confessions noctures (rhéa)

Tu étais de corvée d'inventaire. Tu n'aimais pas plus ça que ça, ça te bouffait tes soirées, mais ça signifiait aussi heures sup'. Comme personne ne s'était dévoué, à l'exception de Rhéa et que vous deviez être au moins deux pour espérer ne pas y passer la nuit et le reste de la matinée, c'était tombé sur toi. Ou plutôt, tu avais décidé de ne pas la laisser complètement tomber, la pauvre, déjà qu'elle s'était dévouée.

Vous aviez commencé rapidement, en espérant, sans doute très bêtement y passer le moins de temps possible, sans doute pouvoir passer une nuit normal, un sommeil réparateur. C'était foutu d'avance, vous n'auriez pas fini avant le lendemain dans la nuit, il fallait se rendre à l'évidence. Le patron était sympa, mais particulier. Il lui arrivait, comme cette fois-ci, de laisser la tâche d'inventaire de côté une, deux, trois fois... puis rattraper ça, c'était juste impossible. Ou alors en y passant un temps fou.

Debout devant ton comptoir, assis sur une des chaises hautes, tu étais en train de griffonner ce que Rhéa te disait alors qu'elle comptait les verres, les stocks de boissons, de grains de café, etc. Tu lui avais lâchement laissé la tâche difficile de tout ça, mais autant l'avouer, ça te faisait aussi du bien d'être de l'autre côté de l'immense comptoir derrière lequel tu servais de barman. En barrant deux ou trois informations, tu te rendais vite compte qu'elle était plus productive que toi. « Je ne pensais pas te suggérer une telle chose, mais tu veux pas qu'on échange ? Tu vas trop vite pour moi, j'ai arrêté de suivre aux cacahuètes... » Puis surtout, tu commençais à avoir besoin d'une sérieuse pause. Le genre avec café, pizza, bref, de quoi faire redémarrer ton cerveau.

Elle avait accepté, et tu lui avais souri, puis vous vous étiez vite remis au travail, jusqu'à deux heures plus tard, alors que plus aucun de vous deux ne suivait. En te retournant, tu ouvris un sachet de croissants jusqu'alors immaculé. Tant pis, tu te ferais engueuler au petit matin, ou vous l'enlèveriez de l'inventaire. Tu le posais sur le comptoir et sortais deux tasses, dans lesquels tu versais un peu du café "pour les employés" autrement, du café à la grosse cafetière, imbuvable, mais tout ce que vous aviez le droit en service. Puis au moins, vous pouviez prendre des grandes tasses. Tu lui en posais un sous le nez, accompagné d'un croissant. « Tiens... » Tu la regardais un instant avant de t'asseoir sur la chaise haute que tu avais déplacé derrière le comptoir, pour lui faire face. Et tu plongeais finalement ta tête vers ta tasse.

AAAAH ! Mais quelle idée j'ai eu, non mais franchement, pourquoi j'ai dit oui ? Pourquoi je me suis proposée ? Ah oui pour avoir une soirée à moi et être payée double. Elle est pas conne la guêpe, l'inventaire c'est chiant, long, mais il y a des avantages. Déjà parce que demain je ne bosserais pas, repos et qu'ensuite je vais être bien payée ! À moi le dernier résident evil ! Oh yay ça va envoyer du lourd demain dans l'appart ! Shit, faut que je demande à Jo de bien nourrir Gus junior, je sais qu'elle va pas oublier la laitue pour Gus senior, mais on ne sait jamais. Hop, sms envoyer. Retour à la réalité : l'inventaire. Une chance je fais cette torture avec le magicien, soit Emrys pour les non intimes. Cette mission, oui parce que je moi considère cela comme une mission risque d'être … longue. Très longue, surtout quand on voit la motivation de Rys… pire qu'une tortue. Il aurait dû prendre une drogue, aussi douce, voir forte soit elle. Enfin il a de la chance, j'accepte volontiers d'échanger. Oui je me trouve gentille, le laissant compter et moi noter. Est-ce que je suis une pile ? Jo dit qu'il m'arrive d'être pire que le lapin Duracel, je perçois cela comme un compliment. Des comme moi y en a pas deux. C'est juste que je me dis, plus vite fini, plus vite je retrouve la douceur de mon lit. Oh chaleur, oh bonheur, oh repos. Chacun sa motivation, lui je sais pas ….

L'heure avance et nous …  plus vraiment. Je reconnais que ma motivation en a baissé un coup. Je le laisse nous servir à manger et à boire. On mérite bien une petite pause. Puis je vois à sa mine qu'il y a quelque chose derrière tout ça… ou alors juste la fatigue. J'en sais rien, mais moi j'ai faim. « Merci ! » lui dis-je en attrapant ma tasse, brûlant, on va attendre un instant. « Alors pourquoi avoir dis 'oui' ? Je sais que ma présence te remplie de joie, mais t'avais pas mieux à faire ? » Avalant goulûment le croissant, je me fais pas prier et il manque un peu de chocolat. Passant mon corps sur le bar, enfin je me plis du mieux que je peux pour attraper les petits carrés de chocolat. Soit mon pêché mignon, j'en dépose une poignée sur le bar. Il ne dira rien, on a nos techniques pour éviter de se engueuler, puis au pire, j'ai envie de dire qu'on les mérite amplement. « Quoi d'neuf dans ta vie en ce moment ? T'es retourné la voir ? » Rhéa ou l'art de mettre les pieds dans le plat. Je déteste passer par quatre chemins et il le sait. Il m'adore pour ça, ou pas. Non mais l'avantage avec Emrys c'est qu'il ne juge pas et écoute comme il se doit. Puis lui et moi avons plus de point commun que je le pensais … je dépose du chocolat dans mon croissant, et déguste le tout. J'en profite même pour tremper ce dernier dans le café, qui se refroidit doucement. Oui cette pause est grandement méritée !

Une fois posés... pause, tu avais vite profité de vous servir de quoi vous refaire parce que tu n'en pouvais plus. Manger allait vous faire le plus grand bien, il fallait juste que vous vous y mettiez avant de faire des erreurs et de devoir tout recommencer. Tu craignais d'ailleurs bien assez cette situation, tu n'avais clairement pas envie de repartir à zéro et de manquer une bonne nuit de sommeil. Ta tête se lève difficilement. Tu n'as pas vraiment envie de raconter les raisons qui t'ont fait accepter. Certes, malgré sa touche d'humour, tu as d'abord dit oui parce que c'est Rhéa qui s'était proposée. Travailler avec elle, c'est beaucoup plus simple pour toi qu'avec certains autres de vos collègues. Ça va toujours plus vite et vous ne vous prenez jamais la tête parce que vous ne travaillez pas forcément à la même vitesse. Vous êtes assez complémentaires à ce niveau et ça te fait du bien, un peu, de pouvoir prendre le recul dont tu as besoin pour faire l'inventaire. D'autant que c'est une tâche complètement insensée à tes yeux.

« J'ai dit oui pour me vider la tête... » Tes problèmes te pompent ton moral actuellement. Tu vis un peu trop vite pour essayer d'oublier, mais tu n'arrives pas à te sortir de la tête que les deux femmes de ta vie sont en train de s'éloigner de toi et que leurs deux maladies risquent de les emporter loin, même si ta mère, c'est depuis toujours. Rhéa est au courant du problème de ta mère, d'ailleurs. Elle a eu l'occasion de tout découvrir, malgré les soupçons qu'elle avait déjà, puisque tu vas sans cesse "voir ta mère" mais n'as pourtant pas grandi avec... te trouver à la sortie de l'hôpital psychiatrique l'a clairement aidée à tout comprendre. Seulement, à cela, s'ajoutait d'autres problèmes, dont tu n'as encore parlé à personne et tu n'arrives pas à gérer autrement que dans le travail.

Elle pose un peu de chocolat qu'elle a pris de l'autre côté du bar, non loin de toi. Rien de mieux pour être bien, tu en prends suffisamment pour t'en goinfrer toi aussi. Et c'est la bouche pleine que tu lui réponds « C'est pas le top. Son état s'aggrave de jour en jour... La dernière fois que j'y suis allé, elle n'a même pas été capable de me reconnaître à cause de sa folie... » Ce qui est étrange d'ailleurs, puisque, tu l'as su récemment, ça ne fait pas partie des symptômes de son dédoublement de personnalité. Mais, un gentil médecin t'a vaguement expliqué que si une de ses personnalités ne te connaît pas, alors elle ne pouvait pas te reconnaître. Ton humeur avait énormément baissé depuis, et tu n'avais généralement le sourire que devant tes amis à la coloc et quelques fois, quand un client essayait de te dérider parce que "tu ne souriais pas assez". Comme si ça t'intéressait en ce moment ! Tes yeux se posent sur Rhéa. Tu adores la regarder faire, elle te fait penser à ta tante au petit matin, bien qu'elle, elle évitait assez le chocolat s'il y avait un croissant dans l'histoire. Vous aviez beau être supposés être au travail, ça te faisait du bien que ce soit avec elle plutôt qu'un autre, vraiment.

L'inventaire ça me désespère … oh jolie rime. Enfin ça me désespère dans le sens que j'ai l'impression qu'on ne va jamais en voir la fin … et moi je l'attends mon lit, mon netflix et mon jour de repos. Nous voyons ici mes vraies motivations : le jour de repos. Faut pas croire, mais je suis loin d'être la nana la plus bosseuse qui existe. D'abord parce que j'ai arrêté mes études, mais ça en soit ce n'est rien, mais parce que je n'ai pas de réel qualification. Oui bon ok, ça aussi c'est rien … Juste que j'aime pas qu'on me donne des ordres et puis on peut pas dire que mon job soit des plus fantastiques, mais bon on s'en moque, je paye ma part du loyer. J'ai de quoi m'offrir mes trucs et les horaires ne sont pas des plus affreux. Oui la vie aurait pu être pire, imaginez cinq secondes si j'avais décidé de rentrer dans la justice ou que sais-je. Erk ! Moi porter un costume tous les jours … Ouais non je n'ai pas envie d'éviter. Ceci dit j'aurais pu rentrer dans un cirque, je suis sûre que j'aurais fait sensation en dresseuse de félin. Il suffit de voir mon dressage sur Gusgus, aussi doux qu'un agneau. Bon ok je n'ai pas de mérité il est toujours doux, encore plus doux que ses draps ! C'est ma mirlaine à moi, faites gaffes les meufs : je prête pas facilement. Fin bref, je me serais bien vue au côté des félins, mais bon à la longue je sais que j'aurais eu peur. Quand je vous dis que les félins auront un jour ma peau ce n'est pas des blagues. Je sais de quoi ils sont capables. Les légendes ne sont pas que des légendes, on ne raconte pas ces histoires juste par plaisir. Il y a vraiment des nanas qui ont été retrouvés mortes à cause de leurs chats ! Faut que je méfie avec Gus junior, on sait jamais s'il développe des idées de psychopathes. Je suis sûre que ça viendra de son père .. fin de Gus, fin je me comprends. Bon sang qu'est-ce qui met passer par la tête ce jour-là pour dire oui … Dieu que j'aimerais bien le savoir .. Si tu le sais, éclaires un peu ma pauvre lanterne. Mon compagnon de soirée finit par me sortir de mes songes chatiennes. On va dire que ça se dit okay ? Flemme de trouver des mots, les inventés c'est aussi bien. Puis tout le monde comprend où je veux en venir … au pire du balai … Il pouvait tout aussi bien dire que j'étais la raison, toute façon lui comme moi on le sait. Il n'aime pas bosser avec les autres et inversement. Bon moi j'ai une excuse à l'inverse d'Emy : j'aime pas les gens. Bah quoi ? C'est une très bonne excuse, mais ça n'explique en rien pourquoi je bosse au contact des gens … Oui je sais faudrait que je me fasse soigner, je vous jure que j'ai déjà essayé, mais j'ai fini par arrêter. Trop chiant les pilules, faut savoir les gérer, puis ne pas les oublier. J'ai déjà besoin d'un mémo pour ne pas oublier ma pilule le soir, alors des médocs en plus. Le croissant dans la bouche, je ne manque pas à mettre les pieds dans le plat. Qu'on m'applaudisse, des comme moi y en a pas cent. Heureusement qu'on se dit souvent. « C'est pas le top. Son état s'aggrave de jour en jour... La dernière fois que j'y suis allé, elle n'a même pas été capable de me reconnaître à cause de sa folie... » Petite grimace. Je pourrais dire que je comprends, mais à l'inverse de lui, j'ai 'échappé' à tout ça. Est-ce que je me trouve chanceuse pour autant ? Pas vraiment, lui a gardé une connexion avec sa mère, moi .. C'est une autre histoire. « Et les docs en disent quoi ? J'suis sûre qu'ils t'ont donné un jargon à dormir debout. T'en penses quoi d'tout ça ? » Trempant un nouveau croissant dans mon thé et choppant un chocolat. Le morale revient doucement, je ne sais pas ce qu'il nous reste à faire. Détournant le regard un instant, enfin regardant de plus près Emy. « Et sinon t'as rien d'autres à me cacher ? J'te trouve bien silencieux ... » Faudrait que j'arrête d'être si direct. « J'te préviens si tu comptes me faire une déclaration … je risque de ne guère l'apprécier, t'es pas foutrement mon type » mais je sais aussi détendre l'atmosphère. Grand sourire avant de me rendre compte que j'ai des moustaches. Sympa il aurait pu me prévenir !

C'est difficile pour toi de te concentrer, il faut le dire. Tu as pensé, à tort, que faire l'inventaire, ça t'aiderait à faire le vide. En fait, c'est exactement pour cette raison que tu t'es jeté corps et âme dans le boulot. Tu t'es persuadé que c'est ce qu'il te faut pour oublier, pour te perdre dans tout ça, et pour avoir la tête ailleurs. Le problème, c'est que toutes les raisons qui t'ont poussé à trop travailler te tourmentent. Elles sont présentes dans ta tête à chaque fois que tu te demandes pourquoi tu as accepté toutes ces horaires en plus. Ces putains de raisons de merde. Ces raisons à la con qui te donnent la gerbe, qui te font tourner la tête et qui te donnent envie de pleurer, comme un bébé, en position fœtale. Alors t'as carrément sauté sur l'occasion : l'inventaire avec Rhéa, ça a toujours fonctionné pour t'aider quand ça n'allait pas, même quand vous parlez des diverses marques de bière que t'es obligé d'installer bien plus régulièrement que juste tous les matins à cause de certains soûlards qui n'arrêtent pas de venir.

T'as pas pu t'en empêcher. Elle a deviné. Pas tout, bien sûr, mais une grosse partie. Ta mère, c'est ton souci quotidien. C'est compliqué pour toi d'aller la voir, mais ça l'est d'autant plus les jours où tu n'y vas pas. Les médecins sont pessimistes. Ils sont persuadés que si son état continue à se dégrader, tu devras l'enterrer d'ici les prochains mois parce qu'elle se laisserait mourir. Déjà qu'elle ne mange plus vraiment, à ce que t'ont dit les infirmières qui s'occupent d'elle. Tu as dit à voix haute ce que tu préférais garder pour toi. Ta mère ne te reconnaît plus. Rien que ça, ça te fait terriblement mal. Tu as du mal à en prendre conscience. Surtout depuis ta tante. Surtout... Tu es en train de perdre les deux seules femmes qui t'ont donné la vie : ta mère, qui t'a mis au monde, et ta tante qui t'a permis de vivre sans te soucier de ce que demain serait fait. Et ça, tu n'es pas certain de pouvoir l'avaler et le digérer. Un jour, tu le sais, ça va juste t'exploser à la gueule. Alors, tu préfères travailler encore et encore en espérant que tu finisses par penser autre chose. Sauf que ça fonctionne pas. Tu haussais les épaules. « Que son dédoublement se transforme en trouble et altère sa mémoire. Déjà que ça altérait la partie saine qu'il restait de son cerveau... » T'y comprend que dalle. Le trouble dont elle souffre, t'arrive déjà pas à retenir son nom. C'est aussi difficile à prononcer qu'il est douloureux de la voir dans cet état quasi léthargique. Comme si elle était sur son lit de mort, les médecins étant déjà incapable de te dire combien de temps il lui reste.

Rhéa, elle te connaît. Elle sait quand tu ne vas pas bien. Et là, c'est de pire en pire. Tu sens que tu es sur le point de tout lâcher. Égoïstement. Tu perds conscience de tout ce qui t'entoure, à tel point que tu n'as même pas remarqué qu'elle t'observait attentivement. « Il... hm... il paraît que... que j'ai une sœur. Elle est venue la semaine dernière au bar... Je suis pas certain de ce qu'elle me raconte, mais pourquoi est-ce qu'elle viendrait sinon ? Et puis ma tante... c'est de pire en pire, il ne lui reste vraiment plus longtemps. » Voilà, tu y es. Ce moment où tu t'ouvres et où tu n'as qu'une seule envie, t'enfouir dans ton lit pour pleurer, caché du monde extérieur. Le pire, c'est que, bah non, c'est pas tout.

Je ne suis pas le genre de fille qui adore consoler ses amis. Enfin je dirais plutôt que je ne suis pas douée pour réconforter les gens. Cependant, oui parce que j'ai pas que des défauts, faut arrêter les conneries. Je disais quoi ? Ah oui du coup je sais tout de même les écouter et par moment, il m'arrive d'avoir un moment de lucidité. Et dans ces micros moments, oui parce que faut pas déconner vu mon cerveau c'est plus souvent des conneries qu'autre chose, j'arrive à réconforter mon âme en peine, fin celle qui se trouve en face de moi. Pas la mienne, non parce que moi je me réconforte à coup de tequila et glace. Combo gagnant ! Pour ceux qui n'ont pas testé, vous ne savez pas ce que vous perdez. Toujours est-il que là, mon énergie se concentre sur Emrys. Gentil Emrys, il pourrait être un bisounours ou autre nounours. Le genre qu'on apprécie poser sur son lit ou avoir contre soit. Bon j'ai pas envie d'accrocher Emy à ma penderie faut pas déconner non plus, mais je sais qu'avec le temps, il est devenu … un ami. C'est étrange à dire, mais pourtant c'est le cas. C'est un gars bien et tout ce qui lui arrive c'est .. moche. Je l'écoute me parler des calvaires qu'il endure avec sa mère. Parfois je me demande si j'aurais été sa place si … mon père était toujours dans ma vie. Peut-être que oui, peut-être que non. Personne ne peut me dire, ma vie aurait certainement été différente, ça j'en suis sûre. Je serais peut-être pas aussi proche d'Ic à l'heure actuelle.. J'en sais rien. « Arf … tu vas continuer à aller la voir j'espère ? Après t'sais les jargons de toubibs … ils causent plus qu'autre chose ... » Vous voyez là par exemple, je n'ai pas les mots adéquates. Ma lucidité m'a quitté. Elle s'est envolée, vole petit oiseau … ok faut que j'arrête le chocolat, ou bien que je dorme. L'un comme l'autre me ferait du bien … je continue de le regarder ou plutôt de le fixer. L'air de dire 'tu vas pas t'en sortir aussi facilement' je me doute bien qu'il n'y a pas que ça. Je sens … différent, pas comme d'habitude. Alors comme je suis au moins douée pour quelque chose… oui, oui à mes yeux je suis douée pour mettre les pieds dans le plat. Il en faut des gens comme ça, j'aime pas tourner autour du pot, c'est ennuyant. Puis toute façon on met plus de temps pour en arriver à la même conclusion. J'ouvre grand mes yeux, ainsi que ma bouche. « attends rembobine .. tu entends quoi par il paraît que j'ai une sœur ? T'es sûr de ça ou bien ? Non toute façon j'vois pas pourquoi elle viendra te dire des conneries. Ou alors ... » je réfléchis un instant. « Tu me caches pas que blinder de tunes par hasard ? Non là encore je vois pas pourquoi elle viendrait … ces jeunes sont étranges. Et ça te fait quoi d'avoir une sœur ? Fin si tu réalises ? » J'en pose de ces questions, vu sa tête, on peut pas dire qu'il réalise tout ce lui tombe sur le bout du nez. Je m'approche de lui, posant ma tête sur son épaule. « Mon pauvre Emy … et t'es là avec moi ? Sérieusement ? Pourquoi t'es pas avec eux au lieu d'être là avec moi qui me plains sans cesse ? » Je capte son regard. « à moins que t'es encore des confessions ? » faut que j'arrête de vouloir lui tirer les vers du nez. Un de ces jours ça va me retomber dessus. « Bon ! Il va nous falloir un plan et vite ! » je saute du tabouret et passe derrière le comptoir. À la recherche d'un papier et d'un crayon. Il va falloir qu'on trouve un plan pour le remette sur les pieds ce teddybear !

Rhéa, c'est le genre à t'écouter. En soi, t'as pas besoin de plus, mais tu sais que lorsqu'elle y met du sien, elle peut être de très bon conseil et d'un grand réconfort. Seulement, elle n'y met pas souvent du sien, c'est là que c'est embêtant. Le plus énorme dans tout ça, quand tu y réfléchis, c'est qu'à l'origine vous n'étiez pas partis pour être amis, seulement des collègues qui s'entendent cordialement. Mais tu es bien content que les choses aient changé, ça tu t'en caches pas, faut le dire aussi. Et puis, elle sait un bon nombre de choses sur toi, tu n'as donc pas besoin d'expliquer et réexpliquer encore et encore. Tu sais à quoi t'attendre, elle aussi, et t'es bien content de pas avoir besoin de te justifier, parce qu'elle n'est pas comme ça Rhéa. Elle écoute, attentivement (enfin, quand elle veut, toujours), mais elle ne juge pas. Elle ne l'a jamais fait, c'est pour ça que tu te confies à elle, toi qui trouvais que se confier à quelqu'un ça faisait tout sauf viril. Bah ouais, chacun son avis, d'abord.

Tu réfléchis un instant à ce qu'elle te dit. C'est ta mère avant tout, tu n'as donc aucune raison de refuser d'y retourner. Même si tu n'es plus vraiment certain que tes visites puisse lui apporter un certain réconfort, toi, ça te fait du bien de voir qu'elle est toujours en vie, même si ça te fait tout aussi mal de voir qu'elle ne te reconnaît plus. Ta mère c'est aussi un peu ta prunelle dans le fond. Certes elle ne t'a pas élevé, mais même dans sa folie, vous avez eu de magnifiques moments, des moments de joie, de déconne, bref, des moments où elle était elle et pas cette folle que les infirmiers semblent regarder avec plus de dégoût que d'intérêt. T'es bien content de l'aimer comme un fils, même si elle te blesse un peu plus à chaque visite. Et puis tu sais très bien que c'est pas sa faute. Alors tu laisses couler, tu sais que tu y retourneras quoi qu'il en soit, parce qu'une fois qu'elle ne sera plus là, tu le regretteras. « Je la laisse pas tomber, non. » Et puis tu es déjà à deux doigts de perdre une mère, ta tante allant vraiment mal, alors tu essaies de profiter un maximum des deux.

Même si tu sais que la fatigue a probablement gagné le cerveau de Rhéa qui, malgré la justesse de ses paroles, semble dérailler dans sa façon de présenter. Tant pis, tu comprends là où elle veut en venir, c'est l'essentiel. Et puis l'explosion. Tout déballer. « J'entends que mon père, en plus d'avoir disparu de la circulation, a refait sa vie il y a quelques années. Et ça me tue de le dire, mais en y réfléchissant bien, on se ressemble assez... » Ca te plaît pas plus que ça, d'avoir une sœur, même si elle n'est pas responsable de l'irresponsabilité de ton père et de sa connerie. Puis toute façon, tu ne le connais pas, tu juges peut-être sans savoir. Tu souris à Rhéa. « Non, je suis pas un Rotschild ou peu importe. Je sais pas trop. C'est bizarre et en même temps, ça m'étonne presque pas... » Tu ravales ta salive. Là, ça te fait pire que mal. Tu n'arrives pas à soutenir la douleur dans les yeux de ton oncle et de ton cousin. Tu as déjà la tienne à soutenir, c'est compliqué. Et tu as sans cesse l'impression d'être un intrus qui s'ajoute à la peine et la douleur de ta famille. « Non. J'ai envie de penser à autre chose, c'est pour ça que je redouble mes heures de travail quand je le peux. » Puis ça augmente ton chèque à la fin du mois. « J'enchaîne les conneries, donc d'ici peu y aura de quoi rajouter. Un plan pour ? » T'as assez honte pour ne pas dire que t'as couché avec genre LA collègue que ni toi ni Rhéa ne supportez. Alors clairement, pour l'instant, tu fermes ta bouche, tant que ça n'a pas de répercussions dans ta vie, c'est déjà ça !

« Je la laisse pas tomber, non. »  Je souris à ces mots et je suis bien contente qu'il ne l'abandonne pas. Dans le fond je m'en doutais, ce n'est pas le genre d'Emy. Il lâche pas les gens aussi facilement, comment je le sais ? Il suffit de voir notre relation, nous étions clairement pas voués pour être ce que nous sommes aujourd'hui. Soit des amis. Oui Emrys est mon ami, tout comme Gus, enfin en moins cher, mais il est tout aussi important. Moi qui m'étais jurée de ne plus faire confiance aux hommes … voilà que je me suis entichée amicalement bien sûr, de ces deux là. Tous deux différents, mais tout aussi important pour moi. Je regarde Emy et mange une bouchée. Je n'ai rien d'autre à rajouter. Je savais qu'il la laisserait pas tomber. Ce n'est pas lui, il a bon fond, trop bon fond .. un jour ça lui causera sa perte, mais bon … Et puis .. si c'était ça. Je veux dire, je pourrais être à sa place. Maintes fois je me suis interrogée sur mon père, sa situation … lorsque nous étions enfants, je le voyais perdre la tête. Pour la gamine que j'étais, c'était dur, mais j'aimais aussi les moments où il était là. Où il nous faisait rire … et faut que je pense à autre. Penser à mon père, on ne peut pas dire que ça me fasse réellement du bien. C'est une partie de moi, mais une partie bien trop douloureuse .. puis faut que j'en parle à Icare, ça c'est autre chose. Alors pour le moment je préfère me goinfrer et surtout écouter Emy. Oui je l'écoute, j'ai pas les mots adéquates, mais je l'écoute. Les amies ça sert à ça, non ? Si et Emy c'est pas le genre de gars que je vais emmener dans mes plans farfelus, non ça c'est mon plaisir avec Jo ou avec Gus, ça dépend de l'idée de la connerie. Je dirais bien qu'avec Gus, on part souvent loin … trop loin, surtout quand on a bu. Après tout c'est un super poney de compétition/ princesse. Lui c'est vraiment un mec exceptionnel .. mais pour le coup, je me vois pas faire ça avec Emy. Je l'adore, mais je pense pas qu'il soit doué pour faire le poney de compétition, Non ce n'est pas son style. Mes yeux s'ouvrent un peu plus grand lorsqu'il m'explique pour sa famille. « oh mon dieu ... » que je dis la bouche pleine. Alors ça, ça pour une nouvelle … je me rends compte au passage que j'ai un peu, beaucoup postillonné … le pauvre. Je sais que je suis une plais par moment, mais là. J'attrape un essuie tout et essuie, lui enlevant mes dégâts qui se trouve sur lui « désolée » que je rajoute. Vraiment pas douée la meuf. « et ça t'fais quoi d'avoir une demi sœur … ton père est revenu ou juste elle ? » Il faut aussi que j'arrête de mettre les pieds dans le plat. Pas ma faute, je vais voir un psy je vous rappelle. Du coup je suis habituée à aller directement vers les choses. Oui puis j'aime pas tourner autour du pot … Bon il est temps qu'on règle tout ça. Attrapant de quoi écrire. Je sens qu'il me regarde étrangement, il devrait être habitué depuis le temps à mon grain de folie. « De plan pour remettre ta vie dans le droit chemin. Bon t'es sûr que tu as plus rien à avouer, parce que c'est pas une fois que le plan sera en route qu'il faudra me sortir un autre truc ! » Je le songe un instant, bon alors voyons voir … deux tableaux. « D'abord pour la partie famille. Je pense que le mieux est que tu en parles avec ton cousin … vous êtes proches non ? » Je le regarde et continue à écrire. « puis arrête de te dire que tu es de trop. C'est ta famille … dans ce genre de moment … c'est important ... » je me racle la gorge et continue à faire mon petit bordel sur ma feuille. Pour l'instant ce n'est pas très clair, mais ça va le devenir. « Pour la partie sœur … hum .. là c'est une bonne question … j'pense que tu dois creuser plus … savoir ce qu'elle te veut … ou mieux … » et là je mets plein de trait sous ma phrase et lui pose devant ses yeux. « savoir ce que TU veux » voilà ce que j'ai écris .. c'est ça qui est important … qu'il pense à lui avant tout.

Ta tante, c'est ton roc. Comme Newton. C'est un peu plus compliqué avec ton oncle, mais c'est une autre histoire. T'as un véritable problème avec les figures paternelles, surtout si elles te concernent. Mais t'y peux un peu rien, un père qui t'a abandonné, c'est assez difficile comme ça à avaler et digérer. Au lieu de ça, c'est vrai, tu as souvent rejeté ton oncle quand tout ce qu'il voulait, c'était t'aider. Mais c'était moins récurrent qu'auparavant, et tu avais réussi à accepter que, grâce à lui, tu avais eu une deuxième chance. C'était toutefois ta tante qui comptait le plus derrière ta mère, et sans elles, tu n'arriverais pas à affronter le monde. Assez paradoxal puisque les épreuves que tu affrontes actuellement tournent autour d'elles deux. Mais ta mère, bien qu'instable, tu n'étais pas prêt de la laisser tomber, même si cela signifiait pour toi souffrir avec elle. C'était un infime sacrifice que tu avais pris la décision de réaliser dès que tu as compris que tu avais le choix d'aller la voir ou non.
Alors, quand il faut parler de quelque chose qui fait mal, c'est plutôt ce que tu n'acceptes pas qui sort. Comme ton père et sa fille, ta soeur. Que tu voyais plus comme une soeur qui n'a pas eu le choix de supporter ton père. Ca te rendait fou, toutefois, de savoir qu'il avait refait sa vie, laissant ta pauvre mère envahie par sa folie, dépressive et bipolaire comme jamais, alors que lui se la coulait sans doute bien douce avec sa femme et ses enfants. Enfin, apparemment, il n'y en avait qu'une, Ginnifer. Mais tu n'étais pas prêt à affronter pour ça, c'est pour cette raison que tu n'arrêtais pas de travailler, encore et encore, sachant que tu serais suffisamment crevé en rentrant le soir pour ne plus penser à rien. Ouais, ça c'était ton rêve. Avoir la tête vide, ne pas penser, ne plus rien entendre d'autre que le silence. Mais c'était impossible seulement. Mais tu avais haussé les épaules. Oui, c'était terrible à dire, mais le travail, c'était un bon remède à tout ça, après tout. « Oh oh ! Il peut revenir quand et si il veut, c'est pas moi qui viendrais l'accueillir. » Tu n'étais pas quelqu'un de particulièrement rancunier, sauf que tu ne supportais pas l'idée que ta mère était dans cet état-là à cause de l'égoïsme d'un type qui s'était cru plus important que tous les autres. Ta réponse était toutefois dans ta phrase. Non, il n'était pas revenu, et t'en aurais rien à foutre si c'était le cas un jour. « Je ne sais pas. Je ne me fais pas encore à l'idée. Puis j'ai pas envie d'y penser. » Surtout, t'avais autre chose à penser que ça, alors c'était pas la peine d'en rajouter encore dans le fouillis qu'était ta tête actuellement.
Tu regardes Rhéa. Faut-il parler d'Ada ? Vous ne l'avez pas revue depuis... eh bien, depuis. Mais tu préfères l'enlever du tableau, ça te faisait un souci de moins à gérer. Pff... boire suffisamment pour se réveiller, nu, à côté de la seule meuf au monde que tu ne supportais pas. Franchement, Em', t'avais fait fort pour le coup ! Tu acquiesçais. Ouais, t'étais proche de Newton. C'était comme ton frère, mais en mieux. Tu avais fini par acquiescer à nouveau. C'était vrai, mais tu te sentais parfois de trop dans leur malheur, rajoutant de la peine à ceux que t'aimais avec tes traits tirés. Tu n'ajoutais rien, écoutant avec attention.
Tu regardes avec attention le bout de papier de fortune de Rhéa, un petit sourire sur le visage. Souligné de plusieurs traits, elle avait laissé un énorme "Tu" qu'elle avait également dit à l'oral pour souligner son point de vue, que tu l'acceptes ou non. C'était comme ça avec elle. Tu étais d'accord avec elle, tant mieux, sinon tant pis pour toi, point barre. « Merci Rhéa. Qu'est-ce que je ferai pas sans toi ? » Tu regardes vaguement votre inventaire, l'air dépité, avant de réaliser qu'il reste un carton, à moitié vide, et tout petit à faire. « Je te promets, j'essaie d'y réfléchir dès que je me retrouve dans ma chambre. En attendant, on s'y remet ? » Tu la regardes, elle te souris. En moins d'un quart d'heure, vous avez fini votre inventaire. Tant mieux, il est tard. Après que vous ayez fini de tout ranger, tu te vêtis pour sortir et souhaite une bonne soirée à ton adorable collègue. Vous fermiez le café et, après lui avoir fait un bisou, tu t'en vas de ton côté, direction la colocation. C'est d'une bonne nuit de sommeil dont tu as besoin, après une journée de travail intensif, mais surtout de cette conversation, certes bénéfique mais très éreintante sur le plan psychologique. Oui, dormir, ça te fera définitivement du bien.