l'histoire de ma vie
do animals have less fear because they live without words
SEPTEMBRE 2006Evan courait dans les bois. Il avait entendu les cris, les bruits des pas descendant à toute vitesse le petit escalier en bois, en ajoutant ça au changement de comportement d'Aoline, et l'ambiance étrange qui régnait dans la maison Sandersen, il avait tout de suite compris que quelque chose se passait et son sang n'avait fait qu'un tour. Il avait réussi à attraper la porte juste avant qu'elle ne claque, juste assez pour voir Paul sortir de la maison en courant. Evan tentait de faire le moins de bruit possible, si son frère le voyait, c'était foutu, il ne pourrait jamais vraiment savoir ce qu'il se passait. Alors il était là à courir dans les bois, déjà haletant mais poussé par l'adrénaline qui lui permettait de rester à hauteur de son frère, nettement plus sportif que lui. Il commença à apercevoir une seconde silhouette devant eux. Evan n'avait pas vraiment eu le temps de voir assez longtemps pour savoir de qui il s'agissait mais en même temps il n'en avait pas besoin : il savait pertinemment que la deuxième silhouette était celle de sa petite sœur.
Paul l'avait rattrapée et fait tomber imposant sa carrure impressionnante au dessus d'Aoline, qui était prise au piège. «
Paul s'il te plait lâche-moi. Tu sais que c'est mal. Ils finiront par le savoir! » Le plus jeune ne comprenait pas, ou plutôt il ne voulait pas comprendre. Paul ne serait pas capable de faire ça, ce n'était pas lui, il avait une passade difficile en ce moment, mais ce n'était pas possible... «
A l'aide ! Evan ! » Le cri résonna comme un appel du subconscient de l'intéressé : le ramenant à la réalité indéniable qui était exposée à ses yeux. L'aîné frappa sa cadette au visage et Evan décida que tout ça ne pouvait pas durer une seconde de plus. Il arriva derrière Paul, il était plus grand, plus fort, sa seule chance de battre son frère était de le prendre par surprise. Il asséna au plus vieux un coup de talon dans les côtes, qui le fit vaciller à côté d'Aoline. Il lui donna plusieurs coups au visage afin de s'assurer qu'il tombe inconscient, ou qu'il lui soit impossible de se lever ou peut-être les deux. Evan se pencha au dessus de sa cadette qui venait de rouvrir les yeux. Pendant l'espace d'un instant, il n'était plus dans les bois, il était à la piscine, en train de lire la joie pure sur le visage de sa petite sœur à qui il venait d'apprendre à nager, elle était si heureuse. Avant qu'il ne soit rendu compte de quoi que ce soit, il était revenu dans les bois, tout son dos le brûlait et le lançait sous le poids de son frère qui avait visiblement repris du poil de la bête. Une bête c'était le mot en effet, son regard était habité par une lueur qui était encore inconnue à Evan, il n'était plus le même. Paul lança son poing en plein sur le visage de son cadet, à plusieurs reprises. Evan ne comprenait plus ce qui lui tombait dessus, il sentait le sang chaud couler sur son visage, ne faisait qu'attendre le prochain coup. Un bruit sourd et puis plus rien. Son frère était allongé à côté de lui, inanimé, sa sœur, une pierre ensanglantée dans la main, commença à pleurer. Evan se releva et la pris dans ses bras. Il était organisé, il savait ce qu'il allait faire, de toute façon il n'avait pas trente-six solutions. Il devait juste garder son sang froid pendant encore cinq petites minutes, montrer à Aoline qu'il contrôlait la situation et qu'elle était en sécurité. «
Ecoutes-moi, tu vas dire que c'est de ma faute d'accord. Tu vas raconter tout ce qu'il t'a fait subir et qu'il allait recommencer lorsque je l'ai surpris. Tu vas dire à tout le monde que je l'ai frappé et tué. Il est hors-de-question qu'on s'en prenne à toi. Je suis tellement désolé de ne pas avoir remarqué ça plus tôt.» Evan était quelqu'un de très pudique, pas du genre à vraiment exprimer ses sentiments comme ça mais il savait que sa petite sœur en avait éperdument besoin.«
Je t'aime ok ? » Il déposa un baiser sur son front comme pour conforter son idée et se remit à courir.
Il se réveilla dans des draps trempés de sueur. Il avait encore rêvé de cette nuit là. Il avait beau s'être enfui à l'autre bout du monde, les souvenirs ne vous laissent jamais tranquille. Tout est encore si frais dans sa mémoire. Il se leva et se dirigea vers la salle de bain qui communiquait avec la petite chambre qu'il occupait depuis quelques jours dans la grande maison néo-zélandaise de sa tante. Arrivé au lavabo, il passa de l'eau sur son visage et regarda l'évolution des bleus devant le petit miroir surplombant l'évier. Son visage commençait peu à peu à redevenir le même, mais lui avait changé. La culpabilité le rongeait et Evan ne parvenait plus à se regarder ou à penser à Aoline sans avoir envie de vomir. Comment avait-il pu vivre avec lui, l'avoir laissé faire ça pendant dieu sait combien de temps ? Il ne pourrait plus jamais la regarder dans les yeux, il avait attendu trop longtemps avant d'enfin l'aider.
Il retourna dans sa chambre et s'attabla au bureau de bois massif où traînait tout un tas de papiers. Il avait tout raconté à sa tante, enfin ce qu'il avait décidé être la vérité : qu'il était le véritable meurtrier de Paul. Elle lui avait conseillé de changer d'identité, c'était trop dangereux de garder l'ancienne car bien que ses parents allaient sûrement étouffer l'affaire de la presse, il ne pouvait pas se trimbaler avec l'identité d'un fugitif. Il avait décidé de garder Evan comme second prénom et pour le reste du monde il serait Paxton. Il aimait bien et puis son père voulait à tout prix l'appeler ainsi mais sa mère avait toujours refusé.
A la pensée de la famille son cœur se serra. Il n'avait pas une très bonne relation avec sa mère et le regrettait aujourd'hui en sachant qu'il ne pourrait pas la revoir de sitôt. Il avait toujours été fusionnel avec son père et Paul. Ils formaient un trio infernal, toujours prêts à rigoler et à jouer. Sa mère avait été ravie de l'arrivée d'une petite fille, ce qui était loin d'être le cas d'Evan. Il avait l'impression qu'elle lui volait sa place, mais au final il avait compris qu'une famille c'était nettement plus compliqué que ça. Avec le temps Aoline était devenu comme un petit trésor qu'il devait absolument protéger. Il faut croire que même là il avait échoué.
10 ANS PLUS TARD, MAI 2016Il était allongé dans un lit inconnu, avec un mec dont il n'arrivait pas à retenir le prénom. C'était la deuxième fois qu'ils se voyaient, enfin, la deuxième fois que le français se retrouvait nu chez lui plutôt. Il commença à se lever et se rhabiller tandis que les rayons du soleil filtraient à travers les persiennes usées. Appuyé sur son coude, lui lançant un regard de chien battu, Paxton avait l'impression qu'il l'implorait de rester. «
Tu sais que je connais absolument rien de toi, on est jamais allé manger ensemble, ni rien... » Paxton ne pût s'empêcher de le couper «
Si tu veux quelqu'un qui reste pour te câliner le matin, qui t'emmène dans un resto chic manger du homard ou je sais pas quoi, je suis pas la bonne personne. » Il reprit sa veste étendue sur le sol tout en ajoutant «
C'était quand même un plaisir ! » Et ferma la porte derrière lui. En chemin pour une conférence dans une start-up toute nouvelle qui avait besoin de ses services d'interprète, il s'arrêta devant une vitrine de magasin histoire de remettre ses cheveux en ordre et vérifier que sa tenue faisait l'affaire.
Sa vie depuis 10 ans c'était à peu près ça. Se réveiller aux côtés de quelqu'un dont il se fichait éperdument, prendre ses clic et ses clac au petit matin, aller au boulot et ne plus jamais les rappeler. Il espérait un jour tomber sur la personne qui le ferait vibrer, la personne qui lui donnerait envie de rester, mais il ne l'avait pas encore trouvé. En même temps il n'essayait pas vraiment, mais il devait bien avouer que le temps filait et il ne tenait pas franchement à se réveiller un matin à 70 balais, seul dans un lit avec des draps en flanelles, et seulement sa TV pour le consoler. Il ne se considérait pas franchement comme un séducteur, à vrai dire la plupart du temps ce genre de truc arrivaient un peu malgré lui.
Paxton voulait construire une famille mais il n'arrivait pas à se confier, sur lui, sur sa vie. Il était devenu méfiant et mystérieux, deux traits de caractère qui étaient apparu depuis qu'il avait quitté précipitamment l'Angleterre. En même temps c'était légèrement compliqué, il ne voulait pas mentir aux gens qui composait sa vie, donc quand on lui posait des questions sur sa famille, sa vie avant Island Bay, les raisons de son départ, il ne mentait pas vraiment, il omettait juste les détails qui pourraient fâcher. La plupart du temps il se contentait de dire qu'il était né et avait vécu en France jusqu'à la naissance de sa petite sœur, qu'il avait ensuite vécu en Angleterre avant de quitter l'île britannique pour la Nouvelle-Zélande, après le décès soudain de son frère dans un accident. Pas besoin de trop s'étaler là dessus, il préférait la plupart du temps retourner le sujet et puis ça faisait dix ans maintenant il avait acquis un certains nombre de bonnes combines. Et puis personne n'était jamais revenu du passé pour le mettre au pied du mur.
Enfin, pas encore.