Un moment entre sœurs ft. Romi

Lucy n’avait pas beaucoup de jours de congés. Elle en avait très peu, en fait. Les malades n’avaient pas de week-end, ni d’horaires de travail. Evidemment, elle n’était pas urgentiste, juste aide-soignante à domicile, mais si un de ses patients l’appelait, quelque soit l’heure, elle décrochait et y allait. C’était une vocation, ce métier. Sa bouée de sauvetage, aussi, puisqu’aider les autres l’empêchait de penser à elle et à ses démons. Et puis, le peu de jour vraiment off qu’elle avait, elle les passait en famille, avec sa grande et belle famille. Eux aussi, ils étaient sa bouée. Mieux encore, ils étaient ses sauveurs. C’était comme ça qu’elle voyait ses parents adoptifs.
Les enfants Hallenstein étaient tous très proches, se voyant et s’appelant souvent, entretenant leurs liens même une fois le domicile familial quittée et la vie personnelle lancée. Leur mère, Jill, organisait régulièrement des déjeuners ou des dîners pour rassembler les siens. Lucy voyait aussi ses frères et sœurs en dehors de ces événements « officiels ». Parfois, elle avait aussi envie de les voir séparément, parce qu’il fallait admettre que quand ils étaient tous réunis dans la même pièce, ça pouvait vite devenir épuisant, surtout pour la gestion des émotions… Ce jour-là, en fin d’après-midi, Romi et Lucy avaient prévu de se retrouver pour boire un café à l’appartement de la plus jeune. L’aide-soignante avait eut l’impression étrange, à travers les messages de son aînée, que quelque chose la tracassait, mais elle n’était pas certaine de son interprétation. S’il y avait bien quelque chose, elles en parleraient surement ensemble à cette occasion !
Les bras chargés de pansements, compresses et autres produits médicaux, Lucy se gara dans sa rue et claqua la portière de sa voiture en descendant. Son petit carnet, qu’elle avait toujours dans sa poche suite aux instructions de son psychiatre, dégringola par terre. « Eh merde ! » dit-elle soufflant bruyamment et en posant ses affaires sur le toit de la voiture afin de pouvoir se pencher et le ramasser. Elle se remit en route et arriva enfin jusque devant sa porte d’entrée, priant pour que sa sœur ne soit pas déjà arrivée, ou en tout cas pas depuis trop longtemps. Heureusement, Romi n’était pas encore là. Lucy eut donc le temps de ranger ses outils de travail, de mettre un peu de musique et se changer avant que la sonnette ne retentisse. Elle se dirigea vers la porte et, avec un grand sourire, accueillie sa sœur. « Salut Romi, je suis contente de voir » dit-elle en se penchant et en lui donnant une légère accolade. « Entre, je te laisse t’installer au salon, je vais faire couler du café » déclara-t-elle en disparaissant dans la cuisine. Un paquet de gâteaux industriels et une bouteille de jus d’orange posés sur son plateau, et la voici qui réapparaissait dans la pièce à vivre. « Tu veux un café ou tu préfères une autre boisson ? » demanda-t-elle en posant le plateau sur sa table basse.

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Depuis plusieurs gardes, j’ai l’esprit un peu ailleurs. Avec ma rencontre avec Joan, puis les fois où nous nous sommes revues, à l’hôpital pour commencer, puis au Rainbow, je ne peux m’empêcher de me poser des questions. Je sais bien que sur Terre, avec plusieurs milliards d’individus, il y a la possibilité pour que deux personnes se ressemblent comme deux gouttes d’eau. Mais que ces deux personnes se retrouvent à vivre dans la même ville, à des moments différents, c’est quand même assez troublant. Peut-être que si mon épouse, décédée, n’était pas mêlée à toute cette histoire, alors je trouverais cela plutôt marrant. Mais là.. face à Joan, je ne peux m’empêcher de perdre mes moyens. Mes moyens et ma raison aussi, car il faut être honnête, ce n’est pas raisonnable de flirter avec une personne que l’on a aimé de la sorte, une personne qui ressemble à notre âme sœur, mais qui ne l’est pas réellement. J’ai l’impression de connaître Joan par cœur et pourtant, c’est une étrangère pour moi. Peut-être qu’en parlant de tout cela à mes proches, je me sentirais un peu mieux, moins coupable, mais pour l’instant, je n’y arrive pas – même pas avec Rory qui vit sous le même toit que moi. C’est une autre de mes sœurs que je rencontre en fin d’après-midi, alors peut-être qu’avec elle, les choses seront plus simples. En attendant, après être passée par chez moi pour lancer une machine avec les affaires portées lors de ma précédente garde, je passe par la supérette du coin pour faire le plein de provisions. Je sais bien que ma petite sœur s'occupe de tout cela quand je ne suis pas là et qu'elle s'en sort à la perfection, mais quand je reviens, je trouve normal de reprendre mon rôle et de la soulager un peu pour qu'elle puisse se concentrer un peu plus sur elle. Lorsque je repasse à la maison, la brune n'est toujours pas rentrée de l'université – c'est dommage, je lui aurais bien proposé de venir avec moi sinon. Les courses rangées, je regarde ma montre et remarque qu'il est temps pour moi de partir. Il n'y a que quelques kilomètres qui me séparent de la maison de Lucy, mais avec la circulation, nous ne sommes pas à l'abri d'un petit retard de ma part. Par chance, le trafic est plutôt calme à cette heure-ci et il l'a visiblement été avec ma sœur, qui est bien chez elle lorsque je sonne. « Salut toi ! » Je la serre dans mes bras lorsqu'elle m'offre une accolade. « Un café, c'est très bien. Je dois récupérer Lilly chez ses grand-parents tout à l'heure et je crois qu'elle sera une vraie pile électrique. » Et après avoir passé une nuit entière à la caserne, je crois que je vais avoir besoin d'un peu de caféine pour affronter la petite tornade. Comme proposé un peu plus tôt par ma cadette, je viens m'installer dans son salon. « Si tu as besoin d'aide, dis-le-moi. » Je ne la vois pas, mais je suppose ce qu'elle est en train de faire et s'il y a quelque chose à faire pour lui faciliter la tâche, alors je peux contribuer. « Comment s'est passée ta journée ? »

C’était toujours pour Lucy de voir les membres de sa famille. Il faut dire qu’ils étaient tous assez exceptionnel dans leur genre. Romi, par exemple, était une femme forte, droite et courageuse. Le genre de femme que l’aide-soignante prenait pour modèle, le genre qu’elle aurait aimé devenir, elle aussi. Si elle n’avait pas tous ces problèmes de gestion des sentiments, ou de contact humain, ou simplement son passé traumatique… Enfin, elle ne désespérait pas d’un jour être une personne bien – parce qu’évidemment elle ne se considérait pas comme tel – en attendant elle apprenait de ses frères et sœurs.
Lucy laissa échapper un petit rire lorsque sa sœur évoqua sa fille. « Une tornade tu veux dire ! » ajouta-t-elle. Les enfants, ce n’était pas forcément son truc, à Lucy. Disons que leurs questions incessantes, leur tendance à hurler pour rien et leur douce folie ne la mettait pas à l’aise. Elle ne savait jamais comment agir avec eux, quel comportement adopter, quelles limites imposer… Néanmoins, c’était une tata chouette qui, bien qu’ayant ses défauts, s’en sortait malgré tout assez bien. « Double dose de café pour toi du coup » dit-elle depuis la cuisine en lui servant un grand mug.
Quand elle recevait sa famille – ou ses très rares amis – elle ne demandait jamais d’aide. Elle voulait mettre les petits plats dans les grands, qu’ils se sentent bien, quitte à en faire trop. Elle déclina donc l’aide de sa sœur avant de revenir dans le salon avec deux grandes tasses de café. « Oh, ma journée… » souffla-t-elle en s’asseyant à côté de Romi et en lui tendant son mug. « J’aime mes patients, enfin presque tous, mais parfois ce qu’ils peuvent être compliqués… » dit-elle. « J’ai une petite vieille le matin, elle s’est fracturé le tibia et a besoin d’aide pour absolument tout. Sauf qu’elle veut que les choses soient faites à sa façon et repasse tout le temps derrière moi alors qu’elle ne doit pas se lever… Parfois je dois lui courir après pour qu’elle se pose, tu verrais ça ! » expliqua-t-elle avec un petit sourire tendre. Bien sûr qu’ils l’agaçaient, surtout un en fait, mais elle ne pouvait pas s’empêcher de les apprécier, et surtout de les chouchouter. « J’ai un ancien patient de maman aussi parfois. Il n’arrête pas de me dire à quel point je lui ressemble » dit-elle en riant. Peut-être que, dans les expressions de son visage, il y avait un peu de Jill, parce que les enfants apprennent par mimétisme. Mais physiquement… Lucy avait été adoptée enfin ! Ce patient la faisait toujours beaucoup rire.
La jeune femme pris une gorgée de son café chaud – le réconfort ultime – et se lova un peu plus dans son canapé. « Et toi, la caserne ? » demanda-t-elle. Elle savait bien que sa grande sœur avait elle aussi un travail prenant, le tout en devant gérer seul un petit monstre. Sa vie n’était pas simple, elle avait eu son lot de malheurs, elle aussi…

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Je ne me suis jamais attardée sur le sujet, mais je me dis que parfois, les patients de Lucy sont peut-être des personnes que j'ai croisés avant, lorsqu'ils étaient au plus bas. Moi sur l'accident, notre mère a l'hôpital et ma sœur pour les aider à leur retour à domicile, c'est là une belle boucle d'Hallenstein. Sans forcément parler uniquement du boulot, je crois que c'est un peu ce qui fait notre force : nous sommes tous différents et pourtant, nous arrivons à nous retrouver à certains endroits. C'est peut-être ça la marque de fabrique de notre mère. Loin de la mode et de l'entreprise familiale, elle a su nous inculquer l'empathie et l'intérêt pour les autres. Bien sûr, tous les enfants Hallenstein ne se retrouvent pas dans les soins des personnes, mais deux sur cinq, c'est déjà bien ! J'imite ma sœur et viens prendre une gorgée de la boisson chaude, ramenée il y a quelques secondes, avant de répondre, à mon tour, à sa question. « Ça va. Un peu comme d'habitude en réalité. » C'est toujours plus simple de dire cela à quelqu'un qui ne travaille pas là-bas. Pour être honnête, les jours calmes à la caserne sont rares. Bien souvent, nous sommes appelés à droite et à gauche, avec seulement quelques minutes, ou heures, de pause entre deux appels. Alors je pourrais lui détailler ma journée, lui évoquer chacun des accidents sur lesquels j'ai été appelée, mais on ne s'en sortirait pas je crois. « Tant que je n’ai pas besoin de toi dans les jours à venir, pour venir me laver et me nourrir, je suppose que c’est une bonne chose. » Dis-je, alors qu’un fin sourire est venu se dessiner sur mes lèvres. Ce ne serait pas étonnant que cela arrive un jour, on ne réfléchit pas vraiment quand on saute dans les flammes pour venir en aide à des gens. Ce n’est pourtant pas un scénario que j’apprécierais, j’aime mon métier et mon indépendance, sûrement comme un bon nombre de personnes dont elle s’occupe — d’où le fait qu’ils soient un peu casse-pieds. « Malgré ton travail, j’espère que tu as l’occasion de sortir un peu, de rencontrer des gens ! » Lucy pratique un métier où l’on peut être un peu seul — sans parler de ses patients — et si elle travaille un peu trop, je ne voudrais pas qu’elle laisse sa vie privée de côté. Je ne demande pas à ce qu’elle se marie demain, qu’elle se marie tout court d’ailleurs, mais il est important d’être entouré parfois, que ce soit par une personne chère, des amis ou de la famille. Je me sens chanceuse d’avoir les trois pour moi. Enfin.. presque les trois. La rencontre que j’ai pu faire avec Joan n’entraînera sûrement jamais rien de plus que ce que notre relation n’est déjà, alors je ne sais pas trop pourquoi je me prends à imaginer ça. Disons juste que ma famille est là pour moi, que mes collègues, et amis, le sont aussi et voilà.

Si la vie de Lucy était très chargée voire chaotique parfois vu ses horaires et l’investissement personnel qu’elle fournissait pour son travail, la vie de Romi n’était pas en reste. Travaillant à la caserne et à un poste élevé, le tout en gérant seule sa petit fille de quatre ans… Sa petite sœur n’osait même pas imaginer l’état d’épuisement qu’elle pouvait parfois ressentir. Les pompiers, elle les connaissait bien pour les voir très souvent dans son travail. C’était presque un relai, finalement. Les pompiers géraient les urgences, transmettaient le patient aux médecins, les médecins les traitaient, puis les aide soignantes prenaient le relais pour le retour au domicile et l’adaptation aux nouvelles conditions de vie… Enfin bref, quand Lucy se rendait à l’hôpital pour faire un point avec les médecins, elle croisait souvent les pompiers, et ils échangeaient quelques mots. Elle n’aurait jamais pu faire ça, elle, gérer les accidents sur le moment même, secourir les personnes encore traumatisées… Ce genre de choses était au-dessus de ses forces. Elle préférait largement passer après les pompiers et les médecins, quand les patients étaient stabilisés et qu’ils avaient eu le temps de digérer. Enfin pas toujours, mais bon, ça, elle pouvait gérer.
Romi affirma que ça allait, précisant que c’était comme d’habitude, avant de préciser que tant qu’elle n’aurait pas besoin des services de sa sœur tout allait bien. Lucy laissa échapper un petit rire. « Il y a d’autres stades avant d’arriver à ça qui pourrait ne pas être une bonne chose » dit-elle avant d’ajouter « Je sais qu’on le dit tout le temps, mais ménage toi et fais attention à toi » demanda-t-elle, ne souhaitant pas que la jeune femme ne tire trop sur la corde. Et en même temps, dans ce genre de métier, on donnait toujours trop de soit…
Puis, l’aînée déclara qu’elle espérait que Lucy puisse sortir un peu et rencontrer des gens. Les liens sociaux, ce n’était vraiment mais alors vraiment pas le fort de la jeune femme. Elle avait déjà tellement de mal à gérer ses émotions et ressentis, alors prendre en compte celles des autres pour appréhender leur réaction… C’était un véritable casse-tête ! Elle avait bien eu des amis, mais finissait toujours par s’éloigner d’eux, inconsciemment ou non. Lucy faisait des rencontres, certes, mais seulement via les applications de rencontres, et généralement ça n’était pas des relations suivies. Plutôt des moments occasionnels. Alors non, sortir et rencontrer des gens, ça ne faisait pas partie de ses activités. L’indienne haussa donc les épaules avant de boire de nouveau nr gorgée de café. « Ça ne fait pas partie de mes priorités » admit-elle avec un petit sourire rassurant. « Mais et toi ? Tu arrives à trouver le temps de rencontrer des gens ? De sortir ? De vivre ta vie de femme ? » demanda-t-elle pour changer de sujet et ne plus être au centre de la conversation.

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Me ménager, faire attention. Ce sont des phrases que j’ai l’habitude d’entendre, mais qu’il est toujours plus simple à dire qu’à faire, surtout quand on a de l’énergie comme moi. Même quand j’essaye de me poser un peu, chez moi ou à la caserne, je me fais rapidement rattraper par mes démons — aussi appelés collègues ou fille. Mais finalement, l’important, c’est que je sois toujours debout aujourd’hui et que malgré cet emploi du temps chargé, j’arrive à trouver du temps pour moi, pour des rencontres. À l’inverse de ma soeur, qui semble se satisfaire de son quotidien et des connaissances qu’elle a déjà. Malheur.. est-ce que je vais devoir jouer à Cupidon pour elle ? Ce n’est pas quelque chose qui m’effraie, mais je doute que l’idée lui plaise autant qu’à moi. « Tu sais.. c’est un peu comme si j’avais plusieurs vies finalement. » Celle à la caserne, celle où je suis certainement la plus sérieuse. Celle de maman, où il n’y a pas vraiment de pause. Et puis celle de femme, comme celle que souligne ma sœur. J’ai bien d’autres casquettes, de temps à autres, comme celle de soeur, quand on a besoin de moi. Il faut croire que je suis du genre à m’adapter plus ou moins facilement à tout cela, en espérant que ça ne finira pas par avoir raison de moi un jour. Ne voulant pas trop faire traîner la question posée par Lucy et surtout, qu’elle ne pense pas que j’essaye de tourner autour du pot, je me décide à enchaîner. « J’ai rencontré quelqu’un l’autre jour, à l’hôpital. » Il faut croire que même sans le vouloir, tout me rapproche de ce lieu, encore et encore. « Nous nous sommes revues depuis. Même si j’ignore où cela va nous mener. » Me mener plutôt, car j’ignore ce que Joan pense de tout cela. Peut-être que pour elle, je ne suis qu’une nouvelle personne dans son entourage, une future amie tout au plus. « Une femme. Très jolie. Qui travaille aux urgences. » Très certainement intelligente aussi, pour le coup — je doute qu’on donne un tel diplôme à n’importe qui. J’ai conscience que c’est un peu risqué de parler de cette rencontre, parce que cette femme ressemble un peu trop à celle qui a partagé ma vie plusieurs années. Mais pour l’instant, je ne suis peut-être pas obligée dans le détail à ce point. C’est juste que là, de pouvoir en parler à quelqu’un, ça ne peut me faire que du bien : je dois me rendre à l’évidence, le fait qu’elle ressemble à Alice joue beaucoup sur mon état d’esprit au quotidien, alors si l’une de mes sœurs a connaissance de cette nouvelle rencontre, ça me fera cette charge mentale en moins.

Lucy était du genre à s’inquiéter pour ses proches, enfin pour sa famille. Ils étaient tellement importants pour elle… Elle qui avait vécu avec une mère maltraitante qui, très probablement, ne l’aimait pas, vivre avec des gens aussi proches, bienveillants et attentionnés… Cela avait changé sa vie, et elle en serait éternellement reconnaissante. Elle se sentait très chanceuse, et elle les aimait profondément fort, elle espérait qu’ils le savaient. Et une des manières qu’elle avait de montrer ça, c’était de s’inquiéter pour eux, de prendre soin d’eux. Alors oui, bien sûr que Romi était capable de se gérer seule et n’avait pas besoin d’entendre sa sœur lui dire de faire attention, mais c’était plus fort qu’elle, elle avait besoin de le lui dire. Elle lui répondit qu’elle avait plusieurs vies, ce qui arracha un petit rire à l’indienne. « Essaye de ne t’effondrer dans aucune, d’accord ? » dit-elle en riant doucement, toujours avec bienveillance. Il était vrai que la vie de Romi était bien remplie, entre son travail, sa fille, sa famille… Alors que Lucy, elle, n’avait rien, au final. A part son travail et sa famille, peu de choses animaient sa vie, en fait. Elle n’avait pas vraiment de gens autour d’elle à part les Hallenstein. Alors oui, elle aimait ses patients, enfin la plupart, mais à part ça… Elle faisait bien des rencontres via une application, mais c’était souvent des relations d’un soir qui n’avait aucun autre objectif que profiter. L’amitié passait encore, mais l’amour, de toute façon, ça n’était pas pour elle. Et même les amitiés, elle avait du mal à les gérer, alors bon…
La discussion continua autour de la vie de femme de sa sœur, et cette dernière fit une révélation à Lucy : elle avait rencontré quelqu’un. Les yeux de la jeune femme se mirent à briller alors qu’elle écoutait religieusement ce que disait Romi. Une jolie femme qui travaillait aux urgences et qu’elle avait déjà revue… Intéressant et prometteur ! « Et ? Tu en penses quoi ? Tu as envie d’être plus qu’une amie.. ? » demanda Lucy avec un petit rire. Depuis le décès de sa femme, Romi n’avait rien vécu de sérieux, enfin de ce qu’elle en savait. Evidemment, les femmes pouvaient très bien être heureuses seules, mais la jeune femme sentait bien qu’il manquait quelque chose dans la vie de sa grande sœur. Peut-être était-ce là l’occasion d’écrire une nouvelle histoire ? « Comment elle s’appelle ? Je veux en savoir plus, s’il te plait ! » demanda-t-elle avec une petite moue en buvant une gorgée de son café. L’amour, Lucy n’y croyait pas pour elle, mais pour les autres, c’était une toute autre histoire…

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C’est normal de parler de banalité, de s’intéresser au quotidien des uns et des autres, surtout dans une grande famille où les réponses peuvent être multiples. Mais rapidement, je décide de prendre les devants et de lui parler de cette rencontre que j’ai faite. Une rencontre qui semble taper en plein dans le mile de la curiosité de ma sœur, qui s’empresse de demander un peu plus d’informations. « Elle s’appelle Joan. » La plus classique des réponses, mais sûrement celle qui a le plus de sens. Car finalement, je ne connais pas encore sa vie en détails, son âge, sa famille, son statut marital — je ne voulais pas paraître trop indiscrète avec mes questions, au risque de lui faire peur et de ne plus la revoir. « Elle est brune, à peu près grande comme ça. » Dis-je, tout en mimant une certaine taille avec l’une de mes mains. J’ai bien d’autres qualificatifs qui me viennent au bord des lèvres, pour décrire un peu plus son physique et ainsi aider ma sœur à se faire une idée de ce à quoi elle ressemble. Mais si je fais ça, si je rentre trop dans les détails, j’ai peur que le portrait robot d’Alice se dessine face à elle. Et puis, si je suis un peu trop précise, elle va finir par croire que je l’observe depuis bien longtemps finalement. « C'est un peu compliqué en réalité.. j'ai bien envie de voir où cela pourrait nous mener, en dehors du cadre de l'amitié. Mais en même temps, je ne sais pas. » Je pourrais facilement lui dire que j'ai peur de m'attacher à quelqu'un sans être certaine que ce soit sérieux. Pour Lilly, pour moi. C'est quelque chose qui passerait facilement et que ma sœur n'aurait aucun mal à comprendre. Mais si je veux être totalement honnête, si je suis autant sur la réserve, c'est pour une tout autre raison. Les déceptions amoureuses, ça existe et ça existera toujours. En revanche.. tomber sur le sosie de son premier amour, de l'amour de sa vie, et être perdue entre l'envie de vivre quelque chose de nouveau ou chercher quelque chose qui se rapproche de ce que l'on a perdu, ça n'existe pas beaucoup et je ne suis pas certaine que ce soit quelque chose de très sain. Si même moi, j'en arrive à cette conclusion, je n'ose pas imaginer ce que pourrait dire ma famille. Et forcément, si finalement je décide de foncer tête baisser dans cette direction, alors cela voudra dire que je vais volontairement contre leurs mises en garde.

L’amour, c’était quelque chose qui ne se maîtrisait. Une espèce de force contre laquelle on ne pouvait pas aller et qui poussait à faire n’importe quoi, parfois même aller contre ses propres convictions parfois. Bref, c’était quelque chose qui était hors de contrôle, et Lucy avait déjà trop d’émotions fortes qu’elle ne savait pas contrôler, alors rajouter le sentiment amoureux… C’était non. Elle n’avait aucun attrait pour les relations amoureuses, et ça se comprenait vu le modèle familial qu’elle avait connu jusqu’à ses cinq ans : une femme laissée par son amour qui avait mis toute sa frustration et sa colère contre le fruit de cet amour, une pauvre gamine qui avait pris autant des coups que des violences psychologiques… Si l’amour poussait à ce genre d’extrémités et d’immondicités, alors très peu pour elle. Et puis franchement, Lucy était loin d’être stable émotionnellement, il lui arrivait encore de faire des crises de panique ou de colère avec des accès de violence. Elle était encore suivie, toujours sous médicaments… Et elle pourrait reproduire les schémas négatifs inculqués par sa génitrice. Non, définitivement, elle n’était pas faite pour l’amour. Pour le sexe, oui, ça, il n’y avait pas de problème. Mais pas d’attachement, pas de sentiment. C’était une porte qu’elle n’avait jamais ouverte, et qui était bien cadenassée. Mais cette recherche perpétuelle de l’amour qu’elle décelait chez ses congénères, elle pouvait la comprendre. Après tout, avoir quelqu’un à ses côtés, dans les épreuves comme dans la santé, avait surement quelque chose de grisant, et aidait probablement à trouver le bonheur. Donc oui, si sa grande sœur avait trouvé quelqu’un qui faisait battre son cœur, elle serait heureuse pour elle. Qu’importe qui, d’ailleurs. Au fond, ça importait peu, la personne. Seuls comptaient les sentiments.
La demoiselle qui avait attiré l’attention de Romi s’appelait donc Joan. C’était un joli prénom, et Lucy n’en avait jamais rencontré, des Joan. Brune. Romi aimait bien les brunes. Sa femme, décédée aujourd’hui, l’était déjà. Lucy avait beau cherché, il ne lui semblait pas avoir vu sa sœur avec une personne blonde ou rousse… Les brunes, c’était bien, visiblement. Romi continua en évoquant que c’était compliqué, et sa petite sœur faillit répliquer en demandant quelle histoire d’amour ne l’était pas, mais elle se retint. Tout le monde n’avait pas un problème avec l’amour comme elle… Elle avait envie d’essayer, Romi, mais elle hésitait. L’indienne sentait son trouble. Quelque chose manquait à l’explication, mais c’était visiblement quelque chose dont ne voulait pas parler son aînée. Soit. Des secrets, tout le monde en avait. « Qu’est-ce que tu as à perdre ? » demanda Lucy avec un sourire en coin. « Propose lui d’aller dîner, dis-lui que tu veux l’amener en rencard, ou alors essaye de l’embrasser après un moment romantique » énuméra-t-elle comme si elle lisait une carte de restaurant, bien loin d'avoir l'habitude de ce genre de choses, ne les ayant pas expérimentées. « La vie est trop courte pour se poser des questions, Romi, on le sait tous. Si tu veux tenter quelque chose avec cette Joan, alors fonce. Au mieux tu auras une histoire d’amour, au pire un râteau, mais ça tout le monde en prend » dit-elle en haussant les épaules avant de se resservir une tasse de café. « Mais il n’y a pas que ça, hein ? » demanda-t-elle en regardant sa sœur. « Je veux dire… Pourquoi tu hésites autant ? Tu es une fonceuse, Romi, alors il y a forcément un truc qui te fait douter ». Lucy était loin d’être bête, au contraire elle était plutôt du genre observateur. Par contre, elle était aussi loin de savoir mettre les formes ou les nuances, disant souvent ce qu’elle pensait tel quel. Cela faisait partie de son charme, ou pas...

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Je ne suis pas bête, je sais que ma sœur a raison et que finalement, je n’ai rien à perdre. Soit ça passe, soit ça casse, mais il serait dommage de passer à côté de quelque chose. Surtout si ce quelque chose peut se révéler magique par la suite. Néanmoins, je ne peux m’empêcher de me dire qu’avec Joan, les choses pourraient être plus intenses. Plus belles, mais aussi plus douloureuses si finalement ça ne se passe pas bien. J’ai vécu tellement de choses avec Alice, de belles choses, qu’avoir quelqu’un qui lui ressemble comme deux gouttes d’eau face à moi, me fera forcément être plus exigeante. Et si je lui en demande trop ? Et si j’essaye de lui faire être quelqu’un qu’elle n’est pas vraiment ? Ces questions ne devraient pas exister et pourtant, je ne peux m’empêcher de me les poser. À ma retenue, Lucy comprend qu’il y a quelque chose là-dessous. Mais encore une fois, elle a raison. Ne pas sauter sur l’occasion ne me ressemble pas. De par mon caractère, mon métier et mon grade, je suis parfois obligée de foncer tête baissée et il faut reconnaître que j’aime plutôt ça. « Est-ce que tu crois à la réincarnation ou à ce genre de choses ? » Si ma sœur pouvait s’attendre à certaines choses, je pense que cette question ne faisait pas partie du lot. Mais quand on connaît toute l’histoire, comme c’est mon cas, alors il est tout naturel de se diriger par là. Techniquement, de par ses origines, Lucy pourrait croire à ce genre de choses et peut-être plus facilement comprendre ce que je veux dire par tout cela. « Dans ce cas précis, c’est peut-être juste un coup du hasard, mais.. » Des sosies, sur Terre, il en existe des milliers. Il paraît même que tout le monde en possède au moins un. Ici, ce qui est un peu fou, c’est que ces deux personnes vivent ou ont vécu dans la même ville, peut-être même au même moment, et sans jamais se croiser – je suppose que mon épouse m’en aurait parlé sinon. « Quand je vois Joan, j’ai l’impression de voir Alice. » S’imaginer quelqu’un face à nous contre avoir quelqu’un qui ressemble trait pour trait à une personne de notre passé sont deux choses différentes, mais pour l’instant, je me garde bien de lui dire dans quel cas je me trouve actuellement. Et puis, peut-être qu’elle ne se posera pas la question et que je pourrais avoir son ressenti sans entrer complètement dans les détails. « C’est comme ça depuis la première fois où je l’ai vue et je ne sais pas si c’est une base saine pour une relation. » C’est d’ailleurs ce qui m’a poussé à revenir à l’hôpital, avec les ambulanciers, dans l’espoir de la revoir, même de loin. J’avais envie de la revoir, besoin même. Mais quelle était vraiment ma source de motivation ? Rencontrer une nouvelle personne, totalement à mon goût, ou retrouver ma femme ? « Si tu te poses la question : elle ne sait pas tout cela. Je n’allais pas arriver vers elle et lui dire qu’elle ressemblait à mon épouse décédée. » Comme approche, que ce soit dans l’optique d’une idylle ou d’une relation amicale, ça sonne rarement bien.

C’était toujours assez surprenant, cette façon que Lucy avait d’être encourageante envers ses proches quant à leur vie amoureuse, puisqu’elle ne l’était pas pour elle-même. Ils étaient habitués, à force, que ce soit sa famille ou ses amis. Ils la connaissaient bien. Donc oui, forcément, face à sa sœur adorée, elle ne pouvait qu’essayer de la comprendre et de la pousser. Elle aimait voir Romi heureuse, et elle savait qu’elle pouvait l’être seule, mais la mère célibataire avait aussi besoin d’aide, de temps en temps, et la famille ne pouvait pas tout faire. Puis, la plupart des humains s’épanouissaient aussi au travers d’une relation amoureuse stable et durable, contrairement à ce que Lucy pensait pour elle.
Soudain, Romi posa une question à laquelle sa sœur ne s’attendait absolument pas, surtout lors de cette conversation en fait. Croyait-elle à la réincarnation ? Lucy avait passé les premières années de sa vie entourée de polythéistes, avec une religion pleine de mythes et légendes plus incroyables les uns que les autres. La réincarnation, au final, c’était presque quelque chose de banal à côté de tout ça, alors pourquoi pas ? La brunette haussa les épaules. « Disons que je ne me ferme à rien, et que beaucoup de choses mystérieuses arrivent, sans jamais avoir d’explication, et sans en avoir besoin » répondit-elle, assez vaguement au final. Elle voyait bien que quelque chose trottait dans l’esprit de Romi, quelque chose d’assez fou pour qu’elle lui parle de réincarnation en tout cas. Et puis, elle évoqua le hasard, avant de parler enfin de ce qui l’interrogeait : Joan ressemblait à Alice, sa défunte femme. Ou en tout cas, Romi la retrouvait en elle. Lucy fronça légèrement les sourcils. « Tu veux dire, dans ses expressions ? Sa façon de bouger, de parler ? » creusa l’indienne, sentant bien qu’il y avait quelque chose là-dessous. « Je comprends que tu te poses la question… Est-ce que tu t’es sentie attirée par elle à cause de cette ressemblance ? » demanda-t-elle d’une voix douce alors que sa sœur s’interrogeait sur le côté malsain de cette situation particulière. « En fait, il faudrait savoir pourquoi tu es attirée par elle : si c’est à cause de cette ressemblance, c’est peut-être pas très sain en effet… Mais si c’est son caractère qui te plait, sa personnalité, et que la ressemblance ne joue pas sur tes sentiments, alors ça me paraît ok. Etrange, certes, mais ok » dit Lucy, réfléchissant à voix haute, et posant sur sa sœur un regard doux. « ça ne doit pas être simple à gérer, émotionnellement… » murmura-t-elle en venant caresser son bras avec douceur.
Romi déclara ensuite qu’elle ne lui avait pas dit, à Joan, pour tout ça. Ce qui fit sourire à moitié Lucy. « Pourtant c’est un super moyen de briser la glace » ironisa-t-elle avant de reprendre un air sérieux. « Mais… Tu sais qu’il faudra lui dire un jour, hein ? Si ça devient sérieux entre vous, tu seras un peu obligée… » souffla la brune. Cette histoire était loin d’être simple, et Lucy comptait bien être là pour soutenir sa sœur quoi qu’il arrive.

un moment entre soeurs
crédit/ tumblr ✶ w/lucy

Pour l’instant, je n’ai parlé de cette rencontre troublante à personne, mais comme je suis ici et que la conversation s’est toujours rapidement faite avec ma sœur, je me dis que c’est peut-être l’occasion parfaite pour tenter de lancer le sujet avec elle. Au pire des cas, j’aurais son avis sur la question et nous n’en parlerons plus jamais, et sinon, je prendrais ce qu’elle me dit et je m’en servirais pour raisonner d’une façon un peu différente, une façon qui me sauvera peut-être la peau si je décide de foncer tête baissée. Bien consciente que ce n’est pas forcément une situation commune, je décide de prendre la température en parlant de réincarnation. Ce qui se passe avec Joan n’est pas exactement ça, puisque si je ne me trompe pas, nous ne nous réincarnons pas – si nous le faisons – dans un corps qui était le notre avant. Ou alors, le hasard à son rôle là-dedans et je l’ignore. Mais bref.. la jeune femme me répond et après ça, sans trop tarder pour éviter de l’inquiéter, je lui parle de cette ressemblance troublante. Naturellement, Lucy pense à une ressemblance au quotidien, dans les gestes, les expressions, plus que physique. Pourtant, ce n’est pas à cela que je pensais et je ne peux pas lui en vouloir d’être à côté de la plaque. Même moi, sans le voir, je ne l’aurais jamais cru. « Physiquement. C’est elle, à 100 %. » Trait pour trait. Il y a peut-être certaines exceptions, sur des parties du corps qui ne se voient pas au premier abord, mais à ce niveau-là, ce n’est qu’un détail. Son sourire, ses yeux, ses cheveux.. ce fut malheureusement suffisant pour me déstabiliser. « Selon une certaine étude, on aurait tous un sosie parfait sur Terre. Je ne pensais pas que je croiserais celui d’Alice ici, à Island Bay. » Si encore, elle était encore là, alors nous en plaisanterons. Mais là.. même si ça fait plus de trois ans, c’est une sensation étrange d’avoir l’impression de pouvoir lui face de nouveau. Ma science sortie, je l’écoute attentivement et je dois reconnaître qu’elle a les mots justes. Néanmoins, je ne suis pas certaine d’avoir les réponses à toutes les interrogations qu’elle me lance. Si elle fait ça, c’est pour m’aider, je le sais bien et dans les jours qui viennent, si je le veux vraiment, je devrais reprendre ces questions pour réussir à savoir ce que je veux vraiment et si c’est vraiment une bonne chose de continuer. « La ressemblance a forcément aidé. » Sans elle, je ne sais pas si je me serais retournée vers Joan. Peut-être ou peut-être pas.. nous ne le saurons jamais, puisque l’impression d’avoir Alice face à moi a pris le dessus sur le reste. Pour ce qui est du caractère, je ne sais pas trop. Pas encore dirons-nous, puisque je n’ai pas vraiment eu l’occasion de la voir et de lui parler suffisamment pour la connaître de A à Z. Si pour l’instant, la jeune femme ignore ce qui m’a poussé à lui parler, Lucy me rappelle bien que ça ne pourra pas durer. « Ouais.. je sais. Surtout que sans lui dire, je prends le risque qu’elle l’apprenne toute seule et ça, ce sera pire. » Surtout si j’imagine vraiment quelque chose de plus entre nous, plus tard. « Bref.. tant que je n’aurais pas la réponse à toutes tes questions, je suppose que je ne pourrais pas vraiment savoir si cette histoire est une bonne idée ou pas. » Dis-je, alors que je hausse légèrement les épaules. « Tu vois, c’est pour ça que j’ai besoin que tu rencontres quelqu’un ! Pour que je me passionne par tes histoires de cœur et que j’évite un peu de penser à la mienne. »

La réincarnation, pourquoi pas, après tout. Lucy a beau être dans le médical, et aimer les sciences, elle a toujours été convaincue qu’il y avait une part de mystère, peut-être même de magie, dans la vie. Bercée par une mythologie foisonnante et remplie de dieux et autres créatures fantastiques, elle était plutôt ouverte sur le sujet de la spiritualité. Néanmoins, plus elle écoutait Romi, plus elle se rendait compte que ce n’était pas vraiment de ça dont il s’agissait. Et puis, la révélation arriva, faisant tomber le voile sur ce que ça sœur avait tant de mal à dire : la femme qui la troublait ressemblait trait pour trait à son amour disparu. La mâchoire de l’indienne sembla se décrocher sous l’effet de la bombe, ses lèvres formant un O exagérément grand. Sérieusement, qui, à part les scénaristes des films à l’eau de rose, pouvait ne serait-ce qu’imaginer croiser le sosie de sa femme ou de son mari mort ?! Romi continua en évoquant une étude scientifique, une histoire de sosie parfait, et aussi de malchance, enfin, si on pouvait appeler ça comme ça.  Lucy se reprit rapidement, et, une fois la surprise passée, posa quelques questions supplémentaires à sa sœur.
C’était une évidence que la ressemblance avait attirée Romi vers elle. C’était parfaitement logique et humain, au final. Si Lucy croisait une personne ressemblait trait pour trait à sa mère biologique, forcément elle… Non, très mauvais exemple. Déjà, parce qu’elle n’était pas morte, cette femme, ou en tout cas pas qu’elle ne le sache. Et en plus, Lucy n’irait certainement par vers elle, au contrairement elle fuirait le plus vite possible. Ou alors elle n’en aurait pas le temps puisqu’une crise de panique l’empêcherait tout mouvement. Peut-être que cela la choquerait tellement qu’elle resterait stoïque… En fait, elle ne pouvait pas se mettre à la place de sa sœur, ou au moins essayer, parce que personne qu’elle avait aimé n’était morte, et c’était une chance. Alors, forcément, ce qui lui venait en tête était surtout le fait que sa sœur ne pouvait pas dissimuler ça trop longtemps. Si elle ne lui disait pas et que la soirée terminée chez elle, avec les photos d’Alice… L’angoisse. Elle pourrait très mal réagir. Découvrir son visage partout chez une presque inconnue, alors que ce n’est même pas vraiment son visage… « Oui, c’est quelque chose qu’elle doit apprendre par toi, avec tes mots » opina Lucy. « Après, ce n’est pas obligé d’arriver tout de suite, ça dépend de comment évoluent les choses entre vous… Mais à un moment ou à un autre, il faudra » soupira l’indienne.
Romi déclara ne pas pouvoir dire si c’était ou non ou bonne idée pour le moment, puis haussa les épaules avant de se pencher sur le cas de sa sœur. Elle aussi voulait se passionner pour les histoire de cœur de Lucy. Cette dernière laissa échapper un petit rire avant d’hausser les épaules à son tour. « Mais figure-toi que je rencontre des gens ! » dit-elle avec un petit sourire et en se calant de nouveau contre son dossier. « Je ne peux que te proposer de te passionner par mes histoires de cul plutôt que de cœur, c’est vrai, mais c’est tout aussi intéressant, crois-moi » ajouta-t-elle avec un clin d’œil. Il neigerait au Sahara avant que Lucy n’ait une histoire d’amour ! Mais, attendez, il neige souvent dans le désert, non ?

un moment entre soeurs
crédit/ tumblr ✶ w/lucy

Le lendemain de ma rencontre avec Joan, j’ai pensé que tout ce que j’avais vécu la veille n’était que le fruit de mon imagination, qu’Alice me manquait ce soir-là, avant de dormir, et que j’avais simplement cherché à la retrouver, d’une certaine façon. Mais non.. le jour suivant tout paraissait bien trop réel et mon chemin croisa de nouveau celui de la brune, comme pour me le confirmer un peu plus. C’est donc sans trop de surprise que j’accueille la réaction de ma sœur — si les rôles étaient inversés, je serais sûrement dans le même cas qu’elle. Ce sentiment passé, elle me transmet de sages conseils. Des conseils que je suivrais certainement d’ailleurs, lorsque j’aurais réussi à faire un peu de tri dans mon esprit. Car si je veux être totalement honnête avec Joan, je dois déjà savoir quoi lui dire et comment le faire : si ce fut un choc pour moi en la croisant, ce sera certainement aussi bizarre pour elle d’apprendre que j’ai été mariée à quelqu’un qui lui ressemblait physiquement et qu’il y a eu ce petit rapprochement de notre côté, ou au moins une attirance du mien. Mais en attendant de voir ce que toute cette histoire pourra donner, je décide de reporter mon attention sur ma sœur et sur ces histoires à elle. Pas des histoires sérieuses visiblement, mais si c’est quelque chose qui lui va comme ça, c’est le plus important. « Et est-ce qu’elles en valent le coup ? » Même si j’ai été mariée et que je suis aujourd’hui troublée par une certaine rencontre, j’ai aussi été dans le cas de ma sœur, celui où s’amuser un peu n’est pas une si mauvaise idée. Avant Alice et puis après, quand j’ai eu besoin de me changer un peu les idées, de retrouver un peu de plaisir, sans que les sentiments ne viennent s’immiscer dedans. « Si je peux être un peu curieuse, où est-ce que tu les rencontres ? » Au boulot ? Je ne sais pas si ses patients collent vraiment au style de personnes qu’elle désire. Dans son cercle d’amis ? Ce n’est pas impossible. Ou alors, elle utilise des applications de rencontre — quand on ne cherche pas de choses sérieuses, avec des inconnus ou presque, c’est parfois la meilleure option. « Je devrais peut-être utiliser cette option aussi, ça éviterait que je me retrouve dans de telles situations. » Dans des situations où je ne sais pas quoi faire, où je demande si je devrais laisser une chance à quelqu’un. Depuis Alice, ce n’est arrivé qu’une fois — sans émettre l’hypothèse de quelque chose avec Joan — et on ne peut pas dire que c’était une grande réussite.. c’était peut-être une façon de me faire passer un message.