It's a raining day. Lala

La journée s’annonce longue et ennuyeuse. M’étant levé un peu du mauvais pied, je ne peux que parcourir la maison avec les traits crispés et la sensation que je pourrais exploser de rage à chaque instant. Anna n’est pas présente autour de moi et ce depuis un bon moment. Elle est partie très tôt ce matin, lui évitant de devoir supporter ma mauvaise humeur. Je dois avouer en être soulagé, souhaitant éviter le plus possible les conflits qui se décuplent entre nous. Ce temps seul me permet également de remettre les choses en perspective, de réfléchir à la journée et à ses quelques réunions tardives en vue. Évitant de penser à tout ce qui pourrait contribuer à augmenter ma mauvaise humeur, je garde mon esprit occupé avec des tâches pratiques. Je passe surtout l’avant-midi penché sur mon ordinateur portable à lire des rapports du travail et à répondre à un nombre astronomique d’email que j’avais négligé ces derniers jours. Une fois ce rattrapage fait, je relaxe quelque temps devant la télévision, m’intéressant surtout à un reportage sur les tendances actuelles de la bourse. Il faut croire que même dans mes tentatives de décrocher, je n’y arrive pas. Je soupire donc, sentant mon estomac crier famine à la fin du reportage. Je me dirige vers la cuisine et me prépare un plat de restant de la veille, que je regarde être réchauffé par le micro-onde, bras croisés sur ma poitrine. Dès que le premier bip résonne, je sors le plat tiède et commence à manger, avec l’intention d’avaler le tout assez rapidement, comme à mon habitude. Tout en mangeant, je reviens à mon ordi et j’hausse les sourcils fasse à ma boîte email qui affiche déjà six nouveaux messages. Autant les passer en revu eux aussi. Je viens à peine de terminer de rincer ma vaisselle dans l’évier lorsque la sonnerie de la porte se fait entendre. Je relève la tête, vraiment surpris par ce visiteur inattendu. J’hésite à conserver mon air sévère, soupirant à nouveau. Je choisis plutôt de laisser la chance au coureur et de ne pas m’irriter si un vendeur ou un témoin de Jéhovah est derrière cette maudite porte. Je m’approche et ouvre sur une jeune femme que je ne connais pas du tout. Est-elle perdue ? Je laisse l’étonnement animer mon visage, le même qui est également présent sur ses traits. Je n’ai pas le temps de lui demander ce qu’elle fait ici qu’elle s’exprime la première. Et je dois dire que je ne peux retenir un sourire en la voyant parler. Je ne pensais pas possible de retrouver une certaine bonne humeur après un si mauvais départ, mais il faut croire que la simple énergie que dégage cette Maya est vraiment ce qu’il me fallait pour reprendre du mieux. Je ne suis pas irrité de sa visite, étrangement. Je suis même intrigué de voir qu’elle connait Anna. Alors, je me souviens vaguement que ma conjointe m’ait glissé un mot à son propos, bien que je ne puisse pas user de ces informations pour me faire une idée complète de la jeune femme devant moi. Je vais donc devoir user de la bonne vieille manière pour apprendre à la connaître. « Vous êtes bien à la bonne maison. Je suis Brendon, son compagnon. Anna a quitté tôt ce matin, elle ne sera pas de retour avant plusieurs heures, je pense. Sinon, heureux de vous connaître, Maya. » Je lui tends une main, afin de que nous puissions nous saluer plus formellement même si mon visage est toujours animé d’un sourire vraiment chaleureux compte tenu des circonstances. Être dérangé me semble soudainement secondaire, surtout en apercevant une moto de garer devant la maison. Mon regard est soudain attiré par l’engin et mon sourire s’agrandit. « Cette moto vous appartient ? »

Je ne pensais pas recevoir de visite surprise aujourd’hui. En vérité, j’espérais être un peu seul pour terminer mes quelques tâches à accomplir avant de passer à mon bureau en après-midi pour enchaîner par la suite réunions par-dessus réunions. Je ne suis pas du genre solitaire, mais parfois cela me semble nécessaire pour éviter de grimper dans les rideaux au moindre petit pépin, surtout alors que je semble m’être levé du pied gauche. J’étais donc dans ma petite routine, à tenter de me distraire au possible de mes pensées peu amicales lorsque la porte se met à sonner. J’ai d’abord songé à faire ressortir toute mon hostilité du jour sur cette personne, un peu comme si elle avait été un punching bag. Mais j’ai ensuite vite réalisé que je n’avais aucune raison de m’en prendre à ce qui doit probablement juste être un vendeur qui tente de faire son boulot, comme nous tous. Je me suis donc dirigé vers la porte. Tomber sur une jeune femme aussi volubile et qui semble être l’amie d’Anna me surprend vraiment. Je ne m’y attendais pas du tout. Mais il s’agit d’une agréable surprise, je dois dire, car me voilà à sourire au final. En quelques secondes, Maya semble avoir réussi l’exploit de me rendre un peu moins à cran et c’est tant mieux. Je vais probablement être plus agréable lors de mes réunions de l’après-midi même. Reste à voir une fois sur place. En réalisant qui je suis, Maya s’excuse presque aussitôt. Je porte sur elle un regard plus doux. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’elle a été malpolie ave moi, n’étant pas quelqu’un qu’on peut offenser aisément. Sauf que je dois avouer que son approche m’a surpris. Positivement d’ailleurs, vu comment cela à réussit à calmer ma mauvaise humeur. « Ah non, ne t’inquiète pas, ce n’est rien ! Tu n’as pas à t’excuser, ça peut arriver à tout le monde. » Je remarque ensuite la moto et je me retrouve fasciné par l’engin la seconde suivante. Je questionne donc Maya à son sujet et elle s’éloigne de moi pour marcher vers sa moto. Je ferme la porte derrière moi et la suit afin de moi aussi pouvoir détailler la moto de plus près. Elle m’explique que c’est à cause de cela qu’elle a passé à l’improviste, car elle revient d’une balade. Je hoche la tête et lui sourit ensuite lorsqu’elle me demande si je suis un connaisseur. « Non, malheureusement. J’ai déjà fais de la moto deux ou trois fois, mais sans plus. J’aimerais bien en avoir une un jour, ça c’est certain. » Je dis en admirant à nouveau la moto. Maya ne laisse pas le silence perdurer entre nous. Elle semble avoir cette facilité à s’adresser aux autres, en plus d’une curiosité sans fin, je pense. Elle ne me connait évidemment pas vraiment et je ne lui en veux pas pour cela car c’est réciproque. Elle cherche donc à savoir ce que je fais dans la vie. Je lui offre d’abord comme réponse un sourcil relevé. Puis, je ne tarde pas vraiment à lui révéler l’information, n’ayant aucune raison de le cacher. « Je suis à la tête d’une société financière à Wellington. En gros, je suis le patron d’une banque. » Le résumé que je lui fais est très peu représentatif de tout ce que je dirige avec mes collègues, mais qu’importe, l’important c’est qu’elle comprenne l’idée. Elle s’intéresse ensuite vraiment à mes passions, à ce que je suis en dehors du boulot. Mais je sens qu’elle a l’impression de me déranger, ce qui est un peu le cas, en effet. Elle m’explique qu’elle aime rencontrer de nouvelles personnes et apprendre à les connaître et cela me fait sourire. Surtout qu’elle me perçoit apparemment comme quelqu’un de sympathique et cela me fait du bien de l’entendre, surtout qu’il y a dix minutes à peine je me voyais plus comme un tyran. « Maya, tu ne me déranges pas. C’est sur que je ne peux pas parler durant des heures car j’ai des réunions plus tard dans la journée, mais je ne te renvois pas. Tu n’as pas à te taire non plus, je suis aussi quelqu’un de sociable alors ça me fait plaisir de parler un peu, surtout que j’ai passé l’avant-midi en solitaire. » Je commence à lui dire. « Pour ce qui est des passions, disons que la principale est le golf, mais uniquement à cause du métier, je pense. » Je dis en riant. Je suis quelqu’un de facile d’approche. Je ne repousse pas les gens et ne les terrifie pas comme certains chefs d’entreprise peuvent le faire. J’aime encourager les gens à me parler et les écouter en retour. Je suis également celui qui aime bien parler, visiblement. Je suis chaleureux même avec des inconnus et Maya ne fait pas exception à cette règle. « Tu veux rentrer à l’intérieur ? Je peux t’offrir quelque chose à boire si tu le souhaites ? J’aimerais bien que tu me parles un peu plus de ta moto. Après tout, si je dois m’en acheter une un jour, je dois connaître les meilleures marques et leurs particularités, non ? » Je lui dis avec un grand sourire.

Décidément, j’apprécie beaucoup cette jeune femme. Elle dit tout ce qui lui passe par la tête, sans filtre il semblerait. Je sais qu’au fond, elle ne souhaite pas être méchante ou déplaisante, elle me le prouve et s’excusant de peut-être s’imposer à moi. Je la rassure tout de suite. Je trouve déjà notre début de conversation très agréable, me permettant de me changer les idées, choses que je ne pensais pas possible aujourd’hui. Ma mauvaise humeur n’est plus présente. Peut-être qu’un contact plus prolongé avec Maya va me permettre de faire durer cet état jusqu’à ce soir, même après toutes mes réunions. Cela serait très apprécié si l’amie d’Anna pouvait opérer ce miracle sur moi. Même cette dernière en serait ravie, j’en suis certain. Et découvrir son honnêteté toujours plus palpable est une véritable bouffée d’air frais. Je travaille dans un monde d’hypocrites, de manipulation et de façade de pierre alors rencontrer quelqu’un comme Maya est l’idéal je dois dire pour ne pas absorbé encore plus de cette réalité que je dois avouer être parfois ennuyeuse oui. Je l’écoute inventer des théories à propos des banquiers avec un sourire malicieux. « Mon métier est chiant par moment, ça c’est vrai. Mais il y a de bons côtés tout de même, comme dans chaque emploi qu’on peut occuper. » Je commence à dire, avant de sourire un peu plus grand. « Et non, il n’existe pas de confrérie des banquiers, du moins, pas à ma connaissance. S’il y en a une, on m’a exclut, je crois bien. » Je me mets à rire. « Mais c’est tant mieux, je ne voudrais pas être coincé avec eux lors d’une réunion de confrérie. » Je fais une grimace, signe que justement ces gens là ne sont pas ma tasse de thé, surtout que je suis leur patron alors je sais comment ils peuvent être par moment. « Sinon, je suis curieux, quel métier exerces-tu ? » Je lui demande, afin d’en apprendre plus sur elle. Je suis véritablement curieux de connaître la réponse, puisque pour le moment je ne peux que l’associé à Anna ou à des motos. J’ai besoin d’un peu plus pour constituer un portrait plus complet. C’est là qu’elle me montre qu’elle n’apprécie pas le golf de son côté et je dois avouer avoir été dans la même position qu’elle avant de me mettre à en faire régulièrement pour le travail, tous mes collègues directeurs pratiquant ce sport. C’était presque dans la définition de tâches lorsqu’on m’a donné la proposition de vice-président. Je n’ai pas eu grand mot à dire. J’hausse les sourcils lorsqu’elle me qualifie de normal. Voilà quelque chose que je ne m’attendais pas, mais je le prends comme un compliment. « Oh et bien oui, parfois je m’ennuie un peu. Surtout quand mes adversaires prennent bien leur temps, hen. Mais ce qui est amusant au golf, ce n’est pas de jouer, s’est d’écouter les conneries que peuvent dire les autres. Je te jure que s’est tordant, par moment. » Une idée me vient soudain à l’esprit et innocemment je la lui lance, presque certain qu’elle va refuser de toute façon. « Si un jour tu as envie de retenter l’expérience au golf, je t’invite à une jouer une partie avec moi. Je vais te montrer les meilleurs moyens de déclencher des débats et des drames. Je te jure que ça vaut de l’or. » J’invite pour l’heure Maya à rentrer avec moi dans la maison. Elle n’est pas contre l’idée et je lui souris en retour alors que nous passons la porte. Elle m’explique qu’elle genre de personne elle est et à cela, je ne peux qu’être complètement d’accord. Je me dirige vers la cuisine, l’invitant à me suivre. J’ouvre la porte du frigo pour ensuite lui remettre un coca tout en lui répondant. « Pour moi l’honnêteté à toujours été très importante. Que tu le sois autant avec moi est vraiment agréable je dois dire. Je suis tellement entouré d’hypocrites à longueur de journée dans mon métier qu’enfin rencontrer une personne de vrai est rafraîchissant. » Je prends de mon côté une bière en cannette avant d’aller m’assoir à la table avec Maya. Mon ordinateur portable étant toujours ouvert, je le referme dès que j’arrive à côté. « Puisque je n’ai pas des heures, mais que je tiens tout de même à avoir l’opinion d’une experte, peut-être que pour aujourd’hui tu pourrais simplement m’initier à l’univers des motos. Qu’en penses-tu ? » Je lui demande avant de prendre une gorgée de ma bière.

Je pouffe de rire à la réponse de Maya. Elle pense donc que les patrons sont à ce point aimés de leurs employés ou du moins, que ces derniers se comportent toujours comme tel pour éviter d’avoir une mauvaise note à leur dossier. La réalité est beaucoup moins rose, je dois dire. Ce n’est pas pour rien que certaines personnes ne peuvent supporter de telles responsabilités de leadership. Car on ne peut pas faire ce que l’on veut contrairement à la croyance populaire. De plus, la haine de certains employés à notre égard est pesante. Il faut avoir un sacré bouclier pour ne pas tout prendre personnel et finir coucher en petite boule dans un coin. Diriger est difficile. On se sent bien seul parfois. Mais pour éviter de lui rabaisser encore plus le moral avec ce portrait négatif, je me contente de lui dire en souriant. « Les banquiers sont les pires à satisfaire. Ils ne m’aiment pas tant que ça. Pour des gens qui gèrent l’argent, ils en veulent un peu trop pour eux-mêmes. » Mais là n’est pas le plus important. Ce n’est pas parce qu’un métier est parfois difficile et prenant qu’on ne peut pas être épanouis en l’exécutant. C’est même souvent le cas. Lorsqu’on veut vraiment quelque chose, on s’arrange pour travailler de manière équivalente voir supérieur afin de l’obtenir. Ce qui est mon cas. Je ne suis pas dirigeant par hasard, j’ai mérité ma place. J’ai gravis les échelons un par un. Et cela me remplis de fierté. Maya me révèle quel est son propre métier. Un emploi aussi artistique me semble très approprié à la personnalité qu’elle dégage. Même si je sens une certaine gêne et retenue, surtout causée par son désir de respecter les autres, elle est tout à fait le genre extraverti. Elle s’exprime bien, avec fluidité. Son honnêteté et son authenticité sont palpables dans chacun de ses gestes et dans chaque de ses paroles. Je sens qu’elle est suffisamment empathique pour comprendre les besoins de ses clients et leur faire les dessins qu’ils imaginaient. Je pense qu’elle est à sa place en tant que tatoueuse, sans l’ombre d’un doute. « On sent bien ta passion, c’est beau à voir. Comment t’es venu l’idée de te lancer dans cette carrière ? C’est à cause que tu avais un talent en dessin ? » Je demande sans connaître les pré-requis pour devenir tatoueur. Je la questionne donc innocemment, sincèrement curieux de savoir comment on décide de se lancer dans une telle profession qui disons-le, ne laisse pas de place à l’erreur. Les tatouages étant très très permanents. Nous prenons place à la table de la cuisine, ayant éloigné mon travail surtout pour m’empêcher de me mettre à répondre à des emails alors que j’ai une invitée. J’aurais amplement le temps de travailler plus tard. Je n’obtiens pas de réponse quant à ma proposition de venir jouer avec moi au golf et je n’en fais pas de cas. Je la laisse réfléchir, sachant que peu importe la réponse, je ne lui en voudrais pas. Elle est libre de venir ou non. Nous plongeons ensuite dans le sujet qui m’intéresse le plus. Je veux m’initier davantage à la moto et Maya m’aide déjà beaucoup en me poussant à y réfléchir sérieusement. Je hoche la tête à toutes ses précisions. Elle a raison. Je prends donc en note mentalement que je dois passer un de ces jours pour parler avec un vendeur de moto et ainsi évaluer mes options. C’est bien qu’elle soulève ce point car aussi banale il puisse paraître, je n’y avais pas pensé. Je vais tôt faire de rectifier cela. Je réfléchis quelques secondes à sa dernière question. « Et bien, les seuls fois où j’ai fais de la moto, c’était comme un loisir. Je n’ai pas fais énormément de kilométrage la première fois. Puis la seconde, encore moins. Mais je pense que j’aimerais bien m’en servir afin de rouler davantage. De parcourir la ville ou d’aller même au-delà. De voir un peu du paysage avec. Donc j’imagine que j’ai besoin d’un modèle économique et capable de supporter autant de route. Je ne crois pas me mettre à faire de la vitesse avec. Je tiens à ma vie quand même. » Je ris. « Sauf que ouais, si j’avais à choisir un modèle et un type d’utilisation, je pencherais pour cela. » Je souris à l’idée d’être en moto et de voir à travers mes yeux les paysages à couper le souffle de la Nouvelle-Zélande.

Maya semble avoir une opinion très défavorable du milieu dans lequel j’évolue. Je m’en rends bien compte à l’amertume de sa réponse à ma quasi-blague. J’en suis un peu surpris. Je comprends bien son désir d’être honnête, qui est probablement plus un réflexe désormais que quelque chose de conscient, mais sa façon de l’exprimer me porte à croire qu’elle a eut une mauvaise expérience par le passé avec l’argent. Je ne sais pas si elle cherche à découvrir si au fond je suis quelqu’un de semblable ou de différent à ce qu’elle a à l’esprit. Du coup, je décide d’être honnête avec elle à mon tour et de m’ouvrir un peu plus sur mon passé, afin de peut-être lui apporter une réponse à mon sujet. « Tu sais, j’ai grandit dans la pauvreté. C’est peut-être difficile à croire, mais je n’avais presque rien à manger car mon père jouait tout l’argent gagné et ma mère consommait en drogue le reste. J’ai de la chance de m’en être sortie, que des gens bien m’ont adoptés et m’ont donnés la chance d’aller à l’université. Je leur en suis très reconnaissant. Aujourd’hui, je fais certes un bon salaire. Et effectivement je ne me prive plus de rien. Peut-être que cela me rend semblable à ces gens, je ne saurais dire. Je te laisse avoir le verdict. » J’ai raconté le tout avec une voix douce, pour qu’elle comprenne au maximum ce que j’ai vécu. Cela n’excuse rien. Je ne cherche pas sa pitié. Je veux juste que l’image qu’elle ait de moi ne soit pas au final celle si négative qui semble habiter son esprit. Je ne m’en fais pas trop avec ça, si elle me détestait, elle serait déjà partie, non ? Elle me parle ensuite un peu plus de son métier, de comment on peut envisager d’être tatoueur et de comment elle a décidé de le devenir. Elle se demande comment de mon côté j’en suis arrivé à mon emploi actuel et cela me semble long à expliquer. Je n’ai pas eu un parcours linéaire, en fait, j’ai bifurqué de nombreuses fois avant de tomber où j’en suis. « Hum, disons que c’est un concours de circonstances de mon côté aussi. J’ai surtout eu de la chance. On m’a remarqué alors que je faisais beaucoup affaire avec des actionnaires de la société financière pour laquelle je travaille présentement. Et on m’a offert un poste. J’ai ensuite gravi les échelons pour me rendre jusqu’à maintenant. » J’ai mérité ma place, bien que je sais que le facteur chance ait été très pesant dans la balance au tout début de ma carrière. Bien assis à la table de la cuisine, je hoche la tête lorsqu’elle me demande si j’ai un permis de moto. « Oui, j’en ai un. Je l’ai passé il y a un sacré bout de temps en fait. Il faut juste que je le renouvelle. » Je lui souris. Je l’écoute ensuite avec attention, notant mentalement chaque précision qu’elle me donne avec tellement de générosité. Elle évoque les différences entre certains modèles. Elle souligne que cela dépend de mon budget. Ne m’étant pas encore arrêté à cette question, je n’ose pas m’avancer sur un chiffre. Mais je compte regarder sur internet plus tard la valeur des motos pour me faire une idée et établir ensuite un budget. Maya évoque également dans ses explications le fait de pouvoir emmener quelqu’un avec soi. Je me retiens de faire la grimace. J’ignore si Anna serait partante pour m’accompagner en moto. Je me risquerai à lui demander lorsque viendra le temps de me choisir un modèle. Dans le pire, tant pis. Je ne la forcerai pas à me suivre si elle ne le désire pas. Voyant qu’elle croit qu’elle m’ennui à force de parler, je me sens obligé d’intervenir promptement. « Ah non non, tu ne m’ennuies pas. J’enregistre tout ce que tu dis. Tu m’aides vraiment beaucoup à me faire une tête et à mieux comprendre les différences entre les modèles. Grâce à tes conseils, je vais vraiment pouvoir cibler mes besoins avant de me rendre en magasin. Du coup, merci beaucoup ! » Je lui dis finalement, tout souriant. Je me mets à réfléchir encore un peu. « Pour l’instant, je n’ai pas d’autres questions. Mais si j’en ai qui me vienne à l’esprit plus tard, est-ce que je peux avoir ton numéro pour te les envoyer par message texte, peut-être ? Si ce n’est pas trop indiscret de ma part. »

Ai-je mal interprété les paroles de Maya ? Peut-être bien. J’ai vu en ce qu’elle m’a dit quelque chose d’autre et j’ai eu le sentiment que je devais lui donner une autre perspective pour changer son opinion, ce qui a visiblement eu pour effet de la rendre encore plus confuse. Je ne suis peut-être pas aussi réveillé que je le croyais et je me mets à raconter des trucs qui ne m’ont pas été demandé. J’ai peut-être même gênée voir blessée la jeune femme sans le savoir. Elle ne m’a rien exposé rien en ce sens, mais je choisis plutôt de ne pas insister davantage sur un terrain que je ne maîtrise visiblement pas aujourd’hui. « Je ne me suis pas sentie jugé, je souhaitais juste t’offrir une autre perspective. Mes collègues ne sont pas très différent de moi. Nous recherchons tous au fond à acquérir de l’argent dans notre métier et je n’ai pas de mal à l’admettre. Désolé d’avoir peut-être été un peu trop ouvert alors qu’on ne se connait pas tant que ça. » Je ris pour détendre l’atmosphère. La bonne revanche qu’elle a évoquée, je ne peux pas m’empêcher de me dire que je ne l’ai jamais souhaitée. Certes, je suis passé de pauvre, affamé et négligé à un type en costume cravate qui donne des ordres. C’est ce que les gens considèrent comme de la réussite. C’est donc dans le même esprit que je lui expose mon parcours atypique, négligeant volontairement de lui parler de ma formation universitaire en tant qu’actuaire. Je déteste parler de ce métier ennuyeux que j’ai choisis un peu stupidement. Puis nous abordons le sujet des motos et à cela je me montre très attentif et intéressé. Puisque je n’ai pas de questions dans l’immédiat, je lui demande son numéro pour le futur. Elle accepte de me le donner et je l’entre comme contact dans mon téléphone tout en ignorant les nouvelles notifications qui se sont rajoutées depuis que Maya est arrivée chez moi. Le boulot ne me laisse décidément jamais tranquille bien longtemps. Et ce n’est pas comme si j’allais m’en plaindre. Je ne ferais pas ce que je fais si je n’aimais pas ma position de vice-président. Maya me donne un conseil supplémentaire, que je ne manque pas de noter mentalement pour l’avenir. « Je n’y manquerais pas. J’irai voir un concessionnaire multimarque après avoir bien réfléchis à mes besoins. » Une fois cela bien clair dans mon esprit, je me permets un regard en direction de l’horloge accroché au mur. Je dois m’assurer de ne pas passer tout droit l’heure de ma réunion. Il me reste encore un peu de temps, ce qui me permet de répondre à Maya. « Alors, mes parents adoptifs vivent à Wellington, oui. Mais le reste de ma famille est à Auckland, là où je suis né. Pour ce qui est de la peluche, je n’en ai pas. Il y en a forcément quelque part dans la maison pour les enfants dont s’occupe Anna, mais je ne vois jamais un seul jouet trainer donc je ne pourrais pas dire. Pour ce qui est du tutoiement, ne t’inquiète pas avec ça ! Je ne suis pas facile à offenser et je préfère nettement être familier lorsque je converse avec des amis si tu veux mon avis. Ou des amis d’Anna. » Je souris avant de lui donner ma dernière réponse à ses questions. « Sinon, je risque de te surprendre. J’ai trente-huit ans. Et je doute que tu aies plus de trente ans, non ? » Elle me donne l’impression d’être jeune, beaucoup plus jeune que moi évidemment.

Je suis tout simplement incapable d’en vouloir à Maya pour son honnêteté ou sa façon d’être. Je ne me considère pas comme ayant été blessé par elle, à aucun moment. Je pensais avoir été celui qui avait peut-être été trop loin sans m’en rendre compte mais finalement la jeune femme vient me rassurer à ce niveau. Je me contente donc de lui sourire, content qu’aucun malaise ne perdure à cause de ce petit accident de ma part. Je ne me rends pas compte parfois de tout ce que je peux dire et de la porter de ces mots, ce qui me joue bien souvent des tours avec ma compagne, l’amie de Maya. Il faut décidément que je fasse plus attention à l’avenir puisque ça commence à devenir récurrent. Nous abordons donc des questions plus légères, concernant ma famille d’abord. Je hoche la tête lorsqu’elle me dit que c’est bien d’avoir mes parents adoptifs à proximité et c’est très vrai. Ils m’ont sauvé la vie, littéralement. Du coup, je leur dois énormément et je ne manque pas de les visiter dès que possible. J’offre toutefois un regard doux à Maya en réalisant qu’elle n’a pas ce luxe, ce qui est dommage. Elle a beau être indépendante, avoir ses parents près de soi est une source de réconfort inépuisable. À condition bien sûr de ne pas avoir des parents biologiques comme les miens. Ce n’est pas pour rien que des suites de l’adoption, j’ai rapidement déménagé loin d’eux. Certaines personnes sont tout simplement trop toxiques pour demeurer à proximité sans risque. Elle s’enquière de mes amis et à cela je ne peux que sourire un peu plus grands. « J’ai de nombreux amis dans la ville, en effet. J’ai plusieurs de ces amis que je connais depuis l’université, puisqu’on est restés en contact. Mon meilleur ami habite dans ce quartier d’ailleurs, mais lui je l’ai connu via le travail. Mes partenaires de golf sont parmi mes amis également, mais pas tous, évidemment. On ne peut pas bien s’entendre avec tout le monde. Ça ne veut pas dire que je les déteste, juste que nous avons moins d’affinités. » J’éclate ensuite de rire lorsque Maya s’exprime à nouveau. Je rêve où elle vient de me traiter de vieux ? Je trouve cela très hilarant, surtout que j’ai conscience d’avoir atteint un certain âge et que forcément la vie est différente à mes yeux désormais. Pas moins belle, mais juste qu’on pense différemment quand on a vingt ans de quand on a quarante ans et c’est tout à fait normal. L’expérience joue beaucoup dans ce changement de mentalité. Après je ne me considère pas si vieux que ça. Je sais bien que Maya exagère mais tout de même, j’ai un petit serrement au cœur en me faisant rappeler que je n’ai plus la vingtaine. Elle me pose alors une question à laquelle je ne m’attends pas : Si j’ai déjà songé à avoir un enfant. Je cligne des paupières un instant avant de soupirer doucement. Je lève mon regard vers la jeune femme. « Moi et Anna ont en a déjà parlé il y a longtemps. Mais ce n’est vraiment pas dans nos priorités pour le moment. » Je lui dis honnêtement. Le climat est tellement tendu entre moi et ma compagne en ce moment que de faire apparaître un enfant au milieu serait une mauvaise idée, je crois. Surtout que je ne peux m’empêcher d’avoir cette peur stupide d’être un aussi mauvais père que le mien, le biologique, je veux dire. Savoir que gâché malgré moi la vie d’un enfant me ferait vraiment mal. Bref, je me retire rapidement ces pensées de la tête, reprenant mon téléphone. J’y vois encore plus de notifications et cela me fait grimacer. J’ai comme l’impression que je vais devoir me rendre au travail plus tôt que prévu. Je range mon téléphone et m’excuse auprès de mon invité. « Et bien Maya, ce n’est pas que je veux te virer, mais je vais devoir songer à me remettre au boulot. J’ai encore plusieurs personnes à contacter avant ma réunion et certains dossiers à régler aussi. Laisse-moi te raccompagner jusqu’à ta moto, au moins. » Je lui dis, sincèrement désolé. Je me lève donc et je m’approche d’elle. Ce fut une agréable rencontre. Elle m’a permis de retrouver ma bonne humeur et c’est un cadeau inespéré, je dois dire.