bord d'ailes
angel face. devil thoughts.
Une tresse qui est tirée en arrière, les pleurs d'une petite fille. Il n'a pas tiré bien fort, mais suffisamment pour que la gosse du haut de ses 6 ans ait eu mal.
" Arrête de pleurer comme une fille ! " Ce culot. C'est lui qui l'agresse et en plus elle ne devrait pas pleurer. Douce ironie. Elle se retourne les yeux larmoyants et lui tire la langue.
" Je suis une fille ! " Vérité vraie. Esmeralda Roni Suarez est bien une petite fille. Une gamine forte avec un caractère bien trempé tout de même. Et lui c'est Juan. Alors lui, c'est le petit chieur, le caïd. Celui qui a un papa producteur alors il a du fric et tous les jouets qu'il veut. Esme elle, elle a des parents qui l'aiment, des frères et soeurs envahissants mais toujours là pour elle. Et c'est le plus important. Alors ce Juan et sa demande cruelle d'attention, elle n'en a pas l'habitude. Lui, il est seul. Pas de frère, pas de soeur, une maman trop occupée à courir à ses clubs et un papa toujours sur la route. Il lui fallait donc un défouloir. Et ce défouloir est brun avec de jolies bouclettes et des yeux émeraudes.
" Laisse moi tranquille. " Voilà, c'est dit. Elle se rassoit correctement sur sa chaise, face au tableau et à la maîtresse qui note la leçon du jour.
" Nan j'ai pas envie. " Qu'il est embêtant celui là. Néanmoins il ne l'asticote plus, du moins pendant le cours. A la récré, il recommence, tire à nouveau sur sa tresse défaite.
" Aie mais arrête ! " Il se plante devant la brunette et secoue la tête de gauche à droite.
" Nope. " Les larmes roulent sur ses joues rougies, sur les vestiges des précédentes. Elle ne comprend pas.
" Mais pourquoi ? " Il hausse les épaules, hésite un instant et se penche vers elle. Sur sa pommette, il dépose un baiser, rapide, léger, comme un effleurement d'aile de papillon.
" Parce que je t'aime bien. " Et Juan part en courant, laissant la gosse plantée là, un fin sourire qui se dessine sur ses lèvres tremblantes.
Une vague qui la renverse et elle se retrouve sous l'eau. Elle se débat pour rejoindre la surface et surtout retrouver sa planche. A quelques centimètres de la surface, une main agrippe son bras et l'attire hors de l'eau. Elle se retrouve sur la planche de son père tout en toussotant légèrement.
" Il ne faut pas que tu te laisses surprendre de cette façon hija. " Elle respire profondément et tente de se calmer.
" J'étais perdue dans mes pensées je crois. " Oh, ça lui arrive souvent ces derniers temps. Esmeralda a maintenant 12 ans. Son corps change, ses priorités également. Pourtant, elle aime toujours le surf, c'est sa passion depuis toujours. Elle soupire, embrasse son père sur la joue et replonge dans l'eau. Sa planche a dérivé de quelques mètres mais c'est une excellente nageuse et en quelques brasses à peine, elle y est. Elle replace son leash à sa cheville et repart à l'assaut des vagues. Une heure et demie plus tard, elle est allongée sur sa serviette à observer les nuages. La brune a cet avantage de ne pas cramer lorsqu'elle reste au soleil. Son corps est habitué. Alors elle en profite et reste des heures durant à se prélasser sur le sable. Sa musique dans les oreilles, elle s'endort doucement.
" Debout, ta mère nous attend. " Une gerbe d'eau lui atterri sur le visage et elle se réveille en sursaut. Son père, hilare, lui tend une serviette pour qu'elle puisse s'essuyer.
" T'abuses papa. " Ils sont comme ça, ils se sont toujours bien entendus tous les deux. Bien sur, le père ne fait pas de différence entre ses enfants, mais il partage avec Esmeralda, sa passion pour le surf.
" Allez on y va. " Elle enfile sa robe de plage par dessus son maillot humide par l'eau qu'elle vient de recevoir, récupère sa planche et suit son père. Ils habitent tout près de la plage ce qui les arrange grandement. En quelques minutes à peine, les voilà rentrés. Esme retrouve sa petite soeur, son grand frère et sa grande soeur déjà attablés. Ils sourient en voyant la gosse avec les cheveux emmêlés et le sourire aux lèvres. Chaque enfant est unique dans cette famille, chacun à sa passion, son petit truc à lui qui le fait vibrer. Une vraie famille unie.
Son carnet sur les genoux, elle observe les gens dans la rue. Un de ses passe-temps favoris. Elle griffonne, repasse sur les traits déjà posés sur ce papier blanc. Elle aime dessiner ce qu'elle voit, des scènes quotidiennes, des passants qu'elle caricature. Ce n'est jamais bien méchant mais ça l'amuse. Là, elle transforme une blondinette en train de boire un café en un petit singe buvant sa boisson favorite. Elle reprend les traits de son visage délicat et les appose sur sa feuille. Mais elle ne s'arrête pas là. Non, ce qu'elle veut faire plus tard, c'est de l'animation. Et une animation, ça bouge. Alors elle reproduit son dessin encore et encore, sur d'autres feuilles. Puis lorsqu'elle les fait défiler rapidement, on voit le petit singe prendre vie.
" C'est moi que tu dessines ? " Esme sursaute et fait tomber son crayon sur le sol. La blonde qui a précédemment parlé, le rattrape et le lui tend. Elle relève les yeux vers elle, gênée et peut être un peu honteuse.
" Et bien... oui. " Sa petite voix se faufile et malgré ce ton presque murmurant, l'autre a bien compris sa réponse. Elle se pose à ses côtés, sur le rebord du muret sur lequel elle a pris place.
" Tu me montres ? " Elle hésite tout d'abord, parce que ce n'est pas exactement son visage qu'elle a reproduit. Et puis tant pis, elle assume ce qu'elle a fait. Alors elle tend son carnet à cette demoiselle qui semble être à peine plus âgée qu'elle. La blondinette observe ce qu'elle a sous ses yeux et sourit. Visiblement elle n'est pas vexée.
" C'est très ressemblant. " Elle éclate de rire et remonte son regard dans les perles émeraudes.
" Tu en as fait d'autres ? " Esme sourit et hoche la tête. Elle sort de son sac son deuxième carnet et l'ouvre. Et là pendant plusieurs heures, les deux adolescentes parlent de dessin, d'histoires à inventer, de personnages plus loufoques les uns que les autres. Esmeralda griffonne les idées sur une feuille vierge, peut être qu'elle pourra les réutiliser plus tard. Et la nuit tombe, il est temps de se séparer. Cette rencontre éphémère, peu orthodoxe dans les rues vénézuéliennes, prend fin aussi rapidement qu'elle a commencé. Elles ne se reverront peut être jamais. Pourtant les deux jeunes filles rentrent chez elles avec des souvenirs plein la tête. Il ne faut parfois pas grand chose pour réunir deux être humains.
La musique envahit la pièce et la petite brune se laisse emporter. Seize ans déjà et la demoiselle a toujours ce côté enfantin. Esme c'est la douceur incarnée, pourtant, lorsqu'on la titille un peu, le feu l'envahit. Mais quand elle danse, plus rien d'autre n'a d'importance. Oui, elle a beaucoup de passion la gamine. Celle qu'elle partage avec son père, celle avec laquelle elle veut pouvoir subvenir à ses besoins et celle qui la fait vibrer. La danse c'est son truc à elle, son moment de répit, ce qu'elle fait pour oublier le reste et les autres. Elle a commencé vers l'âge de huit ans, de la danse classique. Elle a ensuite complété son apprentissage avec du contemporain. Ce qu'elle aime, c'est le mélange des genres. Aujourd'hui, elle danse, seule dans un studio. Elle n'entend pas les pas de la personne qui la rejoint sur le parquet. Non vraiment, quand elle danse, elle est dans son monde. Mais lorsque la chanson se termine et qu'Esme revient à la réalité, elle entend des applaudissements qui la surprenne.
" Qu'est ce que... " Et là elle le voit. Un sourire charmeur sur les lèvres et les yeux rieurs.
" Pardon je ne voulais pas te faire peur. " Elle se passe la main dans les cheveux, attrape une petite bouteille d'eau et en prend quelques gorgées.
" Surprise plutôt. Qu'est ce que tu fais ici ? " Elle ne l'a jamais vu, ça elle est certaine. Et pour que quelqu'un soit là à cette heure tardive, c'est qu'il a surement une clé.
" Je suis venu danser, mais je vois que je ne suis pas le seul à avoir eu cette idée. " Il ne lâche pas son foutu sourire et elle elle fond. Elle finit par apprendre son prénom, Pablo, et lui livre le sien. Ils ont dansé pendant une bonne heure, puis ils sont allés manger ensemble. Et la nuit et bien, ils l'ont passé à deux. Une petite amourette qui a duré quelques mois, un peu plus de six. Mais les deux électrons libres ont continué à se parler après ça. Amis qui dansent ensemble et parfois qui foulent des draps. C'est bien plus facile ainsi.
Sa fête pour ses dix huit ans fut encore plus grande que celle de sa quinceañera. Ses parents l'ont autorisé à faire les choses en grand et elle ne s'est pas privée. Elle a invité tous ses amis, sa famille ayant déserté pour la nuit. Ils lui font confiance, de toute façon, Esme n'est pas du genre à faire des soirées où les gens finissent en coma éthylique à 22h. Bien sur il y a eu de l'alcool et quelques personnes bien bourrées, mais pas trop de dérapage. Puis ils ont fini la soirée sur la plage, librement. Comme à son habitude, elle a passé plus de temps dans l'eau. Mais elle ne fut pas la seule. Un peu plus loin, elle vit Aléna, nageant seule. C'est étrange venant d'elle, elle est plutôt expansive comme fille et souvent entourée de ses amis qui pour le moment, s'amusent sur la plage. Alors en quelques mouvements, Esme arrive à sa hauteur.
" Tu t'ennuies ? " Elle s'inquiète un peu. Elle n'est pas du genre à vouloir être populaire en faisant de grandes soirées mais elle veut le bien être de ses invités.
" Oh non, vraiment pas. " Elle sourit et regarde la petite brune inquiète.
" Et bien pourquoi t'es toute seule ? " C'est qu'elle est curieuse en plus de ça. Et lorsqu'elle veut une réponse, elle ne lâche pas le morceau jusqu'à l'obtenir. La sirène aux cheveux ébènes penche la tête en souriant.
" Pour ne t'avoir rien que pour moi. " Les yeux de la plus jeune s'écarquille et elle observe Lena avec étonnement. Esme ne s'est jamais réellement posé de question sur ses préférences. Elle a été attirée par des filles comme par des garçons. Mais elle n'a jamais été en couple avec une nana. Par peur de l'inconnu peut être. C'est stupide. Pourtant, Aléna est là, face à elle en lui faisant clairement des avances.
" Ah oui et pourquoi ? " Elle aussi sourit maintenant. Parce qu'elle a compris où elle voulait en venir. Ce n'est pas bien compliqué. La créature s'approche d'elle, glisse ses yeux dans les siens avant de les descendre sur ses lèvres. Esme retient son souffle et ferme les yeux lorsqu'elle sent ses lèvres rencontrer celles d'Aléna. Le baiser était doux mais intense. Et bercées par les vagues, les deux jeunes femmes continuent de s'embrasser comme jamais elles ne l'avaient été.
Trois ans qu'elles sont ensemble. Trois ans qu'elles partagent tout. Esmeralda n'a jamais ressenti pour personne ce qu'elle ressent pour Aléna. La passion, la fougue et bien plus encore. Esme a commencé des études d'art tandis que Lena, elle, suit des cours de restauration. Chacune a sa passion, chacune a son cercle d'amis. Pourtant, elles se voient souvent. L'indépendance qu'elles ont dans ces moments là, contraste grandement avec le besoin d'être ensemble. Elles ont même envisagé de s'installer ensemble à la fin de l'année. Mais visiblement, Esme est bien plus impatiente que Lena de vivre avec elle. Elle voulait lui faire une surprise alors elle se rend chez elle un soir après les cours. Elles n'ont pas prévu de se voir et c'est ce qui a perdu Esme. Comme à son habitude, elle se dirige vers la fenêtre de la brune pour y frapper et qu'elle la laisse rentrer. Les parents d'Aléna sont beaucoup moins ouverts que les parents de la surfeuse alors elle use de subterfuge pour pouvoir la voir. Mais aujourd'hui, ce qu'elle vit la glaça toute entière malgré les températures estivales. Dans son lit, Lena n'est pas seule. Non, vraiment pas. Son corps chevauche celui d'un homme et vu les bruits qu'elle entend, ils ne font pas simplement la causette. Esme reste figée, là, à les observer. L'homme inverse les positions et dans le mouvement, la sirène croise le regard humide de la brune. Derrière la vitre, la jeune Suarez fusille sa copine du regard avant de s'enfuir en courant. Elle l'entend l'appeler mais elle ne veut pas l'écouter. Elle ne veut plus. Alors elle court, encore et toujours, voulant s'échapper de cette vision qui a réduit son coeur en miettes. Arrivée chez elle, elle ne prend même pas la peine de saluer ses parents ou la fratrie. Elle se dirige directement dans son lit où elle enserre son oreiller pour y laisser exploser son désespoir. Son téléphone se met à sonner, elle le sort de la poche pour voir l'appelant et grimace. Elle laisse passer l'appel. Puis le deuxième. Mais au troisième elle décroche.
" Fous moi la paix je ne veux plus jamais te voir ! " Et elle raccroche. Les message eut l'air d'être assez clair vu que le téléphone ne sonne plus. L'estomac retourné, elle continue de vider sa peine, sans sentir que son frère est entré dans la pièce. Il se pose sur son lit et la prend dans ses bras sans attendre d'explications.
" Ca va aller. " Il caresse ses cheveux en la berçant doucement, jusqu'à ce qu'elle s'endorme contre son torse.
Elle a prit sa décision. Cette petite annonce qu'elle a repéré sur son ordinateur quelques jours auparavant continue de la hanter. Mais elle va accepter. Elle est sure d'elle. Son frère l'encourage à le faire, ses parents aussi. Même si sa petite soeur lui en veut un peu, elle comprend pourquoi elle le fait. Toute la famille est au courant de ce qu'il s'est passé avec Lena. Esme le leur a expliqué quand son ex est venue chez elle un soir et qu'une énième dispute a éclaté. Elle n'a pas voulu écouter ce qu'elle avait à lui dire, c'était et c'est toujours au dessus de ses forces. Ce soir elle s'installe à table, attend que tout le monde soit là et elle le leur annonce.
" J'ai postulé pour le poste de fille au pair et j'ai été prise. " Son père sourit et lui caresse la tête, sa mère hoche la tête malgré ses yeux brillants, son grand frère lève le pouce en l'air et sa petite soeur se lève de table pour aller se réfugier dans sa chambre. Esme souffle et se lève pour rejoindre la plus jeune. Elle est prostrée dans sa chambre, sur son ordinateur et tente de se concentrer sur ce qu'elle lit. Mais Esme n'est pas dupe, elle sait qu'elle ne va pas bien. Alors elle s'approche d'elle, passe ses bras autour de sa taille et pose sa tête sur son épaule.
" Ca ne va rien changer tu sais. On se parlera toujours autant. Et puis tu pourras venir me voir. " Elle tente de la rassurer comme elle peut mais elle sait très bien que ces paroles, elles les ont déjà entendu toutes les deux quelques temps auparavant.
" C'est ce qu'elle disait aussi et elle n'appelle presque plus. " Leur grande soeur a quitté la maison il y a trois ans pour se rendre dans ce même pays. C'est aussi ce qui a décidé Esme à postuler chez ce Axl. Elle ne va pas en Nouvelle Zélande à l'aveuglette, elle sait qu'elle a quelqu'un là bas.
" Je vais lui tirer les oreilles, t'en fais pas. " Elle la serre un peu plus fort et la petite se met à pleurer. Esme partage ses larmes et les deux soeurs restent là pendant de longues minutes. Le lendemain, elle prépare ses affaires. Noël arrive et elle sait qu'elle doit être à Island Bay début 2018 alors elle ne traîne pas. Elle est prête pour cette nouvelle aventure. Elle est prête oui même si l'appréhension est là. Comment ne pas l'être quand on quitte tout pour se rendre à l'autre bout du monde. Mais elle est confiante. Elle sait que c'est ce qu'il y a de mieux à faire. Alors c'est le sourire aux lèvres qu'elle monte dans cet avion qui la conduira vers son destin.