l'histoire de ma vie
May be I'm just not good enough
2001« Allez viens c’est trop cool ! » je secoue la tête de droite à gauche avec un air embarrassé. Ma nouvelle camarade ne comprend pas mon refus, je hausse les épaules
« Maman dit que se rouler dans le sable ce n’est pas bien, les chats font caca dedans, c’est très sale. » la petite fille face à moi fait une grimace
« Ta maman elle dit n’importe quoi. Et toi t’es trop nulle. » je me suis éloignée du bac à sable, j’ai été m’asseoir sur le banc à côté de ma nounou et j’ai pris un livre.
« Tu ne joues plus avec ta nouvelle copine ? » je secoue la tête
« Non elle ne veut pas me croire que les chats font caca dans le bac à sable. » ça la fait rire, moi je ne trouve pas ça très drôle.
« Tu ne veux pas faire du toboggan ? » je soupire
« Ça va froisser ma jupe. » elle est gentille ma nounou, c’est une nouvelle, l’autre est partie parce qu’elle va avoir un bébé. Mais franchement elle a encore pleins de trucs à apprendre… On est venu au parc parce qu’elle a cru que mon cours de piano est à quatorze heures alors qu’il est à quinze heure, je ne lui en veux pas et je ne répèterais pas à maman qu’elle s’est trompée, mais quand même ce n’est pas très sérieux.
« C’est pas un peu compliqué à lire, ça, pour ton âge ? » je secoue la tête
« Non ça va. » je ne suis plus un bébé j’ai quand même sept ans et c’est l’âge de raison, je suis grande maintenant.
2006C’est dimanche, ma mère a cuisiné toute la matinée embaumant la maison du doux parfums de ces succulents plats dont elle a le secret. La table est soigneusement dressée, il est midi passé de trente minutes et toute la famille Manning s’installe a sa place. Le repas dominicale est une tradition à laquelle mes parents tiennent beaucoup. Et ce à quoi ils tiennent tout autant c’est qu’à la fin de celui-ci je joue du piano. J’aime leur faire plaisir, et j’aime beaucoup le piano. Aujourd’hui je suis un peu plus anxieuse que d’habitude parce que je travaille une nouveau morceau, du Mozart, il est difficile et je ne veux pas les décevoir avec des fausses notes, ça gâcherait tout. C’est l’heure du dessert, j’ai les mains de plus en plus moites. Mon frère me regarde avec un air rassurant, il sait que je vais jouer un nouveau morceau et il a confiance en moi, il me l’a dit.
« Ça va aller Cassie » me chuchote t’il en posant une main sur mon épaule. Je mange ma tarte d’une main un peu tremblante et manque de faire tomber ma fourchette à dessert lorsque mon père me demande
« Alors qu’est-ce que tu vas nous jouer aujourd’hui Cassie ? » je lui souris
« C’est une surprise. ». Il hoche la tête
« Nous avons tous hâte d’entendre ça. » il pense m’encourager mais j’ai encore plus de pression maintenant. Le moment à la fois redouté et attendu arrive, je m’installe au piano ouvre la partition à la bonne page et prend une grande inspiration avant de commencer à jouer. Ce n’est pas parfait, je ne le maitrise pas encore mais j’arrive à ne pas me déconcentrer et poursuivre malgré quelques petites erreurs. Je joue les dernières notes et mets quelques secondes avant de regarder en direction de ma famille. Mon frère lève les pouces pour me dire que c’était bien, mon père me sourit
« Bravo Cassie c’était très joli. » de toute façon il va au golf cette après-midi alors il ne s’étend pas dans des grands discours. Ma mère s’approche et pose une main sur mon épaule
« Il y a eu des petites erreurs, mais c’était bien ma chérie. Bientôt tu pourras le jouer à la perfection. » je hoche la tête
« Oui. ». Elle a l’air contente malgré tout, même si c’est difficile d’en être sûre.
2011« On va tout déchirer avec cet exposé ! » je regarde ma camarade de classe avec un sourire, elle a raison on va avoir une excellente note. Le contraire serait totalement exclu me concernant, je veux être la meilleure, je le dois. J’essaye cependant de ne pas être cette fille intello agaçante que le reste des élèves de ma classe ou même du lycée pourraient détester. Tout le monde ici vient d’une famille aisée, c’est un établissement de haut standing mais ça n’empêche pas certains d’être de vrais imbéciles qui se prennent pour des caïds juste pour se donner un genre.
« Après les cours je vais boire un verre avec des amies de la danse, tu veux venir ? » me propose ma binôme du cours de chimie. Je n’ai pas vraiment l’habitude de sortir après les cours, ma mère n’est pas trop pour cette idée, mais nous finissons tôt aujourd’hui et après le travail fourni pour cet exposé je pense que j’ai le droit de m’autoriser ça
« Oui, pourquoi pas. » dis-je avec un hochement de tête. Je ne connais pas ses amies, c’est l’occasion de faire connaissance avec de nouvelles personnes. Est-ce que je fais une erreur ? Peut-être.
Je suis quelqu’un de sociable, polie et bien élevée, je sais me tenir en société. Ainsi, bien que je ne connaisse pas ces jeunes filles assises autour de la table de ce café je ne me sens pas mal à l’aise pour autant, du moins pas jusque ce moment là. Il faut dire qu’elle fait une entrée remarquée, cette jolie brune, avec ses vingt minutes de retard et sa justification fantaisiste
« Il y avait un embouteillage de piétons… » dit-elle en riant avant de saluer l’ensemble de ses amies, et moi, puisque j’ai été invité à leur petite réunion. Ma camarade de classe fait les présentations, je souris, bien plus intimidée que je ne le voudrais. C’est une tornade qui vient d’arriver et en quelques secondes elle a soufflé une première bourrasque sur mon existence sans le vouloir et encore moins le savoir. Une belle complicité unie ces filles, je regarde cela d’un œil un peu extérieur bien qu’elles fassent des efforts pour m’inclure à leurs discussions. Surtout la jolie retardataire, elle s’applique à m’expliquer des petites subtilités de l’activité qui les a réunis à la base : la danse. Elle me traduit quelques plaisanteries qu’elles ont entre elles et son regard clair me trouble comme jamais celui d’une autre fille ne l’a fait. Elle provoque en moi de l’admiration, parce qu’elle est ce que je ne suis pas. Un esprit libre, du haut de ses dix-sept ans j’ai l’impression qu’elle a déjà le monde à ses pieds, que sa vie suit le chemin qu’elle s’est choisi et aucun autre. Je mets mon trouble sur le compte de cette petite fascination que je ressens face à cette personnalité unique.
Les semaines passent et je garde une sensation étrange, ma tête est lourde à force de trop penser. J’ai toujours cette brune en tête, son image provoque le même sentiment chez moi que celui ressenti pour Samuel l’été dernier. Je la trouve aussi belle que je le trouvais beau, et ça me perturbe. Car si il ne m’a jamais été difficile de trouver une autre jeune fille jolie, je ne m’imaginais pas ressentir une véritable attirance pour aucune d’entre elles. Je sais que l’adolescence n’est pas une période facile, que la confusion fait partie de ce qu’il faut traverser pour grandir mais je n’avais jamais pensé que j’aurais à faire face à ce genre de doute là. Pour ne rien arranger à ma situation, je l’ai revu, cette fille aux yeux magnifique et au sourire ravageur. J’ai peur. Peur que ça finisse par se voir, qu’elle me plait… ça serait prendre trop de risque pour juste une passade. Je sais que ça finira par me passer, je l’espère. Ma mère n’avait pas l’air réjouie que je m’entiche de ce garçon l’été dernier, mais si elle a fini par s’y faire en sachant que ce n’était qu’un amour de vacance, concernant cette fille c’est totalement exclu qu’elle l’apprenne. Une relation autre qu’amicale avec une personne du même sexe n’est pas une chose que ma mère tolèrerait, mon père probablement pas non plus, mon frère je n’en sais rien et ma sœur… elle a d’autres choses à se préoccuper que mes états d’âme d’adolescente. Je dois me raisonner. Une femme est faite pour être avec un homme.
Cette fille m’impressionne, c’est tout. Je me répète ça en boucle, assise sur mon lit le regard perdu dans le vague face à la fenêtre. Les bras autour de mes genoux totalement repliée sur moi, et surtout parfaitement paumée. J’ai mal… je ne savais pas que ça pouvait faire aussi mal de passer sous silence des sentiments que je ne devrais même pas ressentir. Parce que maintenant je le sais, toutes ces émotions que je ressens en sa présence ne sont pas juste une passade, un truc que je peux balayer d’un revers de main en me disant que je suis juste une ado un peu paumée. Mais ça fait tâche, ces sentiments, sur l’éclatante blancheur de la fille parfaite que ma mère veut que je sois. Alors j’ai décidé que je ne devais plus la voir, pourtant on s’entend bien, trop peut-être. Ça serait plus facile si j’avais découvert un truc moche chez elle, quelque chose qui me dérange, mais rien. On s’est même vu sans les autres, on parle des heures, je l’écoute surtout et puis elle rit et je suis encore plus perdue. C’est une torture, faut que ça s’arrête.
2013Le secondaire, c’est terminé. Je suis major de la promotion 2013, j’ai le sentiment d’une mission accomplie et le sourire de mes parents me conforte dans cette idée. Ils ont l’air fiers de moi, même si ce sont des mots que je ne dois pas m’attendre à entendre. La route est encore longue vers l’excellence comme dirait ma mère. Néanmoins j’ai réussi à lui faire accepter l’idée de me laisser aller étudier la musique puisqu’être simplement musicienne n’était pas suffisant à ses yeux. C’est une petite victoire que je savoure à sa juste valeur. Tout comme le fait qu’elle ai enfin accepté l’idée que j’ai un copain. Il faut dire qu’il est parfait… il vient d’une famille respectée de la ville, son père est avocat et sa mère dentiste, ils ont une belle maison et c’est jeune homme poli, bien sous tout rapport. Nos familles partagent des valeurs communes notamment du point de vu religieux, comme par exemple d’attendre le mariage avant d’avoir des relations intimes. Mais ça nous ne sommes pas très sûrs de le respecter, c’est tellement vieux jeu. Et puis je l’aime, lui aussi alors qu’est-ce qu’il y aurait de mal à ça ? D’autant plus que nous sommes majeurs tous les deux. C’est le genre de prétexte auquel ma mère ne prête pas vraiment importance, sauf quand il s’agit de me rappeler que j’ai de nouvelles responsabilités qui m’attendent. En gros je suis majeure quand il s’agit de truc chiant, mais dès que ça touche à ma liberté, ma vie privée, ce n’est plus la même chanson. Je crois qu’elle a du mal avec le fait de me voir grandir, je suis la petite dernière et c’est pas toujours facile à endosser comme rôle.
2016« Comptes-tu sortir ainsi ma chérie ? » je regarde ma mère avec un air interrogateur
« Comment ça ? » elle penche légèrement la tête et pince les lèvres pour me signifier que je sais très bien de quoi elle parle, et c’est vrai, je m’en doute. Je soupire
« Qu’est-ce que tu reproche à ma tenue au juste ? » elle m’énerve à m’épier, je n’ai plus quinze ans !
« Le manque de longueur de cette jupe peut-être ? Fais toi une faveur et changes toi Cassiopée. Une réputation se fait très vite mais… » « … il est très difficile de s’en défaire. Je sais. » dis-je avec agacement, c’est une phrase que j’ai entendu des centaines de fois
« Mais elle est très bien cette jupe, c’est pas un truc de pute non plus, tu exagère. » son regard sévère se braque sur moi, elle ne gueule jamais ma mère mais elle sait très bien comment se faire comprendre sans en avoir besoin
« Pardon. » les mots grossiers sont proscrits dans cette maison, et encore plus depuis qu’on y a accueillit sa filleul. Elle a tendance a répéter tout ce qu’elle entend.
« Je n’ai pas l’impression d’être habillée comme une prostituée. » rectifiais-je
« Je suis surprise que tu ai cela dans tes affaires. » son ton pue le reproche et je déteste ça
« On me l’a prêté ! C’est bon je vais me changer, t’as gagné. » j’abandonne, je n’ai pas envie qu’on s’engueule une fois de plus. En ce moment c’est dispute sur dispute, je vis mal qu’à vingt et un ans ma mère soit encore sur mon dos à ce point. Je pensais que l’arrivée de la gamine allait l’occuper, mais elle ne se fait toujours pas à l’idée que je ne suis plus sa petite princesse à qui elle peut dicter sa conduite. Je veux vivre ma vie… et c’est déjà bien assez compliqué comme ça.