I don't have much money but boy if i did

Il n’est pas dans mes habitudes d’aller faire le pied de grue devant l’école. Pas du tout, même. Toutefois en de rares occasions, puisque je me spécialise dans les jeunes enfants non encore scolarisés, il m’arrive d’accepter de le faire pour certains parents dont je m’occupais de leurs chères têtes blondes il y a encore une année. Ce qui est le cas aujourd’hui. Je viens récupérer le petit Neal, un garçon souffrant d’hyperactivité, que sa maman ne peut pas venir chercher à cause d’un imprévu à son travail. Très honnêtement, je ne sais absolument pas ce qui la retient. Je ne suis pas ce genre de curieuse qui a besoin – presque impérativement, de savoir ce qu’il se passe chez les autres. Non. Moi tant qu’elle vient le rechercher à l’heure convenu, qu’elle me paye, cela me suffit amplement. Jetant un coup d’œil à ma montre, je vois l’un des surveillant de l’école ouvrir la grille. Aussitôt, comme les parents présents, j’entre dans la coure pour me diriger vers sa salle de classe – en compagnie des deux petits bouts dans la poussette, où je m’annonce à sa maitresse qui lui donne l’autorisation de me rejoindre. La remerciant, je m’assure qu’il soit bien couvert, avant que l’on fasse le chemin inverse. Bien que je lui ordonne de tenir la poussette, Neal n’en fait qu’à sa petite tête et – rapidement, il se met à sautiller dans tout les sens. J’en côtoie des enfants,  bien plus que j’en aurais moi-même – quoique, mais celui-ci a le don d’aller au bout de ma patience. Vraiment. Haussant le ton pour lui ordonner de se calmer, ce dont j’ai horreur, je suis contrainte d’accélérer le pas lorsque je le vois franchir la grille pour rejoindre la rue. Hé merde. S’il lui arrive un accident, je suis certaine de perdre mon agrément d’assistante maternelle. Confiant la poussette au surveillant, je m’empresse de le poursuivre quand – Bim, il percute de plein fouet une jeune femme blonde qui manque de faire tomber son téléphone portable. Dans un sens, j’ai bien envie de la remercier car cette accident, qui menace de le faire pleurer, va le calmer un bon coup. Mais dans un autre, lorsque j’entends ses injures en suédois comme son ton condescendant à mon encontre, pas du tout. M’emparant de la main du petit Neal, que je m’assure n’avoir aucun bobo, je déclare en suédois. « Hé bien. Heureusement que ce petit bonhomme ne peut pas vous comprendre sinon il aurait appris sa première injure. » Me redressant, j’ajoute même avec sarcasme, non sans surprise qu’elle me donne son prénom. « Et je vous remercie de votre précieux conseil, Maya. J’ignorais totalement l’importance capitale à surveiller un enfant. » Avec plus de sérieux. « Maintenant, si vous voulez bien m’excuser, j’ai deux bout’choux qui m’attendent. » A ces mots je me dirige vers la poussette que je récupère en remerciant le surveillant. Après quoi, je donne un mouchoir à Neal pour qu’il puisse essayer ces grosses larmes.

 

Très honnêtement, il serait un tort de croire que la jeune femme m’ait vexée. Certes, je n’ai pas apprécié sa remarque – vu son jeune âge, mais pas delà à ne pas m’en remettre. Loin de là. D’ailleurs, c’est déjà oublié lorsque je prends la direction de l’arrêt de bus avec les enfants. Je suis même à deux doigt d’oublier cette mésaventure, plus préoccupée par Neal qui a au moins le mérite de se tenir à ma veste, quand soudainement je me stoppe pour éviter de justesse de rouler sur les pieds de Maya. Serait t’elle folle ? C’est la question que je me pose quand elle se lance dans un monologue d’excuse. D’accord. Je peux comprendre que – à son âge, un téléphone c’est vitale mais, de là à s’emporter c’est exagéré. J’aurais fait jouer l’assurance et en moins de temps elle en aurait eu un tout neuf. Enfin. J’apprécie tout de même qu’elle fasse le pas de me demander pardon pour son comportement, pour lequel je ne lui tiens pas rigueur – je le rappelle, et je lui déclare charmante. « C’est oublié, Maya, ne vous en faite pas. » Avant d’ajouter. « Et Neal ne parle pas un mot de suédois donc rassurez-vous, il n’a absolument rien compris. » Heureusement, d’ailleurs. Je ne vois absolument pas comment j’aurais expliquer cela à sa mère qui – naïvement, croit encore que l’école ne lui en enseignera pas bien vite. Se proposant à m’aider, pour ne pas dire carrément de m’offrir un café, Maya m’informe qu’il y a un lieu idéal qui accueille les gosses – de son propre terme, sauf si les enfants sont trop fatigués pour qu’on y aille. « C’est très gentille de votre part, Maya, mais il ne faut pas vous en sentir obligée vous savez. » Le mal est réparé, si je puis dire, alors il est inutile qu’elle dépense son argent de poche – je suppose, pour acquérir un pardon que je lui ai déjà accordé. D’ailleurs, il me semble primordial de rectifier un point me concernant. Je ne suis pas la mère de ces enfants même si – comme elle le dit elle-même après s’être excusé auprès du petit Neal, j’aurais pu l’être en commençant relativement jeune. Car oui, à plus de vingt ans, on a tout de même la maturité nécessaire pour la maternité. Enfin, de mon point de vue. « Oui. Il l'est. » Fais-je en réponse à l’hyperactivité du garçonnet qui lui tient désormais la main, avant de l’informer souriante. « Et je ne sais pas si je suis si courageuse que cela ou non, vu que je suis payée pour m’occuper d’eux, mais je suis certaine que plus tard vous serez parfaitement en mesure de faire tout ça également. » Il n’y a qu’à voir la complicité naturelle qui s’instaure avec le petit Neal. « Au faite, je m’appelle Anna. » Je tends ma main en conclusion, souriante, pour qu’elle sache à son tour comment me nommer.

 

Au sourire de Maya, je comprends que le simple fait de lui pardonner notre petite altercation – si je puis nommer cela ainsi, lui fait plaisir. C’est un bon point. D’ailleurs, j’estime qu’elle n’a pas besoin de se sentir obligé de me payer un café pour s’assurer que je l’ai réellement pardonnée. Elle a dit ce qui lui passait par la tête, sous la peur de voir son portable bientôt en morceau, et cela se comprends. Du coup, je lui en fais part tout en reprenant ma marche avec les enfants qui – je dois bien l’avouer, commencent à montrer des signes de faim. Toutefois, de ce qu’elle me dit, ça lui fait plaisir, et le petit ne la dérangera pas. Hé bien soit. Je profiterais de cette halte au café pour donner leur goûter aux petits. « C’est d’accord, dans ce cas Maya. Allons boire un café. » Ou autre chose. Après tout le printemps arrive, il ne fait plus aussi froid qu’il y a un mois, alors une boisson moins chaude sera tout autant appréciée. Après que j’ai évoquée que plus tard elle saurait faire ce que je fais – m’occuper d’enfants donc, Maya me demande quel âge je lui donne exactement pour dire cela, avant de me préciser qu’elle n’en ressent pas spécifiquement le besoin. Je veux bien la croire or, il est très rare – mais pas impossible j’en conviens, que son désir de maternité vient plus tard. Toutes les femmes sont différentes. La preuve : moi-même j’ai commencée à vouloir des enfants à l’âge de trente ans. Pourquoi tu n’en fais pas, alors ? Par désir de ne pas me tromper de papa. Une séparation, pour un enfant, c’est un traumatisme. Je refuse de marquer à vie le fruit de ma chair par manque de réflexion. « Vous faites jeune alors je dirais 19-20 ans ? » Lui réponds-je charmante avant de lui expliquer, toujours sur le même ton. « Et vous savez, ce n’est pas parce que vous n’en désirez pas maintenant, que vous n’en désirerez jamais. » Je ne cherche pas à soulever un débat sur le sujet, au contraire. Je respecte tout à fait l’idée que des femmes ne se sentent jamais attirée par la maternité, et ne font donc pas d’enfants. De toute façon, c’est toujours mieux que celles qui en mettent au monde pour les tuer quelques mois plus tard. C’est révoltant. « Ne vous inquiétez pas, Maya. » Dis-je après m’être présentée et lui avoir serrer la main. « Les enfants sont bien couverts. » Je n’ai pas de véhicule. Je prévois donc toujours en conséquence. « C’est mon activité principal. » Fais-je pour répondre à sa question. « Mais je fais ça depuis un peu plus d’un an, seulement. Auparavant j’étais infirmière. » Plus de dix ans dans le métier. Je ne saurais plus chiffrer le total de patients que j’ai croisée au cours de toute ma carrière. « Et vous, que faites-vous dans la vie Maya ? » Si la jeune femme peut se montrer curieuse, pourquoi ne puis-je pas l’être ? D’ailleurs, cela ressemble étrangement à un interrogatoire de police cette histoire. Taquine, je lui en fais la remarque. « Vous feriez une excellente inspectrice, vous savez. »  Je rie quelque peu pui déclare. « Deux ans cette année, et vous ? » Je ne précise pas d’où je viens, etcetera. Je le ferais peut-être à l’avenir si cette jeune femme se montre digne de ma confiance. Hé oui, je ne la connais pas encore suffisamment pour  me dévoiler pleinement. Entrant dans le café, après qu’elle m’ait cédée le passage, je la remercie avant de m’installer à une bonne table. Une fois ceci fait, je découvre les enfants, avant d’ouvrir leur sac pour sortir, petits pots, cuillères, et bavoirs. « Choisit ce que tu veux mon cœur. » Dis-je à Neal qui me regarde. S’il y a trop je finirais. J’ai l’habitude. Débouchant un premier petit pot, je commence à donner la comporte à la petite Sophie lorsque Maya m’interroge de nouveau. Avec tendresse je lui demande. « Vous êtes hyperactive également. Je me trompe ? » Il y a des signes qui ne trompent pas mais, au cas où, je préfère m’en assurer.  

 

Alors comme ça, Maya a six ans de plus que ce que je pensais. Surprenant. Elle fait tellement jeune que je l’imaginais bien plus sur les bancs du lycée – voir à la limite de l’université, que déjà dans la vie active. Enfin. Il se peut qu’elle soit au chômage aussi alors, pour éviter un malaise, je n’aborderais le domaine du travail que si nous sommes amenés à aborder le mien. Du moins, plus directement – j’entends, car le sujet enfant vient bien du fait que nous ayons parlé de ceux que je garde. D’ailleurs, j’apprends que la jeune femme n’aura pas d’enfant biologiquement. Il est inutile d’avoir fait de grandes études pour comprendre que Maya aime les femmes et que – si par chance elle rencontre une femme en désirant, elle ne pourra pas génétiquement être la maman du bébé si ce n’est pas elle qui le porte. Un sujet délicat que je ne me vois pas abordée avec elle. Cela fait partie de sa vie privée et donc ne me concerne absolument pas. Je préfère me focaliser sur le fait qu’elle soit ravie que je l’aie rajeunie – même si elle est encore très jeune pour que le terme soit approprié, en lui répondant avec amusement. “Ravie de vous avoir fait perdre six ans alors, Maya.” Marquant une pause, je lui demande, curieuse. “Et vous, quel âge me donneriez-vous ?” Tout à l’heure elle a souligné qu’elle me trouvait courageuse, à mon jeune âge, d’être maman de trois enfants. Il est donc intéressant de savoir ce qu’elle s’imaginait même si – je l’affirme, je ne suis moi non plus pas si vieille que cela en réalité. La maison de retraite peut encore m’attendre un long moment. M’interrogeant sur la raison qui m’a poussée à changer de métier, Maya me signale que je peux lui faire une remarque si je trouve sa curiosité déplacée. Il est vrai que pour moi qui n’aime jamais trop en dévoiler aux premiers venus, ses questions sont assez incommodantes. Néanmoins, elles ne touchent pas réellement le domaine du privé alors, il serait malvenu de ma part de lui reprocher de s’intéresser à moi. Voilà pourquoi je lui réponds, charmante. “Je vous le dirais si vous franchissez une limite, Maya, ne vous inquiétez pas. Quant à votre question, j’ai arrêtée le métier d’infirmière parce que j’aime les enfants et, comme je ne risque pas d’en avoir avant un petit moment, je me suis décidé à m’occuper de ceux des autres.” En riant quelque peu, j’ajoute. “Cela fait une sorte d’entraînement comme ça.” Ce qui n’est pas foncièrement faux. J’acquiers d’avantage d’expérience pour être une maman parfaite. Ou au moins, une meilleure mère que ne fut la mienne. Maya craint de me décevoir en m’annonçant qu’elle n’est pas dans la police, suite à ma boutade, ce qui ne manque pas de me faire rire quelque peu. “C’est tout aussi bien apprentie-tatoueuse.” Lui dis-je charmante avant de préciser. “Tant que cela vous plait, et que vous êtes doué dans le domaine, c’est le principal.” Je ne suis pas là pour l’encourager à ce reconvertir en flic, même si son don de poser des questions serait un plus. Je lui disais cela juste pour l’image qu’elle imposait, inconsciemment, à mon esprit. Tu dois regarder trop de séries policières. Sûrement.  “Et oui.” Confirmé-je à sa question sur son incapacité à tenir en place. “J’ai constatée cela très rapidement.” Le cas contraire, je pense que je devrais m’acheter un cerveau car c’était tout de même assez flagrant. Alors pourquoi lui poser la question de l’hyperactivité dans le café ? Pour être certaine qu’elle n’est juste pas nerveuse de nature. Ce n’est parce qu’on est un grand bavard que l’on est hyperactive. Là, dans le cas de Maya c’est lié, mais ce n’est pas une généralité. Aidant Neal à choisir son goûter parmi la liste, je nourris toujours la petite Sophie en lui répondant. “Island Bay est une grande ville. Difficile de connaître tout le monde même en étant très sociable comme vous l’êtes.” Puis, finalement, ce n’était qu’une question de temps avant notre rencontre. Ne sommes nous pas présentement en train d’apprendre à nous découvrir ? “D’ailleurs, tutoies moi s’il te plait Maya. Le vous est beaucoup trop formel à mon goût.” Pour ne pas dire inutile vu les circonstances actuelles. Elle joue avec Neal comme s’il était son petit-frère, c’est très troublant. Quel sens de l’observation. En tant que nounou je suis obligé de tout voir. Ça fait partie de mon métier. Puis, j’ai aussi été infirmière, n’oublie pas. Cela joue.