l'histoire de ma vie
Tu ne peux faire croire à toi-même que ce dont les autres sont persuadés
A toi, j’ai appris que tu t’appelais Sony…
Je ne sais pas par où commencer. J’ai essayé de te sauver un soir, une nuit plutôt, mais tout était déjà fini et au final, je le sais. Puisque je sais tout de toi, en tout cas, ce moment précis de ta vie, au final le plus important, je crois qu’il est tout aussi important que je me présente à toi. Et si je devais t’écrire, une lettre, elle serait celle-ci. Laisse-moi me pésenter…
Mes origines ? Compliquées. Floues. Comme tout le reste de ma vie. 37 années de flou, et bien plus encore. Mais je sais quelques trucs, grâce à mon dossier des services à l’enfance, qui m’eut été confié le jour de mes 18 ans. Bienvenue dans la vie d’adulte, libérez les lieux, et bon courage. Orpheline, voilà tout ce que je sais de moi-même au moment où je passe le portail de cet établissement. C’est le cas depuis mes 6 mois, pas de quoi me chambouler sur le fond. Mais sur la forme… Je me souviens du moment où je me suis assise sur ce banc, sur cette petite place, juste en face de la fontaine, pour plonger dans mon passé, un passé que j’ai ignoré jusqu’à devenir majeure. D’où je viens ?
Ces quelques pages, abrités par une pochette de papier cartonné, me donnent la réponse. Père : italien. Mère : allemande. Raison de leur couple ? Aucune indication à ce sujet, encore moins sur leur rencontre. Ce que je sais par contre, c’est que mon père était loin d’être un ange. Digne hérité de la mafia napolitaine. Je suis donc un rebut de la mafia ? Je ne comprends pas… je parcours les pages, le casier judiciaire de mon paternel ferait rêver n’importe quel débutant. Je dois lui tirer mon chapeau, et une certaine fierté s’insinue en moi, comme si le mal faisait déjà parti de mes gênes. Toujours est-il que je ne connais rien à tout ça, et que je n’ai jamais même eu l’idée de rejoindre les rangs de quelconque association de malfaiteurs que ce soit. En ce qui concerne ma mère, ce n’est pas bien plus reluisant. Plutôt agitée la jeune femme. Ils ont fini par se rencontrer, c’est ce que ma condition humaine me dit de plus logique, sinon je ne serais pas là. Mais à en croire les articles parus dans de vieux journaux, joints au dossier, je serais finalement le fruit d’un truc à la Bonnie&Clyde. Sexy… mais ça ne m’avance pas des masses. Ils auraient fini par se faire descendre par la mafia italienne, du côté de Venise cette fois-ci. C’est romantique pour mourir… ça pourrait sans doute expliquer mon goût pour le morbide parfois, et cette attirance que j’éprouve pour les choses un peu tordues, et peu conventionnelles. Ce goût que je peux avoir pour les armes, ou pour la violence. Quand j’en fais preuve ou quand j’en suis victime. Je ne sais pas.
J’ai 18 ans, je suis adulte, et je dois commencer ma vie. Par où commencer ? Où se rendre ? J’ai enchainé les petits boulots dont j’été pourtant plutôt fière au début. Ça ne me permettait pas de vivre décemment mais au moins, j’avais la satisfaction d’être libre, de n’être plus pupille de l’Etat. Toujours est-il qu’il me reste quoi en Italie ? Pas grand-chose. Ayant assez d’argent pour me prendre un seul et unique billet d’avion, sans retour, un aller-simple, c’est au bout du monde que je décide de me construire. Direction la Nouvelle Zélande, avec deux ou trois potes rencontrés dans un des bars dans lesquels je faisais la plonge. Profitant au passage des concerts qui s’y jouaient et de la vodka à l’œil qu’on piquait quand le patron partait fumer sa clope. Je ne parlais pas un mot d’anglais, j’aurais dû y penser ça, avant de jouer les grandes ! Et puis un jour on se rend compte, même assez vite d’ailleurs, que le sexe est une langue et une monnaie universelle. Au début, j’y prenais goût parce qu’on me regardait, de parfaits inconnus dans le regard desquels je me sentais désirée, mise en valeur. Ensuite, je me suis aussi rendue compte que ça me permettait de dormir sous un vrai toit, de gagner un peu d’argent puisque j’avais le don pour choisir ceux avec le plus de contacts, et qu’il m’arrivait parfois d’en tirer quelques cadeaux. L’honneur dans tout ça ? Tu parles, l’honneur, ça fait un moment qu’il est derrière moi et que je m’assois dessus ! Ca a duré une dizaine d’années, cette quête du désir, du regard de l’autre sur soi-même, mais bizarrement, les sentiments… Jamais de mon côté. Je n’avais pas mal quand une histoire se terminait, c’était la fin d’une chose, le commencement d’une autre, rien de grave en soit. Pas de racines, je n’en n’ai jamais eu, comment j’aurais pu en manquer ? La seule chose dont j’étais sûre, c’était de vouloir vivre la nuit.
C’est là que les déboires ont commencés. Un monde de requin, même pour une femme, et surtout pour une femme en fait. Les gens la nuit sont différents de ce qu’ils sont le jour. Il y a la passion, les regards, les caractères désinhibés au possible. Les sentiments, encore une fois au placard, je prenais le parti de prendre ce qui me convenait et de laisser le reste à l’oubli de la nuit. Le lendemain matin, j’étais une autre, une personne lambda, sans doute un peu jolie mais sans rien de sensationnel. Et puis j’ai fini par me faire repérer par quelques hommes, bien plus âgés, j’avais tout juste 20 ans, des photos, du mannequinat et des promesses, beaucoup de promesses. Si je n’avais touché à rien de plus qu’un verre de whisky par-ci par-là, j’ai fini par suivre le mouvement de toutes les autres, et tomber dans les excès. Pas de risque d’excès de sexe, c’était déjà le cas, mais la coke, tout ça, je me suis vite prise au jeu. On se sent tellement vivants à 20 ans ! J’ai tout fait, tout vu, tout entendu et surtout tout subit. Malheureusement. Difficile de mettre une limite entre l’abus et le désir. J’ignore si j’avais vraiment envie de ces photographes qui profitaient de ce que je leur donnais sans trop rechigner, ou si j’agissais par complaisance, mais en tout cas, j’agissais. Ma vie ne fut qu’une série d’excès dont je me souviens à peine la saveur aujourd’hui, mais j’ai fini par me réveiller… brutalement.
Overdose. 25 ans.
Je me réveille un matin… Enfin non, je ne me réveille pas justement et c’est bien là le plus gros du souci. Mon plan cul d’hier soir est resté dormir, malgré mes recommandations et je ne bouge plus. Il appelle le SAMU, me voilà embarquée pour les urgences. Verdict ? Came mal recoupée. Les enfoirés. Je leur avais pourtant toujours acheté en masse, de la qualité, et quand j’ai commencé à devenir un peu chiante par manque d’argent, ils ont dû me refiler du second choix. Se défoncer discount, ça peut coûter la vie.
Une cure plus tard, n’ayant pas eu le moindre choix, je me retrouve au point de départ… Désintoxiquée ? Peut-être. Mais toujours dopée à l’effet de fête. Je dois me trouver un boulot stable, une situation, mais pas renoncer à la seule chose qui ait encore un peu d’impact sur moi. La nuit. C’est tout naturellement que je me suis dirigée vers un établissement de nuit. J’ai pensé au fait que les boites de strip rapportent un peu plus… mais je me suis rendue compte que si le business n’était pas tenu, ça finirait vite en réseau de prostitution. Et un matin je me suis réveillée, deux ans plus tard, à l’aube de mes 27 ans, avec un flash. J’allais racheter un établissement, un établissement clean, y mettre des filles, de l’alcool, et une réputation. Les affaires, j’ai toujours eu ça dans le sang. Et plus personne n’aurait l’ascendant sur moi. Je l’aurais sur moi-même. Et voilà 10 ans à présent que je fais tourner mon propre business, devenue une vraie institution, une réputation sulfureuse, néanmoins clean, en ce qui concerne la gestion, parce que la patronne…
Ça t’aide Sony ? Pas vraiment hein ? Et ben figure-toi que moi non plus, ça ne m’aide pas à comprendre ton geste, pas plus que je ne comprenais les miens.