you found me (ezra)

Cette soirée avec Ezra tourne en boucle dans ma tête depuis plusieurs jours et pourtant, je n’étais pas complètement maîtresse de mes mouvements à ce moment-là. C’est comme si avec elle, tout comptait. Alcool ou non. Il s’en est passé des choses ce soir-là et en rentrant chez moi, j’ai eu du mal à savoir ce qu’il était bon de garder ou non de tout ça. Même si je l’ai invité à le faire, Ezra n’a pas hésité longtemps avant de m’embrasser. Est-ce qu’elle attendait que je lui demande ? Est-ce qu’elle en avait envie aussi ? J’ai envie de dire oui à ces deux questions et pourtant, j’ai comme l’impression que les choses ne sont pas aussi simples que ça. Sinon, avec un peu de chances, je me serai réveillée le lendemain, nue et allongée dans son lit. Elle a prétexté ne pas vouloir abuser de moi alors que j’avais bu, et même si je l’ai peut-être un peu mal pris sur le moment, j’ai fini par me dire que c’était la chose la plus intelligente qu’il fallait faire. Néanmoins, quelques jours après, quand je me suis rendue chez elle pour lui rendre ses affaires et que je suis tombée nez à nez avec une inconnue, je me suis demandée s’il n’y avait pas autre chose. Et si elle m’avait menti ? Et si elle voyait quelqu’un, sans m’en parler — je ne peux pas vraiment la blâmer de garder des choses secrètes vu l’accueil que je lui ai offert à son retour ? Tellement de questions, laissées sans réponse.. puisqu’au lieu de chercher à voir Ezra pour avoir quelques éclaircies, j’ai volontairement cherché à la fuir. Et étonnement, même dans une petite ville comme Island Bay, j’ai plutôt bien réussi mon coup. Jusqu’à cette rencontre dans un café, jusqu’à aujourd’hui. Je viens de récupérer ma boisson et en me retournant, je tombe nez à nez avec la brune — difficile de se défiler dans ce cas-là. « Salut. » Dis-je, presque timidement. Je me décale un peu sur le côté, histoire de lui laisser la place dans la file. Si je pouvais m’écouter, je partirais en courant, mais j’ai l’impression que ce n’est pas la chose à faire : fuir là, ce n’est que repousser une conversation qui semble inévitable. Sa commande passée et récupérée, la brune arrive à mes côtés. « Je tenais à m’excuser encore, pour l’autre soir. » Inutile de préciser à quel soir je fais référence, elle le sait déjà. « Je suis repassée chez toi pour te rendre tes affaires. Tu n’étais pas là, mais je les ai laissées à.. à cette fille. » Je ne sais même pas qui c’est et pour être honnête, je ne suis pas sûre de vouloir le savoir.

Il s’est passé plusieurs semaines depuis la dernière soirée avec Elliott. Le baiser échangé, les envies qui ressurgissent et puis, la fuite. Je n’ai pas recroisé Elliott depuis ce soir-là, et j’ai l’impression qu’elle a tenté de me fuir. Je ne sais pas si c’est simplement mon feeling ou juste du hasard, mais Island Bay est une petite ville et j’ai du mal à croire que je ne l’ai pas vu pendant autant de temps. Je ne cesse de penser à ce qu’il s’est passé, ça prend toute la place dans ma tête et j’ai du mal à réfléchir à autre chose. Est-ce que j’ai bien fait de la repousser ? Est-ce qu’elle a aimé ? Est-ce qu’elle m’en veut ? Est-ce qu’elle en a parlé à son mari ? Est-ce qu’elle aimerait recommencer ? Toutes ces questions sont sans réponses et ce n’est pas évident. J’aurai pu lui envoyer un message, mais je n’ai pas osé… par honte, ou par peur. Je me suis simplement contentée de lui envoyer un message pour son anniversaire – et je n’ai même pas répondu à sa réponse. Depuis, Elliott est devenu un fantôme. Ou presque, puisque je sais qu’elle est passée chez moi déposer les affaires que je lui avais prêté. Faute de timing, je n’étais même pas là ce jour-là : il a fallu que ça tombe sur le seul soir où j’ai mis à louer mon appartement en Airbnb pour arrondir ma fin de mois. Malchance ou destin ? Je n’en sais rien. Ce matin, je me suis réveillée avec le moral dans les chaussettes. J’ai l’impression d’avoir tout gâché en acceptant de l’embrasser, elle commençait à me pardonner, et d’un coup, nous revoilà à la case départ. C’est avec une petite moue que je me suis rendue au travail pour essayer de m’y noyer et éviter de penser à ma tragédie amoureuse. Ou amicale, ou les deux. En fin d’après-midi, après mes consultations, je décide d’aller faire un tour en ville pour récupérer un café avant de rentrer à la maison. Je m’apprête à entrer dans la file, quand d’un coup, Elliott apparaît face à moi. Elle me salue et je lui répond un faible : “Salut.” un peu froid. La brune se décale pour me laisser sa place dans la file et je pars récupérer mon café. Je retourne ensuite vers Elliott, qui s’excuse pour l’autre soir. Puis, elle rajoute qu’elle a laissé mes affaires à la fille. Je perçois ce qui ressemble à de la jalousie dans sa phrase et je lâche un léger sourire pour me détendre. “T’en fais pas. Ouais, elle m’a dit, merci beaucoup.” Je lève les yeux au ciel avant de boire une gorgée de mon café. “Fallait que tu passes le seul soir où je mets mon appart en AirBnb… j’étais un peu dégoutée. Comment ça va, depuis ce temps ?” lui demandais-je. Je suis un peu gênée avec elle aujourd’hui. Les images de l’autre soir tourne dans ma tête, et je n’ai pas le temps de réfléchir que des mots sortent déjà de ma bouche. “Je m’excuse aussi. Je ne voulais pas te repousser l’autre soir, j’espère que tu ne m’en veux pas, je pensais simplement que c’était la meilleure chose à faire. J’aurai aimé aller plus loin.” Pourquoi est-ce que je lui dit tout ça ? Elle s’en fiche sans doute. Peut-être même qu’elle m’en veut d’avoir accepté de l’embrasser. Faut vraiment que j’arrête de réfléchir, là, j’ai qu’une envie, c’est fuir, encore…

Tomber sur Ezra est quelque chose qui allait forcément finir par arriver et pourtant, je n’ai même pas cherché à m’y préparer. Est-ce qu’une préparation aurait vraiment été utile ? En réalité, je n’en suis pas certaine. Les choses sont bizarres — et bien souvent tendues — entre nous depuis son retour, alors un événement de plus ou de moins, qu’est-ce que cela aurait bien pu changer ? Néanmoins, de l’avoir à face à moi, dans ce café, ça me rendrait presque timide. Ou alors, ce sont les images qui refont surface dans mon esprit qui me laissent sans voix. L’autre nuit, je n’aurais pas dû l’appeler et j’aurais encore moins dû lui demander de m’embrasser : j’ai clairement dépassé les bornes et maintenant, je le regrette. Est-ce que j’avais vraiment envie de passer ce temps avec elle et que l’on retrouve une proximité comme celle de l’époque ? Oui, mais ce n’est pas la question-là. Surtout qu’après cela, je m’attendais à quoi au juste ? Que les choses continuent normalement entre nous, comme si de rien était ? À en voir la réaction que j’ai en évoquant la jeune femme à qui j’ai rendu les affaires qu’Ezra m’avait prêté, cela aurait finalement été compliqué. Néanmoins, même si elle ne me doit rien, la jeune femme vient donner une explication sur la présence de cette personne chez elle. « En Airbnb ? » Je suis étonnée et ça se voit. J’ai tiré des conclusions, un peu trop vite, des conclusions que n’importe qui aurait pu tirer, pour ma défense. Légèrement perdue dans mes pensées, je passe à côté de sa question et ne reviens à la réalité qu’au moment où elle s’excuse à son tour. « Ne t’en fais pas. C’était probablement mieux comme ça. » Ce soir-là, elle a expliqué son geste — déjà — et pour être honnête, c’était plutôt louable de sa part. Il manquerait plus qu’on commence à reprocher au gens de ne pas profiter de ceux qui sont dans une mauvaise posture. « Tu ne connaissais pas cette fille ? Du moins, pas vraiment ? » Je me sens un peu bête pour le coup et ça se comprend. Depuis le jour où je suis revenue chez elle, je me suis fait une tonne de films et c’est aussi la raison qui m’a poussé à l’éviter — en quelque sorte. « Cela veut dire que tu ne vois personne ? » Toutes ces questions ne vont pas forcément dans mon sens, pas dans celui d’une fille détachée en tout cas, mais c’est plus fort que moi et je suis bien incapable de m’en empêcher. Réalisant que je dépasse sûrement un peu les bornes — encore une fois, comme quand je lui ai demandé de m’embrasser alors que je suis censée être mariée — je décide de revenir un peu sur mes mots. « Je suis désolée, je suis trop curieuse. Tu n’as même pas à me répondre, nous avons toutes les deux nos vies et nos jardins secrets. » Alors qu’à une époque, nous nous disions tout. Aujourd’hui, et avec ce qui s’est passé entre nous — sans parler de son départ, ce n’est plus le cas. Bien au contraire même, j’aurais pu lui dire toute la vérité concernant Victor dès le début et pourtant, j’ai volontairement gardé cette partie de mariage blanc secrète.

Je n’arrive pas à savoir ce que je ressens face à Elliott aussi. Si je suis heureuse de la voir, ou si je suis un peu en colère qu’elle ait essayé de m’éviter. Parce que même si je n’en suis pas certaine, tous les signes montrent qu’elle a cherché à ne pas me recroiser après notre dernière soirée passée ensemble. Les premiers échanges aujourd’hui sont cordiaux et je reste un peu froide dans mes propos. Lorsqu’elle évoque la fameuse fille à qui elle a redonné mes vêtements lors de mon absence, je soupçonne un brin de jalousie derrière ses questions. Ça m’amuse un peu, mais je ne laisse rien paraître et lui annonce que j’étais dégoutée de la louper. Puis, je reprends la parole pour m’excuser pour l’autre soir. De l’avoir repoussé. Alors que mes envies étaient bien présentes. Je ne veux pas qu’elle pense que je ne ressens plus rien pour elle, que j’ai accepté le fait qu’elle soit mariée. Même si je ferai mieux de me résigner et de me trouver une femme à marier, moi aussi. La brune semble surprise sur l’histoire de AirBnb et continue sa curiosité. Elle me demande confirmation, à savoir si en effet, je ne connaissais pas cette fille. Je fronce un peu les sourcils, puis, elle me demande si je ne vois personne. Sous-entendu, si je suis libre de mes sentiments ? Je suis légèrement de mauvaise humeur aujourd’hui – va-t-on savoir pourquoi, et je ne suis pas tellement d’humeur à répondre à un interrogatoire. D’ailleurs, Elliott ne me laisse pas le temps de dire quoi que ce soit qu’elle s’excuse d’être trop curieuse, précisant que nous avons le droit d’avoir notre vie privée et notre jardin secret. “Non Elliott, pour répondre à ta question, je ne connaissais pas cette fille. On a échangé quelques messages sur un site de location officiel, je lui ai donné les clés de mon appartement et je suis allée dormir chez mes parents. Tu veux plus de détails ?” Je soupire un peu. Je bois quelques gorgées de mon café, visant à me détendre un peu. “Mais t’as raison, je ne vois personne. J’ai le don de tomber amoureuse des femmes mariées visiblement, alors tu vois, je préfère me méfier maintenant.” Sous entendu assez fort quand même. “Je devrais peut-être songer à rencontrer quelqu’un, tu as raison. Tu l’as trouvé mignonne, cette fille ? Je ne m’en souviens plus. Mais j’ai encore son numéro, alors, je devrais peut-être la rappeler, qu’en penses-tu ?” Je vais un peu trop loin, mais ce n’est pas volontaire. Enfin, quoique. C’est mon cœur qui parle, mon cœur déçu de ne pas être comblé, déçu d’avoir fuit ce qu’il ressentait il y a dix ans et d’être maintenant condamné à battre seul dans son coin. En fuyant il y a dix ans, j’ai perdu ma meilleure amie, et sans doute mon âme sœur. Il va falloir que je m’en remette et que je me décide à aller de l’avant et rencontrer quelqu’un d’autre. Elliott est mariée et elle ne divorcera certainement pas si je lui avoue tout ce que je ressens. “T’es jalouse de cette fille ?” demandais-je, d’un coup. Sans y réfléchir. C’est trop tard maintenant.

Je n’ai pas forcément le droit de poser ces questions et pourtant, je le fais quand même. Je suis mariée, supposée heureuse en ménage — malgré la demande que j’ai pu lui faire la dernière fois — alors je ne devrais pas m’intéresser à ce genre d’informations, à sa vie sentimentale. Mais malgré ça, ça me tue de l’intérieur de l’imaginer avec une autre femme. Finalement, quand elle était à des milliers de kilomètres d’ici et qu’elle faisait ce qui lui plaisait, c’était moins douloureux. Là, j’ai conscience qu’à tout moment, je pourrais la croiser dans la rue au bras d’une autre et ça me donnerait presque envie de vomir rien que d’y penser. Est-ce que je suis passée à côté de ma chance ? Peut-être. Ce n’était pourtant pas l’envie qui manquait. J’ai beau m’excuser pour l’indiscrétion dont je fais part, Ezra me répond un peu froidement. Je ne peux pas lui retirer cela et pour être honnête, je comprends les reproches qu’elle pourrait me faire à ce sujet. Pourquoi est-ce que ça m’intéresse à ce point ? Avoir le don de tomber amoureuse des femmes mariées ? Cela peut facilement faire référence à moi, c’est sûrement le cas d’ailleurs — je l’espère au plus profond de moi — et pourtant, je ne peux m’empêcher de penser qu’il y en a peut-être eu d’autres. Et si pendant ces dernières années, elle avait eu une histoire, même brève, avec une femme mariée ? Et si finalement, je n’étais pas si unique que ça ? Cette idée me traverse l’esprit, forcément, et ce n’est malheureusement pas la première fois. C’est bien pour cela qu’en voyant cette femme chez elle, j’ai naturellement pensé qu’il y avait quelque chose entre elles. Je ne suis pas bête, si Ezra s’amuse comme cela aujourd’hui, c’est bien parce qu’il y a quelqu’un qui lui a donné envie de le faire. Pas moi, malheureusement. Puisqu’il y a dix ans, quand il s’est passé ce qui s’est passé entre nous, elle a préféré fuir plutôt qu’entrevoir une histoire — c’est assez révélateur quand même. « Ça n’a pas vraiment d’importance. » Dis-je, alors qu’elle me demande s’il y a une chance pour que je sois jalouse de cette fille. Maintenant que je connais la vraie nature de leur relation, non. Mais avant ça, probablement. Mais comme je le dis, est-ce que cela a une réelle importance ? Est-ce qu’affirmer que je pourrais être jalouse de toutes les filles qui sont intimes avec elle changera quelque chose ? Je ne pense pas. Je viens boire une gorgée de ma boisson, puis une deuxième et presque naturellement, après cette réponse donnée, un silence s’installe entre nous. Il serait peut-être mieux de partir maintenant, de prétexter un rendez-vous ou que sais-je d’autres. Pourtant, j’ai comme l’impression que mes pieds sont collés au sol, m’empêchant ainsi de prendre le large. « Mila m’a parlé de toi l’autre jour. Je crois qu’elle aimerait passer un peu plus de temps avec toi. » Finis-je par dire pour mettre fin à ce silence qui m’a semblé interminable et qui n’a peut-être duré que quelques minutes. Parler de Mila, un terrain neutre, ce n’est sûrement pas une mauvaise chose et puis, ça me permettra de voir si ce n’était que ce dernier sujet qui posait problème ou si finalement, ce sont ces derniers jours sans se voir ou même se parler qui sont la cause d’une légère rancœur.

Ce n’est pas simple de faire comme si tout allait bien. Tout ne va pas bien, j’ai fuis pendant dix ans et j’ai loupé ma chance. Enfin, c’est ce que je pensais jusqu’à la dernière soirée que j’ai passé avec Elliott. Ce soir-là, mes lèvres contre les siennes, je me suis autorisée à penser que peut-être que ce n’était pas trop tard. L’espoir naît à nouveau, le désir monte en flèche mais l’alcool m’empêche d’aller jusqu'au bout. La peur du reproche, puis la culpabilité. Alors, forcément, quand je me suis rendue compte qu’Elliot me fuyait après ce qu’il s’était passé, je n’ai pas pu m’empêcher de culpabiliser. Aujourd’hui, face à elle, je peine à garder mon calme. J’ai envie de lui hurler que je suis désolée, que je ne suis qu’une idiote et que je n’aurai pas dû fuir il y a dix ans. Que j’ai tout gâché, que je le sais… mais à quoi bon cela servirait ? À rien, sans doute. Au lieu de ça, je réponds froidement à sa curiosité, je me lâche un peu trop et ce n’est pas le genre de comportement que je devrais avoir. Elle semble jalouse de cette fille de AirBnb et ça m’amuse et m’énerve en même temps. Je suis jalouse, moi aussi, de son mari et même de mon frère avec qui elle est unie à jamais avec Mila. Pourtant, quand je la questionne, elle m’indique que ça n’a pas d’importance. “Moi, j'aurais pu être jalouse si j’avais croisé une fille comme ça dans ton appartement. Mais bon, t’es mariée. Alors, la seule personne que je risque de croiser c’est ton mari. Et j’ai pas le droit d’être jalouse de Victor, j’imagine, ça servirait à rien. Vous êtes liés par les liens du mariage.” Je pense à voix haute. Mon désespoir s’entend un peu dans ma voix, il faut qu’on change de sujet, et rapidement. Très vite, un silence s’installe. Les pensées s’accumulent dans mon esprit et je peine à les faire taire. Je me contente de me taire, de boire mon café et d’essayer de me faire oublier. Quand Elliott reprend la parole pour briser ce silence qui commençait à m’angoisser, elle évoque ma nièce. Un terrain neutre, bonne idée. “Je suis désolée de pas être assez présente pour elle, je sais pas comment faire, comment être une tante…” Je lève les yeux vers elle. Va falloir que j’arrête d’avoir la trouille des enfants, surtout de Mila. En plus, elle est grande et j’ai du temps à rattraper. “Je peux peut-être passer la prendre samedi en fin de matinée. L’emmener manger un bout, puis faire une activité avec elle l’après-midi. Si tu veux bien me la confier quelques heures. Sinon, tu peux aussi venir avec nous, si tu veux. Ou en profiter pour passer du temps avec ton mari, en tête à tête.” Je souris. Je suis jalouse de Victor. Ouvertement, et je ne m’en cache pas tellement aujourd’hui.

Avec Ezra, c’est bizarre. En réalité, ça l’a toujours un peu été. À l’époque, nous étions jeunes et sûrement un peu perdues face à nos sentiments. Aujourd’hui.. Aujourd’hui, c’est probablement un peu pareil finalement, avec quelques années en plus. Comme quoi, malgré les années qui passent, il y a certaines choses qui restent. Des choses que je préférerais éviter pour être honnête : être ainsi face à elle, perdue de la sorte, alors qu’elle a volontairement cherché à me suivre quand j’avais le plus besoin d’elle, ça me tue. Et puis, il y a Victor. Ce n’est pas sérieux entre nous, c’est juste pour ses papiers, mais je ne peux m’empêcher de me demander si je réagirais de la même façon si j’étais au beau milieu d’une relation plus officielle. C’est bien connu, on n’oublie jamais vraiment son premier amour. D’ailleurs, est-ce que nous sommes les premières à réagir comme ça ? J’en doute. Mais dans ce cas, comment font ou ont fait les autres ? J’aimerais vraiment avoir des réponses, car là, face à la jeune femme et avec ce qui a pu se passer la dernière fois, je suis complètement perdue et ça se voit dans mon comportement. De la jalousie ? C’est vraiment un truc d’adolescente, non ? Mais étrangement, ce sentiment, nous semblons le partager avec Ezra et pour le coup, je ne sais pas trop quoi en penser. C’est plaisant à entendre, car cela veut dire qu’il y a quelque chose, que je ne suis pas complètement folle à m’imaginer un semblant de relation ou quoi. Mais en même temps, c’est cruel de ma part. Pourquoi souhaiter ce genre de réactions, alors que j’ignore totalement ce que l’avenir nous réserve, s’il y a bien un avenir possible. J’ai vraiment apprécié cette soirée avec elle, chez elle, mais ce n’était qu’une parenthèse, une parenthèse enchantée, qui n’a pas forcément vocation à aller plus loin. D’ailleurs, il n’est peut-être pas utile de continuer sur ce sujet, au risque de dire ou d’entendre des choses qui ne pourront plus être retirées après. C’est bien pour cela, qu’après quelques minutes de silence, je décide de parler de ma fille. « Il ne sera pas là, il a un gros chantier. » Dis-je, alors qu’elle parle de Victor. Cela pourrait facilement ressembler à une excuse, comme c’était le cas pour le repas de Noël chez ses parents, mais là, c’est honnête. Nous travaillons tous les deux durs pour gagner notre vie et lui, parfois, ça l’oblige à commencer ses journées tôt et à les finir tard. « Mais c’est peut-être bien que tu passes du temps seule avec elle. » Elle a évoqué l’idée que je vienne, ce serait bien sûr une option, mais peut-être pas la bonne. Et puis, en lui proposant ce moment avec Mila, ce n’était pas dans le but de m’y inviter. « Parfois, elle demande des choses sur Isaac, des choses que j’ignore et auxquelles tu pourrais sûrement répondre. » Les enfants ne sont pas forcément une partie de plaisir pour Ezra, mais j’ai l’intime conviction qu’avec Mila, les choses se passeront bien. Même si j’étais là les dernières fois, ça s’est toujours bien passé entre elles.

J’arrive pas à savoir si je suis heureuse ou non de voir Elliott aujourd’hui. Enfin, dans un sens, bien-sûr que je le suis, c’est toujours un plaisir de la voir et en même temps, je commence à être partagée entre ce que je ressens et ce qui va devenir notre futur. Un futur séparé, c’est certain, maintenant qu’elle est mariée et heureuse – même si je n’en suis pas si sûre. Je suis ouvertement jalouse de Victor, je ne manque pas de lui confirmer par sous-entendus. C’est pas facile aujourd’hui de discuter avec elle. Je ne m’attendais pas à la voir et notre soirée précédente m’a un peu chamboulée. Beaucoup, en réalité. La voir potentiellement jalouse d’une fille que je ne connais même pas me fait me poser des questions, je commence à trop réfléchir et ce n’est jamais bon signe. Ça s’entend même dans ma voix. Heureusement, la brune finit par changer de sujet pour évoquer ma nièce, Mila, qui réclame de passer du temps avec moi. Créer un lien avec elle n’est pas simple pour moi, vis-à-vis de ma fuite, de mon frère mais surtout car je ne suis pas très douée avec les enfants. Malgré tout, j’ai conscience que je suis la seule à pouvoir encore lui apporter des réponses sur son papa. Je propose à Elliott de passer du temps avec elle, précisant qu’elle peut venir aussi ou bien rester avec son mari à faire des choses. Elle m’indique qu’il a un gros chantier – une excuse ? mais que ce serait une bonne idée que je passe du temps seule avec Mila. “D’accord. Ça me va de passer du temps avec elle. J’ai envie d’apprendre à la connaître, moi aussi. Je sais pas trop ce que c’est qu’être une tante mais bon, j’ai des années à rattraper…” J’offre un léger sourire gêné à Elliott. Je ne suis pas douée avec les enfants, mais avec Mila, je n’ai pas le choix. J’ai suffisamment fuit. Elliott m’avoue que Mila pose parfois des questions concernant mon frère, des questions auxquelles elle ne peut pas répondre. Mon cœur se serre un peu à la suite de cette déclaration. J’ai une tonne de choses à raconter sur Isaac, bien-sûr, mais le rappel de sa disparition est un coup de poignard difficile. Mes sentiments et mes émotions s’entremêlent dans mon esprit, si bien que sans que je ne m’y attende, des larmes me montent aux coins des yeux. Je ravale ma salive et tourne un peu la tête pour essayer de me faire discrète. “Je suis désolée.” dis-je en soupirant tout en m’essuyant les yeux. Je tourne à nouveau ma tête pour regarder Elliott. “J’essaierai de lui apporter les réponses. Si je peux lui dire… et lui répondre.” J’hausse les épaules. Je me demande bien ce qu’elle souhaite savoir à propos d’Isaac. L’inconnu, ça me fou la trouille. Le souvenir de mon frère est encore douloureux alors maintenant, j’ai peur de voir Mila et de l’écouter me poser des questions. Peut-être des questions basiques – du genre, sa plus grande bêtises. Ou peut-être des questions plus difficiles à répondre. “Je peux passer la prendre vers 11h samedi. Si ça te va ?” Je souris à Elliott.

Ce qui existe entre nous est un sujet tabou et ça, j’aurais dû le comprendre à partir du moment où elle est partie à des milliers de kilomètres de moi, quelques jours seulement après que nous nous soyons retrouvées toutes les deux dans le même lit. De nombreuses années se sont passées depuis et pourtant, à nos retrouvailles, la tension entre nous était toujours là. Ce n’était donc sûrement pas une bonne idée de jouer avec le feu comme nous l’avons fait la dernière fois où nous nous sommes vues et je ne le comprends que maintenant. Je n’étais pas vraiment maîtresse de mes moyens au départ, ce soir-là, alors il aurait sûrement été préférable que j’évite de composer son numéro de téléphone. Si c’est Victor que j’avais appelé, nous ne serions probablement pas dans une telle situation aujourd’hui et cette jalousie, un peu malsaine, qui existe en ce moment, de mon côté et du sien aussi j’ai l’impression, n’existerait pas. Probablement pas. Même si sans cette histoire de baiser, je crois que j’aurais toujours une certaine réserve avec les femmes qui ont réussi à vivre quelque chose avec elle, contrairement à moi. Heureusement, l’égarement sur sa vie sentimentale, puis sur la mienne, est finalement vite balayé lorsque j’évoque Mila. C’est une enfant et même si Ezra n’est habituellement pas à l’aise avec eux, je me doutais un peu qu’elle ne chercherait pas à revenir au sujet précédent — dans le fond, je crois bien que c’est ce que nous souhaitions toutes les deux, éviter de revenir à une conversation où nous pourrions dire des choses que nous regretterions après. Bref.. la petite fille n’a pas connaissance de ce qui lie Ezra et moi, hormis son père et notre ancienne amitié, et il n’y a pas de raison pour que cela change — je ne voudrais pas qu’elle prenne parti pour moi, surtout qu’elle mérite de créer un lien, quelqu’il soit, avec sa tante. Bien qu’un peu sur la réserve par rapport à l’expérience qu’elle peut avoir avec les enfants, la jeune femme fini par accepter de passer un peu de temps avec Mila. Pour apprendre à la connaître, mais aussi pour lui donner d’éventuelles réponses à ses questions. « Entendre des choses à son sujet lui fera probablement plaisir, même si tu n’as pas de réponses à ses questions. Elle ne le dit pas toujours, mais je sais qu’il lui manque. » Et ça se comprend. Ce n’est pas évident de perdre un père, encore moins quand on est une enfant et que ça se fait d’une façon aussi brutale. « Samedi, c’est très bien. » Dis-je, essayant de répondre à son sourire. Il faudra quand même que je m’assure qu’elle n’a pas de fête d’anniversaire de prévue, surtout si je dois courir après un déguisement à la dernière minute. Si jamais cela devait arriver, je m’assurerais de prévenir Ezra — surtout maintenant que je sais que son ancien numéro est toujours valable. « Je.. je dois y aller. Mais nous nous revoyons samedi. » D’ici là, peut-être que la tension au sujet de nos sentiments et la rancœur contre les tierces personnes auront disparu. Je la salue et tourne les talons pour partir. À être là, à discuter — ou à chercher à meubler les silences — j’ai déjà presque terminé ma boisson. Alors après une dernière gorgée, je jette le gobelet dans une poubelle et finis ensuite par m’éloigner de l’établissement.