Libre - Mais qui a perdu son chat ?

Mais qui a perdu son chat ?

Je me trouve au poste au commissariat. Je fais mes papiers administratifs pour mes dernières enquêtes. Je suis assise, je sais que j’ai pas mal de choses à faire. En tous les cas, je suis devant mon pc, et je sais que je dois tout taper sur l’ordi. Je vais me lever pour prendre un bon café. Je reviens à mon bureau en ayant une personne assise sur la chaise. Je suis surprise, je m’arrête un peu et je vais voir mon collègue qui se trouve à l’accueil. « Tom, tu peux m’expliquer pourquoi est-ce que j’ai une personne assise à mon bureau ? » Je le vois faire une grimace et il me répond : « Et bien Hannah, je n’ai pas eu le choix, la personne a demandé à voir une personne absolument parce qu’on lui aurait volé son chat… » Je soupire, je me dis qu’il doit bien y avoir un truc, je fronce les sourcils, et je me dirige vers mon bureau, je dis à la personne que j’ai devant moi. « Je suis l’inspecteur Varenko, je vais m’occuper de votre affaire. »

La convocation disait 10h. Je suis en avance. Une demi-heure ! Ouais, un accident de parcours, je suis en retard la plupart du temps. Je n'aime pas les postes de police. Aujourd'hui, je suis en mode victime. Je suis mal à l'aise comme pas possible. Mode camouflage activé avec mon sweet à la capuche rabaissée sur mon front, que je ne quitte plus depuis plusieurs jours, pas envie qu'on voit les restes de mon tabassage sur mesure. J'ai toujours la paupière gauche enflée. Une demi-heure à attendre. Je me pose dans un coin. Attendre, c'est tout. Laisser passer le temps. Il y a foule, un va-et-vient étonnant. J'ai entendu un type parler de l'arrestation de toute une bande de dealers. D'où le souk ! A côté de moi, assise sur le banc, une vieille dame emmitouflée dans son univers à l'opposé des truands, à quelques mètres de nous, qui gueulent des obscénités. Elle a sorti son tricot. Une maille à l'endroit, une maille à l'envers. Elle lève la tête de son ouvrage et pose son regard sur moi. Je le sens sans le voir, il est tellement insistant. Je cède et me tourne. — Tenez-moi ceci, s'il vous plait. Je reviens de suite. Je me retrouve deux aiguilles en main reliées par une future chaussette en laine. Comment dire non à une vieille dame qui vous sourit ! Je la vois filer vers les sanitaires. Pas le temps de comprendre grand chose au tricot, qu'un homme en uniforme me donne l'ordre de le suivre. J'abandonne l'ouvrage sur le banc pour lui emboiter le pas. Il m'amène à un bureau vide. C'est reparti pour un tour d'attente, mais j'ai avancé d'une case. Une femme approche. Quand elle me voit, elle repart. J'ai une allure si repoussante ? Elle finit par me rejoindre en donnant son nom. Par politesse, je lui réponds. — Noa Lane. Toujours la capuche sur la tête, le regard fuyant, je hoche de la tête au fait qu'elle s'occupe de mon affaire.

Mais qui a perdu son chat ?

La personne que je vois devant moi est emmitouflée dans son pullover. Je ne sais pas trop quoi en penser, mais je vois bien qu’il y a une petite chose qui ne va pas du tout. Etant seule dans la salle, je ne comprends pas vraiment si je dois ou pas chercher l’un de mes collègues. Mais bon, j’observe la jeune femme, elle me donne son nom. Je sors alors ordinateur pour noter son affaire. Je lui demande alors gentiment : « Comment s’appelle votre chat ? Il ressemble à quoi ? Vous auriez une photo de lui ?  » Je sors une pochette aussi pour ranger toutes mes paperasses par la suite. Je ne sais pas vraiment ce qu’elle a mais, je me dis qu’il doit y avoir un problème.

J’entends que mon collègue en uniforme me fait un signe de la main. Je comprends le truc, une personne a dû passer devant une autre cela le fait souvent. Je me dis que l’on va devoir se parler, mais qu’elle va aussi devoir me dire ce qui lui arrive. En tous les cas, je me dis qu’il doit y avoir un truc pour le vol du chat. Ou alors je suis vraiment fatiguée. Néanmoins, j’ouvre une autre page pour ouvrir l’affaire suivante. Après tout, cela peut être une jeune personne qui a perdu son chat. Tout le monde peut avoir un chat, puis, je ne comprends pas pourquoi est-ce que mon collègue ne vient pas me parler. Mais bon, je le laisse à ses affaires. Je patiente donc gentiment le temps que Mme Lane me réponde.

Voilà les questions les plus saugrenues que j’ai jamais entendu dans une telle situation. En fait, c’est la première fois que je suis dans cette situation ! Elles ne sont peut-être pas saugrenues. C’est peut-être une manière de détendre l’atmosphère, apaiser les victimes. En leur parlant de leur environnement le plus sympathique qui soit. A sa place, cependant, je n’aurai pas formulé de cette manière, mais je ne suis pas flic. Tout de même... Je regarde à droite et à gauche, des fois que ce serait une mauvaise blague. Parce que tout de même il y a un petit problème... Je m’approche, je pose mes avant-bras sur le bureau pour être encore plus près et je lui murmure la réponse. — J’ai pas de chat. J’ai pas de photos de chats non plus, mais je peux vous en trouver si vraiment ça vous branche. Sinon, là dans l’immédiat, s’il faut absolument une photo, j’ai celle de mon frère. C’est un garçon très gentil, hyper serviable, il sait même faire la cuisine. Qu’est ce que je raconte ! Je vais quand même pas lui caser mon frère sans savoir si elle est sympa. Et puis c’est pas le sujet. Et puis même pas du tout. Je ne suis pas là pour ça. Je me laisse retomber sur le dossier. — J’ai pas de chien non plus. Des fois que... — Pas de canaris, ni de tortue, ni... de poissons rouges. C’est peut-être pas la peine de s’éterniser sur les préliminaires. Si ? — Une fois, j’ai gardé une mouche enfermée sous un verre retourné. Mais pas longtemps. C’est peut-être un test psychologique. Merde, j’aurai pas dû parler de la mouche, ça fait pervers !

Mais qui a perdu son chat ?

Me penchant aussi, je dis à la jeune femme : « Ne dites rien, vous êtes passée devant la personne qui a perdu son chat ? Mais qu’est-ce que vous faites là ? » L’observant gentiment, je vois bien qu’il y a quelque chose qui ne va pas. Je me dis que je dois trouver une solution. Je ne dis rien de plus, je réfléchis à comment faire pour qu’elle m’explique ce qui ne va pas. Je me lève, je vais lui chercher une bouteille d’eau et je lui pose devant elle. Je ne sais pas vraiment ce que je peux dire de plus, je trouve qu’il faut qu’elle se décontracte. Mais, je peux comprendre que la victime ait besoin de temps avant de parler.

Je ne suis pas pressée de toute façon, je me rassois sur ma chaise et je patiente. Je préfère ne pas trop me prendre la tête, je trouve qu’il ne serait pas commode si je l’embête trop brusquement. Je vois bien que la jeune femme n’aime pas du tout être là. Elle est là parce qu’elle doit être là, mais elle n’est pas à l’aise du tout. Je tente alors de la faire parler. « Je vois bien que vous n’avez pas trop envie d’être là, alors on va faire au plus vite comme ça vous pourrez rentrer plus rapidement chez vous. » Je souris, je suis contente finalement de pouvoir l’aider. Mme Lane va bien finir par me parler.

Nous revoilà parties pour des confidences. Je me décolle du siège pour de nouveau m’approcher. J’ai volé le tour de quelqu’un. — Oh ! C’est la dame âgée qui était partie aux toilettes quand votre collègue est venu me chercher. J’avais son tricot dans les mains, c’est peut-être pour ça qu’il a confondu. Fin limier le loulou qui est venu me chercher sur mon banc. Ouais parce que le tricot ça fait toute la différence. Il n’y a qu’une tricoteuse de chaussette qui peut venir quémander l’aide de la police pour son chat, c’est bien connu. Et je l’avais dans les mains. Le malaise continue et se relance même de plus belle. Je regarde autour de moi de nouveau. — C’est pas correcte de lui voler sa place. Vous êtes sûre qu’on a le droit ? Parce que la police est la protectrice du bon droit des gens, non ? Cela ne semble pas gêner mon interlocutrice. Peut-être que ses collègues la maintiennent à ne s’occuper que des dossiers minables. Peut-être que lui offrir une super affaire serait ma BA de la journée. Sauf si elle s’occupe des chats parce que pour les humains, elle est inapte. Mais après tout, je suis là et je n’ai pas envie d’y être. En finir au plus vite, bonne idée. Je rapproche mon siège pour garder cette connivence entre nous. — Je viens pour un meurtre et un enlèvement dont j’ai été victime. Je la surveille pour vérifier ma théorie de l’enfermement en bas de l’échelle de la petite nouvelle ou ma théorie de l’incompétence absolue. Je ne suis pas profiler, mais si elle se met à pousser des cris en faisant des sauts de puces autour du bureau, c’est que la théorie 2 est juste.

Mais qui a perdu son chat ?

« Hum, j’irai chercher la vieille dame par la suite ne vous inquiétez pas. » Je souris, je me demande bien ce qu’elle a pu me dire par la suite. Je réfléchis, je l’écoute, elle me dit qu’elle est passée devant la dame. Cela arrive parfois, je vais m’en occuper après. Déjà ; je suis surprise par les réponses que la jeune femme a bien pu me donner. Je ne sais pas s’il s’agit d’une blague ou pas, en tous les cas, je l’observe attentivement. Je comprends qu’elle a bien pu être choquée. Je réfléchis un peu plus et je lui réponds : « Je la prendrais après, ne vous inquiétez pas, je crois qu’il s’agit de la dame habituelle. Elle est ma voisine, elle passe toujours ici pour me dire que son chat s’est sauvé. » Je ne sais pas trop ce qu’elle va penser de tout ça, en tous les cas, je patiente un peu pour mettre mes idées dans le bon sens.

Je sais qu’il ne faut pas se fier aux apparences que si cette jeune femme a dit et vécu tout ça, c’est qu’elle a bien vécu ça. Je prends alors une pause, et je lui dis : « Je vous crois, je ne sais pas pourquoi mais pour l’instant, je vous crois. Je ne sais pas ce que cela va nous donner. Mais, je pense que je vais prendre votre affaire. Je vous écoute. On va prendre tout votre temps. » J’ai bien vu qu’elle n’est pas du tout calme, qu’elle stresse, qu’elle n’est pas bien du tout, mais vu la situation, je ne vais pas la renvoyer chez elle. Je vais lui laisser le temps pour qu’elle puisse me parler. Je n’ai pas eu tellement d’affaires comme celle-là depuis la mort de mon mari. Je cherche mon alliance que j’ai encore à mon doigt. Puis ; regardant la jeune femme, je lui dis : « Il faudra que vous me suiviez chez le docteur pour faire des prélèvements aussi. Afin que l’on retrouve toutes ces personnes qui vous ont fait ça. Est-ce que vous pouvez me parlez de tout ça ? »

Je lui mentionne mon enlèvement et... elle me croit ! Sérieux ? Encore heureux ! Ou j’explose, je pique une colère en lui balançant “est-ce que j’ai une tête à raconter ce genre de conneries ?” ça me défoulerait parce que j’ai tellement de stress à évacuer. Je préfère la faire cool, même si je ne le suis pas. Je me cale dans mon siège, les mains serrées sur mes genoux, le regard perdu sur son bureau. J’enlève le “cool” et je mets “calme” à la place. Je cherche comment je dois raconter l’histoire. — Je sors de l’hosto. Ils ont... ils m’ont regardé sous toutes les coutures. Vous devriez récupérer leur bilan. D’ailleurs, je me serais passée volontiers de certains examens, vachement trop intime, parce que j’avais absolument pas envie, mais quelqu’un s’est entêté pour dire que c’était la procédure et je me suis buttée de mon côté pour dire que ce n’était pas utile. Le truc qui devait prendre un quart d’heure en a pris deux. Au moins ! — Mais euh... Je tends le doigt vers son écran d’ordinateur. — Vous devriez avoir des traces de mon affaire parce qu’avec le nombre de policiers qui sont venus me délivrer, ça n’a pas dû passer inaperçu. Il doit y avoir un rapport. Je pousse un soupir. C’était incroyable tous ces flics armés qui ont déboulé dans la maison. J’essaie de mettre mes mains dans mes poches de pantalon pour me donner une contenance. Non, en fait, je ne sais pas quoi faire de mes mains. — On m’a dit de venir pour officialiser les choses et faire un portrait robot, mais j’ai pas d’images précises de mes ravisseurs. Je fronce les sourcils, non vraiment je ne parviens pas à mettre un visage autour de ces yeux. — Il faut que je vous raconte exactement comment ça s’est passé ? Je me mords la lèvre inférieure. — Ça va être long. Ça y est j'ai trouvé de quoi occuper une main. Je la passe sur mon visage. Elle s'attarde sur mon front, devant mes yeux. Je me cache derrière elle. Tout raconter. Le point de départ. — Ça a commencé lors d'un concert.

Mais qui a perdu son chat ?

« D'accord, je note alors, je vais aller voir pour prendre votre dossier. Comme ça, j'aurais les informations que j'ai besoin. » Je l'écoute alors attentivement, je lui dis gentiment : « Je suis arrivée ici, il y a peu, je vais voir dans l'ordinateur après, là, j'aimerais l'entendre de votre part. Je  trouve que cela est bien mieux. Vous pouvez prendre votre temps. Je ne suis pas pressée du tout. » Je me dis qu'elle doit être rassurée. Je lui dis alors en souriant : « Et bien, on va faire ça gentiment, venez à côté de moi, on va faire votre portrait robot. Et puis, s'il y a plusieurs versions de la personne cela n'est pas mal non plus. »

Je l'observe gentiment, et je lui dis : « Et bien, si vous souhaitez me le dire, vous pouvez. Sinon, je me fierais au dossier, mais il est fort possible que je revienne vers vous afin de vous posez des questions. » Je me doute que cela peut être assez casse pied pour la jeune femme, mais je trouve qu'il est pas mal que je tente de la faire plus en douceur avec elle. Je l'écoute, je lui demande : « Vous êtes allée à quel concert  Il était bien ? Il devait y avoir pas mal de monde, vous y êtes allée toute seule ? Ou avec des amis ? » Je ne la presse plus de questions afin de ne pas la mettre encore plus mal à l'aise.

Je prends aussi mon stylo dans les mains afin de noter attentivement tout ce qu'elle va bien me dire. Je préfère aussi lui laisser le temps de respirer afin qu'elle ne panique pas trop. Je me dis que l'on va bien y arriver. Seulement, je me demande bien comment est-ce que je vais faire pour qu'elle me raconte tout sans trop être mal.

Le portrait-robot, je ne suis toujours pas prête à me lancer. Lui raconter mon histoire me parait une première étape. C’est donc par là que je commence. — Le concert était chouette. Je hoche de la tête. — Un festival, fin juin. Nous étions tout un groupe. Des personnes qui prennent des cours de surf avec moi au centre nautique. Nous avions envie de faire un road trip le long de la côte, tous ensemble durant plusieurs jours. Nous avons fini par ce concert. C’est là que j’ai rencontré Jack Olanderne. Il m’a dit connaitre ma mère. Nous avons sympathisé. Le groupe est parti de son côté et je suis restée avec Jack. Je prends une respiration et quelques secondes de silence. — J’ai passé la nuit avec lui. Je vais pas lui détaillé ce qu’on a fait tout de même. C’est clair, non ? J’ai passé la nuit avec lui, voilà. — Le lendemain quand je me suis réveillée... Ça, c’est trop horrible comme souvenir ! Comment je peux expliquer ? Cette vision. Tout ce sang. Je n'en avais jamais vu autant répandu. — Je... J’ai... Il était à côté de moi dans le lit... Il y avait du sang partout. C’est tellement dur à dire. Je cherche les mots au fin fond de mes entrailles. — Quelqu’un a parlé de vingt-trois coups de couteau. Est-ce que c’est vrai ? Je pose la question sans avoir envie de connaitre la réponse, alors j’enchaîne sans lui laisser un blanc pour répondre et surtout je veux me débarrasser des mots qui sont prêts à se bloquer dans ma gorge et m’étouffer. — Quelqu’un m’a jeté au sol et m’a frappé, j’ai pas eu le temps de... de comprendre, de m'défendre, de... de faire quelque chose. Voilà c’est dit, c’est fait. Et après... Parce qu'il y a un après, mais rien que la première partie mérite un instant pour digérer et reprendre sa respiration avant d'étouffer.