watching the wire with a pepperoni & cheese ○ aveleen

Quand le chat n’est pas là, les souris dansent ; c’est la phrase fétiche de Joyce les soirs où sa fille lui annonce qu’elle dort chez une amie. Ce qui est assez ridicule puisqu’elle n’en profite pas pour faire la fête ou inviter un amant, elle passe juste la soirée à faire du zapping en buvant un thé pour finalement se raviser et aller se coucher. C’est en subissant les coupures pubs qu’une idée lui traversa l’esprit : à Noël dernier, elle avait offert à sa Kylie une boîte de LEGO qu’elles avaient commencée toutes les deux sans jamais trouver le temps de la finir. En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, Joyce avait ressorti le carton du placard et avait récupéré son ordinateur sous un coussin du canapé pour mettre un peu de musique. Et bien sûr, quoi de mieux qu’une pizza pour accompagner tout ça ? Heureusement, il y a toujours ce flyer de chez Gino’s accroché sur la porte du frigo.

Il avait fallu moins d’une trentaine de minutes pour que la pizza arrive, livrée par une petite rousse que Joyce n’aurait jamais pensé revoir aussi vite après leur première rencontre, encore moins dans ce rôle. Elles s’étaient rencontrées quelques jours plus tôt et il faut bien avouer que cette expérience était aussi inconfortable pour l’une que pour l’autre. Assise à la terrasse d’un café, Joyce croquait au fusain sur un petit carnet des détails chez les gens qu’elle trouvait intéressants. L’une de ses victimes fut la livreuse de pizza qui avait retenu l’attention de la dessinatrice à cause de sa longue crinière. Les choses auraient pu s’arrêter là mais le destin avait fait qu’elles se bousculent par accident quelques heures plus tard à l’autre bout de la ville et que les quelques croquis de Joyce s’étalent sur le trottoir. Pour mettre fin à ce moment “malaisant” comme le répète souvent sa fille, elle s’était platement excusée et avait même offert ce croquis à la jeune femme, puisqu’il n’était pas si mauvais.

Se retrouver face à elle sur le pas de la porte avait suffit à raviver un désagréable souvenir alors Joyce s’était contentée de la remercier pour la pizza sans oublier d’ajouter un supplément de cinq dollars au prix de la livraison avant de la renvoyer sur les routes pour satisfaire ses prochaines commandes. Et ça aurait pu s’arrêter là.

Mais parfois, les pizzas médium sont plus grandes qu’on ne les imagine, ou alors il arrive que l’on ai les yeux plus gros que le ventre et la moitié de ce plat divin est alors réservée pour le lendemain. Et donc parfois, il arrive de créer des problèmes en laissant une demie-pizza au frigo. Kylie a deux choses de plus que sa mère : le sens du détail et de bonnes notes en sciences. Son sens du détail lui aura permis de découvrir un petit bitoniau noir entre deux épaisseurs du carton de la pizza et ses bonnes notes en science à comprendre que ce bitoniau noir pourrait bien, dans un jargon plus scientifique, être un micro. Bien sûr, elle s’était empressée d’en parler à sa mère dès son retour en fin de journée, inquiète à l’idée que tout l’appartement puisse être sur écoute et n’avait pas oublié de glisser quelques théories complotistes dont elle avait eu vent en tapant “micro caché pizza” sur Google. Puis après avoir fouillé toutes les pièces de fond en comble sans jamais trouver un autre micro, il était trop tard pour aller faire des courses et elles avaient donc, d’un commun accord, décidé de recommander une pizza pour confronter le malheureux livreur à ce sujet. Un coup de fil à Gino’s et trente minutes plus tard, la même rousse qui appuie sur la sonnette.

Joyce ouvre la porte et, soutenue par sa fille qu’on peut entrapercevoir par-dessus son épaule, elle tend le micro flottant dans un sac de congélation rempli d’eau comme s’il s’agissait d’une preuve.

Bonsoir. C'est du voyeurisme ou un genre de trank ?
- On dit un prank, m'man.