don't lie to me ; pv.théo

Jordan ne fait pas partie de celles qui aiment les enterrements. Elle déteste ça, même. Elle ne se souvient pas vraiment de celui de sa mère, mais elle en garde un ressenti amer, quelque part au fond de l’estomac. C’est un sentiment qui ne la quitte jamais vraiment, surtout quand elle se met à penser à Mrs. Coalman. Ses souvenirs sont de plus en plus flous. Elle aurait aimé garder plus de choses d’elle, mais son père garde tout sous clé, quelque part dans leur grand appartement new-yorkais, dans lequel Jordan tente de ne plus trop se rendre. Elle se demande d’ailleurs si Euphemia a déjà eu accès à cette partie de leur demeure, au moins pour y faire les poussières.

Le fait est que Théo a traîné Jordan à un enterrement, de quelqu’un qu’elle ne connaît absolument pas. Une fille, sûrement une que le bel Antonelli a mis dans son lit un jour où l’autre lors de l’une de ses visites à Island Bay. Elle n’a pas trop compris pourquoi il a tant insisté quant à sa présence. “Essentielle”, a-t-il précisé. Peut-être qu’il avait besoin de soutien, quelque chose comme ça. La fille Coalman n’a rien dit de tout le trajet, dans la voiture. Elle pensait aux étreintes que Théo a donné à la fille qui était la petite amie de la morte, si Jordan a bien compris le mic-mac. Il lui a proposé plusieurs fois de sortir avec lui en tête-à-tête pour qu’elle se change un peu les idées. Et ça, Jordan le garde en travers de la gorge, sans trop savoir pourquoi.

Elle ne démord pas de son silence, quand ils entrent dans la suite et qu’elle se débarrasse des escarpins noirs qu’elle a assortis à sa longue robe noire. Elle ne l’a, de base, pas prise avec elle à Island Bay pour s’en servir pour un enterrement, mais la vie en a décidé autrement. Elle a envie de se mettre en sous-vêtements, mais Théo pourrait la voir depuis le séjour, où il est resté pour se servir un verre. Sûrement pour faire passer sa peine. Les lèvres pincées, et milles questions tourbillonnant dans son esprit, Joe s'assoit sur son lit, les jambes recroquevillées. Théo ne tardera pas à la rejoindre s’il souhaite lui aussi se mettre un peu plus à l’aise et enlever son costume. Lukas occupe toujours régulièrement la chambre de son frère, il dort donc d’office avec Jordan. Quand elle le veut bien. Un soupir s’échappe de ses lèvres quand l’anglaise vient coller son menton sur ses genoux. Sa robe va être déformée, mais elle s’en fiche pas mal, elle est bien trop préoccupée par sa jalousie incompréhensible.

 

Le visage fermé, mon regard restait fixé sur la nuque de Phoebe. Depuis que je l’avais obligée à quitter son bureau pour se changer les idées, je n’avais plus eu de nouvelles. Je comprenais, avec l’enterrement à venir et le combat avec les parents de Maggie, ça ne devait pas être simple pour elle. Seulement, elle semblait être venue seule. Peut-être certains de ses amis étaient disposés ça et là, à l’arrière, mais elle n’avait accepté personne à côté d’elle. Où était son soutien ? Elle ne pouvait pas rester seule, elle devait avoir une personne à qui se confier, avec qui pleurer. Elle ne pouvait pas se laisser dépérir par manque de protecteur. Dès l’instant où la cérémonie fut terminée, je me levais, offris mon bras à Jordan pour qu’elle me suive et me dirigeai vers Phoebe. Sans lui laisser le temps de protester, je la pris dans mes bras, petit geste de réconfort, avant de lui rappeler expressément qu’il ne fallait pas qu’elle hésite à m’appeler pour qu’elle puisse sortir de temps en temps. Voyant qu’elle ne réagissait pas beaucoup, ce qui était parfaitement normal vu le contexte, je préférais la laisser respirer pour aller saluer les parents de Maggie avec ma fiancée. Je me lâchai sur les courbettes et autres politesses de notre monde malgré l’envie monstrueuse de les humilier devant les hautes figures présentes. Ces ignobles monstres avaient fait de la vie de leur fille un enfer, l’empêchant de s’accepter et d’être à l’aise avec elle-même. Ils ne méritaient pas l’ombre d’un mot de consolation et ils étaient au même niveau que mon père : à détruire jusqu’à leur dernier souffle. Mais pas tout de suite, chaque chose venait en son temps. Un dernier sourire compatissant, un salut poli et je guidai Jordan jusqu’à ma voiture. Un silence plombant nous entoura tout du long du trajet vers notre suite. Ma fiancée ne semblait pas être bien à côté de moi. A vrai dire, elle ne l’était pas depuis que je lui avais annoncé que nous revenions en Nouvelle-Zélande pour cet enterrement. Je ne savais pas ce qui la gênait exactement, mais, en même temps, personne n’était à l’aise pour ce genre d’événement, alors je ne pouvais pas lui en vouloir. Je la laissai se faufiler dans notre chambre, préférant me détendre grâce à un bon verre de cognac. Mes doigts se crispèrent autour de mon verre jusqu’à avoir des jointures blanches. Je bus alors une longue gorgée d’alcool avant de souffler avec frustration. Je reposai le verre et rejoignis Jordan dans la chambre pour enfiler une tenue plus confortable. « On devrait profiter de notre présence ici pour regarder les villas à vendre. Je voudrais ton avis avant d’acheter. » Je m’étais dirigé droit vers mon placard sans regarder ma fiancée, mais le silence qui suivit m’obligea à me retourner. Je la vis alors recroquevillée sur elle-même, le visage sombre. « Joe, tu vas bien ? »

 

Jordan a vu juste : Théo débarque vite dans la chambre après avoir reposé son verre. La brunette a entendu le doux bruit de l'entrechoquement entre le verre et la table de la même matière où se trouvent différents alcools et autres ustensiles à apéritif. Elle ne lui accorde cependant même pas un regard, le menton toujours posé sur ses genoux ramenés à elle. Elle sent sa présence sur sa gauche, au niveau du dressing. Un bruit de vêtement. Un soupir. Puis des mots. Jordan écoute à peine, ses oreilles bourdonnent encore d'avoir dû ramener son arrière-train jusqu'en Nouvelle-Zélande à nouveau, pour l'enterrement d'une personne qu'elle ne connaissait ni d'Eve ni d'Adam. Elle émet un sourire en entendant Théo. Son avis ? L'avis de Jordan, il le connaît très bien. Inutile d'acheter une villa, ou en tout cas seulement pour des vacances. Elle ne compte vraiment pas déménager de New-York, et est très maussade à cause de ça depuis qu'elle a fait la connaissance de la soeur de Théo, aussi gentille Lukas puisse-t-elle être.

- Mmh... marmonne-t-elle pour toute réponse, sans relever le menton de ses genoux.

Elle ne sait pas s'il l'a entendue, mais le fait est qu'il lui demande derechef si elle va bien. Elle hésite quelques micro-secondes. Doit-elle parler de ce qui l'ennuie ? Ou se masquer derrière un énième mensonge sur ce qu'elle peut ressentir ?

- Oui, tout va bien, c'est juste le jet-lag, répond-t-elle après avoir un peu levé la tête et même esquissé un léger sourire qu'elle a voulu rassurant.

 

Le silence plombant continua, comme si Jordan n’était pas vraiment là ou qu’elle m’ignorait volontairement. Pourtant, je n’avais rien dit de vexant, je n’avais même pas placer une seule provocation de toute la journée. Et je n’en avais aucune envie, pas aujourd’hui. « Oui, tout va bien, c'est juste le jet-lag. » La jeune femme avait fini par relever la tête avec un sourire. Sa réponse ne semblait pas aussi naturelle que d’habitude, pas plus que son état après un voyage en avion. Elle était parfois fatiguée, mais il suffisait d’une bonne sieste pour reprendre de l’énergie. Et puis, elle avait déjà passé une nuit ici, le changement de fuseau ne pouvait pas être aussi pesant. « Si tu le dis. » Si elle ne voulait rien dire, je n’allais pas la forcer, je n’en avais pas la force. Je me retournai vers le placard et pris un tee-shirt sur l’étagère du haut que je jetai sur le lit. J’enlevai ma veste, l’accrochai sur un cintre, dénouai ma cravate et la rangeai soigneusement dans son tiroir, puis retirai ma chemise. Alors que je me plaçai en face du lit pour la plier sans la froisser, je vis que ma fiancée n’avait toujours pas changé de position. Si j’avais des doutes tout à l’heure, j’en étais à présent certain, quelque chose n’allait pas. J’abandonnai le vêtement pour venir m’asseoir près de Jordan. « Depuis quand le jet-lag te frise le cerveau comme ça ? Qu’est-ce qui t’arrive ? » Je me penchai légèrement sur le côté pour la bousculer gentiment, mais elle ne réagit pas comme je le pensais. Son sourire était à peine présent, juste assez pour essayer de me rassurer. Mais j’en avais vu d’autres avec ma sœur et ça ne pouvait pas me berner aussi simplement. Sans prévenir, je me levai et repassai dans le salon pour remplir à nouveau mon verre. J’en fis de même avec un deuxième verre. Je revins alors m’installer près de ma fiancée, lui tendant un verre. « Tiens, ça fait toujours du bien. Surtout après un enterrement. »


 

La réponse de Théo froisse Jordan encore plus qu'elle ne l'est déjà. "Si tu le dis" ? Alors il ne creuse pas plus ? Elle a été plus convaincante qu'elle ne l'avait cru en lui répondant que le jet-lag était en cause de son espèce de mal-être. Quand il se retourne vers le dressing, Jordan hausse les sourcils dans une moue agacée avant de soupirer silencieusement. Son menton revient se poser sur ses genoux, où le tissu de sa robe est plus tendu que jamais. Elle va être déformée, là c'est certain.

Les seuls sons qui dérangent le silence entre les deux fiancés sont ceux des vêtements de Théo. Jordan devine qu'il doit être en train de les retirer et de les ranger soigneusement ; concrètement ce qu'elle devrait être en train de faire elle aussi. Elle sent quelque chose atterrir sur le lit derrière elle, probablement un tee-shirt ou un sweat dans lequel Théo est sur le point de se glisser pour se mettre à l'aise. A peine a-t-elle le temps de ruminer pendant quelques secondes supplémentaires que Jordan sent le lit s'affaisser sur sa gauche. Théo vient de s'asseoir, et insiste enfin en donnant même un léger coup d'épaule à une Jordan qui sourit à peine. Elle tient bien son centre, elle n'a pas à retirer ses bras de ses tibias pour se tenir de l'autre côté.

- Je me sens délaissée, tu t'es servi un verre, et pas à moi ! souffle-t-elle dans un sourire léger.

Ses désirs sont des ordres. Théo se lève et après quelques tintements dans la pièce d'à côté, revient avec deux verres, dont un qu'il tend à Jordan en se remettant assis à côté d'elle.

- Merci. Tu sais, cet enterrement, je n'avais rien à y faire. Je ne suis pas triste, déclare-t-elle en s'en saisissant.