see you again (ginnifer)

En peu de temps, tout avait dégringolé dans ta vie. Ta tante était décédée, ta mère ne voulait plus prendre ses médicaments pour guérir, et Newton avait pris les voiles. Tu avais la fâcheuse impression que ton monde s'écroulait. Ah, et cette fille enceinte, qui assurait qu'elle l'était de toi. Mais... Non. Non. Ce n'était pas possible. Il ne te restait plus grand chose avec tout ça. Tes colocataires et ton travail. Tu avais du mal à affronter ton oncle, aussi. Vous étiez les deux seuls qui restaient, et c'était parfois trop douloureux à voir. Quant à ton cousin, ton frère d'armes, il t'avait simplement envoyé un message. Tu comprenais. Tu ne lui en voulais pas, mais ça te faisait quand même sacrément mal. Alors, tu prenais du temps, hors du boulot pour te vider la tête alors que peu de temps auparavant, c'était sur ce même boulot que tu comptais pour oublier. Mais ça n'avait pas fonctionné. La musique, par contre, elle, elle fonctionnait. Elle te faisait un bien fou, un bien inimaginable, et c'est pour ça que tu avais décidé de faire un tour au disquaire pour être au calme, rassembler tes pensées, mais surtout faire un truc apaisant. Non, pas dépenser ton fric, mais le dépenser pour quelque chose qui te ferait du bien. Arrêté dans la section rock alternatif, pas vraiment ton genre préféré, mais tout de même, tu regardais un peu tous les artistes. Bof. Des vieux trucs pour la plupart. Pas exactement ce que tu recherchais. Tu aurais voulu quelque chose entre ce vieux là et le trop récent. Mais décidément, ça n'existait pas. Alors tu continuais à chercher. Tu n'avais pas envie de déranger un vendeur ou quoi. tu préférais vraiment être au calme et trouver par toi-même. Va savoir pourquoi d'ailleurs.

Tu t'étais arrêté entre le hard rock et la pop-rock. Pourquoi ces sections étaient proches, tu n'en avais aucune idée. Pire, tu t'en fichais royalement. Puis, plusieurs minutes plus tard, une petite voix te fit sortir de ton coma de recherche avec un léger "oh, salut". Tu eus du mal à te retourner vers la personne, mais c'est avec un sourire que tu l'accueillais, même si t'avais pas envie d'être confronté à ce problème-là. « Salut... tu me suis ou quoi ? » C'était entre le reproche et la blague, mais pour le coup, tu te posais la question, oui.

Le temps d'une minute, j'avais laissé Lys, ma nouvelle copine, à l'orphelinat, pour sortir. Elle avait refusé de se mettre dans une embrouille de plus, qu'elle m'avait dit. Certainement que je ne savais pas qu'elle était un aimant à catastrophes, et que j'avais raté un bon moment. Mais depuis quelques semaines que je m'étais incrustée à l'orphelinat, en craquant leurs fichiers, j'avais plutôt sympathisé avec elle. Elle était quelqu'un de confiance, ça se sentait. Même si elle semblait vraiment être la reine de l'embrouille et des 400 coups. Plus que moi, d'ailleurs. Avec tout ce que j'avais fait, elle, elle était l'image du maître qui formait les élèves comme moi.

Du coup, je m'en étais allée, toute seule, en visite dans un magasin de disque. C'était le genre de chose qui me fascinait. Outre le fait que ce ne soit de la musique. Il y avait vraiment des gens qui achetaient ces gros disques ronds, de bien 20 à 30 centimètre de diamètre ? Ou même les petits CD, sans blagues. Ils font comment, pour les lire maintenant ? Mais il fallait y reconnaître quelque chose : c'était drôlement sympa, en arrivant, de prendre un disque d'un artiste qu'on aimait, et d'écouter, tout bonnement, dans un casque relié à une machine qui faisait tourner le CD, peu importait sa taille, les pistes qui y étaient gravées. Finalement, les choses plus vieilles, ça avait son style. Plus que d'écouter dans un MP3, en vrai.

Je m'étais penché vers le pop-rock. C'est certainement ce qui se fait de moins horrible aux oreilles, niveau goûts des jeunes. Et j'avais envie de faire plaisir à Lys. Dans ce vieil orphelinat, il devait forcément y avoir une machine plus pétée que les autres, qui ferait tourner le disque. Alors que je me relevais, j'avais capté quelqu'un juste à côté de moi. Prête à lui demander pardon pour l'avoir à presque rien bousculé, je l'avais vite reconnu. Emrys. Mon frère, à une mère près. « Oh, salut... » Question de politesse, même si la dernière fois, il m'avait bien refroidie.. Alors quand il me demande si je le suis, sur un ton qui est pour me déplaire, je m'écarte, et croise les bras. Non mais, en vrai, ça me fait pas rire. « Sache que j'ai une vie, et elle ne tourne pas vraiment autour de toi. » Bon, évidemment, pour le retrouver, ma vie, je l'avais mis en pause. Bien que ça puisse se montrer comme une erreur si quelqu'un le captait.

Te vider la tête, t'en avais bien plus besoin que ce que tu voulais bien l'admettre. C'est pour ça que tu t'étais dit qu'un peu de musique ne te ferait pas trop de mal. Puis après tout, c'était toujours agréable d'aller dans un endroit où le seul bruit que l'on entendait c'était les échos des casques audio qui projetaient de la musique dans les oreilles de personnes qui ne se préoccupaient pas de savoir si tu allais bien ou si elles avaient raconté le dernier potin à la personne à côté d'elle. Du silence. Ou presque, mais pas un seul brouhaha de conversation, ou alors tellement léger que tu n'y prêtais pas plus attention que ça. Et ça te faisait du bien. Tu avais presque l'impression qu'un poids se levait de ton estomac. Pas de souvenir douloureux qui remonte à la surface, ou du moins pas à ce moment-là, bref, un silence intérieur qui te semblait ressortir à l'extérieur. Du calme.

Et puis, un rayon de soleil. Oui. Tu avais beau ne pas apprécier le lien, ou du moins la personne, que vous aviez en commun, tu la trouvais adorable, ou presque, et à côté de tout ce qui s'était passé ces derniers jours, elle t'apportait un peu de chaleur. Même si raconter à ton entourage que tu avais désormais une soeur, c'était bizarre. Jusque là, dans ta vie, la seule personne avec qui tu partageais un lien de sang et de qui tu étais plus ou moins le frère, c'était Newton. Parce que ses parents t'avaient adoptés et que même s'ils étaient ton oncle et ta tante ils avaient toujours pris soin de toi comme si tu avais été leur fils, malgré les misères que tu avais, notamment, fait subir à ton oncle. Un sourire se posa sur ton visage. Et il s'élargit encore plus lorsqu'elle te répondit froidement. « Je ne t'imaginais pas aussi revêche, tu vois... » Elle t'avait même parue tenace et désireuse de te connaître, au café. Mais ça, t'allait pas lui balancer au visage parce que, toi, tu savais pas si t'avais vraiment envie de la connaître. Même si elle n'y était pour rien dans ce que tu lui reprochais vraiment.

En venant dans le coin, je me doutais de tout sauf que je pourrais tomber nez à nez avec mon frère. Des semaines étaient passées depuis que je l'avais rencontré. J'avais tenté d'expliquer à Lys sans dévoiler la vérité sur mes mensonges, comment c'était difficile à avaler. Mais elle était pas bête, Lys. Elle avait commencé à comprendre que je m'emmêlais les pinceaux, et que plus je parlais, moins ça devenait clair. Elle avait compris plus de choses que ce que je n'aurais voulu ou pensé. Non pas que je ne la trouvais bête ! Mais je pensais être supérieure, en arrivant à l'orphelinat, je pensais que mon intelligence pourrait braver toute épreuve sans que je n'aie le même problème. Cécité mélangée à de la fierté mal placée. Je m'étais vite rendue compte que je m'étais surestimée. C'était pas parce qu'on grandissait avec au moins un parent qu'on était meilleur. Je l'avais appris en si peu de temps..

Mais depuis tout ce temps, j'avais presque oublié mon demi-frère. je m'étais habituée à être une orpheline. A me fondre dans la masse des enfants de l'orphelinat. Ce qui n'était pas difficile, tous les caractères étaient différents. Et dès mon arrivée, madame Higginson avait dit quelque chose dans le genre "Cas typique de l'enfant abandonné, qui cherche ses origines". Dans un sens, elle n'avait pas tort. Et même si j'avais eu l'impression que derrière ses lunettes, et les cheveux qui s'échappaient de son chignon tout gris, elle avait lu en moi. Elle m'avait donné le sentiment qu'elle savait. Mais elle n'avait rien dit. Je l'aimais bien, cette vieille dame.
Mais je m'égare.

J'avais mal réagi, face à Emrys. En fait, j'étais tellement surprise de le voir que je n'avais pas su comment la jouer cool. Enfin, sauf que j'étais tout sauf cool, quoi. Même dans la vie de tous les jours. Etrangement, la phrase qu'il avait dite, si en général, elle m'aurait énervée, là, elle eut le don de me détendre. Mes épaules s'affaissèrent, comme si je baissais littéralement la garde, et un sourire se dessina sur mes lèvres.  « Il y a beaucoup de choses que tu ignores de moi. » Je ne l'avais pas dit sur le ton d'un reproche, mais c'était la seule phrase qui m'avait permis de retenir un "apparemment, c'est un trait de famille". « Bon, d'un côté, j'avoue que la première impression n'aide pas.. » reprenais-je, en laissant mon sourire s'étirer, montrant mes dents. Heureusement que je ne me voyais pas, je devais sembler à une gamine de 3 ans.

Tout s'était enchaîné à une vitesse incontrôlable. Tu avais eu besoin de prendre le large, mais tu n'avais pas pu. Là se trouvait le plus grand drame de ta vie. Tu n'avais pas pu d'abord parce qu'il y avait ta mère. Ensuite parce que planter tes colocs comme des cons ne t'aurait pas plus aider, d'autant que ça signifiait tourner le dos à tes amis de toujours. Et tu ne t'imaginais pas en arriver là. Tes colocs, ils étaient tout à tes yeux. Ou presque. Mais sans Newt à tes côtés, difficile de faire la part des choses. Ton cousin t'avait toujours aidé à faire de ton mieux pour décider. Rien qu'en te faisant monologuer quand tu voyais sa tête, à la fois dénuée d'expression quand il t'écoutait et en même temps regroupant toutes celles que tu attendais de sa part, celles qui te permettaient de monologuer. Alors ouais, faire la part des choses, c'était pas simple. Mais tu n'avais pas pu te résoudre à abandonner mère, amis et, depuis peu, petite soeur. Ca t'avait paru complètement insensé et surtout complètement hors propos. Même si, ta soeur, tu l'avais pas choisi, des années trop tard.

Et pourtant, te retrouver à côté d'elle, ce jour-là, ça t'avait redonné le moral. Tu ne l'avais pas vraiment vue ni appréciée dans ta vie, mais tu n'avais pas pu oublier son visage. A la fois si différent et si semblable du tien. C'était une Costa, c'était certain. Toi aussi, mais tu n'avais jamais porté ce fichu nom. Tu avais gardé celui de ta mère, Patterson avant de te faire renommer par la soeur de ta mère et son nom d'épouse. Mais il te semblait que Griffin t'avait toujours collé à la peau. C'était ça qui faisait de toi ce que tu étais. Enfin, et ton caractère, visiblement assez différent de celui de ta demi soeur, par ailleurs. « C'est vrai, il y en a beaucoup. Mais tu ne peux pas me blâmer, je ne savais pas que tu existais jusqu'à y a quelque temps. Tu m'en veux pas du coup ? » Être grand frère, ça ne te connaissait vraiment pas, et sans forcément te réussir, ça te faisait pas passer pour le garçon le plus intelligent de la Terre. Après tout, ça se voyait que Ginnifer n'était pas si petite que ça ! Tu grimaçais. « Ça aussi, c'est vrai. Du coup, je te suggère qu'on recommence du début si tu veux bien ? »

Regarder Emrys et le détester, c'était certainement une des choses les plus dures qui m'avait été donné de faire. La vérité, c'était que j'avais été tellement heureuse de savoir que je n'étais pas seule au monde, que je n'aurais jamais pu le détester. Alors, oui, évidemment, il y a ma mère, mais elle a sa petite vie, et bien souvent, je me sens de trop. Après, je ne me fais pas de films. Je sais que dans la vie de mon frère, je suis de trop, au moins pour l'instant, et certainement encore pour un long moment. Mais, même s'il est possible qu'il ne l'ait pas beaucoup connu, il représentait aussi la possibilité de connaître mon père, à travers lui. Déjà, parce qu'il était un homme, et parce que j'étais sûre qu'il lui ressemblait. Vu que moi, je ressemblais plus à ma mère, je n'avais pas d'exemple. Et les photos, chez moi, elles se font rares, mais je n'ai pas beaucoup de souvenir de lui.
Malgré tout ça, j'ai parfois l'impression qu'il m'a volé une partie de ma vie. Ne pas savoir que quelque part, j'avais un grand-frère, ça faisait partie des choses que j'avais du mal à accepter. Mais c'était comme ça, je n'avais pas le choix. Il y avait tellement de choses à rattraper ! tant pour lui que pour moi. Alors, évidemment, je ne pouvais pas lui en vouloir, lui aussi avait été la victime des mensonges et des secrets de notre père mais aussi de notre mère. « C'est bon, je t'en veux pas. » Capitulais-je, avec un grand sourire. J'étais incapable de vraiment lui tenir tête, surtout en voyant qu'il avait l'air ouvert à la discussion. J'étais faible, c'est tout.
En l'entendant, j'avais un sourire qui faisait le tour de ma tête qui s'installait, tandis que j'acquiesçais, des étoiles pleins les yeux. « Avec plaisir. » dis-je, en lui tendant la main, comme pour sceller un pacte.

Ta petite soeur. Ca te semble tellement irréel que même le penser, ça te fait bizarre. Tu commences à peine à te faire à l'idée, mais quand tu en parles, même si tu parles de ta soeur ou de ta demi-soeur, on sent bien que tu parles d'une inconnue. Ginnifer. Tu aimes bien son prénom, c'est pour ça que même si certains te regardent avec des yeux ronds quand tu parles d'elle, tu préfères donner son prénom. Bon, après tu expliques la situation, c'est vrai, mais c'est plus facile de voir les choses de la sorte. Et pour l'instant, tu essaies d'abord de faire le vide et le grand ménage, tant dans ta tête que dans ta vie, avant de pouvoir lui donner une vraie chance d'en faire partie. Malgré tout, tu n'es pas complètement réfractaire à son arrivée dans tout ce beau bordel. Tu restes donc gentil avec elle quand tu la croises, mais pas au point de lui faire une vraie place, et dans le fond, tu espères qu'elle ne t'en voudra pas plus que cela.  
« Pfiou ! Je suis soulagé alors ! » Serein, c'est vrai que tu es soulagé. Après tout, tu ne partages pas une moitié d'ADN avec n'importe qui. Elle te tend sa main et tu la saisis. « Super ! Emrys, grand frère depuis peu. Et toi ? » T'as l'air sacrément con, mais c'est comme ça qu'on repart du début, non ?

Il m'avait déçue, j'allais pas mentir sur ça. C'était vrai, c'était comme ça. Mais d'un côté, si ça avait été l'inverse, je ne savais pas si j'aurais été capable de mieux réagir. Parce que c'est toujours surprenant. Je veux dire, si un autre enfant de notre père venait me rencontrer, je l'enverrais certainement bouler. Enfin, si je n'avais pas eu été dans ce cas moi aussi. Parce qu'en vrai, maintenant, je compatirais très certainement. J'étais pas très sociable, mais je savais ce que ça faisait de se prendre des vestes. D'ailleurs, au cas où je l'avais oublié, Emrys m'avait permis de m'en souvenir.

Et pourtant, lui en vouloir, c'était difficile. Alors oui, j'avais cédé pour recommencer à zéro. Parce que dans le fond, c'était comme si j'avais attendu toute ma vie d'avoir un frère. Un grand frère. C'était peut-être aussi un peu pour ça que je m'étais sauvée de chez moi. La liste des raisons était tellement longue que de la faire d'un coup, d'un seul, ça restait quelque chose de trop compliqué. Je lui souriais, à mon frère. Je pouvais pas m'en empêcher. Et puis, dans le fond, il était drôle, un peu, non ? « Ginnifer. Mais tu peux m'appeler Ginnie, j'aime pas mon prénom. » C'était bien une idée de ma mère de me donner un pauvre prénom comme ça. Mais bon, c'était pas comme si j'avais vraiment le choix.

Tu débutais beaucoup trop dans tout ça. En fait, la vérité c'était que tu pataugeais comme un abruti dans une marre que tu contrôlais pas. Quoi ? C'était quoi exactement être un frère ? enfin un grand frère. Parce qu'un frère, t'en avais déjà eu un, de ton âge, avec qui tout s'était toujours bien passé. Newton. Ton cousin, ton tout. Qui été simplement reparti pour vivre sa grande aventure, ou plutôt pour accepter la douleur de la perte de sa mère. Et avec lui, tout avait toujours été facile. Même âge, deux garçons, même galère même si lui c'était juste sa tante qui n'allait pas bien, pas sa mère, même si le futur en avait décidé complètement autrement. Alors ouais, pour être le grand frère d'une adolescente, une gamine beaucoup beaucoup plus jeune que toi, c'était difficile. Et tu ressemblais à un crétin de première, même ta main tendue dans la sienne. « Ginnifer... Moi, c'est un prénom que j'aime bien. Mais si tu préfères je peux aussi t'appeler Gin' ? » Ginni ça faisait trop "Génie", et tu te sentais carrément rabaissé par ton prénom arthurien à côté de ça. Ton père avait trouvé plus original que de chercher dans des comptes médiévaux, même si ton prénom, tu l'adorais, à la différence de ta soeur. Et puis, c'était sûrement ta mère qui avait décidé de t'appeler comme ça, c'était sans doute pour ça que tu l'aimais autant en fin de compte. Même si t'étais pas cohérent avec ton explication. « Mais si tu veux, j'peux te trouver un surnom, rien que pour toi, si tu me laisses un peu réfléchir, ça te tente ? » T'allais galérer, ça c'était sûr, mais au moins, elle se plaindrait plus de son surnom que son vrai prénom, vu le degré de bêtise qu'il y avait en toi.

Finalement, on en venait aux présentations. Et c'était pas vraiment pour me décevoir ou quoi, bien au contraire ! ça voulait dire que même si c'était pas forcément quelque chose de facile au quotidien, qu'il voulait bien essayer d'apprendre à me connaître ! Et c'était un véritable pas en avant, en sachant qu'il m'avait presque envoyée chier, me faisant presque imaginer que s'il avait pu me jeter aux requins, il l'aurait fait. Mais d'un côté, si notre père était un gros con c'était ni de ma faute, ni de la sienne, à Emrys. Alors autant ne pas commencer à nous blâmer l'un et l'autre sur les erreurs et les pas de travers de notre paternel. Recommencer à zéro, c'était l'occasion ou jamais de repartir sur des bonnes bases, sans pourriture dans les fondations de notre relation, qui semblait déjà partir pour être assez fragile. Moi, tout ce que je voulais, c'était avoir une famille. Bien que j'en aie déjà une, avec maman.. Parfois, j'avais un peu de peine en pensant à elle. Elle avait été abandonnée sans moi, sans nouvelle. Et peut-être qu'elle se faisait un sang d'encre. Ou alors, peut-être qu'elle l'avait à peine remarqué, que j'étais partie. Trop occupée avec sa vie, son nouveau copain, ses ongles. Parfois, elle était tellement à côté de la plaque que ça m'énervait, et j'espérais de toutes mes forces qu'une puissance hors normes ne vienne la faire transplaner sur un autre continent, et la faire sortir de ma vie. Et pire encore avec le mensonge sur mon père. Elle n'avait pas pu me dire plus tôt que j'avais un frère ? On aurait pu venir à toutes les deux le rencontrer ! Mais non. Alors, oui, je me sentais coupable devant certaines de mes pensées, parfois. Mais, la faute à qui ?

Les présentations faites, même si je savais déjà qui il était, je grimaçais. Il aimait bien Ginnifer. Bon, déjà c'était un mauvais point pour lui... que je m'empressais de lui faire remarquer. « Je suppose que c'est l'âge que t'as qui te fait aimer mon prénom, alors. » J'avais dit ça sur le ton de la rigolade, mais quand on regardait, on avait bien une petite génération d'écart. Donc ça s'expliquait. Les gens de mon âge ne s'appelaient pas avec des prénoms aussi horribles que le mien. Des prénoms à la mode, simples, parfois inventés, ou repris de l'histoire, sans pour autant s'appeler Charlemagne, mais des prénoms cool. Même Emrys, ça passait mieux que Ginnifer ! J'esquissais une légère moue quand il me proposait de m'appeler "Gin". Comme l'alcool que buvait maman. Bon, c'était quand même moins pire que mon prénom en toute lettre. Alors, je haussais les épaules. « Si tu veux, alors... » disais-je, moyennement convaincue. J'aurais pas pu avoir un prénom à deux syllabes, moi ? Même Jenny se serait bien mieux passé. Mais non, fallait que ce soit sur moi que tombe le fardeau de ce prénom dépassé par la vie et par les évènements. Mais un brin de lumière semblait passer devant mes yeux.. Un... surnom rien qu'à moi..? Oh oui, j'étais preneuse ! Bien que je ne me méfiais pas forcément du risque que cela pouvait induire. « Oh, oui, pourquoi pas, après tout ! Mais pas de Petit Ours Blanc ! » C'était le genre de surnoms débiles que maman me donnait toujours petite.. et qui avaient malheureusement perduré. Je croisais intérieurement les doigts pour que ça ne donne pas de mauvaises idées à mon frère.

Toi qui avais toujours rêvé d'avoir un petit frère, voilà que tu te retrouvais avec une petite soeur. Mais rien à voir avec tout ce que tu aurais pu imaginer dans ta vie. Comme te retrouver pour la première fois devant un petit bout de chou, un bout de chou qui aurait sans doute donné la force supplémentaire à ta mère de remonter la pente et de ne pas se laisser bouffer. De se faire traiter avant qu'il ne soit trop tard. Bref, un bout de chou miracle quoi. Au lieu de quoi, voilà que t'avais une adolescente devant toi, et elle avait du répondant. Plus que tu n'aurais pu l'imaginer. En fait, plus qu'un nouveau-né, c'était certain, pour commencer. Et tu sentais déjà que tu allais t'en mordre les doigts de faire un pas vers elle. Mais tu le regretterais sans doute bien plus encore si tu la repoussais une nouvelle fois. En fait, tu étais bien content que le hasard t'ait donné une seconde chance de la revoir. Tu savais même pas d'où elle venait, comment elle t'avait trouvé jusqu'ici, ni des questions plus gênante comme si elle vivait toujours avec votre père, où étaient-ils lui et sa mère, etc. Parce que tu la voyais beaucoup seule, la gamine.
Elle t'avais rembarré aussi sec sur son prénom. Tu l'aimais bien ? Elle te le faisait payer. Tu manquais d'ailleurs de t'étouffer. « L'âge ? Je suis pas si vieux que ça, d'abord ! » Plutôt que l'âge, disons plutôt que votre écart assez important pouvait créer des désaccord. Sinon, tu n'étais pas vieux, t'avais même pas encore vingt-huit ans ! Elle se plaignait de son prénom alors que toi t'avais le prénom d'un druide. Bon, d'accord, c'était mieux Emrys que Merlin, pour le coup, mais les deux revenait exactement au même. Alors, gentiment, tu lui proposais de faire mieux. « On croirait entendre les prénoms que nous donnait ma tante quand j'étais gosse, avec mon cousin ! » Tu avalais difficilement. Ta tante. Ta défunte tante. Ta mère d'adoption... Enfin, bref, tu te reprenais quand même. « Pour l'instant, je ne te connais pas assez, alors j'aurais opté pour un "Gigi" basique si tu me prends la tête. Pour le reste, j'essaie de peaufiner ça. »