I see your skill (alian #1)

Une nouvelle journée à travailler. Le lundi, c’est à l’université de Wellington que je passe la journée à offrir des cours d’histoire des arts à des élèves compétents, ceux qui bientôt, enseigneront à leur tour. C’est quand même assez incroyable, de me dire qu’ils ont presque mon âge et que c’est pourtant moi qui les incite à prendre exemple sur moi. Mon rôle de grand-frère se ressent dans mon travail, et j’offre à mes élèves une véritable présence. Certains diront que je suis trop proche d’eux, mais je préfère répondre que je ne veux pas être un tyran. J’ai suffisamment de mauvais souvenirs de ma scolarité pour ne pas les reproduire. Je commence par un cours magistral de neuf heures à onze heures, c’est long, et je traite avec un maximum de sérieux l’art du dix-septième siècle. C’en suit deux longues heures où je n’ai rien à faire, alors j’en profite pour me reposer. Puis c’est l’heure des TD, comme chaque lundi après-midi et je soupire légèrement, pas vraiment motivée à faire ça. Aujourd’hui, nous analysons une oeuvre de Delacroix et autant vous dire que j’ai l’impression de donner cours à des débutants, ce n’est pas très agréable. Je ne suis pas de très bonne humeur en sortant de l’université, et je décide d’aller faire un tour en rentrant à Island Bay. Je me gare dans le nord de la ville histoire de gambader un peu, et marche dans les rues sans vraiment regarder face à moi. Soudain, alors que je relève la tête pour chercher mon chemin, je l’aperçois. Elle, cette blonde que j’ai déjà remarqué plusieurs fois à la plage, hier encore, elle y était. Je fronce les sourcils, et hésite. Je suis décidé à aller la voir et pourtant, je ne peux m’empêcher de ressentir une once d’appréhension face à cette décision. Je m’approche d’elle, doucement. Lorsque j’arrive à sa hauteur, je lui offre un léger sourire. « Bonjour. » Elle se retourne vers moi, et je reste souriant. Il ne faudrait pas que je lui fasse peur. « Je ne veux pas t’embêter… Mais on s’est déjà croisé à la plage, quand tu dessinais. » Autant ne pas y aller par quatre chemins. « Je ne te dérange pas ? » Je préfère vérifier, on ne sait jamais. L’avoir face à moi me donne des frissons, elle est quand même très jeune, je ne sais pas si elle est majeure. Elle est jolie, et me fait penser à ma soeur Judith, lorsqu’elle était plus jeune. C’est fou parfois comme toutes les blondes peuvent se ressembler.

Pour certains les lundis sont synonymes de reprise du travail, de l'école. Pour moi c'est plutôt une sorte de libération. Après un week-end à faire semblant de travailler pour que mes parents ne se doutent de rien je peux enfin retourner à ma véritable raison de vivre, l'art. Plus particulièrement les dessins, depuis mon plus jeune âge j'aspire seulement à cette activité, celle qui a su m'aider à me relever dans toutes les épreuves de ma petite vie. J'aime bien aller sur la plage pour peindre le doux mouvement des vagues, la marée, ou même les pécheurs au loin qui ne me remarquent même pas. Et parfois j'aime bien vagabonder en ville, jusqu'à la ruelle parfaite pour capturer un moment éphémère de la vie quotidienne. Je m'étale complètement pour le plus grand dam de certains passants qui pourraient me marcher dessus juste pour m'éviter de remettre les pieds ici, alors qu'au fond je ne dérange pas, mais eux je les dérange, à croire qu'ils vouent tous une haine pour les métiers et activité qui ne rentrent pas dans le moule, qui ne sont pas "convenables" comme dirait papa. Papa Berenson, lui c'est toute une histoire, et j'essaye de l'oublier comme je peux, de toute façon une fois que mes mains se déchainent sur le papier, je ne pense plus à rien, à part ma cible, le reste autour de moi devient invisible et je me perds complètement dans mon art, absorbée par les mouvements de pinceaux sous ma main. J'ai trouvé mon petit coin de paradis du jour à l'angle d'une petite rue passante du nord d'Island Bay, je suis assise par terre, pour dessiner en contre plongée les reflets du soleil sur le haut du vieil immeuble entièrement vitré. J'adore quand c'est complexe, les détails, et la technique. Je pourrais passer des heures sur une pétale de rose pour réussir à capturer chacune de ses courbes. Toujours accompagnée de mon appareil photo pour photographier à chaque changement de lumière ma cible, car même si ma mémoire est très fiable, j'adore la photographie, presque au même niveau que le dessin. Quelques heures passent, parfois je fais des pauses pour discuter avec les passants qui prennent le temps de me parler, et j'adore ces moments. Même si de temps en temps, je ne les entends pas toujours arriver. Comme c'est le cas à l'instant. « Bonjour. » Je sursaute, je n'avais entendu personne arriver derrière moi, et toujours assise par terre, je me tourne vers la voix qui me sort de mes pensées, c'est un homme, oui clairement, c'est plus un adolescent. Il me sourit, et je lui rends avec enthousiasme. Il reprend la parole. « Je ne veux pas t’embêter… Mais on s’est déjà croisé à la plage, quand tu dessinais. » Sa phrase m'intrigue, je ne l'ai jamais vu auparavant, et encore moins sur la plage. Je me relève d'une seule impulsion en époussetant les poussières sur mon jean. «  Ah bon ? » Je lui souris, flattée qu'il m'est reconnu, même s'il est inconnu au bataillon pour moi. « Je ne te dérange pas ? » Carrément. « Non pas du tout ! Je... Dessinais » Idiote, comme si ça ne se voyait pas. Je lui souris timidement et triture le bord de mon carnet, je ne sais pas ce qu'il me veut et le voir me détailler me rend légèrement fébrile, décontenancé. C’est clairement la première fois qu’on me dit quelque chose comme ça.

Je ne m’attendais pas vraiment à croiser la jeune fille que j’espionne en quelque sorte depuis un moment. Cette gamine m’intrigue, d’autant plus que je ne connais pas son nom, son identité et pourtant, j’ai l’impression d’en savoir beaucoup sur elle en regardant simplement les croquis. Les dessins d’un artiste peuvent révéler énormément sur leur personne. Nous en avons la preuve lorsque nous étudions une oeuvre d’art par exemple, un tableau, et c’est ce que j’aime enseigner à mes élèves. La faculté de lire un livre ouvert à travers la toile parsemé de couleur. Et aujourd’hui, j’ai envie de dépasser ce cadre afin d’entrer à pied joint dans la réalité, et c’est ainsi que je m’approche de la blonde en la saluant, tout simplement. Elle ne m’a pas vu arrivée, et je ne veux pas lui. Faire peur. Visiblement c’est loupé, et je lui offre un léger sourire afin de lui montrer que je ne suis pas un prédateur. Je commence la discussion doucement, en lui indiquant que nous nous sommes déjà croisés. Elle se relève, balaye son jean et je la regarde faire en silence. « Ah bon ? » Elle sourit, et ça me rassure. Je lui demande si je ne la dérange pas, c’est la moindre des choses. « Non pas du tout ! Je… Dessinais » Je la regarde me sourire, elle semble timide, et son geste contre son carnet me témoigne de son anxiété. J’ai du mal à comprendre pourquoi, alors je décide de ne pas la laisser avoir peur davantage. « Je t’observe depuis quelques semaines. Je ne suis pas un psychopathe, n’est pas peur. Quoi que tu devrais peut-être. » Je ris un peu afin de détendre l’atmosphère, et je sors de ma sacoche un dépliant de l’école dans laquelle j’enseigne. « Je suis professeur à l’école d’art de Wellington. J’ai repéré tes croquis, ils sont vraiment très beaux. » Je lui lance un léger clin d’oeil, sincère. « Pour être honnête, je ne suis pas vraiment de ces professeurs d’écoles privées qui viennent aborder des jeunes dans la rue pour leur offrir de l’espoir sur un bout de papier, loin de là. » Je fronce les sourcils, je sais que certains font ça, et je trouve ça atroce. « Pour être honnête, tu as encore à parfaire si tu veux avoir la chance d’entrer dans l’école mais là n’est pas la question, je voulais juste te dire que tu avais un potentiel immense avec ton crayon qu’il serait dommage de gâcher. » Je déglutis. Je parle un peu trop je crois.

Je passe d'une jambe à une autre, un peu mal à l'aise alors que je réponds à l'homme devant moi que je dessinais, même si c'est pas une surprise. Dans un premier temps je ne comprends pas pourquoi il vient me parler, puis lorsqu'il me dit qu'il m'observe depuis quelques semaines, je deviens suspicieuse « Je t’observe depuis quelques semaines. Je ne suis pas un psychopathe, n’est pas peur. Quoi que tu devrais peut-être. » Il rigole un peu, je hausse un sourcil et lui répond en même temps qu'il sort quelque chose de son sac « C'est exactement ce qu'un psychopathe dirait pour ne pas que je le soupçonne » Je croise les bras sur ma poitrine en regardant le dépliant qu'il tient dans ses mains et je comprends enfin le pourquoi de sa venue, même si ça n'explique pas pourquoi il m'a observé pendant des semaines sans jamais venir me voir, et surtout sans que je le remarque. Car on ne va pas se mentir, il est pas désagréable à regarder et je suis pratiquement sûre que je m'en souviendrais si je l'avais croisé. « Je suis professeur à l’école d’art de Wellington. J’ai repéré tes croquis, ils sont vraiment très beaux. » Il me sourit et me gratifie d'un clin d'oeil tellement inattendu qu'il me fait légèrement rougir et je tente désespérément de ne rien laisser paraître. « Euh... Merci » Le fait qu'un professionnel me dise ça fait gonfler mon égo de fierté. « Pour être honnête, je ne suis pas vraiment de ces professeurs d’écoles privées qui viennent aborder des jeunes dans la rue pour leur offrir de l’espoir sur un bout de papier, loin de là. Pour être honnête, tu as encore à parfaire si tu veux avoir la chance d’entrer dans l’école mais là n’est pas la question, je voulais juste te dire que tu avais un potentiel immense avec ton crayon qu’il serait dommage de gâcher. » Et mon égo redescend aussi vite qu'il est monté. Sauf que je mets immédiatement sur la défensive, et bloque sur ses paroles, peu encline à la conversation. « C'est gentil de me dire tout ça, j'apprécie, vraiment » Je le fixe dans les yeux « Mais non merci. » Je décroise mes bras et les laisse pendre le long de mon corps « J'pense que si j'auvais été intéressée je serais venue de moi même » Les mots sortent de ma bouche mais ils ne sont pas sincères, je crève d'envie d'intégrer ce genre d'école, mais c'est pas possible. Papa Berenson est totalement contre ce genre de chose, pour lui l'art c'est pas quelque chose qui te permet de vivre, et pourtant c'est la seule chose qui me permet de respirer correctement.

C’est quand même osé ce que je viens de faire, j’en ai bien conscience. Interpeler une jeune femme, encore gamine, ça ferait peur à n’importe qui. J’ai bien vu qu’elle n’était pas rassurée alors j’essaye de la rassurer comme je peux, en lui expliquant que je ne suis pas un psychopathe. Elle rigole, et je ne sais pas réellement si c’est bon signe. On verra bien. « C'est exactement ce qu'un psychopathe dirait pour ne pas que je le soupçonne » Je lui offre un léger sourire, il faut dire qu’elle a de quoi avoir la trouille. J’imagine que savoir qu’une personne nous observe depuis plusieurs semaines, c’est pas des paroles des plus rassurantes. Je m’oblige à aller plus vite, et lui explique que je suis professeur à l’école d’art de Wellington et que je trouve ses croquis, bien que je les ai simplement entraperçu, très beaux. « Euh… Merci » Je remarque ses joues rougies par mon clin d’oeil, elle est gênée alors je rajoute un simple « C’est sincère. » pour la faire rougir davantage. Je m’en amuse, et je me racle la gorge avant de poursuivre et de lui faire ma proposition. Enfin, c’st assez détournée, assez étrange proposée de cette manière là. J’essaye d’être le plus professionnel possible. Cette fille a réellement une chance d’intégrer l’école, et elle doit le savoir. « C’est gentil de me dire tout ça, j’apprécie, vraiment » Je lui souris. Sans doute qu’elle apprécie, c’est agréable de recevoir des compliments. « Mais non merci. » Je fronce les sourcils. Quoi ? Merde. J’imaginais déjà cette élève dans nos locaux, peut-être même en tête de promo qui sait. « J'pense que si j'avais été intéressée je serais venue de moi même » Je défronce les sourcils pour ne pas avoir de ride et déglutis légèrement. Un fort caractère ? C’est étrange, j’ai quand même du mal à comprendre. « J’ai tendance à penser que les artistes se dévalorisent, ne croient pas en eux. Certains ne croient même pas en l’art, à cause des oui-dires sur les artistes et ont peur de passer pour étrange auprès de leurs amis si ils partent étudier dans nos écoles. » Je parle comme un vieux, merde alors. Je souris un peu. « A m’entendre, on dirait que je fais de la propagande… » Je ris nerveusement pendant quelques secondes avant de m’arrêter. J’ai du mal à sa voir quoi faire, quoi dire. Cette jeune fille à tellement de potentiel, de talent, ce n’est même pas pensable de la laisser s’échapper. « Enfin, tu sais, je comprend. Moi aussi, je n’aurai pas été intéressée à ton âge. C’est assez abstrait l’art quand on y pense, tu préfères sans doute des choses plus concrètes et c’est normal à ton âge j’imagine. » Je soupire légèrement. « Tu étudies quel domaine ? » Je lui souris. Elle est peut-être en art à l’université, c’est possible aussi. Enfin je ne l’ai jamais vu à mes cours…

Je me braque immédiatement après sa proposition, mes bras restent croisés sur ma poitrine, ma voix devient légèrement plus sèche, et mes yeux lui lancent des éclairs. Je ne comprends pas bien sa visite, tout d'abord il commence par me dire qu'il m'observe depuis des semaines, et puis là il veut que j'intègre son école, c'est complètement surréaliste, il ne sait rien de moi, et surtout je ne sais rien de lui. Après tout pourquoi ça ne serait pas un psychopathe ? Qui essaye de m'attirer avec son école d'art comme on attire les enfants avec un petit chien, je jette un coup d'oeil aux alentours à la recherche d'une camionnette blanche, je psychose complètement. Et pourtant lorsque je refuse sa proposition, ses sourcils se froncent nerveusement, il semble surpris de ma réponse négative, j'ai comme l'impression qu'il n'a pas l'habitude qu'on dise non à M. le professeur. C'est vrai qu'en l'observant un peu plus, il ne ressemble pas vraiment aux professeurs d'arts de d'habitude. Non, lui déjà il est jeune et semble avoir plutôt toute sa tête, il ne s'habille pas de toutes les couleurs et son visage n'est pas désagréable à détailler. Tellement que je n'écoute que d'une oreille ce qu'il est en train de me dire, mon cerveau arrive cependant à reprendre le cours de son récit une fois à la fin « .... A m’entendre, on dirait que je fais de la propagande… » Et puis il ris, et un léger frisson parcours mon échine, j'insulte mentalement mon corps de réagir aux sons que produit M. le professeur psychopathe. « Enfin, tu sais, je comprend. Moi aussi, je n’aurai pas été intéressée à ton âge. C’est assez abstrait l’art quand on y pense, tu préfères sans doute des choses plus concrètes et c’est normal à ton âge j’imagine. » Je secoue la tête, il se trompe complètement. L'art c'est ma raison de vivre, mon exutoire, mon quotidien. Je suis incapable de passer une journée sans dessiner quoi que ce soit, même si c'est à l'arrache sur une serviette en papier. Il me suffit d'un stylo entre mes doigts pour qu'ils se mettent à s'agiter, qu'importe la surface à ma disposition. « Tu étudies quel domaine ? » Je triture nerveusement un bout de mon pull tout en gardant mes bras croisés et les yeux rivés aux siens, mieux vaut éviter que je regarde autre chose si je veux pouvoir parler, son regard me déstabilise déjà assez. « La communication » C'est froid, c'est simple, je garde autant que possible mes distances avec l'homme en face de moi, je n'ai pas encore conclu si c'était un psychopathe ou non.

Je suis conscient des risques que je prend en abordant cette jeune fille de cette manière là. N’importe qui pourrait me prendre pour un psychopathe et me signaler aux flics et pourtant, rien ne se passe. J’essaie d’être le plus agréable et le plus professionnel possible. Elle est réticente à la discussion, je le vois très bien et ce n’est pas simple à accepter. Malgré tout, j’essaye de lui expliquer que l’art est abstrait et que je comprend que cela puisse lui faire peur. Elle secoue la tête lorsque je lui demande si elle préfère les choses concrètes, et je dois avouer être assez déboussolé. Si elle n’aime pas les choses concrètes, pourquoi ne veut-elle pas étudier l’art ? Je peine à comprendre, et je décide de m’intéresser un peu à elle en lui demandant qu’est-ce qu’elle étudie. « La communication » Elle reste distante, je le sens bien alors je croise les doigts à mon tour. La communication, soit, intéressant.  Je regarde un petit peu autour de nous, et mon regard est attiré par l’enseigne du café se trouvant juste à côté de nous. Nous y serions mieux pour discuter si elle l’accepte, je ne sais pas. « Intéressant. Tu m’intrigues pour être honnête. Tu voudrais boire un café ? Je te l’offre. » Je lui offre un léger sourire. « Ne vois pas là de la drague, ne t’inquiète pas. » Tu parles, ça pue à 4000 kilomètres. Mais je suis sincère, elle m’intrigue sincèrement et c’est le plus important à retenir je crois. J’espère simplement qu’elle va accepter et qu’elle ne va pas se braquer davantage. « Tu n’es pas obligée d’accepter. Au fait je m’appelle Adrian. Northam. Monsieur Northam ou peu importe comment tu souhaiteras m’appeler. » Je souris. J’aimerai savoir comment l’appeler également même si je sens que ça ne va pas être facile. Elle a une tête à avoir une nom de fille plutôt commun. Alice, Capucine ou ce genre de chose. Elle me fait tellement penser à ma soeur aînée lorsqu’elle était petite, c’est dingue.