le journal de ma vie
Il n’est là, pas un hasard de se surnommer ainsi ; le marin à l’eau. Je conte à toi journal, mon souvenir des abysses les plus profondes, enfouies en moi. Je suis perdu. Je suis perdu dans l’immensité des fonds. J’ai perdu pieds, et je suis à la dérive.
Je suis si profondément noyé que je ne vois plus la lumière, et je ne saurais te dire si je flotte à l’endroit ou à l’envers. D’ici, je n’entends plus rien. Tout est calme, tout est froid. Ce n’est pas par maladresse que je suis tombé du bateau, je me suis laissé charrier comme une épave car là était mon unique option.
Mon assassin a un prénom. Il en a même plusieurs. Certains l’appellent Thanatos, d’autres la putain. En règle générale, mon assassin s’appelle la Mort.
Et me voilà, perdu au milieu de l’océan.
Je ne peux presque déjà plus respirer. Et je revois, derrière moi, les souvenirs amers d’un cœur tendre qui fut jadis le mien. Un cœur que l’on a poignardé puis arraché de sa poitrine ensanglantée.
Je perds le Nord, et le contact avec le réel.
Sommes-nous le jour ou la nuit ?
Je nage avec les sirènes, celles qui bercent mon âme, mais qui me tuent un peu plus. Un peu comme ma plume empoisonnée qui me soulage autant qu’elle me tue. Je sais que viendra le jour où je finirai par toucher le fond. Je ne remonterai pas, pas cette fois.
L’océan, telle une âme humaine, enfouie de trésors et de secrets. Tantôt calme, porte en son sein une légère brise, douce et apaisante — tantôt déchaînée, tout ce qui se trouve en elle s’écrase contre la roche.
L’océan et l’âme, en osmose, hurlent à être comprises, mais, comment peut-on comprendre ce qui par nature n’a aucune essence palpable, aucune définition propre ou émotions fiables ?
Je sens mes membres m’abandonner.
Je ne sens plus mes mains.
Je ne peux écrire d’avantage.
25 OCTOBRE 2007une vie de chien
Je sens brûler en moi un désir sauvage d’éprouver des sentiments intenses, des sensations.
Une rage contre cette existence en demi-teinte, plate, uniforme et stérile.
Une envie furieuse de détruire quelque chose, un grand magasin par exemple, une cathédrale, ou moi-même.
Une envie de commettre des actes absurdes et téméraires.
Car rien ne m’inspire un sentiment plus vif de haine, d’horreur et d’exécration que ce contentement, cette bonne santé, ce bien-être, cet optimisme irréprochable des autres.
Quand je suis arrivé sur la plage au petit matin avec mon journal sous le bras et ma clope entre les lèvres, y avait une fille qui était déjà là, qui fixait l’horizon. J’étais surpris, normalement je suis toujours tout seul.
Putain, elle était dans un sale état. Elle était pieds nus, elle portait une robe blanche à moitié transparente qui lui collait à la peau, elle avait du sable partout sur le corps, des grosses cernes sous les yeux, les lèvres gercées, les cheveux emmêlés par la houle et collés sur ses joues creuses. Elle était vraiment pas belle à voir.
Je sais pas ce qu’elle foutait là à six heures du matin, elle avait l’air complètement perdue, elle avait probablement passé la nuit ici, j’en sais rien. Je comprenais pas ce que pouvait bien faire une gamine ici aussi tôt.
Je savais pas trop si je devais aller lui parler ou pas, puis c’était pas vraiment mes affaires. Elle avait l’air jeune, peut-être dans les dix-huit ans. Elle avait aussi l’air tellement triste pour ses dix-huit ans, tellement mal. Elle faisait peine à voir.
Quand je me suis retrouvé à sa hauteur elle s’est tournée lentement vers moi. C’est là que j’ai pu voir l’état de ses lèvres, mais ce sont surtout ses yeux qui m’ont frappés en premier. Des yeux plus bleus que l’océan. De la même couleur que l’eau au petit matin, quand le jour se lève à peine. D’un bleu foncé, pur, profond, pénétrant. Tu te perdais dedans. Ils m’attiraient autant que la mer. Ils étaient tout aussi captivants et ils avaient la même lueur dangereuse et indomptable. T’avais l’impression qu’ils sondaient ton âme.
Je sais pas combien de temps je suis resté là à la regarder comme un idiot, incapable de bouger. Mon cerveau était en pause, j’étais pas en mesure de réfléchir ou de commander à mes membres d’avancer. Je pouvais juste la dévisager, la bouche entrouverte.
On est restés immobiles à se regarder dans le blanc des yeux pendant un bon bout de temps, et j’aurais pu continuer encore longtemps si elle avait pas explosé de rire d’un seul coup.
Et son rire, son rire… La plus belle chose que j’ai jamais entendu. Il te faisait l’effet d’une claque dans la gueule, un coup de fouet dans le dos, un coup de pied au cul. J’avais jamais entendu un truc pareil de ma vie. C’était le truc qui te retournait les tripes, le cerveau. Je sais pas comment l’expliquer, c’est impossible de toute façon.
Après ça, je savais plus ce que j’étais venu foutre sur cette plage.
15 MAI 2013c’est un monde à nous seuls
Je pourrais dire qu’elle m’a sauvé de cette sorte d’Enfer, de cette destruction qui n’en finissait plus. Elle m’a sortie de ce gouffre qui se refermait de plus en plus en moi. Elle est mon inattendu, ma nouvelle chance. Une sorte de respiration pleine après être sortie de l’eau, un visage éclairé par le soleil pour la première fois.
Il y en avait des nuits, des jours, que je passais tétanisé, tiraillé, tailladé, des draps empoignés, poignardés. Puis, elle est arrivée et elle m’a dit « tu t’en sortiras tu verras », des futilités, des paroles, jamais d’actes avais-je pensé.
J’ai retrouvé le sourire, le vrai, celui qui pétille, crépite, formé de pépites, parce qu’elle est là. Et j’arrêtais les passants pour leur dire « Vous avez vu son sourire ? Il bouleverse mon cœur, et si vous saviez comme elle illumine tout, avec elle des perspectives d’avenir et tout ce bordel que je trouvais sans intérêt commencent à s’entrevoir », les gens riaient, d’autres souriaient.
C’est le bouquet final de l’Amour, l’explosion de la dépendance, l’apothéose des coeurs et des corps. Le demi-sourire au coin que la lune envoyait secrètement au soleil. Les cicatrices refermées, les blessures enfin guéries, une raison d’y croire, un espoir porté par une personne.
29 SEPTEMBRE 2014c'est la fin
Ce n’est pas par sentiment d’abandon que je me sens totalement inutile. Mais par un sentiment d’impuissance. Il est vrai que j’ai toujours aimé avoir le contrôle sur absolument tout. Et quand quelque chose, aussi anodin soit-il, m’échappe, je m’en rends malade. J’y pense pendant des heures, je rectifie le tir et je corrige mes erreurs.
J’aurais aimé que tu sois aussi anodine qu’une tâche de café sur mon bureau, ou une bavure à l’encre sur du papier. Mais tu ne l’es pas. T’es aussi indélébile que n’importe quoi qui ne s’efface pas. Il existe des choses dont on ne peut en effacer la trace. Et à quel point c’est horrible quand, pour moi, tu as laissé derrière toi un cratère béant, et moi, pour toi, je ne fus qu’une forte intempérie.
Brève mais pas destructrice.
Quelque chose de fort, mais de temporaire.
J’aurais aimé continuer à souffler, encore et encore. Alors, trop souvent, il m’arrive de te chercher partout autour de moi. À chaque acte, à chaque parole, à chaque odeur, je te cherche.
Pas pour te retrouver, car je n’en ai ni la force ni l’envie, mais pour enfin, trouver les mots que tu n’as jamais dit, les phrases que tu n’as jamais prononcées, l’« au revoir » que tu ne m’as jamais adressé. Partir comme ça, sans jamais te retourner, c’est de la lâcheté.
Mais je continue à te chercher.
À te nettoyer comme une tâche de café.
À t’effacer comme une bavure d’encre.