mentir. dissimuler. échec. [cassie / noemi / eleanor]

Les pleurs de la petite fille m’aide à m’enfuir de la situation, vraiment dérangeante, et surtout, déstabilisante. J’ai l’impression qu’on m’arrache le coeur, et la décision de démissionner s’est prise à la va-vite, sans vraiment réfléchir aux conséquences, et au fond de moi, c’est la troisième guerre mondiale des sentiments. Partagée entre l’amour que je porte à cette femme, l’amour que je porte à ma liberté, mais la peur irrépressible d’être en train de gâcher la vie de Cassiopée, que je me sens vraiment mal. Et pour preuve, quand j’arrive dans la chambre de la petite fille, je n’arrive même pas à retenir mes larmes. Je respire un bon coup pour me calmer, et ouvre la porte au bout de trente sept secondes, m’approchant de son petit lit où elle se tient assise. Je m’assois à ses côtés, et la prend un peu contre moi, pour la serrer très fort. Sa douceur et son innocence me fait du bien, et son odeur de bébé tout propre aussi. La petite fille pose sa main sur ma joue, et prononce quelques mots de sa voix roque encore endormie. « T’es triste Nono ? » Me revoilà partie de plus belle, mais avec le sourire, et cette fois car je suis émue par ce que me dit la petite fille. Je la serre un petit peu contre moi, et secoue la tête en m’essuyant la joue. « Non, je me suis fait bobo ! » Je ris un peu, et le rire enivrant de la petite fille retentit déjà dans la pièce, me décrochant un léger sourire tandis que je me lève pour ouvrir ses volets. Elle saute hors du lit, et je l’attrape par la main pour partir changer sa couche, que nous lui mettons encore quand elle dort. On ne sait jamais, elle est encore jeune et elle se sent plus rassurée comme ça. Nous ne tardons pas ensuite à nous mettre par terre pour jouer un peu, très calmement, et nous restons là plusieurs minutes, peut-être une trentaine. C’est un véritable échappatoire cette gosse, un vrai petit ange. J’arrive à ne plus trop penser, mais quand la porte s’ouvre, je sursaute d’un coup en me retournant. « Mon coeur, tu veux bien jouer toute seule quelques minutes le temps que je parle avec Noemi ? » Je me lève en tremblant quand elle me fait signe, et Maïly s’approche une dernière fois de moi pour me faire un câlin. Je vais la bouffer toute crue. Nous nous éloignons un peu, et Eleanor m’entraine vers sa chambre. Une fois la porte fermée, je tremble encore plus, capable de me mettre à pleurer d’une seconde à l’autre. Je ne me suis jamais sentie comme ça, aussi minable. Alors quand la rousse lâche totalement prise, je l’accompagne à mon tour, incapable de me retenir plus longtemps.« J’ai tout foutu en l’air, je suis une bonne à rien… » Je secoue un peu la tête, et elle s’approche légèrement de moi, cherchant mon étreinte. Je ne peux me retenir, et je fond littéralement sur elle, en calant ma tête dans son cou pour me calmer. « Me laisse pas je t’en prie, je tiendrai pas sans toi, tu peux pas partir. Noemi s’il te plait… me laisse pas. » Je relève vivement la tête, j’avais complètement oublié la situation, et me voilà déjà reculant de trois pas pour me défaire d’Eleanor. Je m’approche de la fenêtre pour regarder au loin, cherchant un point qui m’aidera à penser convenablement. « Je ne peux pas rester je… » Ma voix tremble, mais je continue. « Je suis en train de détruite ta famille, je ne veux pas faire ça, tu as encore une longue vie qui t’attends et… je ne veux pas que… » Je ne veux pas la perdre. C’est encore impossible pour moi, et pourtant, quand je me retourne contre elle, je dis complètement l’inverse. « Je ne peux pas en faire partie je… c’est impossible, j’ai trop mal déjà, c’est quoi la suite ? » Ma respiration s’accélère, sous le poids de l’angoisse. « Je t’aime. Je t’aime sans doute beaucoup trop, et c’est en train de détruire ta vie. Je suis désolée… » Je déglutis, et m’assois sur son lit pour éviter de tomber à cause de l’angoisse.

J’ai besoin de retrouver Noemi, de parler avec elle de sa décision prise sur un coup de tête. Je ne veux pas qu’elle s’en aille, j’ai besoin d’elle au moins autant que Maïly, si ce n’est plus. Il m’est désormais impossible d’imaginer mon quotidien sans la présence de la jeune femme, alors il n’est pas question qu’elle s’en aille, qu’elle démissionne, déménage. Cette simple idée me donne la nausée. Je ne peux plus retenir mes émotions et déjà je fonds sur elle, laissant les larmes dévaler mes joues sans arriver à les retenir. L’étreinte de Noemi me rassure, au moins un peu, je me dis qu’elle a sûrement dit ça sur le coup de la colère, de l’émotion, mais qu’elle n’était pas sérieuse. Je la supplie alors de ne surtout pas me laisser, et déjà mes mains agrippent le tissus de son t-shirt, comme un enfant apeuré qui s’accroche à ce qu’il peut. Mais à mes mots, la jeune femme s’éloigne rapidement, créant en moi un vide. Je suffoque, je ne vois plus clair, et mon coeur tambourine dans ma poitrine au point de me faire tourner la tête. Noemi recule et finit par s’accouder à la fenêtre alors que je suis paralysée au milieu de la pièce, incapable de respirer convenablement. « Je ne peux pas rester je… Je suis en train de détruite ta famille, je ne veux pas faire ça, tu as encore une longue vie qui t’attends et… je ne veux pas que… » Je ferme les yeux à l’entente de ses mots. Non, je n’ai pas une longue vie qui m’attend. Et les derniers mois qu’il me reste, je voudrais seulement les passer avec elle, égoïstement. Je l’entends bouger et réouvre les yeux, elle se retourne pour me regarder. « Je ne peux pas en faire partie je… c’est impossible, j’ai trop mal déjà, c’est quoi la suite ? » Incapable de sortir un son, je me contente de garder mon regard trouble dans le sien. « Je t’aime. Je t’aime sans doute beaucoup trop, et c’est en train de détruire ta vie. Je suis désolée… » Je m’efforce de fermer les yeux une nouvelle fois pour ne pas sentir le poids de la colère qui est en train de me ronger. Mais c’est trop tard. Je me retourne alors vers elle pour la regarder alors qu’elle a pris place sur le lit. Je tremble, j’ai envie de vomir. « Alors c’est ça ? Tu as tout fait pour que je te tombe dans les bras et maintenant que je suis folle de toi tu t’en vas sans demander ton reste ? » Je secoue la tête, dégoûtée de la tournure des choses. « C’est pas ton amour qui est en train de détruire ma vie Noemi. C’est ta connerie ! » Jamais je n’ai parlé de cette manière là, mais j’en ai marre de la bienséance. « Comment tu peux tout bouleverser et vouloir partir comme ça à la première difficulté ? Je te croyais plus forte que ça, je croyais que… » Je ressens quelque chose de bizarre, une sorte de sensation désagréable qui me glace le sang, hypnotisant mon cerveau l’espace de quelques secondes. Puis ma tête se met à tourner et je tombe sur le sol, littéralement.

J’ai l’impression que je suis en train de jouer ma vie, et je me sens terriblement mal. Je culpabilise, je suis perdue, je ne sais pas quoi faire. Quand la rousse vient me chercher dans la chambre de la petite fille, j’ai peur, et je m’oblige à la suivre pour ne pas perturber Maïly. Nous nous enfermons dans sa chambre, et quand elle vient chercher la chaleur de mes bras, je la laisse faire. J’enroule mes bras autours de son corps, mes larmes accompagnant les siennes, et nous restons là quelques minutes l’une contre l’autre, ma tête dans son cou pour le calmer. J’ai envie de lui fondre sur les lèvres, de m’assurer que ce n’est pas terminé, et pourtant, quand elle me demande, me supplie de ne pas partir, je m’éloigne vers la fenêtre. J’ai peur, et je vais sans doute regretter ce que je m’apprête à dire. Tout est compliqué dans ma tête, et je lui explique que je ne peux pas rester. La voix tremblante, les larmes encore au coin des yeux, je lui explique mon ressenti, je suis en train de détruire sa famille, elle a une longue vie encore, mais avant tout j’ai mal. C’est la première fois que je ressens une chose pareille pour quelqu’un, et je suis complètement effrayée, j’ai l’impression de détruire sa vie, ce qu’elle a construit à cause de mon amour envers elle. Je n’arrive plus à tenir debout, et je pars m’asseoir sur le lit, les membres tremblants. Quand la juge se retourne vers moi, je peux lire dans ses yeux ce que je n’aurais jamais aimé voir. La trahison certainement. « Alors c’est ça ? Tu as tout fait pour que je te tombe dans les bras et maintenant que je suis folle de toi tu t’en vas sans demander ton reste ? » Je secoue vivement la tête, non, c’est pas ça, ça n’a rien à voir. C’est la version de Cassiopée, je ne veux pas qu’elle pense ça de moi, surtout pas. Et pourtant, c’est peut-être ce que je suis finalement. « C’est pas ton amour qui est en train de détruire ma vie Noemi. C’est ta connerie ! » Je sursaute sous le poids de ses mots, et je déglutis, me rendant peu à peu compte de ce que je suis en train de faire. De ce que je lui ai dit. « Norah non je… » Mais si. Elle a raison. Mais comment sommes-nous censés réagir dans un moment pareil ? Il ne s’agit pas que de nous, mais aussi de sa famille, de son mariage, de ses enfants. Je n’arrive pas à être égoïste, j’ai trop peur que ça me retombe dessus. « Comment tu peux tout bouleverser et vouloir partir comme ça à la première difficulté ? Je te croyais plus forte que ça, je croyais que… » Je relève les yeux vers elle pour assimiler ses paroles, mais je n’ai pas le temps d’en dire plus que déjà, Eleanor tombe sur le sol. J’écarquille les yeux, et en l’espace d’une seconde, les larmes inondent déjà mes joues tandis que je me lève pour la rejoindre. J’attrape son poignet, vérifiant son pouls, me penche un peu pour écouter sa respiration. « Eleanor… Eleanor non… » Je tremble, et je ne sais pas quoi faire, j’ai juste envie qu’elle revienne, comme à chaque fois, mais ça semble différent aujourd’hui, elle ne revient pas et ses yeux restent clôt. « CASSIOPÉE !!!! » Je hurle, en espérant qu’elle m’entende. En attendant, je place sa mère sur le côté dans la position que j’ai appris lors d’un stage de premier secours, et attrape rapidement mon téléphone pour taper le numéro des premiers secours. C’est un cauchemar, c’est de ma faute. C’est que de ma faute.

Je ne comprends rien à ce qu’il m’arrive, l’adrénaline est montée d’un coup, sans doute le trop plein d’émotions. J’aurai sans doute pu perdre connaissance de la même manière la première fois que j’ai offert mon corps à la jeune femme, mais il faut croire que mon corps et mon cerveau ont décidé de choisir un moment encore plus difficile. Je m’emporte contre la jeune femme, parce que je ne supporte pas qu’elle puisse vouloir m’abandonner, parce que oui, je prends ça comme un abandon. Je suis hors de moi, et si avant j’avais toujours réussi à me contenir, garder mon calme, aujourd’hui tout est différent, elle a réussi à me faire ouvrir des vannes que je n’aurai jamais pensé qui puissent être ouvertes. Je me sens aujourd’hui plus en accord avec moi-même, mais l’idée qu’elle puisse partir, me laisser seule avec ma vie d’avant, ma vie de femme malheureuse, je ne le supporte pas. Et d’ailleurs, mon cerveau non plus puisque je ne tarde pas à perdre le contrôle de mon corps, ce dernier se retrouvant bien vite jonchant le sol de ma chambre. Je n’entends pas Noemi m’appeler, ou appeler ma fille. Tout est noir, je suis totalement inconsciente. Il me faut un certain temps pour refaire surface et lorsque c’est le cas, je comprends que Noemi est au téléphone avec les secours. Je secoue un peu la tête et tends mon bras que je sens affreusement lourd, pour la forcer à raccrocher. Ce qu’elle fait. Je crois que je ne suis plus très loin de lui dire la vérité, mais je suis sûrement beaucoup trop faible pour faire ça maintenant. Je la laisse serrer ma main et je soupire un peu. Je l’entends vaguement me dire que je lui ai fait peur, je m’en doute. Je crois que je suis trop vieille pour toutes ces conneries. J’ai cru que je retrouvais mes vingt ans, mais de toute évidence mon corps est en train de me faire comprendre que je suis une vieille peau de cinquante balais bien tassés. « Aide-moi à m’allonger dans mon lit s’il te plait. » Elle m’aide alors à me lever, doucement, me soutenant parce que je suis encore bien faible. Je m’allonge sur le lit et soupire un peu, passant mes mains sur mon visage. « Tu veux bien rester un peu ? » Je tends la main pour attraper la sienne, glissant mes doigts au préalable sur son bras. Je me décale pour qu’elle puisse prendre place près de moi. Je ne sais pas ce qu’il adviendra de nous, de sa décision, mais j’ai juste besoin de m’endormir alors qu’elle est là, avec l’illusion qu’elle ne s’envolera pas, même si je sais au fond que ce sera le cas.

fin