Every thought is a battle every breath is a war and I don’t think I’m winning anymore ♪ Kali Holway

On dit souvent que les plus grandes douleurs sont muettes, celle que je gardais au fond de mon cœur depuis désormais de longues semaines était aussi immense que le silence qui l'entourait. Parfois, j'avais l'impression de ne plus rien sentir : juste le vide, le noir autour de moi. J'étais seul, nu dans le brouillard dans lequel je m'étais enveloppé pour éviter de dévoiler mon mal-être au grand jour. D'une certaine manière, j'étais malade : un venin coulait dans mes veines prenant peu à peu possession de mon corps pour en faire sa demeure. Souvent, mon corps hurlait, pleurait, se détraquait et je ne tentais même pas de résister : je laissais cette infection m'envahir en essayant de la garder secrète aux yeux de mes proches mais dans mon esprit, j'étais conscient que le temps ferait son œuvre. En replongeant dans l'enfer de la drogue, je lacérais le lien qui me rattachait à la réalité comme un chien enragé s'acharne sur sa malheureuse victime en prenant un malin plaisir à la faire souffrir avant que la mort ne l'emporte.

Me battre ? A mes yeux, Je l'avais déjà fait trop souvent par le passé lorsque j'avais l'impression que je perdais soudainement le contrôle de ma vie. Combien de fois j'avais dû me relever en essayant de me convaincre que je retrouverais le bonheur au détour d'un chemin pour finalement trébucher et voir le destin jouer avec mes sentiments le regardant manipuler mon cœur comme s’il s'agissait d'un vulgaire chiffon ?

Voilà déjà plusieurs semaines que je me trouvais dans cet état d'esprit n'étant plus que l'ombre de moi-même bien qu'en apparence, je ne laissais souvent rien paraître. Incapable de me remettre de la disparition de ma jumelle, j'avais commis la bourde de retoucher à la drogue et depuis, je dépérissais à vue d'œil. D'ailleurs, dire que je me sentais mal dans ma peau s'apparentait à un doux euphémisme en comparaison de ce que j'éprouvais réellement au plus profond de mon cœur. Il y a tout juste une semaine, j'avais même frisé la correctionnelle : victime d'une overdose, j'avais été à deux doigts de passer l'arme à gauche. Si j'étais encore de ce monde, c'est parce qu'une âme charitable avait fait tout ce qui était en son pouvoir pour que je reste en vie. D'ailleurs, j'en étais carrément venu à me demander si elle n'était pas mon ange gardien dans la mesure où depuis cet incident, elle me surveillait comme le fait sur le feu. J'en avais pour preuve que depuis que j'étais sorti de l'hôpital, je dormais chez elle : la jeune femme avait en effet insisté pour que je reste en sa compagnie le temps que je me remette d'aplomb. Cette charmante demoiselle portait le doux prénom de Kali et j'étais presque gêné qu'elle se comporte de la sorte avec moi alors que je ne lui avais rien demandé. La pauvre ne devait sûrement pas savoir dans quoi elle s'était engagée.

Depuis mon overdose, il ne se passait pas une nuit sans que je cauchemarde et une fois de plus, je ne tardai pas à me réveiller en sursaut tout en ayant le souffle court. J'espérais juste ne pas avoir crié dans mon sommeil comme cela m'arrivait de temps à autre car sinon, j'avais dans l'idée que Kali allait débarquer dans la chambre d'une seconde à l'autre.

☾ anesidora

Je priais pour que Kali n'ait rien entendu car même si je la connaissais depuis peu, je savais déjà ce qui allait se produire si elle finissait par me rejoindre dans cette chambre. Comme toujours, elle allait me demander si tout allait bien et insisterait une fois de plus pour que je lui ouvre mon cœur. Je ne cachais pas que son attitude m'irritait parfois au plus haut point et que très souvent, j'avais juste envie de l'envoyer chier. Seulement, je n'en faisais rien et me contentais de lui confier que je n'avais pas envie de lui parler. Il allait sans dire que Kali me gonflait avec ses questions incessantes mais la vérité, c'était que j'étais confus et particulièrement embarrassé qu'elle se montre si adorable à mon égard. Je ne comprenais pas pourquoi elle m'accordait autant d'intérêt alors que je risquais de ne lui apporter que des emmerdes. Sans doute que j'estimais ne pas mériter son aide et que c'est pour cette raison que je demeurais enfermé dans ma bulle. En agissant de la sorte, j'essayai de lui transmettre un message afin qu'elle m’abandonne à mon triste sort. Je ne voulais pas qu'elle souffre par ma faute et que sa vie soit totalement chamboulée : en somme, je cherchais à la protéger car j'avais peur de ce qui pourrait se produire dans un avenir plus ou moins proche si elle continuait de s'impliquer dans ma vie.

A mon grand regret, Kali ne tarda pas à pointer le bout de son nez et comme d'habitude, elle se montra d'une gentillesse incroyable à mon égard : je n'avais pas le souvenir d'avoir déjà rencontré une jeune femme aussi adorable au cours de mon existence et cela finissait vraiment par me mettre mal à l'aise. Le pire, c'est qu'à force de la côtoyer, j'avais fini par m'attacher à elle d'autant plus que j'éprouvais beaucoup d'affection pour sa fille. Emma était à l'image de sa mère : sa douceur n'avait d'égal que sa bonté naturelle et très vite, nous étions devenus complices. En réalité, à chaque fois que j'étais en sa compagnie, son innocence me redonnait le sourire et me permettait d'oublier provisoirement mes soucis. Elle était tellement adorable que je crois que j'étais tombé sous son charme et dire que je l'adorais relevait de l'euphémisme.

Pourtant, je voulais fuir ses lieux et m'éloigner autant que possible de Kali et Emma avant qu'une catastrophe ne se produise. Si par ma faute, quelque chose venait à leur arriver, je crois que je n'aurais jamais pu me le pardonner. Assis sur le lit, je tentais de me remettre de mes émotions et tout en gardant un visage fermé, je finis par prendre la parole.

- Ce n'est rien Kali, va te coucher.

Après avoir pris ma tête entre mes mains, je décidai de me lever tout en jetant un coup d’œil par la fenêtre de la chambre : à force de souffrir comme un damné, j'étais plus que jamais au bord de l'implosion.

- Tu devrais sortir de ma vie, je suis néfaste pour toi.

☾ anesidora

La réaction de Kali ne me donne nullement envie de sourire et en toute sincérité, elle me dérange même au plus haut point car elle me confirme que la jeune femme n'est pas consciente que le mal qui me ronge et me consume de l'intérieur pourrait tôt ou tard me faire sombrer dans la folie. Pourtant, elle sait que je consomme de la drogue, que je me détruits la santé mais tout ce qui paraît l'intéresser est de me venir en aide. Tout cela finit par me terrifier : je me rends compte que Kali est prête à tout pour mener sa mission à bien et que j'aurais beau vouloir lui faire entendre raison, elle refusera catégoriquement de baisser pavillon tant qu'elle n'aura pas terrassée ce poison qui coule dans mes veines.

Kali est une perle rare, une pierre précieuse que tous les trésors du monde ne pourraient remplacer et dont la beauté n'a d'égal que la dévotion dont elle fait preuve à mon égard depuis que nos routes se sont croisées. Alors, je suis mort de trouille parce que je suis totalement pétrifié à l'idée de ruiner sa vie et que par ma faute, son existence s'apparente un cauchemar permanent. J'ai toujours pensé que j'étais un homme au cœur tendre et que mon seul but était de faire le bien autour de moi mais depuis que ma jumelle a disparu, j'ai bien remarqué que j'avais changé comme si la peine que j'éprouvais avait donné la part belle à un côté beaucoup plus sombre de ma personnalité. Je suis devenu quelqu'un d'instable qui n'est plus toujours maître de ses faits et gestes. Mes craintes sont donc pleinement justifiées et je regrette que Kali ne prenne pas conscience de cette réalité alors qu'elle a pourtant tout pour être heureuse.

Un silence des plus pesants s'installe alors dans la chambre et j'admets volontiers que j'évite de regarder Kali car je commence à me sentir particulièrement vulnérable en sa présence : j'ai peur d'effectuer un pas dans sa direction et de perdre totalement pied. La jeune femme me propose alors d'aller boire un thé en sa compagnie ou disons plutôt qu'elle m'ordonne de lui emboîter le pas et de la suivre jusqu'à la cuisine. Ce qu'elle peut être énervante quand elle s'y met et pourtant, elle fait preuve d'une telle bonté que ma carapace est en train de se fissurer sous ses assauts répétés.  

- Si je n'ai pas mon mot à dire...

J'accepte donc la proposition de Kali sans broncher même s'il est vrai que je ne fais clairement pas preuve d'un enthousiasme débordant. Nous quittons donc la chambre et rejoignons la cuisine en silence pour éviter de réveiller Emma.

- Tu veux que je te donne un coup de main ?

J'ai beau être froid et distant, cela ne m'a jamais empêché d'être serviable depuis que j'habite sous le toit de Kali.

☾ anesidora

A force de la côtoyer, je finis par me demander si Kali possède ne serait-ce qu'un défaut. Sans doute que la perfection n'est pas de ce monde mais à mes yeux, la jeune femme est un modèle d'exemplarité. D'ailleurs, je ne me suis jamais permis de lui poser la question de peur de me montrer trop indiscret mais je me suis toujours demandé pourquoi elle vivait seule en compagnie de sa fille. Etant persuadé qu'aucun homme ne pourrait résister à sa silhouette de rêve et son corps parfaitement sculpté, je n'ai eu de cesse de penser qu'en réalité, si elle demeurait célibataire, c'était simplement parce qu'elle ne désirait pas être en couple pour l'instant. Malgré tout, cela ne répond pas à une question essentielle : qui est le père d'Emma et pourquoi n'est il pas présent auprès de sa fille ? Craignant de faire remonter à la surface des souvenirs douloureux, je me suis donc bien gardé de questionner Kali à ce sujet.

Pendant que la jeune femme s'occupe de préparer le thé, je sors deux tasses et les pose sur le meuble de la cuisine tout en étant plus ou moins plongé dans mes songes. Beaucoup de confusion règne dans ma tête car à force, je ne sais plus sur quel pied danser. De manière presque irrémédiable, j'ai l'impression de vouloir me rapprocher de Kali : je la trouve si craquante et touchante à la fois que sous certains aspects, elle me rappelle énormément ma jumelle et quelque part, cela me terrorise. Je suis craintif à l'idée de ce qui pourrait advenir si je venais à m'attacher pour de bon à la jeune femme car même si je ne doute pas une seule seconde qu'elle fera tout ce qui est possible et inimaginable pour m'aider, je sais par avance qu'elle ira au-devant d'une énorme désillusion : sans ma jumelle, je demeurerai éternellement seul et incomplet dans un monde où je n'aurais plus jamais la sensation d’être à ma place.

Par la suite, Kali me propose d'aller sur le porche et par un simple hochement de tête, je lui confirme que je n'ai rien contre l'idée de prendre l'air en sa compagnie. Une fois à l'extérieur, elle m'invite à m'asseoir à ses côtés ce qui me fait cogiter l'espace d'un instant. Indécis, je m'installe finalement sur la balancelle mais j'évite de me coller à la jeune femme comme si sa présence m'incommodait : en réalité, c'est surtout lé dévotion dont elle fait preuve à mon encontre qui n'a de cesse de me désarçonner. En tout cas, Kali a eu le nez creux : doucement mais sûrement, je me laisse bercer par l'ambiance presque enivrante qui règne en ces lieux. Il faut dire que j'ai toujours été un oiseau de nuit et que je n'ai jamais boudé mon plaisir de contempler un magnifique ciel étoilé. Me sentant soudainement empli d'une certaine sérénité, je finis par prendre la parole tout en laissant mes yeux se perdre dans le vide.

- Je ne suis même pas certain de t'avoir déjà remerciée pour tout ce que tu as fait pour moi depuis que l'on se connaît alors que je te dois la vie. Je suis désolé d'être ainsi...

☾ anesidora

Je ne saurais dire pourquoi mais à cet instant précis, j'ai brusquement l'impression de me retrouver à un moment charnière de ma vie. En effet, je suis persuadé que ce n'est pas un hasard si je me retrouve sur ce porche en compagnie de Kali : j'ai la conviction profonde que d'une manière ou d'une autre, le ciel tente alors de me transmettre un message et m'invite à faire un choix crucial qui s'avérera peut-être décisif pour mon avenir. Je n'ai jamais été superstitieux mais j'admets volontiers qu'en revanche, j'ai toujours cru au destin. Alors forcément, lorsque Kali me confie que d'une certaine façon, il était prévu qu'elle me sauve, je ne la prends aucunement pour une folle : à dire vrai, cela me donne même à réfléchir.

Et si ce que disait la jeune femme n'était que le reflet de la réalité ? Au regard de ce que j'avais déjà vécu par le passé, j'étais en droit de me poser la question. Après tout, ce n'était pas la première fois que j'échappais à une mort presque certaine. Plusieurs cicatrices présentes sur diverses parcelles de mon corps étaient là pour me rappeler que quelques années plus tôt, il s'en était fallu de peu pour que je passe l'arme à gauche. A l’hôpital où l'on m'avait soigné, le personnel médical m'avait plusieurs fois répété que j'étais en quelque sorte un miraculé et que je pouvais m'estimer chanceux d'être toujours de ce monde. Ayant perdu la mémoire, je m'étais longtemps demandé pourquoi la vie m'avait accordé une seconde chance puis un jour, le ciel s'était chargé d'éclaircir ma lanterne en me rappelant que je possédais une jumelle qui avait besoin de moi autant que j'avais besoin d'elle.

Je ne croyais guère au hasard et encore moins aux coïncidences : si j'avais donc une fois de plus triomphé de la mort quelques semaines plus tôt, c'est que mon heure n'était sans doute pas venue. Mais pourquoi m'offrir un tel cadeau empoisonné alors que dans ma situation, j'aurais accueilli la mort comme une douce délivrance ? Depuis le départ, je me répétais sans cesse que le destin n'était pas juste et qu'il se délectait de la peine que j'éprouvais au quotidien mais peut-être que je m'étais trompé sur toute la ligne. Et si finalement, il cherchait simplement à m'ouvrir les yeux ?

Je n'ai surtout pas envie de me bercer de fausses illusions mais bien que tout cela semble tirer par les cheveux, je reste convaincu que l'idée que j'avance découle d'une certaine logique. En d'autres termes, le destin m'aurait à nouveau sauvé la peau afin que je réalise que j'avais encore une chance de goûter au bonheur. Mais comment pourrais-je croire en une telle éventualité ? Est-ce que cela signifierait que tôt ou tard, je serais amené à revoir ma jumelle ? J'aimerais tant pouvoir me raccrocher à cet espoir pour aller de l'avant.

C'est alors que mon regard croise celui de Kali et aussitôt, mon sang ne fait qu'un tour : et si en réalité, le bonheur se trouvait juste devant mes yeux ?  Au fond, n'était-ce pas la jeune femme qui avait volé à mon secours ce fameux soir où la mort avait frappé à ma porte ? Voilà un détail que je devais prendre en considération de la même manière que je ne pouvais pas nier le fait que c'était Kali qui se donnait sans compter pour me maintenir à flot depuis quelques semaines.

Le moins que l'on puisse dire, c'est qu'un bordel sans nom règne dans mon esprit et je réalise qu'à ce rythme, mon cerveau risque d'exploser. J'ai besoin de me détendre mais encore faut-il que je trouve une solution pour arrêter de me prendre la tête.

- Tu es folle de m'accorder autant d'attention, c'est une certitude mais pas de croire au destin : je suis également persuadé que l'on était voué à se rencontrer. Malgré tout, cela ne change rien au fait qu'à mes yeux, tu es une jeune femme extraordinaire : tu as l'impression d'être une personne quelconque car tout ce que tu fais pour moi te semble juste naturel mais c'est faux. Tu es comme un mouton à cinq pattes ou un oiseau rare : une demoiselle comme toi, on en rencontre qu'une fois dans sa vie.

J'arborai un sourire empli de sincérité avant de poursuivre sur ma lancée.

- Et justement, je me rends compte que je n'ai jamais pris la peine de mieux te connaître : j'aimerais en apprendre davantage à ton sujet si tu n'y vois aucun inconvénient bien entendu.

☾ anesidora

Je ne saurais dire si l'on va rester sur ce porche jusqu'au petite matin mais j'ai déjà la conviction que cette nuit demeurera éternellement gravée dans un coin de mon esprit. A dire vrai, je voudrais presque que le temps s'arrête afin que cet instant dure toujours car pour la première fois en l'espace de plusieurs mois, j'ai envie de croire que même sans ma jumelle, je peux entrevoir la lumière au bout du tunnel si je me donne les moyens de me remettre en selle. Quelques minutes plus tôt, je me suis retrouvé à la croisée des chemins mais cette fois, j'ai décidé d'emprunter une route que j'avais pourtant refusé de prendre depuis que Liv avait disparu de la circulation pour la simple et bonne raison qu'elle semblait inaccessible à mes yeux. Pourtant, en cette nuit des plus délicieuses, j'ai décidé de m'y engager et de croire que tôt ou tard, le bonheur finirait de nouveau par frapper à ma porte.

Après que je lui ai tressé des lauriers, je contemple Kali avec tendresse et constate aussitôt qu'elle se garde bien de rebondir sur mes propos. Cela ne manque pas de m'interpeller car je la fréquente depuis assez longtemps pour savoir que ce n'est pas son genre de rester sans voix. Son silence est donc lourd de sens à mes yeux et je tente de comprendre pourquoi soudainement, elle paraît perplexe. Serait-il possible qu'elle soit embarrassée simplement parce que je me suis permis de la complimenter ? En tout cas, elle n'a pas rougi mais au regard du caractère qu'elle possède, je ne serais pas tellement surpris qu'elle ne sache plus où se mettre simplement parce que j'ai voulu qu'elle comprenne combien elle était extraordinaire à tout point de vue. Je réalise par la même occasion que je découvre Kali sous un autre jour : ainsi, même si sa joie de vivre est des plus communicatives et qu'elle n'est jamais la dernière pour faire preuve d'un enthousiasme débordant, je lis également dans ses yeux qu'elle est sans doute plus fragile qu'elle ne le laisse paraître au premier abord. Est-ce que le destin lui a fait endurer beaucoup de souffrance ? Combien de fois son cœur s'est-il brisé en mille morceaux ? J'admets que j'aimerais connaître les réponses à ces questions pour savoir si d'une quelconque manière, je pourrais l'aider à aller de l'avant.  

Reprenant finalement ses esprits, Kali ne tarde pas à m'offrir un sourire aussi étincelant que sincère. Elle est visiblement ravie je sois enfin sorti de mon silence et pour ma part, je me réjouis de la rendre heureuse : après tout, son bonheur fait le mien. Déjà qu'elle était une véritable pipelette dans toute sa splendeur, j'ai dans l'idée que désormais, elle va s'en donner à cœur joie mais pour être sincère, je m'en fiche éperdument : si cela ne tenait qu'à moi, je pense que je pourrais l'écouter parler durant des heures tant je trouve toujours beaucoup d'intérêt à tout ce qu'elle me raconte. D'ailleurs, après avoir savouré une gorgée de son thé, la jeune femme me parle de son travail et me confie donc qu'elle gère son propre restaurant. Je bois chacune de ses paroles et réalise rapidement à quel point elle est passionnée par son métier. Tout en m'amusant de sa dernière réflexion, je prends à mon tour la parole.

- Je comprends mieux pourquoi je me suis toujours régalé en dégustant chacun de tes plats. Tes clients doivent être aux anges car tu es vraiment une très bonne cuisinière : d'ailleurs, à cause de toi, j'ai dû prendre plusieurs kilos depuis que je vis ici.

Bien évidemment, je cherche juste à taquiner Kali et le clin d’œil que je lui offre à la suite de ma réplique est là pour en témoigner. Dans la foulée, la jeune femme me demande de me dévoiler davantage. Parler de moi n'a jamais été mon fort mais je décide de prendre mon courage à deux mains pour satisfaire la curiosité de Kali.

- Par où pourrais-je commencer ? En premier lieu, je fais du surf depuis de nombreuses années : pour plaisanter, j'aime souvent à dire que ma planche et moi-même sommes indissociables. Je crois que dès mon adolescence, j'ai compris que cette passion coulait dans mes veines même si paradoxalement, elle a failli me coûter la vie. Je suis aussi un photographe dans l'âme : j'aime immortaliser certains moments qui me tiennent à cœur ou des paysages que je trouve majestueux. A côte de cela, je suis éducateur : je m'occupe d'adolescents dans le besoin en essayant de les remettre sur le droit chemin. Ce n'est pas un métier facile à exercer mais j'ai toujours eu l'impression que j'étais né pour faire cela. Sinon, je souffre d'asthme chronique mais je pense que tu étais déjà au courant et je suis un amoureux des animaux. D'ailleurs, je ne t'en ai jamais parlé mais j'ai une chienne qui se nomme Hope. Depuis que je suis chez toi, je l'ai confiée à un ami mais je te la montrerais dans un avenir proche.

☾ anesidora

Avais-je vraiment grossi ? Voilà une question à laquelle il m'était impossible de répondre. Dans la mesure où j'avais passé le plus clair de mon temps à me reposer ces derniers temps, il se pouvait en effet que j'ai pris du poids mais cela ne risquait pas de me perturber outre mesure. Non pas que je ne faisais pas attention à mon corps mais même si je me rendais de temps à autre dans une salle de musculation et que je veillais à me maintenir en forme, je n'étais pas du genre à me peser tous les matins afin de m'assurer que je n'avais pas pris un gramme. N'étant pas du tout prétentieux, je n'avais pas non plus pour habitude de me mettre devant la glace plusieurs fois par jour dans le simple but d'admirer mon corps d’athlète. Tant que je me sentais bien dans mon corps, le reste m'importait peu même si bien évidemment, cela ne m'empêchait pas de surveiller ma ligne. En d'autres termes, lorsque j'avais confié à Kali que j'avais sûrement pris quelques kilos par sa faute, j'avais surtout joué la carte de l'humour. Cependant, je n'étais pas certain que la jeune femme ait saisi l'allusion mais pouvais-je vraiment lui en tenir rigueur ? Jusqu'à présent, elle n'avait entrevu que le côté le plus sombre de ma personnalité et dans ces conditions, elle ne pouvait guère se douter qu'en réalité, c'était dans ma nature de faire souvent appel au second degré. D'ailleurs, j'espérais qu'elle allait vite réaliser que j'adorais être taquin car dans le cas contraire, elle risquait souvent d'être prise au dépourvu.  

Cependant, c'est un autre détail qui m'interpella encore davantage dans sa réponse. A ma grande surprise, la jeune femme me confia en effet qu'elle me trouvait toujours aussi beau. J'avoue que sur le moment, je fus assez troublé par ses propos : à y regarder de plus près, on pouvait aisément imaginer qu'il y avait un sous entendu dans sa réflexion. Est-ce qu'il fallait donc lire entre les lignes ? Dans mon genre, j'était plutôt très intuitif et il est certain que dans d'autres circonstances, je n'aurais donc éprouvé aucune difficulté pour percer Kali à jour. Seulement, depuis que je me droguais, il m'était difficile d'avoir les idées claires et mon flair légendaire avait perdu de sa superbe. Après un instant de réflexion, je compris surtout que j'avais fait fausse route dès le départ. Comme d'habitude, Kali s'était juste montrée parfaitement adorable à mon égard mais cela s'arrêtait là. En même temps, comment avais-je pu croire une seule seconde qu'il y avait un sens caché à sa phrase ? Je devais vraiment être désorienté et totalement à l'ouest pour avoir imaginé l'espace d'un instant que la jeune femme puisse éprouver de l'attirance pour un jeune homme dans ma situation. Pourquoi prendrait elle la peine de jeter son dévolu sur une cause perdue comme moi alors qu'elle méritait bien mieux ? Avec le recul, je préférais m'amuser de la situation et me contentais donc d'afficher un sourire qui ne semblait plus vouloir quitter mes lèvres depuis déjà quelques minutes. En même temps, cette nuit était vraiment parfaite en tout point : Kali se fondait parfaitement dans ce décor idyllique et resplendissait de mille feux.

Les minutes s'égrènent et tandis que je termine mon thé, j'en viens à me demander si on va rester sur ce porche jusqu'aux premières lueurs du jour. Je n'ai nullement envie d'abréger notre conversation d'autant plus que je rêverais  de pouvoir contempler le lever du soleil en compagnie de Kali mais je me dis que la jeune femme a sûrement un emploi du temps très chargé et je ne voudrais pas qu'elle soit épuisée par ma faute. Pourtant, je demeure silencieux sans doute parce qu’égoïstement, j'ai envie de prolonger ce savoureux moment qui n'est pas loin de frôler la perfection. Et puis surtout, je crois que j'ai peur que cette nuit ne soit qu'une simple parenthèse et je me dis qu'à compter de l'instant où je me retrouverais à nouveau seul dans ma chambre, je me sentirais encore une fois plus vulnérable que jamais. Ne voulant pas de nouveau bercer dans le pessimisme, je chasse rapidement ces idées noires de mon esprit en concentrant toute mon attention sur Kali.

La jeune femme me remercie alors et semble être consciente que je me suis donné beaucoup de peine pour lui ouvrir mon cœur. Je constate par la même occasion que mes soupçons étaient bien justifiés puisqu'elle reconnait volontiers que ce n'est pas non plus un exercice dans lequel elle excelle. Je brûle alors d'envie de lui demander pourquoi elle se garde bien de parler d'elle mais je m'abstiens de lui poser la question de peur de toucher une corde sensible. Dans la foulée, j'apprends également que Kali aime le surf et alors que cette nouvelle aurait dû me réjouir, j'éprouve brusquement comme un sentiment de culpabilité qui me ronge de l'intérieur. Certains souvenirs me traversent alors l'esprit et je repense à tous ces moments où j'ai initié ma jumelle à ma passion. C'est peut être totalement stupide mais à cet instant précis, j'ai le sentiment de trahir Liv et de la remplacer. L'espace de quelques secondes, je suis ailleurs tandis que l'expression de mon visage change dans les grandes largeurs : je suis totalement confus et décontenancé. Par miracle, j'arrive à me reprendre avant de plomber l'ambiance et tente tant bien que mal de rebondir sur les propos de Kali.

- Oui, avec grand plaisir : j'en serai le premier enchanté. Pour ce qui est de Hope, elle ne ferait pas de mal à une mouche donc je pense en effet qu'elle s'entendrait très bien avec Rosy. Bon par contre, il ne vaut mieux pas se trouver dans les parages quand elle veut te faire la fête ou sinon, tu as le droit à une séance de léchouilles gratuite.  

☾ anesidora