l'histoire de ma vie
« Cet étranger sans nom, sans visage. Oh! Combien je le hais. Et pourtant s’il doit te rendre heureuse. Je n’aurai envers lui nulle pensée haineuse. »
"Seigneur, pourquoi papa est parti ? Il ne m'aime pas ?"
- Quand j'y repense, pas sûr que ça serve à grand chose de prier. Ma mère dit que Dieu entend et apporte ses réponses, mais je finis par croire que ce ne sont que des conneries. En mettant, venant du gars qui a laissé mourir son fils sans broncher, dans d'atroces souffrances, je me demande qu'est-ce que j'ai bien pu espérer.C'était à peine si Caïn rentrait dans le confessionnal étroit de cette église de quartier. Il faut dire qu'à l'époque, cela n'avait pas été prévu pour accueillir un gaillard comme lui, mesurant presque deux mètres, avec une carrure d'athlète et des épaules larges. De l'autre côté de la paroi en bois, percée de motifs, le prêtre ne devait pas vraiment se sentir à l'aise. Puisqu'il déclara maladroitement :
- Quelles que soient les souffrances, et les doutes, Dieu veille sur chacun de nous. Il nous aime.- Sans vouloir être grossier, voilà qui me fait une belle jambe. J'avais besoin de mon père. Et il n'a jamais été là.Il y eut un petit moment de silence. La voix grave de Caïn s'était avérée plus forte que prévue. Le prêtre reprit :
- Et pourtant, vous êtes venu me voir, vous êtes entré dans cette église. Vous savez pourquoi. Vous êtes en colère, vos questions ne trouveront sans doute jamais de réponse, mais vous n'oubliez pas qu'ici, votre foi se renoue. Si vous me parlez, ce n'est pas non plus par hasard. Vous avez un poids sur la conscience. Dieu vous écoute et il vous pardonne.Il y eut un silence pesant, cette fois-ci. Caïn se raidit sur son banc de bois, en fronçant les sourcils. Le prêtre avait mis le doigt là où il le fallait, il se sentait sondé, à découvert. Il regarda le rideau qui le séparait de l'extérieur et songea un instant à quitter le lieu. Les mots sortirent tout seuls.
- J'ai... j'ai commis une terrible erreur... J'ai été père... et je suis parti... moi aussi...
- Pour quelles raisons ?- Je... n'étais pas amoureux... j'étais jeune... j'ai paniqué... J'essaie de recoller les morceaux, mais...- La vie est parcourue d'épreuves et vous ne pouvez pas faire autrement que les affronter, à un moment ou à un autre. Le passé n'est pas ce qui compte. L'important c'est que vous alliez de l'avant et que vous répariez ce qui a été cassé. Dieu n'a jamais encouragé la réussite, ce qui lui importe, c'est l'effort, le travail que vous fournissez. Il ne fera pas revenir votre père, car la réponse n'est plus en lui. Elle est en votre enfant. Chérissez-la, aimez-la. Donnez lui ce que vous n'avez pas eu pour lui éviter de souffrir comme vous.Troublé, Caïn resta muet. Il était touché par les mots du prêtre, plus qu'il ne l'aurait pensé. Tout ce qu'il disait prenait soudainement du sens. Il ne lâcherait rien pour sa fille. Rien... plus jamais. La voix un peu enrouée par l'émotion que cet échange avait suscité, il répondit :
- Merci, mon père.- Allez dans la paix, mon enfant, et n'oubliez pas de prier Dieu pour qu'il pardonne vos blasphèmes.Gallagher se leva et sortit du confessionnal pour se diriger vers la sortie de l'église. Il se sentait apaisé. Déterminé.
***
4 avril 1982 - Cork (Irlande)Les cris se sont calmés et désormais, dans la chambre de la clinique, le silence a repris sa place. Alaina Gallagher le sait, le petit être qu'elle est en train d'allaiter et qui lui pince parfois le sein de façon accidentelle, vient de loin. Elle l'a tant désiré, pendant des mois, des années, même. Quelques heures plus tôt, les sage-femmes l'ont aider à mettre bas. Ce fut une terrible épreuve, car Caïn s'était pris dans son cordon et s'étranglait. Il a fallu l'expertise du médecin pour éviter le pire. Elle leur en est reconnaissante, bien sûr. Mais elle sait que seul Dieu est responsable de ce miracle.
Et pourtant, tout n'a pas été rose. Elle l'a haï, ce petit être qui grandissait en elle. Parce qu'il lui rappelait la peine, la haine et la colère envers son géniteur. Adam Flaherty, tel était son nom. Ils vivaient une romance qu'elle pensait fusionnelle, passionnelle. Un soir, à l'ambassade, là où Alaina travaillait, elle céda aux avances d'Adam. Il était bel homme, elle imaginait faire sa vie avec lui, l'épouser, fonder une famille. Elle le pensait prêt. Et pourtant lorsqu'elle lui apprit qu'elle était enceinte, elle ne vit pas son manque d'enthousiasme. Et alors qu'elle abordait son cinquième mois, il partit, sans rien dire, pour ne plus jamais revenir.
Oh ce qu'elle avait pleuré... ce qu'elle avait hurlé... trahie, salie... punie d'avoir commis le péché de chair. Heureusement que l'église était là, qu'elle lui apporta un soutien moral et qu'elle lui rappela que dans l'épreuve, il fallait être fort. Faire face, se battre et ne pas renoncer. Cela s'appelait la foi. Elle transmettrait cela à son fils. Elle lui avait déjà donné un prénom, en rapport avec l'ancien testament. La belle irlandaise caressa le bracelet où était écrit au stylo bleu : Caïn. Un prénom lourd de sens. Ce n'aurait pas du être celui-ci, jamais. Mais quand le médecin lui annonça qu'elle aurait du avoir deux jumeaux et que l'autre ne s'était pas développé, elle ne se posa aucune question scientifique.
Pour elle, c'était un signe... sa mission serait de faire de son fils un être lumineux. Et de ne jamais lui parler de son père. Jamais parler du passé.
***
"Le plus beau pays du monde, après l'Irlande, c'est la Nouvelle-Zélande".- Nous accueillons aujourd'hui, en ce jour de rentrée, Caïn ! Pourriez-vous nous faire une petite présentation, mon garçon ?Super... ou comment mettre davantage la pression à un gamin timide et mal à l'aise ! Ses joues creuses rougies par la gêne, Caïn se leva et se rendit au tableau, comme l'exigeait son institutrice. Difficile, lorsque l'on a huit ans, de trouver sa place. Un petit regard sur le autres éléves lui indiqua qu'il n'avait pas intérêt à bafouiller. Les enfants sont cruels. En Irlande, ils se moquaient tous de lui parce qu'il n'avait pas de père. Mais ici, personne ne savait pour le moment.
- Je m'appelle Caïn Gallagher. J'ai huit ans et je viens de Cork, en Irlande.- L'Irlande ! Charmant ! Pourriez-vous nous raconter ce que vous y avez vu ? - Euh... oui... Beaucoup de beaux paysages. Non loin de Cork, il y avait une colline depuis laquelle on voyait les prairies. Cela sentait bon l'herbe. Pas loin de la maison où nous habitions avant, nous avions une église, avec de beaux vitraux. Le dimanche, sur la grand place, il y avait le marché aussi...A mesure qu'il parlait, il sentait l'intérêt naître dans l'assistance. Comme si tout le monde se suspendait à ses lèvres pour écouter ce qu'il disait. Cela le toucha, lui qui jusqu'à présent n'avait jamais pu parler sans être la cible des moqueries et des grimaces. Il continua pendant dix bonnes minutes, à parler de son pays natal, avec son accent gaélique, que bientôt plus personne ne remarqua. Et pour la première fois de sa vie, il se sentit bien, à sa place.
- Caïn vous ne répondez pas, d'accord. L'un d'entre vous sait-il quelle est la capitale de l'Irlande ?Petit silence dans la classe. Le jeune garçon avait envie de répondre, mais ça n'était pas du jeu. Il savait forcément puisqu'il y avait vécu. A un moment, un autre garçon leva la main. Il avait quelque chose de... touchant. Une petite frimousse avec de nombreuses tâches de rousseur et des yeux d'un bleu pailleté, qui donnait à son regard une profondeur inégalée.
- Dublin, madame.- Bravo Nolan ! Et vous, Caïn, savez-vous qu'elle est la capitale de la Nouvelle-Zélande.- Oui, madame. Il s'agit de Wellington !
- Magnifique ! Les enfants, ouvrir vos livres de géographie à la page 63. Nous allons étudier l'Europe aujourd'hui !Caïn retourna s'asseoir, sans pouvoir s'empêcher de jeter un oeil à Nolan. Avait-il trouvé un copain ? Son premier dans cette classe ? A cet âge, il ignorait encore qu'il s'agissait d'autre chose. L'innocence, sans doute.
***
"Tu crois que tu m'impressionnes ? Attends un peu, tu vas voir ta tête quand t'auras tout perdu et que je vais ramasser la prime !"- Monsieur Gallagher, votre parcours est impressionnant. Scolarité sans bavure, diplôme de fin d'études obtenu avec les félicitations du jury, lauréat et major de votre promotion en haute école du commerce. Et je n'ai jamais vu une lettre de recommandation aussi enflammée ! - Merci Monsieur Parks. Je me donne toujours les moyens de mes ambitions. Le travail ne me fait pas peur.Le vieil homme s'enfonça un peu plus dans son siège et lui sourit :
- Je vois cela, je vois cela ! Que pensez-vous pouvoir apporter en plus à cette banque ?- Ma principale qualité : la sérénité. Contrairement à d'autres traders, je ne prends pas de risques inconsidérés. Je réfléchis avant d'engager des sommes importantes. M'avoir dans votre équipe c'est l'assurance que vous pouvez dormir sur vos deux oreilles.- Vous me plaisez, M. Gallagher ! Je ne vais pas y aller par quatre chemins. Votre profil m'intéresse fortement, de même que votre expérience. Alors je vous propose d'entrer dans le vif du sujet. A quelle rémunération prétendez-vous ?Caïn respecta quelques secondes de silence, pour faire mine de réfléchir. En réalité, il savait ce qu'il voulait. Et il répondit :
- Quinze pour cent des bénéfices que je vous apporte. Et un intéressement sur les résultats de votre banque.Le vieil homme siffla :
- Nom de Dieu ! Vous avez la folie des grandeurs !- C'est à prendre ou à laisser, Monsieur Parks. Je vous propose une collaboration gagnante, qui va s'avérer extrêmement profitable pour vous, et pour moi. Comme vous le dites, mon parcours parle pour moi. D'autres seront intéressés.
- Du calme, du calme ! Vous êtes un dur en affaires vous ! 5% d'intéressement, cela vous convient ?- Où dois-je signer ?Parks éclata de rire. Ils se serrèrent la main. En sortant du bureau, Caïn dénoua légèrement sa cravate. Il venait de jouer son va-tout et ça avait fonctionné ! Ouf ! Il regarda sa montre. Bon, il fallait qu'il aille chercher Murphy à la sortie de l'école, pour le week-end. Elle avait beau détester ça, il ne pouvait s'en empêcher.
***
"Il en a embrassé un autre. Ca m'a dégouté... mais le pire, c'est que ça profondément blessé"- Il est absolument hors de question que tu fréquentes une minute de plus ce Nolan !- Mais... pourquoi ?Alaina se tenait dans le hall d'entrée. Elle était furieuse. Elle regarda Caïn, avec une telle haine dans les yeux qu'il se demanda si son meilleur ami n'avait pas fait une messe satanique. L'adolescence l'avait fait changer, il avait une silhouette plus rondouillarde et une taille moyenne. Alors que sa mère avait encore maigri et qu'elle était perchée sur ses haut-talons. Sa voix sèche trancha l'air :
- Theresa m'a raconté qu'elle l'avait surpris avec un autre garçon ! Ils... ils... oh Seigneur, quelle horreur ! Ils s'embrassaient !!!- Ils... quoi ??Caïn sentit un coup se porter sur son coeur. Nolan et un autre garçon ? Comme le sang s'écoule d'une entaille, il sentit les larmes lui monter aux yeux. Ils avaient été tellement proches... Le jeune homme se demanda alors ce qu'il lui arrivait, tandis que sa mère continuait :
- Ils se sont embrassés !!! C'est immonde ! Contre-nature ! Je ne veux plus jamais que tu le revoies !- Mais...- Il n'y a pas de mais !!! Oh Sainte Vierge ! N'a-t-il pas dormi dans ta chambre la semaine dernière ?- Euh... si...- Malheur et damnation !!!Elle se précipita vers lui et entreprit de l'examiner comme s'il avait eu une quelconque maladie :
- T'a-t-il touché ? T'a-t-il fait du mal ?- Non... non...En réalité, Nolan avait dormi contre lui et ça ne lui avait pas déplu. Sa mère tapa dans ses mains et comme délirante, elle cria :
- Il faut tout jeter ! Tout !- Mais... jeter quoi ?- Les draps, les pyjamas, tout ce que ce malade a pu toucher !!! Ces... ces... choses ! Elles sont pleines de maladies ! Elles colportent la peste, le choléra... et même le SIDA ! Oh mon dieu ! Venez-nous en aide !Caïn regarda sa mère partir comme une furie vers sa chambre. Il ne savait pas quoi faire. Il était désemparé. Cette histoire le touchait davantage parce que Nolan avait embrassé un autre garçon que parce que sa mère lui interdisait de le revoir. Il déglutit avec difficulté. Ce constat lui laissait une boule dans l'estomac... Il aurait préféré qu'il l'embrasse. Prenant conscience de ce désir, il se rua vers les toilettes pour vomir. Les larmes commencèrent à couler. Il ne voulait pas être un monstre... jamais !
***
"Enceinte... putain... elle est enceinte..."Impossible de fermer l'oeil. Les mots résonnait en boucle dans sa tête : "Caïn, j'ai une bonne nouvelle ! Tu vas bientôt être papa. Je suis enceinte !". Comme la première fois qu'il avait entendu cette phrase, il avait l'impression que le sol se dérobait sous ses pieds. Et sa réponse, maladroite avant déclenché une énorme dispute : "C'est une blague ?". Non... ce n'en était pas une... Il n'arrivait pas y croire. Quelle mouche l'avait piqué ? Il n'était pas capable d'être père, il ne savait même pas ce que c'était ! Il se sentait pris au piège, en proie à une énorme panique. Il se leva du canapé, où il s'était cantonné. De toute façon, la belle Ziegler l'avait assigné sur le sofa, par principe. Elle lui faisait ouvertement la gueule et ça se comprenait. Torse nu, déambulant dans la pièce, il regarda cette fameuse photo prise un an plus tôt à la fête foraine. Jamais il n'avait voulu ça... il s'était mis avec la jeune femme pour construire quelque chose, un couple, ignorant son véritable désir intérieur. Et maintenant, devant le fait accompli, il se sentait mal... sale. Qu'est-ce qui avait bien pu lui traverser l'esprit ? Il passa sa main sur son visage en soupirant.
Et c'est alors que d'une façon très mécanique, comme s'il abandonnait sa raison à son corps, il s'habilla, enfila son t-shirt, mit ses chaussures et se dirigea vers la porte. Non... ne pas partir. Une petite voix essayait de se faire entendre. Il laissa ses autres affaires, son téléphone et ne récupéra que son porte-feuille. Il referma la porte et partit, sans se retourner. Chaque pas éloignait cette prison dans laquel il refusait d'être enfermé. Et sans s'en rendre compte, il devint son père, cette pourriture qui avait gâché son enfance, ce salaud sans sentiment à qui il en voulait énormément. Surtout ne plus jamais se retourner... Il erra pendant plusieurs heures sous une pluie battante, avant de trouver un hôtel où dormir.
***
"C'est ma fille. Et je ne laisserai personne m'en séparer... encore moins un gringalet irresponsable !"- Voici les documents que vous m'avez demandé. Il y a tout, contrat de travail, relevés bancaires, déclarations diverses...- C'est parfait M. Gallagher ! Je vois difficilement ce qui peut vous empêcher de gagner !- J'espère bien. Vu le prix que je vous paie, perdre la procédure n'est pas envisageable.Le ton sec de Caïn claqua comme une gifle. L'avocat se contenta de hocher la tête. Il le savait, son client était exigeant et déterminé. Il n'avait aucun scrupule. C'est ainsi que Gallagher avait embauché deux détectives privés pour enquêter sur Laszlo Ziegler, le peigne-cul qui osait s'interposer entre lui et sa fille. Leur mission : réunir un maximum de preuves compromettantes sur le demi-frère de Murphy.
- Notre dossier est solide. Il n'est peut-être pas utile d'aller plus loin.- Bien sûr que si. Je veux une victoire sans ambiguité. J'aurais la garde de ma fille. Ce ne sera pas discutable et pour cela, je veux Laslzo à terre, en train de ramasser ses dents.- Tout de même ce n'est pas un ring...- Non, c'est une arène. Un combat à mort !L'avocat déglutit avec difficulté. Pile à ce moment là, le téléphone de Caïn sonna. Il décrocha et pendant qu'il discutait, il signa le chèque de 50 000 dollars qu'il lui remit au titre de ses honoraires. Cela suffisait à calmer ses doutes. Il raccrocha, avec un sourire satisfait, comme transformé :
- C'était le tailleur. Il a pu m'obtenir la magnifique robe que j'avais vu l'autre jour ! Ca coutera plus cher car il a du avancer des frais.- Est-ce bien raisonnable ?- Pour mon trésor, oui. Elle va l'adorer !Dans la tête de son interlocuteur circulait l'idée que l'on attrapait pas un enfant avec des cadeaux mirobolants. Et ce rapport désastreux que Caïn avait avec sa fille n'était pas fait pour jouer en sa faveur. Or, c'était typiquement le genre de choses que le Juge risquait de prendre en considération, avant même le fait que Gallagher soit plein aux as. L'avocat en était persuadé. Ce qu'il fallait au père et à la fille, c'était un conseiller familial... et un coach, surtout pour Caïn. Parce que franchement, de ce qu'il en voyait, il était un bien mauvais père ! Pas faute pourtant de le voir essayer et persister.
***
"Je t'ai dit de passer par le jardin ! Pas par la porte d'entrée ! Et d'attendre que la nuit soit tombée ! C'est quand même pas trop demandé, si ?"S'il y avait bien une rencontre qui l'avait remué, c'était celle avec Kenny Mathisson. Ils s'étaient rencontrés par le plus pur des hasards. Le jeune homme avait été envoyé pour s'occuper de son cas, après qu'il ait été cambriolé. Pour qu'un type de la Crim s'occupe de son affaire, c'est que la police devat manquer de bras ! Caïn s'était senti mal à l'aise dès qu'il l'avait vu. Il avait eu chaud, plus que d'ordinaire... A tel point qu'à la fin, sa main en était moite. Tout chez Kenny éveillait ses sens. Son regard, surligné par ses sourcils épais. Ce profil... cette barbe faussement sauvage, entretenue. Il avait aimé sa voix, sa présence. Mais pas question de le montrer en public, devant les collègues du policier.
Un soir, alors que Murphy dormait chez des amies, il le recontacta pour lui proposer de passer, afin de discuter de l'enquête au tour d'un verre. Sauf qu'emmagasiner autant de frustration, ça n'est pas bon pour le self-control. La rencontre a dérapé. Et depuis, Caïn et Kenny se voyait en catimini pour passer du bon temps ensemble. Personne n'est au courant et Gallagher avait fixé ses règles. Ce matin, il était 5 heures. Il posa sa main sur les fesses du policier et le secoua légèrement.
- C'est l'heure. N'oublie pas tes affaires.Dehors, il faisait nuit noire. Kenny avait fini par s'habituer à cette façon d'être réveillé. Caïn se leva pour s'approcher de la fenêtre afin de surveiller que tout le monde dormait dans le voisinage. Et il aimait aussi savoir que le brun se rinçait l'oeil sur sa nudité. Sans le regarder, comme impassible, il lui dit :
- Dépêche-toi.Il était nerveux... comme toujours.
***
"J'aimerais lui dire que je suis fier d'elle."Seigneur... Tu ne m'as pas beaucoup aidé et je ne saisis toujours pas pourquoi.
Est-ce que je paie pour mon père ? Est-ce que je paie pour ma déviance ?
On arrête pas de dire que tu es censé aimer tout le monde. Je n'ai pas choisi d'être abandonné... ni d'avoir ce... vice... certains l'appellent le vice français.
Aujourd'hui, je n'ai que toi. Maman est partie, tu l'as probablement croisée là-haut. Est-ce que toi aussi tu vas me rejeter ?
Je ne te demande pas la lune... J'ai fait une énorme erreur en abandonnant Murphy et je m'en veux terriblement. Mais j'aimerais que tu m'aides. Que tu me guides pour être un bon père. Je sens qu'elle n'a pas confiance... que quelque chose est cassé...
A chaque fois que je la vois, je me sens fier. J'adore sa façon de râler... ce regard noir qu'elle m'adresse me heurte... J'ai besoin de toi... Je ne peux pas la perdre. Tu sais que je ne m'en remettrais pas.
Toute cette vie, tout ça, ça ne sert finalement pas à grand chose. L'image qui me reste, tous les jours, celle qui me fait me lever le matin et qui donne le goût des belles choses, c'est ce sourire innocent.
Elle avait huit ans. Elle était avec sa mère lorsque nous nous sommes croisés, par hasard. Elle avait ce regard ouvert et curieux, le même que le mien quand j'ai débarqué ici. L'envie de découvrir le monde.
Et ce petit sourire innocent, cette chevelure blonde...
Je ne sais pas comment j'ai pu lui faire vivre tout ça... et je te demande de me pardonner...
Je... j'essaie de bien faire... pour réparer mon erreur. Alors, s'il te plait, soutiens-moi.
Amen.