faire plus ample connaissance (toni)

Ce n'est pas dans nos habitudes d'être en retard, mais aujourd'hui, à cause d'un accident sur la route, nous nous retrouvons, Mila et moi, bloquées dans un bus, à attendre que la circulation s'améliore. Il faut croire qu'en ce moment, les moyens de transports ont quelque chose contre moi, entre cet accident et la panne de l'autre jour, je commence à faire tous les incidents possibles. Par chance, nous nous rendons à un anniversaire, alors arriver en retard n'est pas non plus dramatique — même si selon la petite fille, tous ses amis auront déjà commencé à jouer sans elle. Par politesse, j'envoie un message à mon amie, la mère de la petite fille dont c'est l'anniversaire, pour la prévenir de cet accident : j'ai promis que je resterais pour l'aider, je ne voudrais pas qu'elle pense que je me défile. Avec un peu de chance, la circulation ne met pas si longtemps à se débloquer et avant que l'après-midi ne soit trop vite écoulé, nous arrivons enfin à destination. Sans plus attendre, Mila court vers ses amis, alors que je viens saluer les autres parents. Je dépose lea cadeau sur la table, avec les autres et me rends dans la cuisine, là où mon amie m'a demandé d'aller. « Bonjour.. » Dis-je, presque timidement en découvrant la personne déjà présente ici. « Maya m'envoie. Elle s'est dit que vous auriez peut-être besoin d'un peu d'aide. » À côté de ce qui se passe dans le jardin, un gâteau est bien plus calme, mais avec le nombre d’invités et la taille de la sucrerie, il est sûrement plus prudent de s’y prendre à deux pour éviter une catastrophe — une chute notamment, la petite fille serait forcément déçue de devoir souffler ses bougies sur des madeleines plutôt que sur un gâteau aux couleurs de la reine des neiges. « Nous nous sommes déjà vues, non ? » Si cette question est sincère, elle est à moitié rhétorique, puisque je suis quasiment sûre de moi. Bien qu’Island Bay soit composé de plusieurs quartiers et que nous habitions à seulement quelques minutes de la capitale, un tel visage ne s’oublie pas. « À l’école sûrement. Je m’appelle Elliott, je suis la maman de l’une des têtes brunes de la journée. » S’être croisées là-bas est la chose la plus logique, surtout vu ce qui nous rassemble aujourd’hui. Néanmoins, je ne connais pas grand-chose d’elle. Elle est déjà venue chercher la fille de Maya, mais a-t-elle aussi un enfant à l’école ? Plus jeune, plus vieux ou bien du même âge que Mila, que j’aurais un peu raté parmi toutes les histoires que la petite fille peut me raconter à la sortie de l’école.

Avoir une ribambelle d’enfants à sa charge, je sais à quel point ça peut être épuisant. C’est bien pour cela – et n’ayant rien d’autres de prévu dans mon après-midi – que je me suis proposée auprès de Maya pour l’épauler un peu. Néanmoins, avec cet engagement, je ne pensais pas me retrouver envoyée en cuisine. Je suppose qu’il faut des mains partout et même si ce n’est pas mon domaine de prédilection, je me laisse aller aux ordres de la maman du jour – qui peut facilement être angoissée à l’idée que l’anniversaire de sa fille ne soit pas celui espéré. Nous n’en sommes pas là encore et j’espère que nous n’en arriverons pas là. Pour ça, je dois me rendre dans la cuisine et faire en sorte que les choses se passent bien, sans même savoir ce que l’on attend vraiment de moi dans cette pièce. Je suppose que je vais très vite m’en rendre compte. Dire que j’avais raison est un euphémisme, puisqu’à peine arrivée, la femme déjà présente semble soulagée de ma présence. Comme le pâtissier est tombé malade et que la commande n’a pas pu être réalisée, c’est à elle, ou plutôt à nous, de nous en occuper. Ça promet. Son visage me dit quelque chose et pour éviter de rentrer dans quelque chose qui pourrait être gênant, où je me pose la question de l’endroit où je l’ai croisé pendant une bonne vingtaine de minutes, je décide de l’abcès directement et d’évoquer l’école. Avec tous ces enfants, l’anniversaire, Maya, c’est l’endroit le plus logique. Par chance, je ne suis pas folle et c’est bien là-bas que nous nous sommes croisées, plusieurs fois. Je ne sais pas encore si nous sommes faites pour nous entendre ou pas, nous le saurons plus tard, surtout que cet atelier de cuisine peut s’avérer déterminant pour la suite. « Douée ? Je ne sais pas si j’irai jusque là. » Il faut se rappeler que notre public est un groupe d’enfants, ils peuvent être intransigeants parfois. « Ou alors, j’étais sa dernière solution. C’est dire à quel point elle pourrait être désespérée. » Dis-je, alors qu’elle évoque le choix de Maya, de m’envoyer ici pour l’épauler. « Si ça peut te rassurer, j’ai déjà fait des gâteaux. Rien de très compliqué par contre, alors j’espère que ce sera suffisant. » Déjà enfant, ça me plaisait de passer du temps en cuisine. Rien d’extraordinaire, juste le minimum pour aider un peu. Quand je suis devenue mère, à vingt ans, cuisiner a pris une autre dimension, puisqu’à partir de là, je ne le faisais plus exclusivement pour moi. Cependant, en presque dix ans, je ne suis pas encore capable d’ouvrir un restaurant à mon nom. Par contre, casser des œufs, mélanger quelques ingrédients et réussir une cuisson, c’est censé être dans mes cordes. « Tu étais partie sur quelle idée ? Si tu me parles d’une pièce montée, je fais demi-tour tout de suite. » Dis-je, avant de rigoler légèrement. Je m’approche du réfrigérateur et récupère deux tabliers qui y sont accrochés. J’en tends un à la brune, avant de venir enfiler le second.

Si Maya n’était pas aussi désespérée à l’idée que sa fille n’est pas un gâteau pour ce jour si spécial, je ne sais pas si elle m’aurait envoyé en cuisine. Surtout que je ne suis pas forcément la personne idéale pour ça. Certes, je sais cuisiner, j’ai appris à le faire sur le tas, lorsque je devais préparer quelque chose pour Mila, Isaac et moi, mais je suis loin d’être une cheffe étoilée. En plus, devoir faire à manger à des enfants, c’est bien plus compliqué que pour des adultes. Réussir à faire manger des fruits et des légumes à une demi-portion c’est déjà du sport, mais pour tout un groupe.. je n’ose même pas y penser. Par chance, le gâteau visé par ma binôme n’en comporte pas et surtout, il semble plutôt simple à réaliser. Le livre de cuisine est posé sur la table, juste après que la brune se soit occupée de sortir tous les ingrédients. Bien lancée, je me dis qu’elle va continuer, qu’elle va commencer la recette. Mais à mon plus grand désarroi, lorsqu’elle se retrouve avec le saladier face à elle, elle s’arrête. Selon elle, si je la laisse faire, ce gâteau va être une catastrophe. « Je suis sûre que tu te sous-estimes. » Malgré mon avis sur la question, comme je ne veux pas me la mettre à dos – pas dès les premières minutes, je me saisis des œufs nécessaires pour la recette et je viens les casser dans un plat à part pour pouvoir les ajouter à la farine et au sucre après, lorsqu’ils seront pesés. « Est-ce que je peux te donner une tâche à faire ou tu souhaites simplement me lire la recette ? » Bien sûr, j’ai une préférence pour la première des deux options. C’est d’ailleurs pour cela que je continue dans ce sens : si en plus, j’énonce ce que j’attends d’elle, peut-être qu’elle sera rassurée, réalisant que ce n’est pas compliqué, et qu’elle se lancera dedans. « Nous allons devoir faire fondre le chocolat avec le beurre, peut-être que tu peux t’en occuper. Au micro-ondes ou au bain-marie, comme tu veux. Juste.. je sais qu’il est possible de faire brûler le chocolat en utilisant le micro-ondes. » Je la regarde, un sourire taquin sur les lèvres. J’ai supposé qu’elle se sous-estimait tout à l’heure et voilà que maintenant, j’évoque l’une des catastrophes qu’elle pourrait causer. Si avec ça, elle ne comprend pas que je rigole, alors je ne sais pas quoi faire. Surtout que je serais là, juste à côté d’elle, dans le cas où elle aurait besoin d’aide. « Si tu connais aussi bien la maison, je suppose que tu connais Maya depuis un certain temps maintenant. » Ce n’est pas une question : cette phrase est lancée dans l’optique de lancer une conversation un peu différente de celle du gâteau. Comme nous sommes bloquées ici, tant que nous n’avons pas quelque chose à proposer, autant en profiter pour discuter un peu, pour faire connaissance pourquoi pas.

Si la jeune femme est si maladroite en cuisine, je me demande pourquoi son amie a fait le choix de l'envoyer ici, alors qu'une catastrophe pourrait arriver à n'importe quel moment. Était-ce parce qu'elle savait que je viendrais sauver la situation ? Et surtout, que je le ferai avant qu'un drame n'arrive ? Si comme elle le dit, la brune sait où se trouvent tous les objets de la maison, elle est peut-être partie du principe qu'elle trouverait facilement l'extincteur en cas de début d'incendie. Par chance - enfin je l'espère - nous n'en arriverons pas là. Certes, la tâche que je lui donne pourrait nous y conduire, mais j'ai confiance en elle et même si j'ai les mains prises, je ne suis pas loin s'il y a besoin. Je fais bien d'y croire, car tout se passe comme sur des roulettes : le beurre et le chocolat fondent, il ne reste plus qu'à les mélanger. Cette étape passée, le reste coule de source et rapidement, nous arrivons à une pâte homogène que nous pouvons glisser dans le four. Maintenant, il ne nous reste plus qu'à attendre et pour que cela ne nous paraisse pas trop long, autant faire la conversation. « Depuis six ans, je dirais. » Dis-je, alors qu'elle me questionne sur le nombre d'années où les anniversaires sont devenus une habitude pour moi. « Avant ça, elle n'y accordait pas beaucoup d'intérêt. » Quand les enfants ne réalisent pas vraiment ce qui se passe et qu'ils ne prennent pas forcément plaisir à recevoir des amis, ce sont les parents qui mettent tout en œuvre pour que les anniversaires soient à la hauteur des espérances, généralement auprès de la famille. « Mila. Elle s’appelle Mila. » Naturellement, je souris. « Tu n’as pas fait mention d’enfant. Tu es seulement la tante cool de Penny ? » Je rajoute cette mention de tante cool pour éviter de rentrer dans un sujet qui pourrait mal tourner, ne l’obligeant pas à répondre. Et si elle souhaite avoir des enfants, mais n’en a pas les moyens ? L’ambiance pourrait rapidement tourner au vinaigre. « Que dirais-tu de faire un peu de décoration sur le gâteau ? C’est vrai que c’est à double tranchant : soit nous nous en sortons, soit nous ruinons le gâteau. » Après.. peut-être qu’il est déjà ruiné.. si à travers la vitre du four, il semble avoir une belle tête, nous ne connaissons rien de son goût. « Jusqu’ici, je trouve que nous formons une bonne équipe. » Et presque naturellement, pour accompagner mes mots, je viens donner un petit coup d’épaule à la brune. Un geste amical, mais un geste qui rapproche plus que de raison. Finalement, dans cette cuisine, loin du bruit et des agitations, nous ne sommes pas si mal. Pourquoi ne pas faire durer un peu plus le plaisir ? « Je me trompe peut-être, mais je crois que tu ne m’as pas donné ton prénom. » Bien sûr, je pourrais me renseigner auprès de Maya, plus tard, pour avoir cette information, mais autant mettre un prénom sur un visage au plus tôt.

Maintenant que le gâteau est au four, nous avons le temps d’échanger sur autre chose. Bien sûr, nous pourrions nous contenter d’attendre, dans le silence, mais ce ne serait pas très agréable et la jeune femme semble très intéressante : il serait dommage de passer à côté de l’occasion de la connaître un peu plus. Seulement, avant d’aller plus loin, je lui fais remarquer que je ne connais même pas son prénom. Histoire de rattraper cela, elle me tend sa main, que je ne tarde pas à saisir, et se présente enfin. « Toni ? C’est très joli. » Cette poignée de main dure sûrement plus de temps que nécessaire, mais avec mon regard planté dans le sien, je ne me sens pas d’y mettre un terme. Je ne sais pas exactement pourquoi, ni comment, mais soudainement, l’ambiance semble avoir pris une toute nouvelle tournure. L’arrivée de l’hôte de la maison met finalement fin à tout cela, contre notre gré, et c’est peut-être mieux ainsi. Même si le gâteau n’est pas encore sorti du four, la mère de famille semble ravie de notre travail d’équipe. Au point même qu’en quelques secondes, elle est déjà repartie. « Je ne sais pas si elle est venue pour s’assurer que le gâteau avançait ou si la cuisine ne brûlait pas. » Peut-être un peu des deux ou alors, peut-être qu’elle avait besoin d’un peu de répit avec les enfants, ce qui se comprendrait. « Tu es venue seule aujourd’hui ? » Je ne sais pas pourquoi, mais de toutes les questions que j’aurais pu lui poser, c’est la première qui a décidé de sortir de ma bouche. Dans le fond, comme il y a d’autres adultes présents pour aider Maya – que je n’ai pas pris le temps de détailler, que ce soit les hommes ou les femmes – tout est possible. « Ce gâteau met une bonne odeur dans la cuisine, Maya ne pourra pas dire que nous n’avons pas tout essayé pour sauver la situation ! » Je suis maman et j’ai déjà accueilli des enfants chez moi pour les anniversaires de Mila, alors je comprends exactement la panique qui l’a gagné en apprenant qu’elle devait faire sans sa première option. « Il a l’air prêt. » C’est ce qu’indique le minuteur. Pour en être sûre, j’ouvre la porte du four et viens planter un couteau dans le gâteau pour voir si la pâte est bien cuite. Bingo ! Il est temps de le sortir de là. Je récupère le gant de cuisine qui se trouve à côté et me saisis du moule. En me retournant, je réalise que Toni s’est rapprochée. Un peu trop peut-être et cette proximité me donne l’impression d’être rentrée dans son espace personnel. « Pardon.. » Finis-je par dire, après un moment de silence qui allait commencer à devenir gênant. Mon regard retrouve rapidement le sien et soudainement, c’est comme si j’avais le souffle coupé en sa présence. Je ne sais pas pourquoi je ne m’en suis pas rendu compte avant, mais Toni est belle, magnifique même et je suis sûre que je ne suis pas la première personne qui pense cela d’elle, ou même qui se retrouve dans un tel état en sa présence. Légèrement perturbée face à cette situation, j’agis sans réfléchir et ma deuxième main, non protégée, vient se saisir du moule à son tour. « Aïe ! » Au moins, la chaleur me ramène rapidement à la réalité.

Être curieuse, trop curieuse, c'est ma spécialité. J'aime me dire que ça me vient des études que j'ai commencé et du métier que j'aspirais à faire, mais il faut parfois se rendre à l'évidence : c'est juste moi, moi et mes défauts – moi et mes qualités selon le point de vue. Par chance, la jeune femme ne me tient pas rigueur de tout cela. Elle aborde même un sujet que je n'avais pas lancé, mais qui n'est pas pour autant inintéressant, loin de là même. Notre société est de plus en plus ouverte, du moins c'est ce que j'aime me dire, mais elle reste tout de même hétéronormée, alors avoir une femme qui évoque sans gêne une éventuelle bisexualité, c'est plaisant. Et je crois que ça se lit sur mon visage, avec le sourire qui étire mes lèvres. Doucement Elliott, elle n'est pas sur le point de te demander en mariage. Tu ne sais même pas si tu pourrais lui plaire. D'ailleurs, est-ce qu'elle pourrait me plaire à moi ? Sûrement. Il faudrait être bête pour ne pas voir sa beauté et même si elle semble un peu maladroite, ça fait son petit charme. Finalement, mon corps parle pour moi et quand elle se rapproche un peu trop de moi, qu'elle me regarde comme elle le fait, il perd rapidement ses moyens. Au point même d'oublier que tenir le moule sans protection, alors qu'il sort du four, n'est pas une bonne idée. Par chance, Toni est là pour me venir en aide. Elle récupère le moule avec un torchon et m’emmène ensuite mettre ma main sous l’eau froide. « Tu dois commencer à déteindre sur moi. » Dis-je, pour plaisanter. Si je rigole de la situation, c’est que je vais sûrement bien. Selon elle, je ne me débarrasserais pas aussi facilement que ça de la marque qui s’est dessiné dans ma main. « J’espère que ce ne sera pas accompagné d’une intoxication alimentaire, sinon ça va finir que quand je penserais à toi, ce sera pour te maudire. » Et ça, ce serait vraiment dommage. J’attrape un second torchon pour m’essuyer la main et pour venir tapoter un peu sur l’endroit endolori. « Merci. Ça va mieux. » La chaleur semble passée, du moins elle n’est plus aussi intense qu’avant. Je crois que la distraction de l’avoir près de moi a fortement aidé. Je lui offre un nouveau sourire et très vite, je viens me perdre dans son regard. Elliott, ressaisis-toi. « Si tu connais bien la maison, tu dois peut-être savoir où Maya cache ses bières. » Ou toute autre boisson qui pourrait lui faire plaisir. « Après l’effort, un peu de réconfort. » Ce gâteau n’a pas été de tout repos, j’ai même dû mettre mon corps à l’épreuve ! Alors je suppose qu’on mérite bien une petite pause, avant de devoir retourner avec les autres, parents et enfants, où le silence ne sera plus qu’un lointain souvenir.

Elle n’a pas complètement tort : si je tombe malade à cause du gâteau, elle n’en sera pas la seule responsable. Mais pour être honnête, les probabilités pour que cela arrive sont plutôt faibles. Nous avons suivi la recette à la lettre, alors hormis des ingrédients passés ou de mauvaise qualité – ce qui m’étonnerait, il n’y a pas de raison pour que ce gâteau ne soit pas une réussite. Et pour fêter cela, en attendant que notre préparation refroidisse un peu pour commencer la décoration, je demande à Toni si elle connaît la cachette des bières de son amie. Bien sûr que c’est le cas et en quelques secondes seulement, elle en sort deux du réfrigérateur. Les capsules ne lui résistent pas longtemps et nous venons faire tinter les bouteilles en honneur à notre gâteau et au temps passé ensemble. Je bois une première gorgée de ma boisson, sans quitter la jeune femme des yeux. Elle s’appuie contre l’îlot central, face à moi et la question qu’elle me pose me déstabilise légèrement. Et me voilà en train de tousser, lorsque ma bière décide de ne pas prendre le bon chemin. « Il n’est plus là. » Je ne suis pas obligée d’entrer dans les détails, j’en ai conscience et il est certainement mieux de ne pas parler de son décès – survenu il y a un an maintenant – pour pas que l’ambiance ne se retrouve dégradée. Mais pour être honnête, ne plus être là peut vouloir dire beaucoup de choses : parti comme il l’est réellement, parti car absent, ou alors parti dans une autre ville suite à une opportunité professionnelle, par exemple. « Mais ça faisait déjà longtemps que nous n’étions plus ensemble. C’est arrivé peu de temps après la naissance de Mila. » Soudainement, je me trouve bavarde. Sûrement un peu trop et si je continue comme ça, je n’aurais bientôt plus aucun secret pour elle. « Je crois qu’à l’époque, j’avais toujours des sentiments pour quelqu’un d’autre, alors ça ne pouvait pas fonctionner. » Voilà.. comme je m’y attendais, je commence à me confier sur toutes mes histoires amoureuses. Toutes ou presque. Volontairement, je ne parle pas de celle qui est censée être la plus belle à mes yeux aujourd’hui, celle qui me lie à un homme, pour le meilleur et pour le pire. Mais pourquoi la garder secrète ? Probablement parce que Toni n’est pas au courant et qu’ainsi, je n’aurais pas à jouer la comédie avec quelqu’un de plus. Il n’y a peut-être pas que ça. Néanmoins, pour l’instant, je vais me convaincre que si. Bref.. il est temps de reprendre là où je me suis arrêtée. « Sa sœur. J’avais des sentiments pour elle. Mais ça n’a pas fonctionné entre nous. Elle, puis lui. Peut-être que cette famille n’était pas faite pour moi. » Et oui, ce que j’ai dit jusque là ne suffisait pas, je devais au moins ajouter ma meilleure amie, une femme. Est-ce que je le devais vraiment ? Je ne sais pas. Pourtant, j’ai senti que c’était la chose à faire.

Je ne sais pas exactement pourquoi je fais cela, pourquoi je me confie de la sorte lorsqu’elle me demande ce qu’il en est du père de Mila. Peut-être parce que dans le fond, tout le monde s’attend à ce que nous soyons encore ensemble aujourd’hui. Pourtant, même si c’est la maladie qui l’a éloigné de nous récemment, ce n’était plus des sentiments amoureux que nous partagions depuis de nombreuses années. Notre couple n’était qu’une passage, qu’une erreur de jeunesse peut-être : j’étais amoureuse de sa petite sœur et j’ai naïvement pensé que si elle apprenait qu’il se passait quelque chose entre nous, alors elle reviendrait. Ça fait maintenant plus de dix ans que je ne l’ai pas vu.. autant dire que mon stratagème n’a pas vraiment fonctionné. En tout cas, toutes ces petites anecdotes, sur ma vie sentimentale, mises bout-à-bout semblent donner une certaine image de mon histoire. « Raconte-moi. Je te dirais ce que j’en pense. » Ce n’est peut-être pas un sujet qu’elle a envie d’aborder – ce que je pourrais comprendre – mais s’il s’agit vraiment d’histoires assez compliquées, comme elle le souligne, alors cela pourrait animer notre conversation pendant de longues minutes encore. Mais avant d’en arriver là, la brune rebondit sur la phrase que j’ai pu dire, au sujet de l’air de famille. « Pas à ma connaissance. » Les cousins, cousines, ça peut parfois aller loin. Alors sans le savoir, j’ai peut-être déjà croisé quelqu’un de leur famille dans un bar. « Après.. ce n’est pas qu’ils étaient mauvais. C’est juste que nous nous sommes tous attachés à la mauvaise personne. » Pour Isaac et moi. Pour Ezra, c’est une autre histoire. Est-ce qu’elle s’est vraiment attachée à quelqu’un ? À moi ? Si c’est le cas, j’aime me dire qu’elle ne serait pas partie à l’autre bout du monde, sans jamais revenir. Si je me suis confiée à elle, il semblerait que je ne sois pas allée assez loin, puisque la jeune femme vient me poser une nouvelle question. Sur ma vie sentimentale actuelle, cette fois-ci. « Non. Personne. Du moins, rien de sérieux. » Bien sûr, je ne parle pas de Victor. Ça n’apporterait rien de bon – enfin.. je crois – et surtout, je devrais me conforter dans un mensonge que j’essaye d’éviter quand les personnes ne sont pas au courant du mariage et qu’il n’y a pas de raison pour qu’ils l’apprennent. Vous allez me dire que Maya pourrait facilement vendre la mèche, mais non.. car elle, en plus d’être au courant pour le mariage, elle l’est aussi pour le mariage blanc et n’a donc aucune raison de vouloir me remettre à ma place vis-à-vis de mon "mari". « C’est bien de s’amuser un peu, parfois. » Je ne sais pas exactement pourquoi je dis cela. En réalité, je ne me reconnais pas complètement. En temps normal, je crois bien que je n’aurais jamais dit cela, mais là, c’est comme si j’étais envoûtée, comme si je cherchais à laisser des indices pour je-ne-sais-quel jeu.