we just have to act like everything is fine // celeste #10

En quelques jours, ma vie a changé. Pourtant, je n’ai rien fait pour que cela arrive.. En d’autres termes, en ce moment, je suis spectatrice de ma vie et ce n’est pas un sentiment que j’affectionne. Qu’est-ce qui s’est passé pour que j’en arrive là ? Un beau soir, alors que nous rentions d’une soirée à deux, avec Eden, sa future ex-femme était sur le pas de sa porte. Rapidement, les attentes que j’avais pour le reste de la soirée avaient été réduites à néant. Pourtant, après que la blonde soit partie vers son hôtel, l’institutrice avait été rassurante avec moi et naïvement — sûrement pour mieux dormir ce soir-là — j’avais avalé ses paroles sans chercher à parler plus. Je ne dis pas qu’Eden m’a menti, mais je devais m’attendre à ce que le retour de son ex, avec qui elle a partagé plus de dix ans de vie commune, lui fasse quelque chose. Le matin qui a suivi cet événement, c’est comme si rien de tout cela ne s’était produit : je crois que moins nous évoquions Morgan et mieux c’était pour nous deux. Néanmoins, petit à petit, nos activités reprises de nos deux côtés, une distance se créait naturellement entre nous. À mon plus grand désarroi. Peut-être que la jeune femme avait besoin de temps, alors je lui laissais tout l’espace nécessaire. Ne sachant plus vraiment où se trouve ma place, je me contente d’envoyer des messages, histoire de ne pas la brusquer en cherchant à vouloir la voir — sauf dans le cas où cette initiative viendrait d’elle. Grâce à nos échanges, j’apprends que son rendez-vous avec Morgan est fixé au vendredi et contrairement à ce que j’avais sous-entendu, je ne cherche pas à m’immiscer dans le lieu du rendez-vous pour influencer l’une ou l’autre des deux femmes. Seulement, même si je ne suis pas là-bas, mon cerveau ne peut d’empêchée de travailler. Devant mon film au départ, puis dans mon lit. Je n’arrive pas à dormir. Et bien sûr, pour ne pas arranger le tout, je regarde mon téléphone toutes les cinq minutes. Rien. Nada. Pas de nouvelle. J’essaye de me convaincre que ce rendez-vous n’a mené à rien d’important à dire, mais très vite, je suis ramenée à la réalité : Morgan semblait déterminée à récupérer sa femme, elle ne peut pas avoir simplement hoché la tête et être repartie en Angleterre l’air de rien. Tout cela me trotte dans la tête et forcément le silence radio d’Eden n’aide en rien les choses. Suis-je en train de perdre ma petite amie ? Suis-je en train de la laisser filer sans même essayer de la retenir ? Finalement, plus vite que je ne le pensais, le lundi arrive, la reprise de l’école avec. Comme un signe du destin ou je ne sais quoi dans le genre, j’ai un empêchement qui risque de m’obliger à arriver en retard pour récupérer Eliott. Sur le coup, je me tourne naturellement vers ma mère pour avoir une solution de repli — qui m’éviterait aussi de devoir croiser Eden, mais elle est occupée. Malgré le peu d’échanges des derniers jours, j’envoie un message à l’institutrice pour la prévenir, c’est la moindre des choses. À mon arrivée, Eliott est heureux de me voir. Après la peur d’avoir été oublié, je comprends que ce soit un sentiment agréable de me voir. « Je suis désolée pour le retard. Je t’ai envoyé un message. C’était tôt ce matin, tu as dû oublier. » Je souris timidement, juste pour ne pas paraître trop froide. Mais inconsciemment, alors que ce sourire se dessine sur mon visage, mon cerveau rentre en ébullition sur ce qui pourrait occuper l’esprit de la brune. Comment est-ce qu’elle pourrait me larguer pour fonder la famille qu’elle rêvait avec Morgan ? Stop Celeste. Arrête de réfléchi. Souris et fais style de rien. « Ça va. » Dis-je, en réponse à sa question. « Ton week-end s’est bien passé ? » Après une semaine à se voir, trois jours sans parler, je ne sais pas trop comment lancer les choses, ce qui se dit, ce qui ne se dit pas. Un retour à l’adolescence et au cœur brisé, encore.

Finalement, je crois que j’appréhendais un peu de venir jusqu'ici. Ce chemin, je l’ai pourtant fait de nombreuses fois, que ce soit avant ou après l’arrivée d’Eden, et jamais je n’ai eu la sensation de vouloir faire le trajet à reculons. Qu’est-ce qui a changé ? L’évolution de notre relation, mais surtout l’arrivée en ville de l’ex-femme de l’institutrice – même si légalement, elles sont toujours mariées. La savoir à Island Bay n’est pas quelque chose qui m’emballe, surtout qu’elles se sont vues ce week-end et que ma petite amie ne m’a fait aucun retour là-dessus. Est-ce que ça s’est mal passé ? Est-ce que Morgan est repartie ? Est-ce qu’elle compte rester encore un peu pour qu’elles puissent essayer de recoller les choses ? Je sais que je psychote un peu, mais comme j’ai été laissée sur la touche – c’est la sensation que j’ai – alors il est difficile de voir un Happy Ending se profiler à l’horizon pour moi. C’est peut-être pour cela que je semble aussi froid à mon arrivée à l’école. Mais qu’est-ce que je pourrais faire d’autre ? Sourire bêtement et attendre que le verdict me tombe dessus. Surtout qu’à première vue, Eden ne semble pas avoir beaucoup de choses à me dire non plus. A-t-elle peur de l’effet que pourraient avoir les mots qu’elle va dire sur moi ? Je crois que penser cela, c’est pire que de ne rien savoir. Si je pensais être subtile, il faut croire que je ne le suis pas vraiment, puisque la jeune femme me relance au sujet de ce qui pourrait me tracasser. Avant de lui répondre, je tourne la tête en direction du petit garçon. Elliot est un peu plus loin et ce n’est sûrement pas une mauvaise chose. J’ai toujours fait en sorte de le tenir loin de mes disputes avec Archie, il n’y a pas de raison pour que ce soit différent avec Eden. Surtout qu’il a l’air de tenir à la jeune femme et à la relation qui nous lie. Il est heureux de pouvoir voir son institutrice plus souvent, mais je suis aussi convaincue qu’il a conscience du bonheur qu’elle m’apporte et ça, même pour un enfant de six ans, ça n’a pas de prix. « Je.. est-ce que tu comptes me quitter ? » Dis-je, alors que mon regard est venu retrouver le sien. Pour le coup, elle voulait de l’honnêteté, elle en a. « Je sais que tu m’as dit que je n’avais pas de soucis à me faire, que ton histoire avec elle était terminée. Mais elle reste ta femme et vous avez un passif à deux, un passif où le notre semble si petit à côté. » Je viens légèrement pincer mes lèvres, avant de reprendre. « Ce week-end, vous vous êtes vues. Alors que nous.. nous c’était le silence radio. » Loin de moi l’idée de dire qu’Eden pourrait faire quelque chose dans mon dos. Je l’imagine plutôt à vouloir faire les choses bien et donc à avoir une conversation avec moi avant. Mais n’est-ce pas ce que nous sommes en train de faire maintenant. « Je tiens à toi Eden, vraiment. Mais si ton cœur est ailleurs, si tu veux reprendre ta vie avec Morgan, là où elle en était, avec vos envies de fonder une famille, je comprendrais. » Je ne dis pas que je le prendrais bien, mais je ne peux pas me mettre au milieu de tout cela, juste parce que j’ai envie de l’avoir rien que pour moi.

Si je suis effrayée à l’idée de la perdre, c’est bien parce que je tiens à elle. En douze ans loin l’une de l’autre, j’ai eu l’occasion d’avoir plusieurs histoires, plus ou moins sérieuses et plus ou moins longues, mais je crois que je n’ai jamais eu autant envie que les choses perdurent qu’avec elle. Même avec Archie, je n’ai jamais eu le courage de me battre pour nous, pour que notre couple existe au grand jour, alors que nous avons deux enfants ensemble aujourd’hui. Et forcément, cette crainte de voir la femme poursuivre un chemin différent que le mien, ça me fait ressentir une certaine insécurité. Au point même de lui demander directement si notre histoire est sur le point de se terminer. Je crois qu’Eden prend conscience de la peur que je ressens et de ce qui m’a fait en arriver là. Par chance, je me trompais et il n’y aura pas de fin dramatique ce soir. C’est un poids en moins sur mes épaules. Néanmoins, je pense que les choses ne redeviendront pas totalement comme elles étaient avant et je ne me sentirais pas vraiment mieux tant que je ne saurais pas que Morgan est repartie en Angleterre. Mieux encore, les choses changeront vraiment quand elle aura décidé d’accepter de signer les papiers du divorce – ce qu’elle pouvait facilement faire à distance, mais ce n’est pas la question aujourd’hui. « Tu sais que tu peux me parler. M’appeler ou bien même venir à la maison, si ton téléphone est aux abonnés absents. » Mais ça, je suppose qu’elle le sait déjà. Alors peut-être qu’il y a autre chose quand même, peut-être qu’elle préférait être seule avant et après ce rendez-vous avec Morgan. « Comment est-ce que ça s’est passé avec elle ? Est-ce que tu as pu lui dire tout ce que tu voulais ? » Tout ce qu’elle avait sur le cœur, tout ce qu’elle pensait de la situation, mais aussi, tout ce qu’elle espérait pour la suite. Et pourquoi pas un petit coup de pied au cul pour que la blonde reparte aussi vite qu’elle n’est arrivée. Réalisant qu’après plusieurs jours passés loin l’une de l’autre, je vais peut-être un peu trop loin, que je lui en demande peut-être trop, je décide de faire marche arrière et de lui laisser la possibilité de me dire que ce qu’elle désire. « Si tu n’as pas envie d’en parler, nous n’en sommes pas obligées. Mais je suis là, d’accord ? » Avant d’être sa petite amie, je suis son amie et c’était déjà le cas à l’époque. Visiblement, Elliot ne trouve plus intéressant ce qu’il était en train de faire dans la cour. Il se rapproche de nous, de moi en particulier et il vient s’agripper à mes jambes. Tout naturellement, je viens passer l’une de mes mains dans ses cheveux – quelle agréable sensation après une journée passée chacun de nos côtés. « Nous allons rentrer. Mais notre porte est grande ouverte, si tu veux. Surtout pour toi, c’est un peu ta deuxième maison. Ou troisième, si tu considères l’école comme éligible dans le classement. » Dis-je, alors qu’un sourire se dessine sur mes lèvres, pour la taquiner un peu. « On prendra des pizzas ? » Le petit garçon relève la tête vers moi et essaye de m’amadouer, comme il sait si bien le faire. Je résiste quelques secondes – de longues secondes – avant de finalement accepter. « Soirée pizzas ? » Dis-je, à Eden cette fois-ci. Des pizzas, ça n’engage rien. Elle pourra repartir chez elle après, ou bien rester avec nous. Elle pourra aussi parler, ou simplement se contenter d’écouter.

Finalement, si je venais à l'école avec une certaine crainte, je me sens maintenant mieux et surtout, heureuse d'avoir pu discuter avec Eden. Surtout que le pire scénario que je m'étais imaginée, celui où je finissais célibataire, ne s'est pas produit. J'ai conscience que la situation est compliquée pour l'institutrice, c'est bien pour cela que je n'insiste pas et que je lui offre la possibilité de me parler un peu plus tard, quand elle sera prête. Le petit garçon, qui jouait un peu plus loin, revient vers nous. À son âge, il n'a pas vraiment conscience de ce qui se passe entre nous, alors forcément, à son retour, l'atmosphère est plus légère et sa proposition de pizzas aide un peu plus à aller dans ce sens. Ne pouvant pas, et surtout ne voulant pas, laisser Eden sur notre conversation et sur l'idée d'Elliot, je lui propose de se joindre à nous. Nous n'étions pas ensemble ce week-end et nous ne nous sommes pas vues depuis une semaine, mais il n'est pas trop pour rattraper tout ce temps. À mon plus grand plaisir – et celui du brun aussi – elle accepte et nous nous mettons d'accord pour nous rejoindre directement chez nous. J'emmène Elliot avec moi et sur le chemin qui nous mène jusqu'à la voiture, j'envoie un message Lou pour savoir si elle peut me déposer Leo dans quelques minutes, le temps que l'on arrive. Lorsque je reçois sa réponse positive, nous sommes déjà montés dans la voiture et en route pour East Bay. Entre Eden et moi, je suis la première à arriver. Par contre, au niveau des Wade, je suis la deuxième : ma sœur est déjà là. Je l'embrasse rapidement et la remercie, avant de lui retirer la responsabilité de mon deuxième petit garçon – elle a quelque chose de prévu, alors je ne voudrais pas la retarder plus que nécessaire. Les deux tornades filent jusqu’à la porte d’entrée que j’ouvre sans trop tarder. Visiblement plein d’énergie, je les autorise à aller se défouler dans le jardin derrière. Ce n’est que quelques minutes plus tard, que ma petite amie arrive enfin. Comme je déchargeais les affaires de la voiture, la porte d’entrée n’est pas encore fermée. « Entre, je t’en prie. » Je range une dernière chose, avant de me relever et de refermer derrière elle. « Les garçons sont dehors. Ils sont partis jouer au rugby. » Pour être honnête, ils sont juste partis courir derrière un ballon : ils sont encore un peu jeunes pour connaître la subtilité des règles du sport au ballon ovale, même si nous habitons dans le pays où il est coutume de commencer très jeune. « Nous avons sûrement quelques minutes devant nous, avant que l’un d’eux ne rentre en pleurant. » Parce que l’autre n’aura pas voulu lui donner le ballon ou parce qu’il sera tout simplement tombé. Ce sont des enfants, ce sont des choses qui arrivent et il faut savoir gérer la situation quand elle se présente. « Si finalement, tu ne me quittes pas, je peux peut-être t’embrasser ? » Le ton de ma voix a naturellement changé. Les enfants ne sont pas là pour l’instant, alors il serait dommage de se priver. Son accord obtenu, je m’avance vers elle et viens déposer mes lèvres contre les siennes. « Tu m’as manquée. » L’embrasser aussi, si je suis vraiment honnête. Une semaine.. ça m’a semblé comme une éternité. Et pourtant, plus jeunes, nous avons été séparées bien plus longtemps que ça – même si peu de temps après, on disait au revoir à notre relation. « C’était long sans toi. C’est un peu comme si tu faisais partie de la famille maintenant et.. c’était long. » Je ne sais pas trop comment l’exprimer, mais c’est ce que je ressens. Sans elle, le temps a semblé duré le double de ce qu’il faisait réellement. Comme si notre vie ici était à l’arrêt, comme s’il manquait une pièce au puzzle.

Si cette journée ne s’annonçait pas très bonne entre Eden et moi, comme les dernières passées loin l’une de l’autre, la conversation échangée à l’école a permis de remettre les choses sur le droit chemin. Avec Morgan dans le coin, ma peur de la voir m’échapper était légitime – selon moi. Néanmoins, selon l’institutrice, je n’ai pas de soucis à me faire, puisque pour l’instant, elle me veut moi et rien que moi. Un bon point, je suppose. Et surtout, une raison suffisante pour l’inviter à venir passer le reste de la soirée avec nous. En plus, Elliot propose que ce soit une soirée pizza, qui pourrait dire non à cela ? Nous nous séparons, l’espace de quelques minutes, juste le temps de récupérer nos voitures respectives et de faire le trajet jusque chez moi. Je suis la première de nous deux à arriver et ce n’est sûrement pas une mauvaise chose, puisque ça me permet de récupérer Leo avant que la brune n’arrive. Les deux garçons mis dehors pour jouer un peu, cela me laisse un peu de temps seule avec Eden lorsqu’elle arrive. Comme les choses étaient un peu crispées tout à l’heure, je me permets de remettre tout cela à la normale en venant l’embrasser. Toute la pression des derniers retombe maintenant que je suis dans ses bras et forcément, je lui avoue que cela a été dur, qu’elle m’a manqué – à moi, mais aussi aux garçons. « Je me demande bien.. » Dis-je, alors qu’elle me flatte. Un large sourire se dessine sur mes lèvres, alors que je hausse les épaules. Je ne veux pas me lancer des fleurs, mais il faut quand même avouer que j’ai un certain charme. Et si en plus, il réussit son travail avec la personne que je veux, alors c’est tout bénéfique. Alors que nous continuons d’échanger des baisers, certains moins chastes que d’autres, la jeune femme vient prononcer quelques mots qui me laissent sans voix sur le moment. Après tout ce qui s’est passé, avec cette distance mise inconsciemment entre nous, je ne m’attendais pas à ce qu’elle me parle de ses sentiments. Je ne vais néanmoins pas me laisser prier, puisque sans trop de mal, je suis capable de dire qu’ils sont réciproques. « Je t’aime aussi. » Si mon visage s’était légèrement modifié avec la surprise, il reprend doucement des traits plus joyeux. « Mettons tout cela derrière nous. » Cette histoire, ce silence et très bientôt Morgan, je l’espère. En venant ici, elle n’a peut-être pas fait la meilleure opération. Puisqu’en plus de mettre Eden dans une position délicate, elle a dû se rendre à l’évidence que sa femme – future ex-femme – avait réussi à refaire sa vie loin d’elle, auprès de quelqu’un qui sait ce qu’elle vaut et qui n’ira pas la tromper avec une autre. Même si ces derniers points, je doute que ce soit des choses qui lui viennent naturellement à l’esprit : j’exagère un peu pour que tout cela aille dans mon sens, bien sûr. Alors que je m’apprête à venir lui voler un nouveau baiser, la porte arrière s’ouvre et des pleurs se font entendre. Ceux de Leo plus précisément, qui s’avance en courant vers moi. « Malheureusement, tu as signé pour eux aussi. » Naturellement, j’exagère un peu les choses, car j’espère qu’elle ne le voit pas d’une manière aussi négative que celle que je viens d’énoncer. Même si forcément, je suppose qu’elle aurait préféré que ce moment à deux se termine un peu moins brutalement – sûrement pas avec des pleurs. Je le prends dans mes bras et regarde son frère qui le suit de près pour avoir une explication, que je n’aurais certainement pas. « Est-ce qu’il ne serait pas temps de commander ces fameuses pizzas ? » Il est encore un peu tôt, mais le temps que nous nous décidions, que nous passions commande et qu’elles soient prêtes, il sera largement temps de se mettre à table. En plus, ça va nous permettre de détourner l’attention des garçons sur quelque chose d’autre que la chamaillerie qu’il y a dû avoir à l’extérieur.