Burning like smoke and fire (feat Aaron)

Un bruit strident et désagréable me tire de mon profond sommeil. Je sors difficilement mon bras de sous la couette et cherche en tâtonnant le bouton stop du réveil. Une fois coupé, mon bras retombe moelleusement et je pousse un profond soupir, la tête enfoui dans l'oreiller. Il est à peine cinq heures du matin, mais le travail n'attend pas. Enfin, surtout les chevaux. Je quitte mon lit et rejoins ma grand-mère qui s'affaire déjà dans la cuisine. Je dépose un baiser sur sa joue et me sert une tasse de café. Bien noir, bien serré. C'est ce qui me permet de tenir sans piquer un somme en plein milieu de l'après midi. Pour le reste de ce début de matinée, c'est la même routine. Nous avons le même sujet de discussion avec ma grand-mère, soit l'équitation, le ranch, les chevaux de manière plus générale, ensuite je remonte pour me préparer, je croise mes sœurs à tour de rôle qui se lèvent pour le lycée ou l'université et enfin, je quitte la villa pour rejoindre mon lieu de travail. Le centre n'est pas loin de la maison, ce n'est qu'une question de minutes pour s'y rendre. Une fois sur place s'ensuit les tâches quotidiennes. En ce moment on manque d'effectif et Ava n'était pas disponible ce matin pour me donner un coup de main, alors en attendant l'arriver notre palefrenier, je prends les choses en main. Seulement, entre les coups de fil pour une leçon de rattrapage ou une réservation de balade pendant les vacances et les chevaux à nourrir, brosser, sortir, je ne vois pas le temps passer. Il est déjà midi et le téléphone sonne pour la trentième fois au moins. « Centre équestre Blackhood, bonjour. » Je pousse un petit soupir de soulagement en entendant la voix de ma grand-mère s'élever dans l'appareil. « Kathleen, chérie, tu ne devais pas manger avec ce garçon à midi ? » Je me tourne précipitamment vers l'horloge et écarquille les yeux. J'avais complètement oublié et je ne suis pas prête. Je sens le cheval et je dois faire peur à voir. « Je vais prendre le relais, ne t'inquiète pas. » Je la remercie en rassemblant mes affaires et raccroche le combiner.

Il ne m'a pas fallu beaucoup de temps pour me doucher, enfiler des vêtements convenables et quitter la maison pour la seconde fois de la journée. Je devais d'ailleurs détenir mon record personnel, parce que même si je n'étais jamais arrivée en retard jusqu'à présent, je restais une experte pour oublier mes rendez-vous ou m'en souvenir à la dernière minute. Mais cette fois j'avais abusé et je savais que j'allais m'en mordre les doigts. Arrivée devant le restaurant, je repère facilement mon ami et me dirige d'un pas pressé vers lui. J'ai une demi-heure de retard et je suis sincèrement étonnée qu'il soit encore là à m'attendre. « Hey ! Et avant toute chose… » Pendant un court instant, je songe à lui sortir l'excuse la plus banale au monde, celle des embouteillages, mais je ne suis pas sûre qu'il morde à l'hameçon. « Je suis vraiment désolée… C'était la course ce matin et j'oublie souvent que le temps file à un vitesse déconcertante. » Je m'assois en face de lui et affiche mon plus beau sourire. « Tu me pardonnes ? »

Annuler. Je tourne ce mot plusieurs fois dans mon cerveau avant de le rayer une bonne fois pour toute. Hors de question. Déjà parce que si je commence à annuler au moindre petite ou grand retard, je suis presque persuadée que je ne sortirais plus jamais. J'ai beau adorer ce que je fais, aimer mon métier et vivre de ma passion, j'ai parfois besoin de me changer les idées et de quitter les chevaux. Après tout, même si je préfère les animaux aux humains, parfois, une présence humaine peut faire du bien. Surtout quand cette présence se prénomme Aaron. Je n'ai pas beaucoup d'amis, mais ceux que j'ai, ils sont précieux. J'ai peur que si je commence à les rejeter ou à ne plus les voir à cause du travail, je finisse par les perdre définitivement. D'autant plus que c'est ce que tout le monde me reproche à la maison en ce moment. Je travaille trop. Je ne sors pas assez. Je suis trop coincée, trop sérieuse. Je ne suis pas assez imprévisible. En bref, je suis moi et apparemment, elles aimeraient que je ne le sois plus. Sauf que j'aime être moi, j'aime montrer l'exemple ou du moins essayer et j'estime que ma vie privée ne les regarde pas. « Non, non. Je crois que j'aurais eu quatre personnes sur le dos si j'avais fait ça. » Oui, parce que grand-mère aussi est dans leur camp. Pourtant, c'est bien elle qui m'a légué le centre équestre et le travail monstre qu'il y a à faire là-bas. « Et tu sais comment elles sont. Ce sont des vraies diablesses et je ne suis pas sûre que je m'en serais sortie vivante. » Surtout avec Ava et Joy. Elles seraient trop heureuses de me faire payer cet impair. Rien que d'y penser, ça me donne des sueurs froides. Je suis peut-être l'aînée à la maison, depuis que Zachary a déménagé, mais on ne peut pas vraiment dire que le mot respect soit très connu de mes sœurs. Je baisse les yeux vers le menu et le prend en main. « Tu prends quoi alors ? » Je parcours vite fait des yeux les plats proposés avant de reposer la carte devant moi. « Je crois que je vais partir sur la salade du chef. » Ce que je prends tout le temps et je peux lire sur le visage de mon ami qu'il s'en doutait déjà. La vérité, c'est que j'ai toujours peur de prendre quelque chose qui ne me plaira pas. Non pas que je sois particulièrement difficile, mais je n'aime pas prendre de risque et on va dire que je me complais dans ma routine. Le changement, ce n'est pas trop mon truc. Dès que j'ai dû changer mes habitudes, c'était à cause de problèmes plutôt graves, alors on va dire que psychologiquement parlant, même changer de plat dans un restaurant, j'ai encore l'impression qu'une mauvaise nouvelle va tomber devant moi, comme une goutte de pluie tombe sur le sol. Le serveur vient prendre notre commande, Aaron rassemble nos cartes pour les rendre au jeune homme et c'est là que je remarque les bandages. Je fronce les sourcils et une fois le serveur parti, je croise les bras sur ma poitrine. « C'est quoi ça ? » demandé-je en donnant un petit coup de tête en direction  des bandages. « Je sais que tu voulais me le cacher pour éviter que je m'inquiète, mais trop tard, je suis au courant. Comment tu t'es fait ça ? » Le problème, c'est que je connais déjà la réponse. Et elle ne me plaît pas du tout.

L'entendre me dire que mes sœurs ou ma famille en général ne souhaitent que mon bonheur me fait doucement rire. Je ne sais pas ce qu'Ava et Joy souhaitent réellement, mais ce dont je suis sûre et certaine, c'est que ce qu'elles souhaitent pour moi n'a rien à voir avec la définition du mot bonheur. Elles ont plutôt envie de me faire vivre un cauchemar éveillé. Entre leur week-end trop arrosé, leur manque d'implication dans le centre équestre et leur capacité incroyable d'emmerdeuse professionnelle, je ne vois même pas comment elles pourraient me vouloir du bien. Si elles mettaient un peu plus du leur, je pense que je pourrais prendre quelques jours de vacances bien mérités et penser un peu à moi avant de penser au bien-être des chevaux. Mais ça, elles ne sont pas prêtes de le comprendre. Pas même ma jumelle. Pourtant, elle devrait comprendre ça vu son âge, mais on ne peut pas dire qu'elle connaisse le mot maturité. Alors même si elles partent avec de bonnes intentions, elles ne font que d'empirer. Elles ne se rendent pas compte de tout le travail que j'ai à faire pour qu'elles, elles puissent tranquillement se prélasser en buvant des cocktails. Enfin passons. Je n'ai aucune envie de parler de ces fouteuses de troubles. Quand on ne vit pas avec elle vingt-quatre heures sur vingt-quatre, c'est difficile à comprendre que ces deux têtes d'anges sont en vérité deux horribles diablesses. Nous passons ensuite notre commande et je souris légèrement en entendant le plat que commande mon ami. Je prends peut-être toujours la même chose, mais il ne prend pas énormément de risques non plus. Enfin… En parlant de risques, si, il en prend, mais d'une tout autre manière. Et autant le dire, ça ne me plaît pas. Aaron est pompier et on ne peut pas vraiment dire que ce soit un métier qui me rassure. Je suis très admiratrice des personnes faisant ce métier, tout comme je l'étais de mes parents qui l’exerçait. Quand j'étais petite, j'imaginais qu'ils avaient des sortes de pouvoirs magiques et qu'ils étaient insensible aux flammes. Mais la vérité est tout autre et je me la suis prise de plein fouet quand ils sont décédés, prit au piège dans leur voiture en feu. Je me suis rendu compte que même les héros de la vie de tous les jours ne sont pas immortels. Je connais Aaron depuis qu'on est gamin et je tiens énormément à lui. Il a toujours été là pour moi et encore plus quand nos parents sont morts. Alors forcément, j'ai un peu de mal a accepter son choix de carrière. Je n'ai pas mon mot à dire, je le sais très bien. Je n'ai pas à gérer sa vie ou à décider pour lui, mais malheureusement, je ne pourrais pas cesser de m’inquiéter. Je ne suis pas non plus sa mère, je n'ai aucune raison de lui faire des leçons de moral ou de me conduire comme je le fais, mais ce n'est pas facile. Depuis la mort de nos parents, je m'étais promis de ne plus jamais m'attacher à qui que ce soit, mais lui, il fait partie de ma vie depuis toujours et je ne pouvais pas le rayer de ma vie sous prétexte qu'aimer fait souffrir. Alors je vis avec la peur que le schéma recommence et que lui aussi, subisse le même sort que mes parents. « Un peu brûlé ? » Je le regarde en secouant la tête. « Pas de quoi s’inquiéter ? » J'ai l'air un peu stupide à répéter tout ce qu'il dit en espérant me rassurer, mais c'est l'effet inverse qui se produit. Je suis encore plus stressée. « Ton bandage ne laisse pas penser à croire que c'est juste une petite brûlure et encore moins qu'il n'y a pas de quoi s’inquiéter… » Kathleen l’insupportable est de retour, mais bon sang, tout on entourage va me rendre chèvre. « Je sais très bien que c'est ton métier, que tu es extrêmement prudent mais… je ne pourrais pas supporter qu'il t'arrive quelque chose de beaucoup plus grave. » Je termine ma phrase en poussant un léger soupir. Je ne montre jamais mes sentiments, je n'exprime jamais mon affection, mais aujourd'hui, j'avais envie de faire une exception à la règle.

Je baisse la tête et pousse un long soupir. Il a raison, je le sais, c'est indéniable. Il ne fait pas un métier sans risques et je dois accepter le fait que même en faisant le plus attention possible, le risque zéro n'existe pas. Et pourtant, Dieu sait à quel point j'aimerais. Puis le pire dans tout ça, c'est que mes parents n'ont pas été blessé au travail et ne sont pas mort à cause de leur métier non plus. Si tel avait été le cas, je pourrais comprendre mon aversion et ma crainte pour ce job, mais ils sont décédés sur la route, d'un accident de voiture. Accident qui, certes, a provoqué un départ de feu dans la voiture. Si l'incendie ne s'était pas déclenché, il serait sans doute encore en vie. Au final, tout revient au même. Le feu m'a arraché à mes parents quand j'étais gamine et je refuse qu'il m'arrache Aaron. C'est mon meilleur ami, il est comme un frère pour moi et je ne le supporterais pas. « Je sais et je suis désolée…, vraiment. » Je lève les yeux au ciel, pensant à tous le soucis que je me fais. Faut dire que j'ai beaucoup de raisons pour. J'ai suffisamment d'éléments déclencheurs de problèmes à la maison. « Une raison de plus ou de moins, ça ne changera pas vraiment mon quotidien. Mes sœurs sont les principales causes de mon soucis permanent. » Et ça n'a rien de méchant ou de péjoratif. J'aime mes sœurs, bien qu'elles m'en fassent voir de toutes les couleurs avec leurs conneries et leur mauvais caractère. Mais justement, à force de les voir faire des âneries à longueur de journées, je m'inquiète. Je leur fait confiance, du moins, dans la mesure du possible, en revanche, je ne fais pas confiance aux autres. J'ai peur qu'un jour elles tombent sur quelqu'un de mal attentionné et que toute cette histoire finisse mal. Alors forcément, à chaque fois qu'elle sortent faire la bringue, j'ai énormément de mal à fermer l’œil de la nuit ou du moins jusqu'à ce que je sois certaine qu'elles soient rentrées saine et sauve. Elles, elles s'imaginent qu'il s'agit seulement et simplement d'un manque de confiance en elles et que je reste éveillée par peur qu'elles viennent à brûler la maison parce qu'elles sont trop éméchées et risqueraient de confondre un briquet avec je ne sais quoi d'autre. Je souris à mon ami et hoche la tête. Il fait tout pour me rassurer et même si ça ne marche pas à cent pour cent comme il doit l'espérer, je me dis que pour lui, je peux faire un effort. « Je sais, je sais. Puis j'imagine que c'est ce que tous tes collègues font aussi… Si tu me promets de faire le plus attention possible, je vais essayer de me contenter de cette promesse. » Je ne pourrais pas faire grand-chose de plus de toute façon et si je continue à m’inquiéter pour lui comme s'il s'agissait d'un môme de dix ans, je suis sûre et certaine qu'il va finir par craquer et ne plus me supporter. Déjà qu'il faut énormément de courage pour me supporter aussi longtemps… il mériterait bien une médaille pour toutes ces années d'ailleurs. C'est ce moment-là que le serveur choisi pour ramener notre commande. Il dépose nos assiettes devant nous, je le remercie et une fois qu'il s'est éloigné, je dis ; « Bon appétit ! »