You are human, and you have to feel ♦ Isaac&Eanna

Le vent est fort en cette soirée d'hiver, met en bataille tes cheveux que tu t'es tant acharnée à discipliner le matin même. Les gens ne s'imaginent pas l'effort capillaire fourni par ceux dont la chevelure donne l'illusion qu'ils n'en ont fourni aucun. Mais tu n'as pas le temps d'arrêter ta colère sur un détail aussi futile que l'état de ta coiffure. Elle fonce, droit vers l'appartement où tu aimes passer parfois quelques nuits blanches, à parler de tout et de rien avec un être cher à ton cœur, elle fonce, aveugle, entraîne tes jambes comme l'eau dans une turbine. Tu n'as pas un regard d'excuse pour les passant que tu heurtes sans ménagement, malgré ta taille frêle, rien ne saurait t'arrêter. Mais au fond tu ne sais pas contre qui cette colère se dirige. Toi ? Isaac ? Aslinn ? Ton père ?
Aslinn. Revenue d'entre les ombres de ton passé, sans nouvelles depuis bien longtemps elle est subitement venue te retrouver sans que jamais tu ne lai aies laissé le moindre indice sur le lieu où tu te trouvais. Mais tu te doutais bien qu'elle savait, elle était la seule à savoir que tu entretenais une correspondance avec Isaac, que tu avais été le voir, des années plus tôt pendant sa tournée. Il ne fallait pas s'appeler Sherlock Holmes pour deviner où tu étais allée te fourrer. Mais ce que tu n'avais pas compris, alors qu'elle avait débarqué dans ta vie le matin même, c'était pourquoi. Pourquoi prendre la peine de te retrouver alors que tu as quitté Galway il y a trois ans ? Pourquoi, alors qu'elle avait sûrement toujours su où tu te trouvais, avait-elle attendu si longtemps avant de venir t'engueuler d'être partie sans un regard en arrière ?
Isaac. Demi-frère inconnu jusqu'à ce qu'il vienne se planter sur le pas de la porte de ta maison d'enfance, celle que tu as quitté pour le rejoindre à l'autre bout du monde, pour vivre au plus près de la seule personne qui a toujours pris la peine de te comprendre. Tu lui avais couru après durant tant d'années avant de trouver le courage de te présenter, de bouleverser sa vie comme il avait, sans le savoir bouleversé la tienne. Il avait fait voler en éclat ton enfance, toutes tes certitudes sur la perfection de ton paternel, ton modèle, et tu étais tombée amoureuse de lui. Mais pas un amour passionnel, un amour fraternel pour cet homme dont tu n'avais jamais partagé le quotidien mais dont tu voulais désormais partager la vie. Aussi contradictoire que cela puisse paraître, un lien incassable s'était formée entre toi, qui continue malgré tout d'adorer ce père que vous avez en commun, et lui qui voue sa vie à le haïr.
Ton père. Un homme sévère et doux, autoritaire et aimant, un homme qui t'a aidée à te construire, qui t'a appris à discerner le bien du mal, le vrai du faux.Tu as toujours été l'exemple parfait des petites filles dont le rêve ultime est d'un jour épouser leur papa. Un papa que tu n'as pourtant pas hésité à quitter quand tu as quitté ton pays pour rejoindre l'enfant qu'il a eu bien avant toi, sans laisser d'adresse ou de numéro où te joindre. Un père aujourd'hui rongé par la maladie, un père que la mort est sur le point de venir cueillir.
C'est ce qu'Aslinn est venue te dire, c'est ce qui a déclenché ta colère, et après avoir passé la journée à te demander quoi faire, c'est ce qui t'as fait prendre le chemin de l'appartement d'Isaac, parce qu'il est toujours celui dont tu as besoin dans les moments difficiles.
Tu entres dans son appartement au moment même où il ouvre la porte sur laquelle tu as tambouriné. Un peu tremblante, tu retires ton manteau, tu en oublies presque de le prendre dans tes bras, comme tu fais chaque fois que tu le vois, depuis la première fois que tu es allée à sa rencontre.Ton regard tourmenté se pose partout, sauf sur lui, tu fuies son regard, celui qui te ferais fondre en larmes. « Tu vas bien ? ». Tu tentes un sourire, tu sens déjà que sa présence apaise un peu ta peur, ta colère. Tu ne sais pas trop comment aborder le sujet. Votre père va mourir, tu as beau savoir qu'Isaac ne ressent rien d'autre que de l'antipathie envers lui, tu ignores de quelle façon il va réagir.
Tu t'installes sur le canapé, à la même place que d'habitude et ton attitude trahit ton état d'esprit. Tes doigts s'emmêlent entre eux et ton esprit semble se livrer bataille à lui-même. Les yeux rivés au sol tu soupires. « J'ai vu Aslinn ce matin. ». Tu ne prends pas la peine de préciser qui est Aslinn, tu as largement eu l'occasion de parler de ta famille de Galway avec Isaac, il sait tout de toi. « Papa est malade. ». Tu as planté le décor, le sujet de la soirée, sans fioritures, sans tourner autour du pot. Ce n'est pas ton genre, tu as beau être douce et délicate, tu as la franchise pour qualité. Tu attends sa réaction, dans le plus grand des silences. Tu n'as pas précisé de quel mal ton père souffrait, mais le son de ta voix laisse peu de place aux illusions quant à son espérance de vie. En fait, tu le réalise toi même à cet instant, tu prends conscience de la gravité de la situation, de l'horreur de la nouvelle. Tu vas perdre l'une des deux moitié qui t'a donné la vie. Ton cœur se serre, tu retiens tes larmes.