the current trend ft. Chris

Elle s’agace. Parce qu’en temps normal elle n’est pas comme ça. Elle n’est pas ce genre de personne … La Agatha, elle ne fait pas partie de ces gens qui s’apitoient sur leur sort, qui ressassent, qui se plaignent. Encore que ce dernier point est discutable. Car pour se plaindre il faudrait déjà parler de ce qu’elle ressent, pense, vie. Hors même sa mère n’arrive pas à lui arracher le moindre mot. En parler ne fera pas grande différence de toute façon. Cela n’enlèvera pas que son mariage a reposer sur un mensonge durant six années. Cela ne lui rendra pas confiance aux hommes. Parce que finalement, ils sont tous pareil. Cela ne lui redonnera pas l’envie d’aimer à nouveau. Parce qu’elle s’en sent incapable. Elle a encore trop mal pour cela. Et la douleur est si forte en elle que ça lui arrache quelques larmes lorsqu’elle se regarde dans le miroir de la salle de bain. Cette même salle de bain qui l’a vu grandir durant tant d’année. Un retour à la case départ qu’elle n’arrive pas à digérer et qu’elle sait qu’elle ne digèrera pas si facilement. Parce qu’elle a goûté à l’indépendance. Elle a volé de ses propres ailes et aujourd’hui elle n’en a plus. Elle ne peut même pas décoller un pied du sol sous peine de s’effondrer. Elle avait tout prévu dans sa vie. Tout, sauf ça… Mais on l’y à prise une fois la poupée. Elle ne se laissera pas avoir deux… C’est la promesse qu’elle se fait en observant le reflet de ses traits tirés sur la surface qui lui renvoie son image.

Elle attache ses cheveux dans une queue haute tandis qu’elle quitte la maison pour rejoindre le café à pied. Parce que cette histoire lui a tout pris, jusqu’à sa voiture dont elle rembourse ce qu’il reste de crédit et dont la vente de celle-ci n’a pas couvert. Mais aussi parce qu’à trente-deux ans elle ne veut pas que son père aménage son emploi du temps pour l’emmener bosser. Vivre de nouveau chez ses parents, est déjà bien suffisant. Elle a pourtant essayé d’imposer sa contribution pour les frais qu’elle représente pour eux. Mais ils n’en ont pas voulu prétextant qu’elle devait garder son argent pour se remettre à flot avant de penser au reste. Elle n’en dit rien, pour ne pas les blesser, mais pour elle, s’est humiliant. Elle qui avait eu de grands rêves. Elle n’était plus rien… Même ses études qui avaient couter une fortune, ne lui servait à rien ici. Seulement ils avaient raison sur un point. Elle avait le couteau sous la gorge, car un crédit et un divorce, ça se paye ! Et son salaire de serveuse ne lui permettait pas d’avoir son propre chez elle en dehors de ces dettes. Et puis, marcher ne lui faisait pas de mal. C’est en revenant à la maison, qu’elle s’était rendue compte que l’île lui avait finalement manqué. Bien que ça non plus, elle n’était pas encore prête à l’avouer à voix haute.

Des mèches de ses cheveux s’échappaient de sa queue de cheval et elle n’avait pas pris le temps de la refaire. Pas que le café était plein au point de ne pouvoir prendre de pause. Mais bien souvent il fallait que le patron lui mette presque le couteau sous la gorge pour qu’elle la prenne. Parce qu’elle ne savait pas quoi faire de ce temps. Sortir prendre l’air ? Et tomber nez à nez avec l’affiche publicitaire qui prône un mariage heureux si on fait appel aux services de cette agence. Non, autant resté à l’intérieur et qu’elle s’occupe l’esprit en travaillant. Il y a toujours une table a nettoyer, un client à servir, de la plonge à faire derrière parfois même ! Ce n’est pas le boulot de ses rêves, mais il lui occupe suffisamment l’esprit pour qu’elle pense un peu moins à sa vie durant son service. Encore heureux qu’elle a le sens du relationnel et qu’elle continue de sourire en permanence. Comme si elle avait programmé son cerveau pour ça, car lorsqu’elle retire son tablier, le sourire s’évanouit et sa tête se remplis à nouveau de tout le reste…

A l’aide de sa nouvelle meilleure amie, la lavette jaune, elle s’attarde sur cette table à débarrasser au départ de deux clients. Prenant les deux tasses par leurs anses dans une seule main. L’autre bras qui s’active dans des mouvements circulaires sur la surface sale. La clochette de la porte d’entrée qui lui indique qu’un nouveau client entre dans le café. Elle termine en passant un coup rapide sur les sièges, laissant tomber les miettes au sol, qui partiront lorsque la salle sera nettoyée ce soir à la fermeture. Elle se retourne pour chercher du regard ou le client s’est assis et rencontre son dos. Agatha avance vers la table sans passer par le comptoir pour déposer la vaisselle qu’elle tient en main. « Bonjour, qu’est-ce que j’vous sers ? » Dit-elle par réflexe avant que son regard ne croise l’azur qui se trouve à présent face à elle. Un azur qu’elle connait bien ! Enfin … qu’elle a bien connu plutôt. Puis qu’aujourd’hui ils sont plutôt deux étrangers, qu’autre chose. « Chris. Salut. » Dit-elle en restant planter à côté de la table. Elle pourrait s’excuser de l’avoir vouvoyé, seulement elle n’a pas vu que c’était lui. De toute façon, ça n'a pas grande importance.. « Qu’est-ce que j’te sers. » Reprendre à zéro, parait que c’est la tendance du moment alors bon …

Elle le regarde dans l’attente de sa commande. « la même ... » L’expression de son visage ne change pas. Peut-être qu’une pointe d’agacement pourrait pointer, mais même pas. En fait sa glisse sur elle, car elle n’a pas la force à ça. Elle inspecte rapidement la table et se penche pour lui passer un coup de lavette, ne la trouvant pas impeccable. C’est peut-être bien la seule chose de sa personnalité qui est restée et qui ressort dans son nouveau travaille, bien que sa maniaquerie n’a rien à voir avec ce qu’elle a pu étudier, elle a toujours eu besoin d’organisation, que tout soit toujours impeccable. C’était une façon de maitriser ce qui l’entourait. Peut-être qu’il était là le problème, mais elle avait encore ses œillères et ne pouvait regarder le passé de façon objective.  « une pinte et un café … j'avais oublié que t'étais newbie ici. » Elle tourne quelques secondes le regard vers lui tout en se redressant maintenant que la table lui semble plus propre. « Je t’apporte ça. » Peut-être qu’elle finira sa vie comme ça. A connaitre les clients qui entrent et sortent de ce café. Peut-être qu’elle finira par connaitre les habitudes des un est des autres. Mais sincèrement, elle ne l’espère pas. Elle ne se voit pas finir sa vie comme serveuse dans un trop paumé. Pas après avoir connu les grandes villes. Pas après la vie qu’elle a eu ! Pour elle ce n’est qu’une parenthèse dans sa vie. Le pansement sur ses blessures avant de rebondir, de grandir et de repartir du bon pied. Elle va pour préparer sa commande. Tourne des talons et s’échappe. Comme n’importe quel client, parce que finalement, elle ne le connait plus. Depuis bien longtemps. Alors pourquoi les choses seraient autrement ? Parce qu’ils ont discuté un peu l’autre fois ? Non, ce n’était clairement pas assez pour dire qu’ils pouvaient retrouver leur complicité d’antan. « s'il te reste de la tarte j't'en prendrais une part, merci » Elle ne se retourne pas et souris malgré tout. « J’vais regarder mais j’te promet rien. » Et elle disparait derrière son comptoir avec sa vaisselle sale qu’elle met dans l’évier, en attente de faire la plonge après l’avoir servis. Peut-être même qu’elle aura ramassé encore une assiette ou quelques verres avant de pouvoir s’en occuper.

Elle prépare tout au fur et à mesure sur un plateau, s’occupant de la commande d’une autre table par la même occasion et elle termine en demandant au chef s’il lui reste une part de tarte en cuisine. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’il est chanceux ce soir. Le chef a bien mis une part de côté bien qu’elle était pour lui. Mais il lui négocie contre la fermeture. De toute façon, ce n’était pas comme si elle avait un rencart ce soir… Alors autant qu’elle fasse la fermeture et lui qu’il ne prenne pas plus de poids. Il vivrait ainsi plus longtemps auprès de ses gosses ! Elle faisait une bonne action dans le fond. Bien qu’elle n’était pas payée pour ça. Elle naviguait dans le café pour déposer son autre commande de deux cafés, déposant l’addition avec avant de glisser jusqu’au boxe ou Chris attendait. « T’es le veinard du soir. » Un sourire parait enfin sur ses lèvres à la vue d’un autre. Même s’il est bref, il a finalement existé. « Je t’ai négocié la dernière part. » Achève-t-elle tout en déposant l’assiette contenant la part de tarte entre lui et la pinte et son café. Elle place son plateau vide sous son bras et pose son autre main sur sa hanche. « J’ai souvenir que tu l’aimais tiède à l’époque. » Elle regarde sa salle pour être sûre que personne d’autre n’a besoin d’elle pendant qu’elle s’attarde ici. Mais au vu de l’heure, de toute façon, le café sera bientôt vide. Le cuistot était de toute façon déjà en train de nettoyer sa cuisine. « Alors j’te l’ai chauffé. » Elle lui fait un clin d’œil en le regardant à nouveau. Petit détail du passé, du temps où ils se connaissaient encore. Peut-être que ses goûts avaient changé. Peut-être que du coup l’attention serait un véritable flop. Mais au moins, elle y avait tout de même pensé.