Je vous souhaite un joyeux non-projet... (Ezekiel & Noa)

Mes non-projets. Pas mal ce mot, oui ça sonne comme un non-anniversaire, hop lancement de la bande son et petite chanson dans la tête. La différence, c’est qu’un non-anniversaire se fête tous les jours sauf celui du vrai, les non-projets c’est regarder par la fenêtre et ne rien voir dehors, c’est marcher dans la rue sans faire la distinction entre le trottoir et la chaussée. On peut trouver plein de comparaisons, le non-projet c’est de l’absence posée sur tout ce que tu fais. Bref, ça n’a rien de joyeux. Ouais, je sais c’est bizarre, je crois qu’en réalité il n’y a pas de définition parce que c’est mon truc à moi et rien qu’à moi, ce vide. On pourrait aussi chercher des synonyme tel que démotivation, mais bof, tout le monde emploi ce mot, le mien est plus sympa. Mis à la sauce professionnelle, c’est envoyer cinquante mille CV à n’importe qui, du plombier du coin au magazine Vogue, de la Société de gestion d’activités de loisirs à l’Association protectrice des chaussettes orphelines. J’y ai consacré une semaine. Pour un non-projet c’est une putain d’activité que d’expédier mails, courriers plus distributions de la main à la main. Tout ça dans le but de... tadam : rien ! Le faire parce que ça se fait, mais rien attendre en retour. Pure théorie. Parce que cinquante mille CV, pas tout à fait autant tout de même, cela donne une réponse. Prime TV ! Ça leur a pris trois jours pour me répondre, rendez-vous pour un entretien dès le lendemain, deux jours de plus et le contrat d’embauche était signé. Je me retrouve assistante de communication à Prime TV ! Ce n’est pas normal pour un non-projet, cela va même à l’encontre de la notion fondamentale d’un non-projet dans le cadre du développement personnel. Alors, il faut m’expliquer ce que je fais devant la porte de ce bureau à 9 heures du mat. Tout ce que j’ai capté dans cette turbulence, c’est qu’ils avaient un besoin urgent de quelqu’un pour combler un poste vacant auprès du directeur de production. Leur phrase clé a été : «Vous enseignez de surf, excellent, vous êtes jeune, en bonne santé et ne manquer pas d’énergie, vous saurez tenir la route». Je l’aurais fusillé du regard le mec qui m’a sorti cela, j’ai même dû le faire. Les années de fac, c’est bidon ? J’ai chopé le poste parce que je suis surfeuse ? Okay. Ne me demandez pas pourquoi j’ai signé, un effet du non-projet de rester glander dans la pool house. Alors voilà, nous sommes vendredi, il est 9 heures du mat et je frappe à la porte où une plaque en plexi indique “Ezekiel ó Dálaigh, directeur de production”, pour rencontrer pour la première fois celui que je suis sensée assister.

Du boulot par dessus la tête, mais si seulement ça n’était que ça, je crois que je pourrai gérer. Mais ajoutons à ce boulot prenant une petite amie qui semble chercher à me fuir, une voisine complètement tarée qui me tape sur le système, et une équipe de bras cassés au boulot, je suis à deux doigts du burn out. Mais soyons clair, un directeur de production, ça part pas en dépression parce qu’il a trop de boulot. Clairement pas. Mon boulot est censé me nourrir, physiquement et intellectuellement. J’aime ce que je fais, j’aime avoir ce certain pouvoir sur les émission que je choisis de produire. Je ne suis pas réellement le patron de la chaîne, mais c’est tout comme. Je gère l’argent, et rien que pour ça, je suis le patron. C’est chez moi que les présentatrices viennent pleurer parce qu’on a décidé de les remplacer - et oui mesdemoiselles, trois kilos dans ses fesses avant les fêtes, ça se voit, alors imaginez après ! Je ne suis pas vu comme étant le plus gentil, ni même le plus compréhensif dans la boîte, et j’ai bien conscience que ceux qui se montrent gentils et souriants, ne sont que des faux culs. Peu importe, je n’ai pas besoin d’amis ici, c’est mon boulot. Je préfère qu’on me respecte et qu’on me craigne plutôt qu’on se foute de ma gueule.

La semaine dernière, mon assistante est partie en congé maternité, je promets que ce gosse n’est pas de moi, j’avais mis une capote. Non, je plaisante, j’ai pas couché avec elle, elle était pas assez à mon goût, et un peu trop vieille pour moi. Passé 30 ans je deviens plus exigent. Bref, je pensais pouvoir m’en sortir seul, me servir de l’assistante de mon collègue pour me dépatouiller, mais ça marche pas. Alors j’ai demandé à un de mes sous-fifre de faire un recrutement pour me trouver une petite assistante pas trop moche, une fille qui saura faire le café et les photocopies, et qui sera pas trop chiante. Aujourd’hui, c’est son premier jour, et elle a plutôt intérêt d’être à l’heure. Neuf heures, une jeune femme brune s’approche de la porte de mon bureau alors que je suis dans le couloir, dossier en main. Personne ne lui répond, et pour cause, je ne suis pas dans mon bureau. « Melle Lane ? » Elle se retourne et je fais face à son regard azur. Très jolie, un peu jeune, mais très jolie. Je lui offre un sourire, voulant me montrer amical. Je lui tends alors la main avec courtoisie. « M. ó Dálaigh. » Elle hoche la tête et nos mains se séparent pour que je puisse lui ouvrir la porte, la laisser entrer, et j’en profite mine de rien pour laisser glisser sur sa silhouette mon regard de mâle sans cesse en chasse. « Vous avez trouvé facilement ? » Je ne suis pas un monstre au premier abord, elle se rendra vite compte de celui que je suis dans le rush du travail, son regard changera certainement sur moi. En attendant, autant lui faire bonne impression.

Un homme m’interpelle dans le couloir. Je le regarde, étonnée que quelqu’un ici connaisse déjà mon nom. Quand il se présente, je comprends, mais mon étonnement grandit cependant. Je m’attendais à quelqu’un de beaucoup plus vieux. Ou il se pique au formole deux fois pas jour, ou il est naturellement dans une petite trentaine. Il reste que je le trouve jeune pour ce poste. Pistonné le garçon ? Un oui de la tête pour lui dire que je suis bien Noa Lane. Je lui serre la main poliment. Il me fait entrer en premier dans son bureau. Une question simple en guise d’échange élémentaire. — Oui. Ça a été, on m’avait bien renseigné à l’accueil. Pas du tout. La fille à l’accueil, la cruche dans toute sa splendeur. Le sourire blanc de blanc, le décolleté absolu et le pois chiche dans la cervelle. Elle a confondu deux noms. J’articule si mal ? Et quand bien même j’ai précisé “directeur de production”, pas “service comptable”. Heureusement que je m’étais prévue un peu de temps, j’ai fait trois étages avant de trouver le bon. Au moins j’ai visité. Mais je m’en serais passé tout de même. Okay, je me refusais à le formuler même en penser, mais ce n’est pas un sourire ravageur qu’elle a, la nana de l’accueil, c’est une bouche à pipe. Dégager autant de dents en remontant les lèvres, il faut de l’exercice. Je me retourne pour voir où est mon boss. Il a encore la main sur la poignée de la porte. Ça ne nécessite pas autant de temps pour la fermer. Sérieux, ça marche à ça ici ? Il marche à ça, le lapinou ? Il se décide à avancer et passe de l’autre côté de son bureau. Je regarde la déco. Je cherche vaguement des photos de famille ou des diplômes sous-verre placardés au mur. En fait, je ne sais pas ce que cherche, des trucs pour cerner le bonhomme. Un bureau bien rangé c’est signe qu’on est parfaitement organisé ou qu’on glandouille toute la journée. S’il ne fait strictement rien, je sens que c’est moi qui vais tout faire. Si c’est un bosseur, ce sera mieux réparti mais il risque de m’en demander autant qu’il en abat. Dans un cas comme dans l’autre, je vais devoir me retrousser les manches.