the only thing that's not extinct is instinct ; pv.maya

Jordan ne se souvient même plus pourquoi elle s’est faite inviter à ce gala, mais les faits sont les suivants : elle y piétine depuis une demi-heure, et elle y piétine seule. Elle a déjà fait deux dons, bu une coupe de champagne et mangé trois toasts. Tenu deux conversations avortées par une tierce personne. Compté tous les plafonniers de la salle de réception. Et elle hésite fortement à s’en aller. Théo avait prévu de l’accompagner, mais s’est senti fiévreux au moment du départ. Plus désireuse de se montrer en société que de rester cloîtrée dans leur grande suite d’hôtel, Jordan s’est quand même rendue au gala en solitaire.

L’ambiance est si calme et posée qu’elle peut entendre ses talons aiguille claquer sur le sol en marbre de la salle de réception, alors qu’elle marche en direction du buffet. Il lui faut une nouvelle coupe de champagne, et aucun des serveurs n’a l’air de vouloir passer près d’elle. Vraiment, la Nouvelle-Zélande est moins bien fournie que New-York en ce qui concerne les événements de ce type. Et sans personne pour lui tenir la jambe ou lui faire la conversation, Jordan a de plus en plus envie de rejoindre Théo à l’hôtel et se blottir contre lui. C’est sur cette pensée qu’elle attrape une coupe sur le buffet, avant de se saisir d’un toast et d’une petite serviette. Elle place cette dernière sous son menton, afin d’éviter que de malheureuses miettes ne viennent se perdre dans le décolleté de sa robe immensément longue.

Une fois son toast fini, Joe porte sa coupe de champagne à sa bouche mais au moment d'y mettre les lèvres elle se fait bousculer. Le liquide doré et pétillant s'échappe du verre en cristal et s'échoue à la fois sur son menton et sur son décolleté. La belle affaire ! Tentant de garder son calme, elle fait volte-face pour voir qui a osé commettre un tel affront.

 

En faisant volte-face suite à une bousculade et un malheureux accident de champagne renversé, c’est nez-à-nez avec une serveuse que se retrouve Jordan. La tenue est assez équivoque, la tête de la concernée également. L’anglaise a plusieurs options devant elle. Piétiner furieusement jusqu’à ce que la serveuse se confonde en excuses. Ou se mettre à sourire et la rassurer. Lui dire que ce n’est rien, que le champagne porte bonheur. Ou demander à voir son employeur, afin qu’elle se fasse remonter les bretelles pour tant de maladresse. Mais finalement, Joe ne fait rien de tout ça. Elle soupire, et fait un geste de la main pour indiquer à la serveuse de disposer. Elle se retient d’ajouter “Avant que je m’énerve”. Après tout, c’est vrai, ce n’est rien, juste un peu de champagne dans le décolleté. Elle s’essuie rapidement le menton, consciente que des badauds autour d’elle ont dû regarder la scène du début à la fin, s’attendant sûrement qu’elle ne crée un scandale. Seulement, Jordan n’est pas friande de scandales. Surtout quand c’est elle qui doit les provoquer. Ce n’est pas son genre, et certainement pas dans un endroit où elle est seule comme une pierre.

Une voix juste à côté d’elle attire l’attention de Jordan, alors qu’elle baisse sa main contenant la serviette qui a servi à essuyer son menton et sa clavicule trempés. Elle tourne un peu la tête, et reconnaît une jeune femme qu’elle a déjà croisé à New-York, longtemps auparavant. Elle ne parvient pas à mettre un prénom sur son visage et se sent très malpolie, surtout que la blonde a l’air de parfaitement se souvenir d’elle puisqu’elle la tutoie. Jordan sourit, pour se donner bonne conscience, et hoche ensuite la tête. Elles se mettent en marche en direction des toilettes.

- Oh ça fait un bon bout de temps, déjà. J’y suis avec mon fiancé, Théo, tu te souviens de lui ?

Jordan ne sait pas si l’inconnue blonde a un quelconque rapport avec Théo, alors elle tente cette approche. Elle espère fort qu’elle ne se fera pas piquer en train de rechercher dans sa mémoire, et qu’au pire des cas la jeune femme ne lui en tiendra pas rigueur. Après tout, cela doit faire des années qu’elles ne se sont pas croisées ! -du moins le pense-t-elle-.

 

Au grand regret de Jordan, la jeune blonde ne semble avoir aucun rapport avec Théo. Elle tente de cacher sa gêne en l'entendant lui demander s'ils sont ensemble depuis longtemps. Elle doit avouer qu'elle ne s'en rappelle pas elle-même... Sans s'arrêter de marcher, Joe soupire discrètement et se mord la lèvre inférieure avant de répondre :

- Quelques bonnes années !

C'est vague, mais ça fera l'affaire. Non, vraiment, elle ne se souvient pas de la date à laquelle elle et Théo ont été fiancés. Il faudra qu'elle y réfléchisse. Qu'ils se créent une date anniversaire, peut-être. C'est le genre de chose qui rapproche, dans un couple, même si eux deux n'en sont pas vraiment un. Du moins... ils le sont seulement sur le papier. Dans leur coeur, ça peine à changer. Jordan voit la blondinette hocher la tête en souriant alors qu'elles arrivent aux toilettes des femmes. Elle s'y engouffre en première, évitant une autre invitée qui souhaite en sortir, et se dirige directement devant les lavabos. Elle se saisit d'une des serviettes de mains qui sont disposées sur des plateaux dorés et se met à sécher le champagne dans son décolleté. Les toilettes de cette salle de réception sont plutôt classes, comparées à ce que Jordan a déjà pu fréquenter à Island Bay. Ca lui rappelle New-York, et c'est pas plus mal. L'autre jeune femme, assise sur le rebord du coin lavabos lui demande si elle a besoin d'aide, et Jordan secoue la tête en lui souriant légèrement.  

- C'est gentil, merci, ça va aller. Puis elle lève la tête et ajoute : "Tu viens souvent avec une tenue de rechange dans ce genre d'événement ?"

C'est là une pratique que Jordan trouve bien étrange. Même elle, coquette et soucieuse de son apparence en société, n'a jamais pensé à faire cela. C'est aussi la première fois qu'une telle mésaventure lui arrive... D'ordinaire, elle part de chez elle et y revient propre comme un sou neuf. On ne lui renverse pas du champagne dessus par mégarde, ou on ne la bouscule pas pour que cela soit elle qui se tache.

 

Lorsque la petite blondinette raconte à Jordan que c’est à cause de sa mère qu’elle a toujours une tenue de rechange avec elle, l’anglaise a un pincement au coeur. Elle n’a pas vraiment connu sa mère, cette dernière étant décédée à l’aube des dix ans de Jordan, avant que la famille Coalman, désormais amputée, ne vienne s’installer à New-York. La brune se demande souvent ce qu’il serait advenu de sa relation avec sa mère si elle avait toujours été en vie. L’accompagnerait-elle dans ce genre d’événements ? Seraient-elles liées, à la différence du père et de la fille ? Aurait-elle eu à se fiancer de force pour aider à la conclusion d’un contrat entre deux riches familles ? Ces hommes seraient-ils morts ? Non, tout serait totalement différent si la mère de Jordan était encore en vie.

- Non, elle n’a pas l’air abîmée… murmure la brune en agitant encore un peu la serviette au niveau de son décolleté, coupant un peu la tirade de la mystérieuse jeune femme aux cheveux blonds. Par contre, je pourrais rien faire pour l’odeur de champagne, ajoute Jordan en haussant un peu les épaules.

La blondinette dont le nom échappe à Joe vient à vouloir évoquer des choses horribles qui se seraient passées à ce genre de soirées. L’anglaise réfléchit quelques secondes avant de lui répondre, avide de connaître à son tour la pire honte de la blondinette :

- Je crois que je n’ai jamais connu quelque chose d’horrible… Elle marque encore une pause et ajoute d’une voix monocorde : ”Si bien sûr on oublie le harcèlement sexuel que j’ai déjà pu endurer…”

Oui, elle l’a dit. Elle ne parlera pas du reste et restera évasive si son acolyte du soir désire en savoir plus. Après tout, cet événement ne regarde désormais qu’elle et son père. Son ancienne amie aussi, mais c’est une autre histoire. Avant que la blondinette ait le temps de demander plus de détails, Joe se retourne un peu vers elle et, en déposant la serviette désormais usagée dans la corbeille dorée prévue à cet effet derrière l’un des lavabos, lui demande :

- Et toi alors, du coup ?
 

Pendant que la blonde parle, Jordan lève sa main au niveau de son décolleté et relève légèrement sa robe afin de baisser la tête et d’en sentir l’odeur. Celle de ce champagne est plutôt discrète, elle a connu bien pire. Et ce n’est pas comme si une crevette s’était retrouvée entre ses seins… Rien de bien grave, somme toute. Elle enverra sa robe au pressing. Ou en rachètera une autre. Jordan a l’habitude de combler son coeur de la sorte, ça ne changera rien pour elle, finalement.

- D’ordinaire, j’aurais râlé, mais va savoir, je préfère rester gentille en ce moment. La pauvre, elle travaille un samedi soir, je ne vais pas en plus la faire renvoyer… soupire l’anglaise en souriant légèrement.

Oui, elle se radoucit carrément, par rapport au caractère dont elle fait preuve, habituellement. L’ancienne Jordan, petite fille de riches, laisse place à la nouvelle Miss Coalman. Certes, elle est toujours une petite fille de riches, mais elle devient beaucoup plus humaine. Ce changement viendrait-il de sa relation avec Théo ?

Quand la brunette parle de harcèlement sexuel, elle est surprise de recevoir une étreinte de son acolyte de la soirée, alors qu’elle est en train de lui retourner la question. Il n’est pas habituel que les convives d’un tel gala aient ce genre de comportement entre eux, du moins ce n’est pas le style de Jordan, même avec les gens qu’elle connaît de longue date. Elle rend légèrement son étreinte à la petite blondinette, et rappuie le bas de son dos contre le marbre entourant les lavabos ivoire.

- Pas mal, je me servirai de ça à l’avenir… répond l’anglaise, avec un sourire entendu. Mais je n’aime plus tellement les scandales, ajoute-t-elle d’une voix monocorde.

Parfait, la blondinette n’a pas demandé plus de détails sur la courte expérience que Jordan a bien voulu partager. Elle s’intéresse du coup à l’histoire racontée par sa compagne de fortune. Cela lui rappelle étrangement quelque chose qu’elle a connu, elle aussi… même si cela ne s’est pas déroulé dans les mêmes circonstances, quelques années auparavant.

- Si je les applique, c’est uniquement parce que je sais que mon père pourrait faire de ma vie un enfer… répond Jordan en souriant légèrement. Je suis contente que tu fasses la rebelle, c’est plus que positif dans notre monde.

Jordan amorce un mouvement vers la porte des toilettes tout en terminant sa phrase. Elles ne vont pas rester là toute la soirée ! Surtout que la brune veut reprendre une coupe de champagne, histoire de se consoler de celle qu’elle a perdue dans son décolleté.

 

Jordan réfléchit quelques secondes au salaire que doivent se faire les extras qui sont engagés pour ces soirées mondaines. Le prix doit quand même être conséquent... Après tout ils sont engagés pour côtoyer de grosses fortunes et leurs héritiers, il doit être hors de question de prendre des gens sans expérience. Auquel cas toutes les robes finiraient comme celle de Jordan ce soir... L'anglaise hoche la tête suite aux paroles de la blondinette.

- Ca devrait aller, ne t'en fais pas pour elle.

Elle a beau se montrer magnanime pour cette fois, ce n'est pas non plus une raison d'aller embêter les organisateurs de la soirée pour si peu. Si la serveuse ne fait pas d'autre erreur ce soir, inutile qu'elle s'inquiète pour son travail. D'autant plus que les contrats pour ces soirées sont très ponctuels. Même si elle se fait renvoyer de la soirée après une faute supplémentaire, elle sera quand même payée pour le travail effectué. Jordan l'espère, du moins. Elle n'a pas grande idée de ce qui se joue au-delà du statut d'invitée. Après la fameuse légère étreinte, Jordan acquiesce aux paroles de son acolyte avant d'assurer :

- J'aimerais pouvoir me montrer aussi rebelle que tu sembles l'être !

Puis la question qui fâche, de la part de la blondinette dont Jordan ne parvient toujours pas à se remémorer le prénom... "Pourquoi ton père ferait de ta vie un enfer ?" Oh, peut-être parce qu'elle a tué quelqu'un et a participé au meurtre d'une seconde personne et que son père utilise cela pour la faire obéir au doigt et à l'oeil ? C'est une bien drôle de situation, et Jordan a encore parfois des terreurs nocturnes en se souvenant de ce qu'elle a fait. Elle en vient même parfois à se dire que si elle avait purgé une peine pour son crime elle se sentirait peut-être un peu mieux. Ou pas.

- On va dire qu'il sait comment me faire obéir à ce qu'il veut... Je tiens à mon confort et il n'hésitera pas à m'en priver, je le connais ! Je gagnais ma vie, jusqu'à ce que mon fiancé insiste pour qu'on vienne ici... répond-elle simplement en haussant les épaules. Ne t'en fais pas, ce n'est vraiment pas un problème ce qui se passe entre mon père et moi, ajoute Jordan, souhaitant rassurer la blondinette qui lui propose son aide. Par contre, je vais sûrement te décevoir mais non, je n'ai rien entendu à ton propos !

Le duo se met en marche vers la sortie des toilettes pour dames, ce qui fait que la jeune femme appuie Jordan sur cette décision, en lui disant que des gens auraient sûrement fini par jaser en voyant deux femmes dans les toilettes ensemble pendant un bout de temps. La brune en est presque à se dire que les gens peuvent bien parler, tant qu'ils parlent d'elles c'est qu'elles sont vivantes !

- Je m'en fiche pas mal, je fais ce que je veux, si j'ai envie de t'embrasser, là, tout de suite, je le fais. Quand bien même mon père en pense du mal, ou mon fiancé, lance Jordan alors qu'elles bifurquent vers le buffet. Puis elle se penche vers son acolyte et ajoute d'un air coquin : Même si honnêtement mon fiancé fantasmerait plus qu'autre chose.

 

Jordan allait demander à quel genre de manifestation pouvait bien se rendre la blondinette rebelle, mais elle se ravise bien vite car cette dernière lui déclare qu'elle n'hésite pas à l'appeler si elle a encore son numéro. Jordan saute alors littéralement sur l'occasion pour tenter de connaître l'identité de la jeune femme, qu'elle a certainement déjà vue à New-York mais dont elle ignore tout actuellement. Elle et sa mémoire de poisson rouge, alors !

- Redonne-moi le début de ton numéro, que je vérifie si je l'ai ! demande-t-elle en sortant son téléphone de sa petite pochette en même temps que la porte des toilettes se referme derrière elles deux.

La discussion s'oriente ensuite sur le métier de Jordan, ou du moins celui qu'elle a choisi de ne plus exercer pour le moment, souhaitant se reconvertir. Et surtout ne plus dépendre d'aucune obligation professionnelle, à cause de Théo et de sa soudaine nécessité à se rendre en Nouvelle-Zélande. Jordan a dû suivre, et donc se débarrasser de son ancien boulot. Non pas qu'elle en avait besoin, c'était juste pour ne pas se retrouver à la rue. Juste au cas où. Et elle n'a toujours pas retrouvé ses ambitions ! Il faudrait peut-être qu'elle se penche dessus, lorsqu'ils retourneront à New-York... Elle espère pour bientôt, car elle en a réellement marre d'Island Bay.

- Je suis traductrice. J'ai pas mal de diplômes dans les langues étrangères, je traduisais surtout des bouquins, répond Jordan en hochant la tête aux paroles de la blonde.

Lorsqu'elles arrivent toutes deux au buffet, Jordan se saisit immédiatement d'une coupe de champagne sur l'un des plateaux en argent. Elle remarque à peine que son acolyte de la soirée ne prend rien, car elle l'écoute parler.

- Nos pères ?! s'interroge Jordan, interloquée, en regardant autour d'elle, en état d'alerte.

Si son père avait dû faire une visite quelconque en Nouvelle-Zélande, il l'aurait certainement avertie, car elle a glissé il y a longtemps qu'elle s'y trouvait pour les affaires de Théo. Mr. Coalman n'en a été que plus satisfait, content que sa fille et son fiancé s'acoquinent enfin l'un de l'autre alors qu'ils ont été forcés à se mettre en union.

 

Tactique totalement ratée pour Miss Coalman, de demander le numéro de la jeune femme qui lui tient la jambe depuis une bonne quarantaine de minutes. Elle savait bien qu'elle la connaissait de quelque part, mais elle est obligée de côtoyer tellement de monde, entre New-York, Island Bay, Wellington... Tout est mélangé dans la tête de la pauvre Jordan, qui se mord la lèvre inférieure après la remarque de la blondinette.

- Détrompe-toi, j'en ai une autre justement, répond-elle en ouvrant grand ses yeux tout en cherchant le numéro indiqué par la blondinette. C'est vrai, je ne m'en souvenais pas et je m'en excuse, mais je n'ai pas une très bonne mémoire en ce qui concerne les noms, et ça fait des années qu'on ne s'est pas vues aussi... fait Jordan en espérant qu'elle ne l'a pas blessée.

Une fois le numéro à nouveau entré dans le téléphone à la place de l'une des "Maya" qui s'y trouvaient (certainement deux fois la même personne mais Jordan n'a pas fait attention), elles atteignent le buffet et Jordan se saisit immédiatement d'une coupe de champagne avant de répondre à la blonde qui ne démord pas d'en savoir plus sur son métier.

- Oui globalement c'était ça. Un livre dans une langue étrangère, que je traduisais en anglais. Je pouvais choisir parfois, mais sans pouvoir aller dans les extrêmes. Certains écrivains ont leur style, et j'ai le mien, ce qui fait que je devais au maximum respecter ce que j'avais à traduire, sans que ma façon d'écrire ne transparaisse trop, répond-elle d'une traite avant de boire une gorgée de sa coupe sans se soucier de trinquer avec la dénommée Maya puisque cette dernière n'avait rien pris.

Jordan soupire en suivant le regard de la blonde en direction des deux hommes qu'elle a précédemment désignés. Il ne s'agit pas de son père. C'est peut-être celui de Maya, mais l'autre homme, elle ne le connaît pas.

- Oui tu as dû te tromper... souffle l'anglaise. On aurait dû aller à nouveau se planquer dans les toilettes sinon ! plaisante-t-elle ensuite pour détendre l'atmosphère. Sans plus, j'apprécie parfois mais traîner des heures à des expositions pour complimenter des choses ignobles j'ai passé l'âge, et toi ?