l'histoire de ma vie
dancing in the dark
16.00.Sous les pavés, la mer. Sur le visage de Kit ce sourire que lui a donné son père, avec les pommettes qui se dressent et les yeux qui envoûtent. Le soleil croque sa peau, colle le coton de sa chemise contre son dos alors que - d'une main - il essuie les gouttes de sueur qui perlent sur son front. Il a le sourire parce que c'est une bonne journée, parce qu'il a enfin fini ce qu'il a commencé deux ans plus tôt. La fierté des hommes de sa famille colle contre sa peau mâte, et cette aura qu'il dégage fait dresser les sourcils, courbe les hanches des femmes qu'il croise.
Faudrait qu'il soit présentable en rentrant à la maison, que le stylo sur ses doigts, la marque de son travail, s'efface. Maman dis qu'il faut toujours être présentable parce qu'on sait jamais sur qui on va tomber. Le gamin pousse la lourde porte de la maison familiale qui abrite encore la rancœur que se jette ses parents, et s'engouffre à l'abris de ce soleil qui lui fait plisser les yeux et qui colle les vêtements propre. A l'intérieur c'est le froid qui habite, qui prend à la gorge et fait serrer les doigts contre les bras. C'est comme ça depuis longtemps, et le jardin fleuri n'y changera rien. Sous les pavés, la mer. Kit dépose son sac aux pieds du porte manteau où le blouson de papa n'est plus accroché.
Il n'est plus un gamin, il sait ce que les absences veulent dire. Mais dans les yeux de maman il sera toujours un enfant, alors elle cache les secrets sous le tapis. Derrière sa trogne de naïf et ses cheveux brun, il sait que le jardin est fleuri devant la maison pour cacher les ronces qui poussent entre ses parents.
Heureusement il a Simon. Simon est ses lunettes en cul de bouteilles, cet appareil dentaire qui ne s'évade jamais, parce que Simon ne souris plus. La tante Ellen disait toujours,
"c'est toi le plus beau Clarence". Il prenait ça comme une blague sans savoir que ça taillait des cicatrices sur l'âme triste de son cadet. Quand il entre dans le salon il y a la mère, avachie sur le canapé avec une bouteille de blanc sur la table de basse. C'est sa consolation, sa récompense pour supporter son quotidien. Mais elle a la tête dans les mains et la bouteille est vide. Kit s'approche d'elle, à mesure que sa fierté s'évade, comme il le ferait d'un animal que l'on sait peureux ou dangereux, mais quand il entre enfin dans le salon il ne voit que la télévision qui gueule et les images qui défilent.
Sous les pavés, la mer. Sous la tristesse de Simon, la peur et la colère. Dans les images on parle de mort, de quelqu'un qui a appuyé sur la détente pour tuer un gamin. Le visage de Kit se ferme, et maman sur le canapé éclate d'un sanglot qui déchire le ciel. Il a la lumière à tous les étages, Kit, et alors il comprend que c'est le lycée de Simon, et que les traces de cervelle sur les murs ne peuvent appartenir qu'à lui.
Le grand coucou du salon, dernière pièce pouvant témoigner de l'existence de grand-papy, se mets à hurler.
Il est 16h à l'horloge.
14.21.
« Un autre. » Dans le regard que la jeune femme lui lance on peut sentir le dégoût, la lassitude aussi. Kit accroche un sourire usé sur ses lèvres, penche la tête sur le côté et glisse son verre devant la blonde qui le toise.
« S'il vous plait. » Il a gagné les mêmes batailles que sa mère avant lui, s'offre les mêmes récompenses en compagnie d'une bouteille de rouge. Telle mère, tel fils. Les yeux de Kit se ferme, ses mains viennent se refermer contre l'arrête de son nez. 14h21, la gueule avinée de l'homme et les vêtements sales témoignent de ce temps assassin.
C'est dans ce genre de droit que les gens s'accordent enfin le temps de prendre conscience. Alors Kit il fait ce que les gens font, se laisse porter par les verres et les histoires, évoquent son passé avec l'employée comme on le ferait avec ses amis.
Et des histoires tissées, et des verres remplis et vidés, et remplis de nouveau, Kit n'en tire rien d'autre qu'une gueule de travers que l'on fait sortir à coups de pieds au cul.
Il est 14h30 sur la montre de l'homme quand son regard flou croise celui d'un mirage.
Les livres qui ne s'écrivent plus deviennent de mauvais rêves, les histoires tragiques de familles ne sont plus que des souvenirs que l'on tait, la fiancée moqueuse se transforme en poupée de porcelaine que l'on brise. Il n'y a que le visage de la belle de l'autre côté du trottoir et le sourire de Kit, un peu cassé, un peu con.
23.47.Elle est belle tout le temps.
Elle est belle tout le temps mais encore plus quand elle est dans son lit.
Du coin des lèvres il laisse s'échapper la fumée de sa cigarette. Du bout des doigts il tape sur le clavier pour tisser son histoire, à elle, à lui aussi, un peu. L'histoire à la con d'un homme qui redevient heureux pour une femme.
Une photo de Simon traîne sur le coin de son bureau, il est souriant, et Kit aussi, maintenant qu'elle est dans sa vie.
Il écrase la cigarette, glisse ses doigts contre la peau de la belle et s'effondre à ses côtés en lui tirant un soupir endormi.
17.38.« Je t'aime pas tu sais. » Elle enroule une mèche de cheveux contre son doigt, fait tinter sa cuillère contre le bord de la tasse. Personne ne l'aime vraiment, Kit, on l'apprécie puis on le jette. Mais l'homme souris, fait glisser sa main contre la joue glacée de la poupée avant de s'emparer de ses lèvres, avidement, affamé.
« Si, tu m'aimes. » Alors elle affiche un sourire à son tour avant d'arquer un sourcil, de prendre ses affaires qui ont élus domiciles au bas du lit, et de claquer la porte au nez de l'homme sans rien dire. Kit se redresse, s'assombrie, devient aussi triste que les pierres dans le désert qui n'ont plus rien à voir que le sable tout autours.
Holdbroyk n'aura plus de nouvelles, pendant des jours, des semaines. Il se replongera dans l'écriture d'un livre qui ne prends jamais fin parce qu'il écris sur elle et qu'elle n'est jamais là. Et puis elle reviendrai pour une nuit, deux jours, s'amusera de l'homme et lui fera l'amour.