(dakrew) Is it a date or something?

Un ciné. Putain, ça faisait un bail qu’Andrew n’était pas allé au cinéma. Même si c’était le genre de sorties qui lui bottait à mort, ces derniers temps, il n’avait pas vraiment eu l’occasion d’y aller. Il préfère se balader au skate-park avec ses potes, passer ses soirées à danser dans une maison un gobelet d’alcool à la main, se baigner dans un lac à plus de deux heures passé. Mais maintenant, il y a Dakota. Cette fille qu’il a rencontré quelques jours plus tôt en cherchant son pote et avec laquelle il a directement accroché. Bon, rien n’est gagné pour l’instant, mais il a toujours une petite lueur d’espoir qu’il se passe quelque chose. Peut-être une caresse, un petit mot doux, une main par-ci, une main par-là… Il n’espère pas grand-chose, mais il se dit que si quelque chose arrive, c’est tant mieux. Parce que pour la première fois depuis un bail, il n’a pas envie de coucher avec cette fille. Enfin, ça lui plairait bien, mais c’est pas ce qui l’intéresse le plus pour l’instant. Ce qu’il veut, c’est passer un bon moment, et c’était plutôt mal parti.

Dakota, il voulait apprendre à plus la connaître, passer plus de temps avec elle... même s'il ne savait pas réellement pourquoi. C'était étrange, c'était nouveau pour lui qui, habituellement ne voyait les filles que comme des objets de désirs et de plaisirs... Il voulait quelque chose de différent.

Il s’était dépêché d’aller chez Nolan pour que celui-ci l’amène en voiture au cinéma. À 21h10, il était assis sur un banc devant le ciné, les mains dans les poches, zieutant de gauche à droite la moins petite chevelure blonde qui pourrait pointer le bout de son nez, mais Dakota ne se montrait pas. Est-ce qu’elle lui avait fait une petite blague, est-ce qu’elle était en retard ? Il n’en savait rien, mais il patientait comme un débile alors que plus d’une fois, il aurait pu se barrer et passer la soirée chez un pote. Ah, Dakota, si c’était pas pour toi… Il lui a quand même envoyé un SMS histoire d’avoir un petit indice, mais il n’était sûr de rien. Persuadé qu'elle ne viendrait pas, il se soupirait à lui-même... « Putain Andrew, c’est la dernière fois que tu te les gèles pour une fille… »

« 21h10. Soit pas en retard. »

C’était mot pour mot ce qu’elle lui avait envoyé en SMS. Mot. Pour. Mot. Et elle, elle était où à 21h10 ?

Pas là. Bien sûr.
Elle essayait de ne pas courir, de peur qu’il la voie faire, mais elle ne marchait quand même pas d’une vitesse très naturelle. Le souffle court, les joues rosies, elle avait chaud. Et cette sale chevelure laissée libre n’aidait pas à se rafraîchir. Mais elle avait lissé ses cheveux. Alors elle n’allait pas les noués bêtement. Pas tout de suite. Elle voulait qu’il la voie avant. Qu’il voit un minimum le fruit de ses efforts. Elle grommelle.

Enfin. Il allait voir. S’il s’était pas déjà barré. Parce que bon, elle avait près de quinze minutes de retard, déjà. Et que, du peu qu’elle connaissait Drew, elle savait qu’il n’était pas très enclin à ce qu’on se foute de sa gueule. À tout coup, il était déjà persuadé qu’elle lui avait posé un lapin.

Quand elle arrive dans le bon angle, c’est avec soulagement qu’elle le voit affalé sur le banc devant le cinéma. Bon, il n’a pas l’air de bonne humeur, mais au moins il est toujours là. Dakota ralentis, se donne contenance et s’approche, faisant mine d’être au-dessus de ses affaires :

« Je suis là, je suis la ! Non : je ne t’ai pas laissé en plan. Oui : j’y ai pensé. (elle hausse les épaules, maligne) Mais je me suis dit que ce serait trop méchant.

Puis, elle le rejoint enfin en agrippant son sac, histoire de fouiller dedans.

- Bon d’accord, je déconne. Le bus à fait un crevaison. Soit le destin voulait vraiment pas que je me pointe, soit le Karma voulait vachement que je rentre chez moi sur tes épaules, qu’elle rigole la belle Dakota.

On ne se cachera pas qu’elle s’est mise toute jolie. Elle n’est pas complètement stupide. Elle a bien capté que c’était un rencard. Pas question d’avoir l’air de rien. Elle offre un sourire au garçon :

- Alors ? On y va ? Je ne voudrais pas te voler le punch : mais le film est déjà commencé. »

Elle bat des paupières exagérément. Bien sûr que le film est commencé. Avec un retard pareil, Drew est bien le seul à avoir attendu après elle. Le reste du monde n’en a absolument rien à faire, elle ne se berce pas d’illusions.

Drew, c’est pas vraiment un mec qui aime qu’on lui pose des lapins. Enfin, personne n’aime ça, mais s’il y a bien quelqu’un que ça énerve plus que n’importe qui, c’est probablement lui. Qu’on se le dise, les rencards, c’est pas son truc. C’est limite s’il n’en a pas eu depuis plus d’un an. Les filles avec lesquelles il traîne habituellement en veulent, mais il trouve toujours un moyen de sauter cette étape pour se glisser dans leur lit. Et comme Dakota est loin d’être comme ces filles-là, il a accepté cette sortie au ciné qu’elle lui a proposé sans vraiment savoir si c’était un rencard ou non. Si ça avait été le cas, si les choses avaient été plus claires dans la télé de l’homme, il aurait amené un bouquet de roses histoire de faire craquer la demoiselle. Mais c’est pas son truc, alors il a zappé. Autant rester naturel dans ce genre de moments, non ?

« Putain, pendant une seconde, j’me suis dit que tu m’avais fait une blague. J’te jure que si t’étais pas venue, t’entendrais plus parler de moi… » Il lui a annoncé sur le ton de l’humour, jetant sa cigarette à terre avant de l’écraser avec sa chaussure, ses yeux détaillant clairement et subtilement la jeune femme. C’était visible, elle s’était faite belle. Elle avait enfilé une jolie tenue, s’était lissé les cheveux même si c’était plus vraiment visible à cause du vent, mais elle s’était faite belle. Pour lui, pour l’occasion ? Il ne se posait pas la question, mais ça lui faisait quand même plaisir de se dire qu’elle avait pris cette initiative. Ça le faisait sourire. « T’es belle, Dakota. » Il se devait de lui dire, il fallait qu’elle l’entende même si elle allait probablement le remballer comme elle savait si bien le faire. Ses yeux ne pouvaient s'empêcher de la contempler, qu'est-ce qu'il en avait de la chance.

Il s’est levé pour apparaître à ses côtés, enlevant ses mains de ses poches. « Peut-être que c’est comme ça qu’ça va se terminer. Toi assise sur mes épaules, moi en train de te tenir les jambes en marchant dans les rues de la ville pour te ramener chez toi… Avoue, t’en rêves ? » Il avait déjà cette vision en tête d’eux complètement crevés, en train de se balader en ville très tard la nuit… Qu’est-ce que ce serait beau.

« Si Mademoiselle est prête, je le suis aussi. » Tous les deux, ils ont marché jusqu’à l’entrée du cinéma. Par chance, si on ne pense pas au fait que les films avaient déjà commencé, il n’y avait pas énormément de queue. Alors deux minutes après être rentrés, ils étaient déjà à la caisse, en train de récupérer leurs tickets que Drew avait soigneusement pris le soin de payer lui-même, sortant son portefeuille en avance pour pas que la demoiselle ne décide de payer elle-même comme elle l’a fait quelques jours plus tôt. « Tu veux des popcorns, un truc à boire ? Fais-toi plaisir. » Merci Nolan de lui avoir donné de l’argent… Quel pote en or.

Bon, ok, qu’il fume, Dakota trouve ça moche. Mais elle ne dit rien.
Peut-être qu’il sent bon quand même, qui sait ? Il la jette en lui disant que si elle lui avait posé un lapin, il aurait arrêter de lui parler. Pour la peine, elle rit.

- Alors quoi ? C’est si facile se débarrasser de toi ? J’aurais pas cru.

Son petit regard narquois le détaille pour remarquer tout ce qu’elle avait oublié depuis la dernière fois. A peine commence-t-elle sa tâche qu’elle se voit interrompue. Un phrase. Toute simple, toute courte. Et voilà que les pommettes de Dakota rosissent un peu. Il la trouve jolie. Bon, elle le sait déjà, c’est certain. Elle a fait exprès, c’est irréfutable. Mais quand même, elle se contente de sourire. Puis, après un peu d’hésitation, elle ose même un léger « Merci. » sincère, même presque gêné. Il se lève et c’est à ce moment-là que Dako réalise qu’il s’agit de son premier rencard. Ce n’est sans doute pas celui du garçon, mais elle… elle n’a pas connu ce genre de relation. Excepté les mecs dans les soirées y’a huit mois… m’enfin. Elle ne s’est jamais mise belle pour quelqu’un de précis. Et cette remarque est suffisante pour la rendre un peu fébrile, voir insécure. Peut-être qu’à ses yeux à lui elle n’était pas un 15/10 au bout du compte ?

Pourtant, à le voir déconner, ça doit bien se passer. Il parle d’un retour tonitruant jusqu’à chez elle avec la jeune fille sur ses épaules. Si elle en rêve ? Elle grimace :

- T’es dingue. C’est un plan pour que tu m’lance des répliques acerbes sur mon poids. Non merci. Son ton de voix reste naturel malgré ses questionnements.

Elle entend à rire, à déconner. Même à user de sarcasme et d’humour cru. Son préféré, bien sûr. Sur un « Mademoiselle » tonifiant, elle le suit à l’intérieur. Il la devance pour payer. Elle s’y attendait un peu, pour être honnête. Surtout après sa réaction à la crêperie. Sous son offre, elle se présente au comptoir et commande une barbotine et un pop-corn. Un à deux c’est bien, non ?

En vérité, elle n’en sais rien.
Son dernier cinéma remonte à loin. C’était avec sa mère, Eliott, Julian et Murph’. À l’époque ou même Ju’ écoutait toujours des films pour enfants. Bon, il en avait écouté longtemps, mais ça remontait quand même à loin.

Quand ils entrèrent enfin dans la salle, le film était déjà effectivement commencé. Ce qui ne devait pas aider à se concentrer. Ils parlaient depuis au moins dix minutes quand les spectateurs mécontentents commencèrent à maugréer tout autour.

- Chut, que Dakota disait, faut parler moins fort. On va se faire jeter.

Mais le simple fait de ne pas devoir faire de bruit lui donnait gravement envie de rire aux éclats. Et c’était contagieux. Ils étaient là, comme deux crétins, à essayer de se comporter décemment, sans grand succès. Après quinze minutes et des « CHUT ! » agressifs, il y eut finalement un agent avec une lampe torche qui se présenta à eux. Il parla d’un avertissement. Mais à peine eût-il le dos tourner que Drew pouffa de rire.

Cinq minutes plus tard, ils étaient de nouveau devant les portes du cinéma.

Dakota regardait les portes de verre se refermer derrière l’agent las avec un air outré. Ce fût sous les questionnements de son accompagnateur qu’elle lâcha, complètement consternée :

- J’ai pas eu le temps de prendre mon verre.

À l’entendre, c’était une catastrophe.

- On touche pas à ma bouffe, qu’elle disait, sans en revenir. C’est Sacré. Murphy à perdu des doigts pour moins que ça.

Elle considéra le sac de papier à sa main.

- Bon. Au moins y’a toujours le pop-corn. »

Les cigarettes, c’est pas quelque chose qu’il fume tous les jours. Il en a toujours dans sa poche mais c’est pas pour autant qu’il se sent obligé de s’en faire une tous les jours. Il n’a jamais vraiment voulu être dépendant à la cigarette, donc il ne l’est pas. Ce qu’il préfère Drew, c’est les joints. Les trucs qui font planer, qui font oublier les problèmes, qui rendent fou le temps d’une nuit. Il en fume largement plus, même si ces derniers jours il n’a pas vraiment eu l’occasion de s’en rouler un. Trop occupé à penser à cette fille mystérieuse qui lui fait tourner la tête.

« C’est pas facile de se débarrasser de moi… Enfin, j’t’aurais fait la gueule pendant quelques jours, mais j’pense que je serais quand même revenu. J’aurais fini par le regretter, peut-être. » Peut-être ? Dans sa tête, c’était quasiment sûr. Il s’en serait mordu les doigts, serait revenu la voir la queue entre les jambes. Ce serait la première fois qu’il le ferait. Son mignon petit « merci » l’a fait sourire. Est-ce qu’il voyait enfin un bout de Dakota qu’il n’avait encore jamais vu auparavant ? Son petit côté gêné, timide. Est-ce qu’il faut la complimenter pour voir ses jolies petites joues rougir, son corps se geler sur place ? Elle était mignonne comme ça, pas jolie, elle était mignonne, trop mignonne et Drew se sentait chanceux d’être accompagné par une si jolie jeune femme ce soir-là.

Manquerait plus qu’ils croisent Nolan ce soir-là. C’était lui qui avait ramené son pote au cinéma, mais ça ne le surprendrait même pas s’il s’était caché quelque part sur le parking pour voir qui serait la fameuse cavalière de son meilleur ami. La curiosité… Pendant un bref instant, Drew s’est même demandé comment elle avait pu sortir à cette heure-là, habillée d’une telle façon. Ses frères avaient dû le remarquer ? Qu’est-ce qu’elle avait bien pu leur dire pour qu’ils acceptent de la laisser sortir à une heure aussi tardive ? Il appréciait l’effort et toute la force qu’elle a pu y mettre.

« Bof. Les seuls commentaires que j’pourrais faire, ce serait pour parler de ton petit poids plume. T’as l’air toute légère. » Il s’est retenu de lâcher un petit rire, c’est fou à quel point toutes les filles aimaient s’inventer des complexes, à se trouver trop grosses, trop maigres… Dakota, il la trouvait parfaite comme elle était, un point c’est tout.

Après cette jolie petite et brève discussion, ils ont tous les deux fait leur entrée dans le cinéma de la ville. C’était plutôt calme, ce qui était inhabituel à cette heure-là. C’était un week-end, c’était en pleine soirée… Premièrement, Andrew s’est demandé pourquoi il y avait aussi peu de monde, puis il s’est rappelé que tous les gens devaient déjà être en salles. Et comme par hasard, il n’y avait que deux débiles qui n’avaient pas encore leurs places et qui arriveraient dans la salle de cinéma dix minutes après que le film ait commencé.

Il a laissé son rencard prendre un peu de glace et du pop-corn, puis ils sont entrés dans la salle de cinéma qui projetait le film qu’ils avaient tous les deux prévus de voir. Et bien sûr, le film avait déjà commencé. Tout le monde avait les yeux rivés sur le duo qui rentrait dans l’immense pièce sans se gêner pour discuter à haute voix. Andrew n’a jamais vraiment eu honte ou un quelconque gêne pour ces choses-là. Ils ont tous les deux pris une place au fond pour ne pas être dérangés, puis ils ont commencé à regarder le film… enfin, regarder… Ils commentaient chaque passage du film en riant comme des animaux, ce qui avait le don de déranger les autres spectateurs qu’on a pu parfois entendre dire des insultes, ou des quelconques remarques pour les faire se taire. Mais rien n’a fonctionné. Alors, un gardien de sécurité s’est ramené, leur a donné un premier avertissement. Andrew avait prévu de se calmer, histoire de ne pas se faire éjecter mais ce qui devait arriver arriva. Et après un énième fou rire, ils se retrouvaient à nouveau devant les portes de verre de l’établissement. Andrew était toujours en train de rire, le visage tout rouge. S’il savait que la soirée se passerait de cette façon… « C’est pas grave… J’pensais pas que ça se finirait aussi tôt, donc on peut dire qu’on a encore du temps devant nous. On pourra t’en chercher un autre, si tu veux. » Sa main posée sur son ventre, il essayait de calmer cette douleur qu’il avait récolté à cause de ses nombreux fous rires… Trop rire nuit à la santé.

« Chuuut. Tais-toi, file-moi ça. » D’un simple et rapide geste, il s’était emparé de la glace de la demoiselle et s’était mis à en aspirer un peu par la paille, se mettant à marcher à ses côtés… se demandant ce qu’ils pourraient bien faire, maintenant qu’ils étaient seuls, livrés à eux-mêmes, en dehors de ce cinéma dans lequel ils étaient censés passer deux heures. Il était 21h40… « Je t’avoue que là, j’sais pas trop quoi faire. J’pensais pas ressortir de là avant… 23h30 ? » Il lui avouait, passant une main dans ses cheveux alors qu’il tenait le gobelet de l’autre. « Tu veux aller quelque part ? Y a un endroit qui te fait envie ? La fête foraine, t'aimes ça ? » Il lui aurait bien proposé d'aller chez lui mais il la voyait déjà en train de s'imaginer qu'il voulait la mettre dans son lit alors qu'à ce moment précis, c'était même pas dans ses pensées. Si elle n’avait pas d’idées, il finirait bien par en avoir une. Après tout, il était encore tôt, beaucoup de choses étaient encore ouvertes… mais si elle décidait pour eux deux, ça lui allait très bien.

La première chose que Dakota a capté, c’est qu’il a parlé de lui racheter un breuvage. Même les gloussements avaient été décryptés après. Afin « après »… C’est aussi après qu’il lui ait piqué sa glace. Il a eu le temps de s’élancer vers la rue que Dakota est toujours là : la bouche béante, les yeux offusqués par le geste du garçon. « Ma glace ! » qu’elle a envie de gémir comme une pauvre victime. Mais les sons restent coincés dans sa gorge. Elle plaque ses lèvres l’une contre l’autre et s’empêche de se plaindre. Bon. Elle ne va pas agir en gamine, qu’elle se dit. En plus, c’est même pas elle qui ait payé. Donc elle se tait. Bien que ce soit un gros effort. Puis, elle rejoint le garçon qui lui demande ce qu’elle veut faire maintenant.

Quand il lui parle de fête foraine, Dakota en oublie complètement sa glace. Ses yeux s’illuminent et un sourire s’affiche sur ses lèvres.

« Ouais ! Ça serait trop cool ! Qu’elle lance, sans même prendre le temps d’y mettre son filtre de femme-fatale-intouchable.

Aussitôt clairement satisfait de la réponse, le garçon prend la direction de la foire et Dako le suit sans se faire prier. Les manèges : elle adore ça. Presqu’autant que la plage. Si non plus ? Elle l’ignore. Et, pour être franc, elle ne se pose pas vraiment la question. L’excitation est bien trop grande. C’est à peine si elle parvient à réprimer les étincelles dans ses yeux.

Elle sait que la fête foraine se trouve à une bonne distance de marche, mais elle est prête à la traversée. Même pour un petit kiosque de jeu où on ne gagne jamais rien : elle le ferait. Les lumières, les gens, la frénésie… Tout dans les foires semble là pour lui plaire. Parce que bon, elle dira bien ce qu’elle veut, elle ne sera toujours qu’une gamine. Autant aujourd’hui que dans vingt ans.

Pendant le trajet, comme il faut bien entretenir la discussion, Dakota répond aux questions du garçon et, bizarrement, elle le fait sans mentir. Sans doute l’appréhension de la soirée à venir qui lui délie la langue. Ou bien parce que ce  soir elle est simplement de bonne humeur et qu’elle ne cherche pas à cacher la personne qu’elle est. De toute façon, du haut de sa bêtise Drew n’est pas vraiment bien placé pour la jugée, qu’elle s’aperçoit vite. Alors, pendant leur balade, elle ne joue aucune carte. Si ce n’est celle de la franchise. Elle serait même prête à lui parler de sa famille. Si ce n’est pas pour dire que l’air frais lui monte au cerveau…

Et puis elle pose des questions, aussi, Dakota. Cette fois, ce n’est pas comme la dernière. Elle est intéressée par la conversation.

- Et puis ? Ça se passe bien avec ta nouvelle famille d’accueil ? Ou bien du fais copain-copain pour te sauver dans une autre ville d’ici deux semaines ?

Dakota, elle ne capte pas bien tout de suite l’importance de ses mots. Elle ne comprend pas que par cette simple phrase, elle insinue que ça la dérangerais qu’il se barre déjà. Non. Elle est bientôt occupée. Parce que là-bas, plus loin, elle voit les lumières de la fête foraine qui illuminent le ciel.

- On y est ! » Qu’elle s’écrie, empressée d’arriver.

Il ne s’était acheté aucune confiserie, aucune boisson… il pouvait bien profiter de celle de Dakota, non ? C’était lui qui l’avait payé et il n’aurait pas le droit d’y goûter, non mais ? Il ne s’était donc pas gêné pour lui prendre des mains et commencer à siroter un peu de cette glace à la paille, marchant tout près de la jeune femme sans vraiment savoir où ils passeraient le reste de la soirée. Un restaurant ? Non, il n’avait pas faim. Un autre cinéma ? Ils venaient de se faire injecter de l’un d’eux. Une fête foraine ? Pourquoi pas. La dernière fois qu’il était allé à un endroit du genre, c’était avec son ancienne famille d’accueil et ça date d’il y a assez longtemps… Alors, peut-être que ça lui ferait plus de bien qu’autre chose. Ils pourraient tous les deux s’amuser, discuter un peu, passer une bonne soirée comme il ne l’avait pas fait depuis très longtemps. Les joints, l’alcool, les soirées, les filles… Même s’il aimait penser le contraire et qu’il adorait ça, ces soirées il les passait à s’éclater et très souvent, le lendemain matin, il était déprimé. Andrew aimerait avoir la belle vie, être heureux et faire quelque chose qui le rendrait respectable, plus adulte… Mais il en est malheureusement loin. Il essaye souvent de faire des efforts, d’essayer d’autres choses, des trucs plus calmes mais c’est plus fort que lui. Ce soir, il est persuadé que les choses seront différentes au réveil. Il aura peut-être le sourire aux lèvres en se remémorant ces jolis souvenirs accumulés la veille au soir.

« Une fête foraine pour la demoiselle, une ! » qu’il s’était écrié, rendant sa glace à l’adolescente avant de lever les bras en l’air et de taper dans ses mains. Peu importe l’heure, peu importe les quelques personnes qu’ils allaient croiser ce soir-là, il ne pensait qu’à s’amuser et il était persuadé que c’était la même chose pour Dakota. Il ne la connaissait pas si bien que ça, mais il connaissait un peu son caractère, sa façon de penser.
Ils ont passé une bonne partie du trajet à discuter. Andrew lui posait des questions sur sa vie, sur les cours, sur son passé… Dakota lui répondait sans broncher, riant un peu de temps en temps. Mentait-elle, disait-elle la vérité ? Il n’en savait absolument rien, mais il ne s’en inquiétait même pas. Elle avait fait l’effort de venir ce soir-là, ils parlaient plus par SMS qu’au début… Il la sentait se rapprocher d’elle, il sentait leur lien changer et il se disait qu’elle ne devait pas lui mentir.

Puis vint le tour d’Andrew de répondre aux questions de son rendez-vous. « Ça va, ça fait un an que j’suis avec eux… On s’embrouille de temps en temps, ça crie pas mal à la maison mais… j’me sens bien avec eux, du moins mieux qu’à mon arrivée. J’me retiens de trop faire de la merde, j’ai pas envie de devoir à nouveau partir. » Des familles, il en avait fait Andrew. De la famille qui n’en avait rien à foutre de ses gosses à la famille pratiquement parfaite. Il avait tout fait capoter la plupart du temps, et chez les Berenson il se sentait bien. Alors, il essayait de faire le moins de conneries possibles pour y rester peut-être jusqu’à sa majorité. Il s’était lié à chacun des membres de cette famille, d’une manière ou d’une autre et même s’il agit comme si c’était faux, son cœur se déchirerait s’il devait les quitter, quitter ses amis, cette magnifique ville… « J’me sauve jamais, la plupart du temps, on me vire. » Un petit coup d’épaule pour chahuter un peu, pour la faire réagir.

Quelques pas plus tard, puisque le chemin passe vachement plus rapidement quand ils se mettent à parler, ils aperçoivent enfin les lumières multicolores de la fête foraines, juste devant leurs petits yeux. « Tu la sens, la grosse soirée ? » Il s’est mis à accélérer un peu ses pas, approchant du guichet d’entrée pour payer deux places pour la jeune demoiselle et lui, puis ils entrèrent ensemble dans cette grande fête foraine, entouré d’adultes, de gamins heureux, de manèges et de petits coins pour se restaurer… C’était sûr, certain, ils allaient passer une très bonne soirée. « Bon, j’propose la maison hantée pour commencer… et t’as pas le choix. » Doucement, il posait une main dans son dos pour la faire avancer face à ce grand manoir effrayant, aux toiles d’araignées artificielles… On entendait des bruits étranges en sortir parmi la musique qui allait très fort. Ce serait un bon moyen pour déjà l'avoir dans ses bras, hein ?

Sans même s’en rendre compte, Dakota ça lui fait plaisir de savoir qu’Andrew ne disparaitra pas du jour au lendemain. Même si elle culpabilise un peu de le penser, ça fais déjà ça de différent avec Balthazar. Elle lui fait confiance à Balth, bien sûr. Elle le suivrait jusqu’au bout du monde, mais… Même si elle le connait bien, elle a encore cette impression parfois qu’il lui file entre les doigts. C’est un adulte après tout : rien ne le retient. Il est libre. Et elle le sait très bien qu’il suffirait d’un seul accro à cause d’elle pour foutre sa vie en l’air à lui : homme bien trop vieux pour être son ami. Et Dakota, même si elle n’en parle pas, ça la dérange. Parce que même si elle se fait un point d’honneur à ne jamais lui nuire, elle a toujours peur qu’il se sauve loin pour sauver les apparences. Et ça, pour elle, c’est une crainte qui ne s’en va jamais tout à fait. Cette idée qu’il pourrait simplement partir et la laissée seule.

Alors que la discussion bat son plein, Dakota sirote son jus en glace, les yeux regardant ses pieds. Pas qu’elle soit gênée. Non, elle est simplement hypnotisée par la chaussée qui disparaissait sous elle à une certaine vitesse. Puis, ils arrivèrent à la fête foraine. Et déjà, l’adrénaline battait son plein dans le corps frêle de la jeune fille. Alors, quand Drew propose d’aller dans la maison hanté elle sait déjà que ça ne se passera pas très bien. Mais elle n’a le temps de ne rien dire que déjà elle est dans la file, poussée par –elle se doute bien- la paume de son accompagnateur. Et puis bon, elle ne se plaint pas non plus. Parce que Dakota c’est cette idiote qui matte des films d’horreurs et fait des cauchemars toute la nuit. Bien sûr, c’est aussi celle qui ne s’empêche pas d’en revoir pour ça. Bien qu’elle le regrette un peu chaque fois, cela ne semble jamais suffisant.

Au début, elle en a trop marre d’attendre. Alors elle entre sans ménagement entre les planches grinçantes de la charpente. Au premier virage, par contre, quand la brume s’installe et que les rires glauques se rependent dans les couloirs sombres  c’est une toute autre histoire. Par fierté, dans un premier temps, elle reste dans son coin, laissant Drew livré à lui-même. Mais, au fur et à mesure de sa progression, elle a tôt fait de s’avouer que cette maison hantée, elle est vachement réussie. Elle a à peine le temps de se dire que c’est une chance qu’il n’ait pas fait cette attraction en dernier qu’une créature sordide qu’elle ne saurait identifier bondit devant elle en hurlant. Dakota s’arrête en un gémissement de terreur, refusant d’avancer. Son freinage sec pousse Drew à la percutée. Elle peut sentir son corps contre son dos qui lui coupe toute échappatoire. La panique s’installe encore plus. C’est peut-être stupide, mais Dako, elle a la trouille. Poussée par l’avant par Drew qui se doit de continué –autre touriste derrière lui oblige- elle ferme durement les yeux, toujours appuyée sur lui, se laissant guidée. Tout ce qu’elle espère c’est que cette fiche attraction se termine bientôt. Comble du malheur, elle se retrouve devant un escalier ascendant. Elle s’arrête brusquement à nouveau. Dans la pénombre, elle secoue la tête.

- Non. Non, non, non, non, non.

Elle fait volte-face.

- Drew. Je ne vais pas là. »

Pourtant, elle se doute bien que la seule issue : elle est devant.

Il était plutôt heureux ce soir-là, Andrew. Certes, la soirée ne se passait pas aussi bien qu’il l’avait prévu après cette petite exclusion du cinéma dans lequel ils avaient prévu de passer plusieurs heures mais ils n’allaient pas laisser tomber une si belle soirée pour si peu. Ils avaient encore du temps, de l’argent, de l’énergie à dépenser ce soir-là et en très peu de temps, ils avaient réussi à trouver l’endroit parfait pour ça : la fête foraine. Elle était arrivée en ville quelques jours plus tôt comme c’était le cas presque tous les ans à cette période. Andrew n’y était jamais allé mais il avait déjà vu ces grandes attractions, ces vendeurs de gourmandises et cette foule de gamins joyeux. Il s’était promis d’aller y faire un tour quand il en aurait le temps, peut-être avec Nolan, peut-être avec Joshua… Il avait brièvement pensé à y aller avec Dakota aussi, mais après l’avoir laissée seule pour rejoindre son pote il s’en est voulu et s’est dit qu’elle ne voudrait pas le revoir… Quel débile. Au fond, y aller avec Dakota, c’était pour lui aussi bien qu’y aller avec son frère adoptif ou son meilleur ami. Ça leur donnerait l’occasion d’apprendre davantage à se connaître, de passer plus de temps ensemble, de se marrer un peu, quitte à la forcer à faire des cauchemars en la poussant de force dans la maison hantée.

Une main dans son dos, il la faisait lentement avancer avant qu’elle ne décide finalement d’entrer par elle-même comme la grande fille qu’elle était. Pleine de courage, elle a fait son chemin jusque l’intérieur du manoir puis s’est directement mise dans un coin à l’arrivée des petits cris flippants et des musiques terrifiantes. Ah les filles, elles ne changeront donc jamais ? Toujours aussi peureuses, pas assez courageuses… Heureusement qu’Andrew avait des gros muscles et était prêt à la sauver des monstres qui voudraient s’en prendre à elle !

C’est donc d’abord Andrew qui a pris le relais devant la jeune blonde, la laissant le suivre comme bon lui semblait. Il ne tremblait pas mais était quand même un poil stressé. Les films d’horreur avaient beau être son dada, fallait avouer que les décors de cette fausse maison hantée étaient quand même très convaincants, si on l’y avait mis cinq ans plus tôt, il se serait sûrement pissé dessus. Il n’oubliait pas de regarder derrière lui de temps en temps histoire de ne pas perdre Dakota de vue, ce serait quand même bête. Puis la voyant prendre peu à peu confiance, il l’a laissée repasser à l’avant, la suivant de près, sursautant à chacune des apparitions de ces maudits monstres foutrement bien déguisés et maquillés.

Puis ils sont arrivés devant cet escalier aux couleurs sombres, l’ambiance était déjà assez glauque et ils allaient qu’ils y calent un escalier dont on ne voyait même pas le bout. Bordel. « Eh, calme-toi... » Plutôt surpris de l’attitude de Dakota de s’arrêter là, de ne pas descendre, il essayait de la calmer un peu, de la convaincre de descendre cet escalier la première, mourant de trouille lui aussi. On pouvait légèrement entendre les soupirs des autres visiteurs derrière eux mais Andrew y faisait à peine attention. « Il va rien t’arriver, t’inquiète pas. » Il a attendu quelques secondes, ses mains posées sur ses épaules avant de littéralement la soulever. Il l’a prise dans ses bras, passant l’un de ses bras autour de ses jambes et l’autre dans son dos pour venir tenir son épaule, comme un chevalier le ferait avec une princesse… cliché, hein ?

Plein de courage, il s’est mis à descendre les marches une par une, manquant de sursauter à chacun de ces cris affreux qu’ils pouvaient entendre. Atteignant enfin la dernière marche, il était sur le point de souffler quand il sentit une main lui agripper les jambes. « Putain ! » qu’il s’est mis à crier, bougeant sa jambe dans tous les sens pour que le monstre finisse par la lâcher, manquant de tomber une nouvelle fois. Il a fait quelques pas pour finalement découvrir avec surprise cette grande porte vitrée rouge ensanglantée. La sortie. Il s’est mis à marcher le plus vite possible pour rapidement poser sa main sur la poignée et l’ouvrir… Ils étaient enfin sortis de cette foutue maison qui allait certainement lui faire faire un rapide cauchemar cette nuit-là. Andrew avait beau être un garçon plein de courage, il faut quand même dire qu’un rien peut le faire stresser. « Tu vois… c’était pas si flippant que ça ! » qu’il lançait à Dakota qu’il tenait toujours allongée dans ses bras, reprenant doucement son souffle… S’il avait su, il n’y serait pas rentré !