«
Aaaaaaah ! Mamaaaaaaan ! » Une petit voix stridente, comme un acouphène auquel on ne s’attend pas. L’interpellée manque de lâcher sa tasse brûlante de surprise, s’étouffant au passage avec une gorgée du breuvage. «
Mamaaaan ! L’eau c’est d’la bouillaaasse !! » La mère a déjà accouru dans la salle de bain en toute hâte, imaginant d’ores et déjà le pire. Un sèche-cheveux mis en marche à proximité du robinet par exemple. Une ampoule qui grille. Un tsunami de mousse parfumée à la fraise. N’importe quoi. Pourtant quand elle arrive en trombe, c’est sur une Sybil trempouillant ses doigts dans un liquide oscillant entre l’ocre et le noirâtre qu’elle tombe, pendant que Livia, elle, arbore une mine dégoûtée en se maintenant en retrait, les mains plongée au fond de son peignoir bleu pastel. Une odeur de pourriture, ou plutôt d’eau croupie embaumant toute la pièce, elle sent toutes les fibres de ses narines tressaillir d’un coup d’un seul. «
Agus cac … (et merde) » jure-t-elle sur une tonalité gutturale. «
Maman tu dis des mots pas biens. » lâche Livia qui la regarde, en contrebas. Elle ignore la signification exacte, sait juste qu’à la tonalité, ça ne doit pas être positif. Freyja arbore une moue désolée, intime à Sybil de se reculer pour examiner de plus près l’ampleur des dégâts. Au fond de la baignoire : dix bons centimètres de la dite bouillasse qui continue de s’écouler du robinet. La charmante odeur est pire encore lorsqu’on s’en approche. «
Maman faut appeler le monsieur qui répare l’eau. » Une évidence sans doute pour tout à chacun. Sauf que Freyja, elle en a marre de toujours devoir se tourner vers d’autres. Elle veut pouvoir savoir qu’elle peut compter sur elle-même, qu’elle est capable d’avoir suffisamment de ressources pour s’en sortir toute seule. Alors elle essaie de se rassurer, de convaincre aussi : «
Mais non, maman va réparer ça en un clin d’œil, tu verras. Va avec ta sœur dans le salon tu veux ? Le bain, ce sera pour plus tard. »
Un clin d’œil plus tard justement. Armée de clefs trouvées dans le garage, sous une tonne de barda en tout genre, Freyja manipule, dévisse, revisse depuis une bonne heure en pestant contre toutes les divinités de la plomberie possibles et imaginables. Le pire, ce n’est pas tant l’eau noirâtre qui s’écoule dans la baignoire. Non. C’est toutes les cochonneries qu’elle a pu extraire du tuyau, et qui dégagent une odeur nauséabonde. Sans parler du fait que tous les robinets de la maison pissent de la bouillasse désormais. A croire que la maison vient soudainement de s’enliser dans un marécage vaseux, et que toute la tuyauterie en a pris un coup. «
Bordel de … ! Putaaaaaaaain de … ! » lâche-t-elle tour à tour, pinçant les lèvres, mettant toute sa force pour déboulonner un tuyau rouillé qui fait de la résistance. Les joues rougies par l’effort, à moitié allongée sur le sol, elle entend de loin Sybil qui s’inquiète, demeure pourtant concentrée sur ses desseins. Les injures montent en décibels quand elle s’aperçoit ne pas réussir à faire bouger l’écrou d’un millimètre, et puis d’un coup, libération : il cède. Mais de cela découle un tonitruant : «
BORDEL !! » impérial, suivi d’un geyser d’eau qui atterrit sur son visage, son tee-shirt, la trempant lamentablement. La clef à molette est balancée plus loin à cause de la surprise, se heurte au carrelage. Freyja cligne des yeux, essaye de s’essuyer un minimum mais ne fait au final qu’étaler la misère plus qu’autre chose. Le moment rêvé pour la porte de sonner.
«
Mamaaaan c’est Papaaa qui arrive !! » lâche Sybil depuis le salon, sautillant déjà jusqu’à la porte d’entrée. Freyja n’a même pas eu le temps de mettre un sens sur ce que la fillette vient de dire. Elle grimace, va pour se relever de dessous la baignoire (oui, de dessous, dans l’encastrement de la baignoire), se tape le crâne contre le rebord, peste plus encore. «
Quoi ?! Sybil, n’ouvre pas à des … ! »
Inconnus …Trop tard. Elle entend déjà la fillette qui babille à l’entrée, qui a ouvert au loup. «
Papaa ! » s’exclame la petite fille, pieds nus, dans son peignoir, levant les bras vers le ciel. S’étant redressée en vitesse, Freyja saisi à la volée une serviette, essaie tant bien que mal d’essuyer la misère : en vain. Elle en a partout. L’état et déplorable. L’odeur encore plus. Pourquoi ses cheveux collent d’ailleurs ? Elle tire sur son tee-shirt trempé, à moitié transparent par endroit à cause de la flotte, éponge au mieux. En quelques enjambées elle débarque dans l’entrée, histoire de vérifier que Sybil n’a pas fait entrer n’importe qui. Quelle n’est pas sa surprise quand elle le voit alors.
«
Lawrence ? Qu’est-ce que tu fais là ? Ce n’est pas demain que tu devais récupérer les filles ? » marmonne-t-elle, haussant un sourcil. Avant de mettre un sens sur sa présence. Les petites friponnes … Appeler ainsi leur père à la rescousse, montrer que maman est incapable de s’en sortir toute seule. Quelle idée. Comme si franchement il allait pouvoir faire mieux, maître des robinets qu’il était.