garde de nuit ○ romi

garde de nuit

@romi hallenstein
C’était une soirée comme une autre. Un de ces soirs où tu étais de garde et t’apprêtais à enchaîner plusieurs longues heures de nuit les unes après les autres. C’était d’ailleurs assez calme ce soir. Et parfois, c’étaient un peu les moments les plus longs. Alors, oui, quand il y avait plein de naissances, c’était extrêmement stressant mais, quand il n’y avait rien… C’était peut-être bien pire. Et c’était sûrement pour ça que tu étais en train de marcher dans les couloirs, passant de chambre en chambre pour vérifier les quelques femmes qui étaient actuellement admises dans le service. Tout allait bien. Enfin, aussi bien que cela pouvait aller. C’était tout de même des femmes sur le point d’accoucher, attendant que le travail commence, ou dont celui-ci était déjà en cours. De quoi frémir, pleurer et gémir en sentant les douleurs liées à ce moment de la vie. Le plus douloureux, peut-être, pour une femme. Et sûrement le plus courageux également. Oh oui.

Refermer la porte derrière toi, quelques paroles de réconfort, ne pas hésiter à appeler si besoin et retourner au bureau où ta collègue était déjà assise. « Bon et bien je pense qu’on va pouvoir manger, tu as mis quelle chaîne ? » Oui, parce que parfois, les gardes de nuit, c’était ça, avoir le temps manger, regarder d’un œil un feuilleton pour rester éveillée. Toujours. Au cas où. Toujours. Parce que ça pouvait arriver d’un moment à l’autre. Parce que le calme cachait parfois la tempête. Et c’est exactement ce qui arrive. Alors que tu avais à peine glissé le chou fourré de chocolat entre tes lèvres, les pompiers sont arrivés. Merde !

Te redresser d’un bon, avaler tout rond le chou qui manque de rester coincé dans ta gorge avant de te précipiter pour accueillir le cortège. « Qu’est-ce qu’on a ? » Attraper la chaise roulante pour aider la femme en détresse à s’asseoir dessus. Tu te penches en l’accompagnant, une mèche de cheveux se glissant hors de ton chignon, venant se coincer dans tes cils. Tu te redresses, relèves la tête. Oh. Tu l’as déjà vu cette femme. Aux urgences également, tu crois bien. Tu lui souris. Fronces un peu les sourcils en l’écoutant faire le bilan. « Ok, on va aller vérifier tout ça. » Tu souris aussi à la jeune femme qui est assise à côté de toi. « Ne vous inquiétez pas, tout va bien se passer. » Pas de promesse, mais, quelques mots pour essayer d’enlever le stress qui s’était sûrement glissé dans chaque parcelle de son être. Relever ton regard vers la pompière. « Merci. Si vous avez du temps, y a du café de chaud dans le bureau, » Tu le pointes du doigt puis, tu luis souris, encore. Tu te dis l’espace de quelques secondes qu’elle est belle. Cette femme. Puis, tu lui tournes le dos et glisses rapidement la chaise vers la première salle de disponible.

garde de nuit
crédit/ tumblr ✶ w/joan

Ce n’est pas dans mes habitudes de me rendre à l’hôpital avec les victimes, je laisse cela aux ambulanciers. Pourtant, après la dernière fois et cette femme que j’ai aperçue, celle qui ressemblait à Alice, je ressens le besoin d’y retourner. L’accident de voiture de ce soir, bien que ce soit malheureux, m’aide dans ce sens. La passagère du véhicule qui s’est embouti dans un arbre semble avoir besoin d’une présence et c’est avec moi qu’elle arrive à trouver un peu de réconfort. Je suppose qu’en étant enceinte, elle s’est rapidement sentie en confiance lorsque je lui ai parlé de ma fille – bien sûr, je n’ai pas précisé que je n’avais pas porté Lilly : j’étais là pour l’aider, pas pour parler de moi. Ce lien créé entre elle et moi, je me suis naturellement invitée dans l’ambulance lorsqu’il fut temps de l’emmener à l’hôpital. Aux yeux de tous, c’était pour elle que je faisais cela, alors personne n’allait me le reprocher. Néanmoins, la vérité étant bien différente, mes supérieurs me l’auraient sûrement reprochés s’ils en avaient  connaissance. Durant le trajet, le travail semble se mettre en place pour la future mère de famille – à cause de l’accident, ce bébé a sûrement envie de sortir. Alors à notre arrivée aux urgences, nous sommes redirigés vers la maternité. Et là, comme si le destin s’était finalement rangé de mon côté, c’est sur la brune de l’autre jour que nous tombons. Dois-je en déduire qu’elle travaille dans ce service ? « Femme de vingt-cinq ans, enceinte de trente-sept semaines. C’est son premier enfant. » Dis-je, pour répondre à sa première question. Elle est sur le point de mettre au monde un bébé, je suppose que ce sont les informations importantes à donner.  Néanmoins, je préfère ajouter quelques précisions sur ce qui l’amène ici, au cas où quelque chose d’imprévu se passe au bloc. « Nous l’avons sorti d’un accident, elle était la passagère de l’une des voitures. » Maintenant, ce n'est plus notre patiente, nous ne pouvons plus rien faire pour elle. Cependant, même si je ne connais pas cette femme, j'ai la sensation de pouvoir lui faire confiance et de lui laisser cette maman, les yeux fermés. « Merci. » Dis-je, presque timidement, alors qu'elle évoque le café. Rapidement, elles disparaissent dans une autre pièce et j'ai la sensation de me retrouver livrée à moi-même – je ne suis pourtant pas seule, puisque mes collègues sont encore là. Dix minutes, vingt minutes, trente. Je commence doucement à faire les cent pas dans ce couloir, comme si c'était vraiment Alice qui allait revenir. Les ambulanciers sont appelés sur un malaise et je leur propose de me laisser là, juste le temps d'avoir des nouvelles de notre autre victime. Soit je repartirais avec eux un peu plus tard, soit je m'arrangerais pour qu'on vienne me chercher. Désormais seule, le temps semble s'écouler encore plus lentement. Néanmoins, la jeune femme de tout à l'heure, une médecin peut-être, fini par revenir. « Si vous êtes de retour, c'est que tout s'est bien passé ? Est-ce qu'Island Bay compte désormais un nouvel habitant ? » Un sourire se dessine sur mon visage. J'ai envie d'être positive et de penser qu'il n'y a pas eu de complications. Si je dois lui remonter le moral, je ne sais pas exactement comment je pourrais m'y prendre et surtout, si ce sera très conventionnel. « Il y a beaucoup de bruits de machines. Est-ce que vous avez une nuit agitée ? » Pour être honnête, la dernière fois où je suis venue ici, c'était pour la naissance de Lilly, il y a plus de trois ans et demi maintenant, et je crois que j'étais tellement absorbée par l'événement que je n'ai pas fait attention aux bruits autour.