(f/pris) ○ lily collins

La foule est en délire. Au premier rang, je vois les yeux bleus de la petite perle qui me suit depuis trois mois déjà. C'est une fille à papa, une petite riche qui n'a que faire de l'argent perdu pour suivre les R.E.D. en tournée. Pourtant, elle n'a jamais osé franchir les portes du backstage. Je sais qu'Eagle lui a fait signe de venir avant le concert de ce soir. Il m'a raconté qu'elle a rougi à s'en éclater le visage. Elle est mignonne dans son genre. Même si j'avoue qu'elle me déconcentre un peu. Elle n'a d'yeux que pour moi. Elle pourrait remarquer la moindre de mes fausses notes si elle ne semblait pas si obnubilée par ma personne. Pourtant, je garde mes distances avec elle. Les groupies, ça commence à me connaître. J'aime jouer de la musique, j'adore chanter au micro, j'aime les fans qui crient nos noms. Mais je me méfie des femmes. Elles attirent les problèmes. J'ai bien vu comment Eagle et Dove se prennent la tête entre chaque concert. Le bus de tournée est un véritable festival d'insultes grâce à eux. Des "Dove tu exagères" par-ci, des "Eagle, sale enfoiré!" par là. J'en reviens toujours pas qu'ils aient accepté qu'on prenne ces noms de scène d'ailleurs. Mais les fans semblent adorer cela. Raven Eagle Dove. Et en raccourci: RED. Chaque fan exprime sa préférence pour son artiste préféré en agitant des drapeaux avec l'oiseau qui le représente. L'aigle est certes plus majestueux que le corbeau mais j'ai l'âme d'un de ces oiseaux noirs. Déjà de par ma chevelure je suis plus sombre que les deux autres qui m'accompagnent et en plus... j'ai toujours trouvé un certain charme à ces bêtes qui semblent surveiller les cadavres. On se ressemble elles et moi. Nous avons un côté sinistre mais luisant de par nos plumes noires. Le concert est fini et Eagle me prend dans ses bras. Nous avons fait salle comble apparemment et nous sommes en bénéfice. 4152$ pour cette soirée. C'est pas énorme mais cela comble les pertes d'autres bars où moins de gens étaient venus. Nous allons bientôt partir jouer en Grande-Bretagne, c'est pour le mois prochain. Et ensuite... l'Irlande. Mon coeur se serre à cette pensée. C'est là qu'à l'âge de 18 ans j'ai découvert la musique. J'avais honte de rentrer en Nouvelle-Zélande. Maman m'attendait et je savais qu'elle voudrait tout connaître de ma rencontre avec mon père. Mais loin de moi l'envie d'en parler, j'avais besoin de temps. J'ai donc pris une chambre dans une auberge de jeunesse. Juste pour quelques jours, pour me remettre du choc ressenti. Et dans un pub, un gars jouait de la guitare. J'étais sous le charme de ses notes, de cette ambiance. C'était ma seule passion: la musique. Mais je n'avais jamais envisagé d'en faire en public. Je jouais pour moi, dans ma chambre, quand j'étais en colère le plus souvent. A la fin de la soirée, le chanteur avait demandé si des gens dans le pub voulaient s'essayer à jouer avec lui. J'avais bu un peu et il y avait une fille qui me dévisageait au bar. Probablement pour faire bonne impression, je me suis levé et j'ai rejoint le type. C'était une des meilleures soirées de ma vie. J'étais tellement abattu par cette rencontre avec mon paternel que j'avais besoin d'extérioriser ça. Et là, dans l'intimité de ce petit pub irlandais, j'ai laissé aller toute ma rage. Le gars m'a demandé d'où je venais ensuite. On a causé quelques minutes et sans trop savoir comment, j'ai accepté de revenir jouer avec lui le lendemain. Les jours se sont transformés en semaines et ce n'est qu'au bout de sept mois que je suis rentré à Wellington. Avec dans mes bagages un tout nouveau rêve. La guitare elle ne me décevrait pas. Parce que la guitare elle, elle m'aimait. C'était comme une évidence. La musique m'avait choisi au moment où mon père me reniait. Et retourner en Irlande bientôt, cela a un goût de rêve. Car ce n'est plus la patrie du bâtard qui m'a abandonné mais celle d'où est née ma musique. C'est celle qui m'a donné vie. "Birdie est là." Soudain, je refais surface. Je m'étais plongé dans le vert de mon pays natal mais voilà que Dove me regarde avec cet air entendu. Mon visage doit montrer mon incompréhension car elle répète. "Birdie est là. Ton petit oisillon qui te suit partout. Elle a enfin osé venir et elle demande à te voir." Le sourire de Dove en dit long sur ce qu'elle pense qui va arriver. Mais je ne suis pas ce genre d'hommes. Oui, j'ai couché avec quelques unes de mes fans, parce qu'après tout, je demeure un homme. Mais je ne les chasse pas. Et cette fille qui me suivait partout depuis près de trois mois, elle me faisait un peu peur. Elle était clairement plus jeune que moi. Son regard semblait voir à travers mon âme, comme si lorsque je chantais, elle faisait fusion avec ma personne. Et je déteste ça. Je déteste que quelqu'un me comprenne. Parce que du coup, je sais qu'elle voit qui je suis, qu'elle sait un peu trop de choses sur moi. Pour les autres fans, je ne suis qu'un mec plutôt pas mal pour son âge, qui chante bien. Je suis un fantasme: le chanteur avec qui on a envie de faire des galipettes dans les coulisses. Mais elle... elle a l'air différente. Elle entre dans la pièce avant même que j'aie pu dire à Dove de l'inviter à l'intérieur. La petite est toute rouge et je vois qu'elle est sur le point de s'évanouir tant la pression est à son comble. Puis là, elle fait quelque chose de tout à fait inattendu: elle me prend dans ses bras. Comme si on se connaissait depuis toujours. L'énergie entre nous est bizarre. Elle me regarde avec ses grands yeux que je connais très bien maintenant et soudain je reconnais mon sourire dans le sien. Je m'écarte, effrayé de ce que je pense comprendre. «  Bonjour Isaac, je m'appelle Eanna. » Cet accent ne trompe personne. Elle est irlandaise. Elle est bien plus jeune que moi. C'est la fille que j'ai vue sur le pas de la porte des années plus tôt. Sa fille. «  Je suis... » Je pose un index sur ses lèvres pour l'interrompre. Je sais qui elle est. Mais je ne veux pas que les autres sachent eux aussi. On s'isole tous les deux. Je comprends enfin pourquoi malgré sa grande beauté, je n'ai jamais été attiré par elle. Une nuit ne suffit pas pour que l'on se parle de nous. Et pourtant nous essayons. Parce qu'elle a soif de connaître son sang tout comme moi à son âge. Elle était venue me voir quand j'étais en Irlande. Sa soeur aînée m'avait suivi quand j'avais quitté la maison de leur père et par la suite, elle avait emmené Eanna avec elle à une de mes représentations ultérieures. Ces soeurs que je ne connais pas mais qui m'ont suivi sans que je ne le sache, cela me bouleverse. Eanna... son prénom en gaélique se traduit par "oiseau". Cette coïncidence est trop forte que pour être sans relief. Nous sommes liés elle et moi. Maman est morte il y a deux ans, je me croyais seul au monde. Et voilà que j'ai une demi-soeur. Une demi-soeur qui ne veut pas me fermer la porte au nez. Non, une demi-soeur qui est prête à me suivre partout tant le lien qui nous unit semble fort et mystérieux.