are you fine? ✌ noa

Je voulais voir l’océan pour me remettre d’à plomb. Le gros dommage, c’est que l’idée m’était venue en pleine nuit et que ça avait tourné à une rencontre des plus étranges qui soit. Etrange parce que tous les ingrédients étaient là pour un nouveau drame, mais ça n’a pas fini dans cette catégorie. Restait l’océan. Je ne l’avais pas vu à ce moment-là, mais c’était resté comme mon meilleur médoc possible pour reprendre pied dans ma vie. Cette fois, plus intelligemment, je choisis la pleine journée. J’hésite pour une plage, de préférence déserte, où passer un moment assise dans le sable à contempler les flots. La plage pourquoi pas, mais opter pour le désert, c’est encore repousser le contact humain. Pas question. Je dois me retrousser les manches et y aller. Tout naturellement, c’est vers le Centre Nautique que je me tourne. L’océan à portée de vue, du monde il y en a toujours, toujours une tête connue, et reprendre le rythme de mon job intermittent de prof de surf, voilà ma solution.

Pas de cours aujourd’hui. Mon nom n’est pas au planning. Normal, j’avais prévenu de mon absence pour une durée indéterminée. Je passe d’abord par le secrétariat pour signaler que je reprends mon activité dès que possible. Tout le monde semble content de me voir. C'est encourageant. Ce n’est pas parce que je n’ai pas d’élèves aujourd’hui que je reste sans rien faire. Il y a toujours à s’occuper ici. Vérifier et entretenir le matériel fait parti du job. C’est donc dans la réserve que je m’installe pour passer en revue le matos prêté aux élèves, et ça ne manque pas, des planches jusqu’aux gilets de sauvetage. Ce n’est pas la partie qui motive le plus, alors quand j’ai annonçais que je m’en occupais, j’ai eu droit à de larges sourires.

J’ai ouvert la porte extérieure en grand pour avoir une belle vue sur l’océan. Le temps n’est pas le plus beau, il est comme il faut pour que les embruns pénètrent dans la pièce. On a entreposé un stock de matériel impressionnant. Je me rends compte qu’on conserve des vieilleries inutilisées depuis longtemps qui prennent beaucoup de place. En fait de nettoyage, je me suis lancée en plus dans un rangement drastique. Une voix familière me fait tourner la tête alors que je bataille avec des cordages emmêlés. Nina. Si son attitude est joyeuse, ses mots parlent d’inquiétude. — Salut. Tu vas bien ? T’inquiète plus, tu vois, je suis là.Je commence par sourire largement puis beaucoup moins parce que des raisons d'être inquiète, il y en a une tonne. Je cherche à faire de l’humour mais je ne trouve pas. Je me contente de la regarder, un peu gênée, empotée même, ne sachant quoi faire de mes mains encombrées de filins rouillés et manquant de phrases plaisantes à dire. C'est ce que j'appréhendais. J'y suis maintenant.

Un temps meilleur, c’est le moins qu’on puisse dire. Pour un surfeur chevronné en mal de sensations fortes, pourquoi pas, mais des novices, il faut éviter. — Je vais reprendre du service. Je devrais avoir des créneaux horaires dès la semaine prochaine. Ils vont de nouveau me mettre au planning pour les cours. Je souris. Reprendre le rythme, les cours, bouger, je sens déjà la motivation revenir. Le bruit de l’océan, à proximité, ravive mon coeur. Les remarques de Nina sur la longueur de mon absence signifient que je manque à du monde. L’accueil au secrétariat envoyait la même sensation. Je ne suis pas indispensable, mais ma présence semble être appréciée. Elle insiste sur le fait que mon absence a duré. Je ne me rends pas bien compte. J’ai perdu la notion du temps. — J’ai tardé à revenir. Ouais, je crois bien. J’ai eu besoin d’un peu plus de repos que prévu. J’hésite à poser des questions sur la manière dont s’est passé la fin du voyage et surtout celle du concert. Pourtant j’ai besoin de savoir. Parce que quelqu’un de la bande a peut être remarqué quelque chose de particulier. Si mes agresseurs étaient là-bas, s’ils nous ont suivi. Ou pire si Jack était vraiment là pour m’isoler, complice de l’enlèvement. J’hésite, alors je tourne le filin dans mes mains, donne un coup pied dans une bouée endommagée qui n’a plus rien à faire dans le stock du Centre. Je regarde autour de moi le rangement que j’ai commencé et qui ressemble à l’inverse, l’étalage du pire désordre. — J’essayais de ranger... Comme si j’avais besoin de me justifier... Je finis par regarder Nina. Je me décide. — La fin du concert s’est bien passée ? Pas d’incidents avec les gloutons râleurs ? Ils se sont débrouillés à chercher eux-même leur ravitaillement ? Questions anodines en soit. Logique que je demande comment s’est terminé les vacances du groupe, je les ai laissé au cours du concert. Je me suis contentée d’un échange de sms avec le chauffeur du véhicule où se trouvaient mes affaires pour les récupérer puis de lui dire “merci pour la ballade”. Je n’ai pas salué l’ensemble de notre équipe de baroudeurs avant de m’éclipser.

Un peu plus de repos... quand on fait des folies... ouais, vu du côté de Nina ça devait ressembler à ça. Je l’avais quitté au bras d’un homme avec lequel je comptais passer du bon temps. J’ai du mal à sourire à son sous-entendu. Elle me propose son aide. — J’veux bien. J’en été à trier les gilets. Je ne comprends pas qu’on garde certains qui sont inutilisables. Je vois même pas comment les réparer. A coups de rustines ? Là, je fais de l’humour ! Sérieusement, c’est encombrer le hangar pour rien. Même gagner trois sous pour du rafistolage est absurde. La sécurité passe en priorité. L’océan c’est impardonnable. Du matériel peu fiable, c’est ajouté du risque là où il y en a déjà. — Et j’ose même pas te parler de certaines cordes d’amarrage. Je tends le doigt vers un monticule d’objets près de l’entrée. — Direct à la benne. Au dire de Nina, la fin de soirée après mon départ semble s’être bien passée. Je rigole pour le retour de situation. Le servi devenant serveur ! Ça me fait plaisir qu’elle ait pu savourer cet instant. Reste que je vais devoir aborder le sujet, parce qu’elle risque de l’apprendre et même brutalement. Mieux vaut qu’elle sache. Bon, j’ai plus qu’à trouver la bonne formule. Je vire le filin rouillé que je tripotais parmi les déchets à évacuer. — Nina. Il faut que je te dise un truc. Je soupire. Je repousse une mèche de devant mes yeux. Mes mains sont crades avec ce que j’ai brassé, je n’ai pas pensé que j’allais me zébrer le front en agissant ainsi. — Euh... la soirée... elle s’est... mal finie... très mal... enfin, le lendemain matin... c’est... le matin... que... Jack, l’homme avec qui je suis partie au concert... J’ai mon coeur qui s’emballe, rien qu’en repensant à mon réveil à ses côtés. — Il est mort. Ce n'est que le début du cauchemar, mais rien que cette intro est démentielle.

— Le boss, ça va. En fait, il y a des achats réguliers de matériels neufs. Le problème, c’est plutôt que personne n’a vraiment envie de faire du tri. Le meilleur est sur la pile, le reste est entreposé au fond. Personne ne veut prendre la responsabilité de jeter quelque chose. On se planque derrière la formule “peut-être qu’un jour ça dépannera, peut-être qu’un jour on fera réparer.” Mais non, ça traine et ça se dégrade même quand ça ne sert pas. La situation devait être la même dans bien des lieux et pour toutes les activités. Chez soi, aussi ! Je stocke moi-même trop souvent des fringues ou des objets qui restent inutilisés pendant des lustres. Quand le tiroir de la commode ne peut plus fermer, c’est le signal qu’il faut ranger. Nina est serviable. A peine dit, qu’elle met la main à la pâte. Mais, le rangement devient vite futile quand je parle du drame vécu. Expliquer, on en est là. Malgré toute l’émotion qui m’assaille, je me lance. — Il a été assassiné. Poignardé. C’est toujours aussi dur à raconter. Parce que... — Il y’avait du sang partout. Lui, moi, on en était couvert. Partout dans le lit. C’est... C’était... A chaque fois que j’en parle, je me retrouve au milieu. Je me retrouve dans ce lit, dans cette chambre dans son appartement. J’étends le bras à sa recherche. Il est là immobile. Je regarde mes mains. J’y vois ce rouge sombre qui n’est que de la rouille, mais que mon esprit ne manque pas d’assimiler au sang séché sur nos corps. Je suis ici. Je suis là-bas. — Je... sais pas c’qui s’est passé... comment... Parce qu’on n’imagine pas qu’à chaque instant de sa vie, on peut être confronté au pire. On n’est pas prêt. Je ne l’étais vraiment pas. Jamais, je n’aurais imaginé ! — J’ai pas entendu ! Je dormais. J’me suis réveillée et... il était mort. J’ai envie de crier comme à l’instant où je l’ai découvert gisant. Je sens déjà sur moi l’emprise des doigts qui vont m'attraper à ce moment-là. Je sais ce qui va se passer. J’ai déjà mal. Instinctivement mes bras remontent pour protéger mon visage des coups qui viendront ensuite. — C’est horrible. T’as pas idée comme c’est horrible !

L’attention de Nina me va droit au coeur. Elle me prend dans ses bras. Le moindre réconfort est le bienvenu dans cette période si troublée. Je la serre contre moi, sans l’accaparer plus qu’elle ne veut, la laissant s’écarter au bout de quelques instants. Difficile d’imaginer ce qu’on ressent quand on se réveille avec un cadavre à ses côtés. Je souhaite que Nina n’ait jamais à affronter une telle expérience. La joie de vivre, c’est trop précieux pour être endommagée. Elle me demande s’il y a une enquête d’ouverte. Evidemment. Je hoche la tête. — Oui. Il a y une enquête, parce que la police n’a pas retrouvé les agresseurs pour l’instant. Il faut que je lui explique la situation, parce que je ne sais pas dans quel sens vont partir les flics dans leur recherche. Je me lance dans le récit de l’épopée tragique. — Il est mort par ma faute. Je soupire. Tristesse au niveau maximum. — Enfin, je veux dire c’est à cause de moi. J’l’ai pas tué de mes propres mains. Nouveau soupir, parce que quand même... Je résume le drame dans les grandes lignes. — Des types ont débarqué chez lui. Ils l’ont tué et ils m’ont enlevée. Ils voulaient que ma mère leur paie une rançon. Je regarde autour de moi. Ce quotidien est si simple, faire du surf, enseigner à d’autres. J’aurais tant voulu que cela reste aussi simple. Pourtant je n’imaginais pas que ma vie était tranquille, très souvent j’y mettais le feu en buvant trop et en prenant des risques dans ces moments-là. Mais ce n’était rien comparé à cet enlèvement. Non vraiment, je n’imaginais pas à quel point ma vie était paisible, il n’y a encore qu’une quinzaine de jours de cela. — J’ai eu droit déjà à des questions et c’est pas fini. Je dois leur faire un portrait robot, mais je me sens incapable de leur donner la moindre indication. Tout s’emmêle dans ma tête. Je regarde Nina. Je lui fais un petit sourire tristounet. — Je suis désolée, mais je pense que je pourrais pas éviter de donner le nom de tous les gens de notre groupe au concert. J’espère que les flics ne viendront pas vous déranger. Je sais pas. Enfin, je suis désolée si tu te retrouves mêlée ou interrogée. Je baisse la tête. Je me sens mal d’ajouter une chose parce que ma propre responsabilité est en jeu, mais Nina a été peut être témoin de quelque chose que j'ai loupé. — Quelqu’un a dit que Jack, le gars en costume bleu était peut-être pas innocent. Qu’il était là pour m’entrainer avec lui. Je relève la tête mais évite de croiser le regard de Nina. — Si c’est le cas, je suis vraiment la plus conne des nanas sur cette terre de mettre faite embarquer si facilement.

Au cours de notre discussion, Nina m’entraine pour que nous puissions nous asseoir, hors du bazar que j’ai mis partout en me laçant dans ce rangement. C’est aussi bien. Je me sens tellement mal rien qu’à faire remonter ses souvenirs pour en parler que ma respiration est plus saccadée. Je garde les mains de Nina dans les miennes. Cela me tranquillise. Et puis à voir son regard, elle a besoin d’être autant rassurée. Elle ne me tient pas rigueur si je donne son nom aux enquêteurs. Tant mieux, je ne pense pas que mentir là-dessus serait une bonne idée. Ses bras viennent une nouvelle fois m’entourer. — C’est gentil de me dire que rien n’était visible. Ouais, il était gentil et drôle. Si par hasard Jack était complice... D’une manière ce serait autant que l’enlèvement parce que c’est vrai que je me mets parfois dans des situations pourries. Parfois... J’haussement d’épaules. Ouais, les situations limites ne manquent pas quand j’ai un peu trop bu. — Même un peu plus que parfois. Il faut que j’arrête. J’crois que je vais être vaccinée pour un moment. D’un autre côté, s’il l’était, complice, il ne serait pas mort pour rien. Parce que oui sa mort, une mort, n’importe laquelle, c’est la plus terrible des choses qui puisse se produire et dans une telle situation c’est pénible à accepter. Parce que... — Un dommage collatéral ! Elle est impossible cette expression. Qui a inventé ce terme ? Un militaire, un tueur à gag, un sociopathe. Elle minimise tellement la mort de quelqu’un. Alors une raison, même si je dois passer pour stupide... Non, je ne peux pas, il plaisantait, il riait, il jouait même de son nom. Je ne peux pas croire qu’il ait trempé dans cette histoire sordide. Je ferme les yeux un instant. — S’il est mort juste parce qu’il était là au mauvais endroit avec la mauvaise personne... Je pourrais soupirer vingt fois que je ne parviendrais pas à expulser cette sensation de responsabilité qui m’étouffe. Je regarde Nina en essayant de sourire. — Je suis désolée. Je te tombe dessus avec cette histoire de fous, de meurtre, alors que tu étais venue passer un moment de détente au Centre. Promis, la prochaine fois, on ira barboter dans l’eau quoiqu’il arrive, quelque soit le temps. Si l’océan n’est pas aimable avec nous, on se fera un parc aquatique ou une piscine, ou on s’trouvera un jacuzzi, mais clairement ce sera détente à cent pour cent. Et pour la remercier de sa gentillesse, je pose un baiser sur sa joue.

Nina n’a pas tord pour ce qui est de ne pas se laisser bouffer par cette histoire, oui bien sûr. Je bataille pour cela, mais c’est plus facile à dire qu’à faire. J’aurais donné un conseil similaire, mais quand on se trouve à l’intérieur de la bourrasque les idées et les certitudes s’envolent trop vite. Nos forces cèdent face à la puissance du tumulte. Je lui souris. — Je note ton conseil. Il est juste. Je me sentirais mieux en l’appliquant. Il faut que j’y arrive. Mais c’est du boulot. Un gros boulot sur soi ! — Merci pour l’offre. J’hésiterai pas à faire appel à ton oreille attentive si j’ai besoin. A l’inverse si tu as besoin. Quoique, en ce moment, mes idées sont dans les tons gris foncés-noirs, mais bon. J'espère que ça ne va pas durer. Un petit rire pour effectivement replacer la qualité de mon aide dans la mouvance de mes états d’âme actuels. D’autant que je me souviens que Nina m’avait confié, lors du concert, que sa situation était compliqué. Démêler un écheveau de problèmes, je ne sais pas si je suis apte. Cependant, il est parfois plus facile de voir la lumière d’une bougie dans les problèmes des autres que dans les siens.

L’annonce d’une sortie détente réjouit Nina plus que je ne l’avais imaginé. D’un bond la voilà prête à y aller et à m’entrainer avec elle. — Ah ! Mais ! Tu as vu le bordel que j’ai mis dans le garage avec mon rangement improvisé. C’est cent fois pire qu’avant. Une poule n’y retrouverait pas ses poussins. J’en ai mis partout. Pourtant l’idée est tentante. Tout laisser tomber. Parce que si je suis encore dans les tourments que m’a laissé mon enlèvement, ce nettoyage commence à devenir prise de tête et je comprends pourquoi tout le monde repousse le moment de s’y coller. — Ben... Je sais pas... Je peux pas laisser tout en vrac comme ça, il faut au moins remettre les choses à leur place. Je me lève à mon tour en me grattant la tête. Puis je me mets à sourire largement. — Ouais, ta raison, ce serait le truc le plus cool à faire maintenant. Mais faut être correct quand même, on repousse dans les coins où c’était et on file prendre du bon temps. Je ne peux que rire à cette idée alléchante, chasser ses angoisses dans des remous.