l’énergie pour ça, surtout à cette heure-ci. J’essaye de comprendre pourquoi et comment Isaac avait de l’affection pour lui, vraiment.. mais je n’y arrive pas. Sous un meilleur jour, non alcoolisé, peut-être que cela aiderait. Et encore, je n’en suis même pas sûre. « Rentrez chez vous et couchez vous. C’est tout, rien de plus. » C’est plutôt simple, non ? N’importe qui pourrait y arriver, alors pourquoi pas lui. « N’embêtez personne, n’appelez personne et surtout ne faites pas de câlin à une serpillière. » Même si pour cette dernière partie, si c’est quelque chose qui lui plaît, qui suis-je pour l’empêcher de réaliser ses fantasmes. « Vous voulez peut-être que je vous raccompagne ? Je ne voudrais pas que d’autres voisins se fassent déranger. » À la seconde où cette phrase sort de ma bouche, je la regrette. Trop bonne, trop conne, comme on dit. Mais bon.. sur un malentendu et vu l’état dans lequel il est, il n’aura même pas entendu cette phrase et commencera à partir seul. Au pire du pire, je peux toujours jeter un coup d’œil de chez moi et simplement l’inciter à reprendre la prendre direction si jamais il s’éloigne de son objectif.