flots des feux (shawn)

shawn & nour

flots des feux

Aujourd'hui, le soleil mangeait la pluie. À la fenêtre, Nour guettait l'arrivée des nuages, mais les anges les avaient rangés dans leur porte-parapluies. Les nuages des anges, c'étaient les parapluies des hommes. Les nuages des hommes, c'étaient les parapluies des anges. Son dos lui faisait mal doucement, comme pour lui signaler que recroquevillée comme ça, elle allait finir par se démanteler complètement. Elle aurait pu faire la forte tête et rester assise ici pendant quelques heures encore, mais elle avait faim et pour grignoter, il fallait faire un détour vers le casier. Elle se leva et s'étira en grimaçant puis s'en alla chercher son paquet de pistaches. Lorsqu'elle ouvrit son casier cependant, son attention fut détournée par un petit bout de papier plié. L'origami élémentaire, le carré coupé en quatre. Nour l'attrapa au vol avant qu'il ne tombe par terre et ses sourcils se froncèrent quand elle vit qu'il y était écrit un mot. Une sorte de rendez-vous au crayon de bois. Elle rigola en silence fourra le papier dans sa poche, prit son sac à dos et ses pistaches et s'en décida de s'en aller au point de rendez-vous, curieuse.

Elle y trouva un mec qui, de loin comme de près, ne lui semblait pas familier. Elle cru d'abord à l'erreur, l'erreur de casier, comme l'erreur de numéro. Mais elle l'approcha tout de même, le sourire plaqué aux lèvres. Parce que les nuages étaient rangés dans leur porte-parapluie et que le soleil la mettait de bonne humeur. « Pistache ? » Le mec assis sur son banc la regarda avec un air désagréable, se leva et la contourna sans rien dire en la bousculant presque. « J'suis au téléphone. » Le sourire de Nour se changea d'abord en surprise, puis en colère mal contenue. Elle regarda le mec s'en aller en voulant lui balancer ses pistaches à la figure, mais elle se retint de justesse. Les écouteurs vissés dans les oreilles, ça ne voulait pas forcément dire être au téléphone, elle avait quand même droit à l'erreur. « Asshole... » Nour soupira. Elle posa à son tour ses fesses sur le banc, sortit de sa poche le papier et le plia et le déplia dans une sorte de paresse ennuyée. Ses doigts passèrent sur les mots écrits, firent se brouiller le crayon de papier. Elle posa le carré sur ses genoux. Son dos se posa contre le bois du banc qui craqua légèrement. Les vieux os des objets inanimés. Nour avait souvent comparé les choses à ses sentiments. Ne rien faire pendant les petits moments entre ses cours. Une sorte d'espace temps cloisonné dans sa tête, un petit bout d'heure pour penser en silence. Elle oublia le petit papier sur sa cuisse, observa les élèves passer. En sourdine dans sa tête, elle récitait une chanson.

shawn & nour

flots des feux

Son stylo dans la bouche, les yeux vides remplit du paysage extérieur. Derrière cette fenêtre, il y a tout ce qu'il voudrait. Un peu de verdure où courir et se rouler à terre. Un peu de soleil pour s'allonger sur le bitume et écouter le bruit du vent vibrer sur ses cheveux. Tout ce qu'il voudrait faire, là, maintenant. S'échapper de son cours idiot pour flotter dans les airs et faire ce que bon lui semble. Voyager à travers les ruines idiomatiques d’Égypte, inspirer un bol d'air sur le rebord de la muraille de Chine, s'extasier devant un mur de chewing-gum en Amérique. Il se penche, arrache un bout de feuille. Un rectangle basique. Un mot gribouillé au crayon à papier. Il s'applique comme une lettre à maman. Il hésite à rajouter des cœurs, des fleurs, un paysage derrière ses lettres. Un peu trop gamin, qu'il pense. Simple, sobre. Rien de plus. Rien de trop. Il attend que ça sonne, le signal qui lui fera faire un cent mètre en cinq secondes. Ça sonne. Affaires dans le sac. Les pieds qui volent du sol. Un casier. Un autre qui lui ressemble. Le sien. Sa main qui se lève, son épaule qui s'accoude aux casiers comme si de rien n'était. Et hop là. Joli mot noir sur blanc qui s'évade vers l'inconnu. Cette inconnue.

Planqué derrière une porte, assez pour voir, assez pour ne pas se faire voir. Le dit-banc occupé par un mec aux écouteurs qui jase tout seul. Les aiguilles lui font de l’œil, assez pour lui susurrer qu'elle ne viendra jamais et qu'il a fait tous ces efforts pour rien. Le tel qui vibre dans la poche arrière le fait sursauter. Il panique ce con, il panique à l'idée qu'elle n'ai jamais découvert son mot. Un message reçut, Hades qui lui demande où il est. Mentir ? Ça serait nouveau, trop nouveau. Ça lui fait peur, et alors ? ''cant talk right now – see ya tonight dont worry'' ; il ne lui a pas vraiment mentit. Seulement une légère distorsion de la réalité, et encore. Sa tête qui se relève, putain il a suffit d'un message pour rater son arrivé. Elle est là. Assise. L'air sainte. La brise qui caresse son visage, sa bouche qui marmonne une insulte. Elle s'accorde tellement bien au paysage. Il hésite un instant. Prendre une photo serait trop creepy. Il ferme sa gueule. Il relève la haute. Un souffle, un pas et il était lancé.

Un canard fade lui tenait le regard. Qu'il le juge, c'est qu'un pauvre canard qui finira ses jours dans un lac et le même paysage fade et sans goût. Shawn fait semblant de regarder ailleurs et surtout, ailleurs d'elle. Un coup de tête sur le côté. Expression surprise sur le visage. Il attendra son oscar ce soir entre ses draps blancs. « Nour ? » il s'approche, mains dans les poches de sa veste en jean. Il a la dégaine, on va pas se mentir. « Comment tu vas ? Tu fais quoi là ? T'attend quelqu'un ? Je peux peut-être m'asseoir avec toi un instant ? J'ai rien de prévu pour le moment, je me baladais juste. Et toi ? » il enchaîne les questions-réponses pour cacher son malaise naissant. Il a peut-être une belle gueule et de beaux sourires. Shawn, c'est une petite perle qui fera tourner le monde sans le savoir. Il s’assoit à côté d'elle, sourire gravé aux lèvres. Ses yeux qui fixent les siens. Il est entrain de se noyer dans ces yeux bleus. Mais c'est juste un paris, un paris qu'il doit gagner coûte que coûte. On parle d'un paris de gamin, mais d'un paris. Premier sur la ligne, Shawn se doit de terminer sa course dans les règles de l'art. Bien que tous les coups soient permis.

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Le canard là-bas, il avançait lentement sur l'eau et Nour se demandait s'il avait oui ou non déjà remporté plusieurs compétitions de natation. Il allait droit et sans secousse, comme un serpent rampant dans l'herbe. Pas un brin vert ne sursautait. Pas une vague ne se soulevait. On aurait dit qu'il flottait presque dans les airs. Le canard-planeur aux ailes en plumes couleur craie. Nour se mit à réfléchir comme les oiseaux, à petit bec dans sa tête. Tout doucement en marmonnant une chanson qui lui trottait entre les deux oreilles. Elle ne le vit pas arriver, comme il feignait ne pas la voir non plus. Une sorte de débalancement entre les deux, le mélange du jeu et de la réaction bien authentique. « Nour ? » Ses yeux bleus penseurs clignèrent et elle haussa les sourcils dans une moue confuse avant de lever la tête vers celui qui venait d'arriver. « Shawn ! » Elle eut un sursaut, une espèce de mouvement pour se relever, la main qui vola pour aller serrer l'autre, le réflexe hésitant d'une bise, mais elle ne fit rien de tout ça et retomba sur le banc gauchement en se rappelant que les salutations ici n'étaient pas les mêmes que celles chez ses parents. Elle redressa son dos, passa une main dans ses cheveux en vrac et fit tomber le petit papier par terre, à ses pieds. Il l'avait surprise, peut-être sans le vouloir. Elle n'en savait rien. Elle récupéra simplement le papier en riant, amusée par les questions qui déboulaient dans ses oreilles à la même vitesse qu'un guépard en pleine course. Elle le voyait, le guépard, s'élancer dans ses mots. Il avait un guépard dans la bouche. « Parle pas si vite, Shawn, j'vais louper des bouts. » Un petit temps entre les mots, pour reposer le guépard, le voir étirer ses pattes. Nour secoua sa tête. « Mais ça va sinon ! Je– j'ai trouvé ça dans mon casier, » elle lui tendit le mot plié, laissa son regard s'attacher au sien. « Donc je suis venue voir. Il y avait un mec avec ses écouteurs assis ici. J'ai voulu lui parler mais il m'a rembarrée aussi sec. » Elle eut un rire étouffé, la tête lui tomba dans les mains. Visage caché qui cherchait ses mots. « Ça devait être une blague, c'est tout. » Nour haussa les épaules, reprit le papier des mains de Shawn et commença à le plier dans une autre forme. Elle n'avait jamais appris à faire des origami. Elle savait seulement faire des cocottes en papier, des cocotte ou des coin-coin, peu importait qu'on les appelle d'une façon ou de l'autre. « T'as déjà joué à ça ? » Elle sortit un crayon rouge de son sac et nota dans les petits triangles des morceaux de phrases, des bouts de poésies, des mots qui plaisaient aux guépards. La cocotte dans les mains, elle le regarda avec un air fier. « Vas-y, dis un nombre ! »

shawn & nour

flots des feux

Elle était perdue dans son univers. Peut-être ce qui avait marqué l'esprit des deux meilleurs amis, ce semblant qu'elle avait en plus et que les autres n'avaient pas. Ce petit plus. Ses yeux, son sourire, sa peau qui semblait douce, sa délicatesse, son innocence, son accent qui arrachait quelques oreilles de temps à autre. C'était peut-être tout ça qui faisait qu'ils étaient là. Deux coqs à tourner autour du même œuf en se demandant qui irait le picorer en premier. Qui oserait faire le premier pas. L’œuf à rien demander, n'a pas son mot à dire. Un jeux stupide, futile. À quoi ça leur servirait ? Ils n'allaient pas grandir comme ça. C'était puérile, ils en sont au courant. Mais ils foncent dans le mur les yeux bandés et le sourire scotchés. « Shawn ! » rien que ça, ça le fait sourire. Une petite voix innocente qui vient secouer ses hormones et faire trembler ses jambes. Sa langue se délie sans pour autant la contrôler. Ça sort, ça pulvérise le soleil de ses mots doux. « Parle pas si vite, Shawn, j'vais louper des bouts. » elle a déjà tout loupé au moment où elle lui disait ça. Il s'excusa dans un murmure, sourire gêné qui n'apparaissait pas souvent. Le revoilà petit chaton dans son coin, apeuré du monde humain et de ces pieds géants qui se baladent près de son corps frêle. Peur d'un coup de pied, peur d'un minime bruit. Petit coquelicot dans un champ de tournesol. Elle papote à son rythme. Le papier entre ses mains, il fait semblant de s'y intéresser. Son écriture brillante le fait sourire mais, ça aurait pu être n'importe qui d'autre, elle se serait pointé quand même. Il lui rend ce chiffon dans un sourire. « Une blague ou quelqu'un qui s'est simplement trompé de casier ? Ou un rendez-vous amoureux secret ? » il voulait secouer que légèrement ses épaules -il faudrait pas la briser non plus- pour lui dire, regarde-moi! C'est pas un hasard si je suis là pas vrai? mais de ses yeux d'enfants, ça devait lui paraître comme tel. Un hasard des anges fondus d'amour et d'humour. « T'as déjà joué à ça ? » il inspecte le petit bout de cocotte en papier du bout des yeux. « Jamais. » jamais rien vu de tel, extra-terrestre sur la planète terre, il jette un coup d’œil en arrière au cas où son vaisseau se serait échoué pas très loin. « Vas-y, dis un nombre ! » il plisse les yeux. Guette ses mains. Son regard. Tâte du bout du doigt la cocotte délicatement. « Quatorze. » et elle bouge ses doigts. Elle sourit comme un enfant. Une petite tape sur sa tête, il voudrait faire. Mais rien de tout ça, ses yeux s'amusent à la regarder et ses membres statues de pierre. Coulé dans du béton il n'ose plus bouger. C'est qu'un jeu, qu'il se répète. Un jeu. Un joli jeu aux cheveux marrons, aux rubis bleutés, aux bras en sucre d'orge. Il la regarde faire. Il se tait parce que c'est joli à regarder. Joli jeu, va.

shawn & nour

flots des feux

Nour observait sa bouche léopard, ses mots fauves, dans une sorte de fascination casse-gueule, la pente glissante au bord du ravin. Elle y mettait les pieds doucement, elle ne voulait pas tomber, pas encore, pas si brusquement. Les orteils crispés, elle faisait très attention. « Une blague ou quelqu'un qui s'est simplement trompé de casier ? Ou un rendez-vous amoureux secret ? » Son rire creusa des lignes à côté de ses yeux. « Un rendez-vous amoureux secret ? » Elle répéta les mots, incrédule. « C'est plus vraiment un secret si l'inconnu se pointe. À moins qu'il s'invente des excuses et qu'il se cache derrière... » Nour fixa Shawn un instant, le malin sourire, l'étincelle taquine d'une gamine. « C'est peut-être toi le messager secret, » elle haussa ses sourcils, les yeux fixés sans gène sur son visage léopard, le doigt qui vint pousser son bras doucement, « c'est peut-être le canard, là-bas, » elle fit dévier son regard et pointa l'oiseau qui battait des ailes dans l'eau, « c'est peut-être lui, » elle montra d'un coup de menton le mec qui venait de passer en skateboard. Il continua son chemin sans l'avoir entendue dans un bruit de petites roues. « J'en sais rien. » Le sourire de ses yeux descendit sur ses lèvres et y resta collé. Elle tâtait le terrain, Nour. D'abord à petit pas d'oiseau, puis à gros pas d'éléphant quand elle sera sûre de ne pas tomber trop fort, trop n'importe comment, pêle-mêle au milieu de ses sentiments. Le jeu de la cocotte en papier, Nour l'expliqua selon ses règles à elle, son jeu à elle. « Tu dis un nombre, je plie la cocotte, tu choisis un côté et je te lis ce que j'ai marqué en-dessous. C'est facile. » Les mains perdues au milieu de la cocotte en papier, Nour attendit le signal de départ. « Quatorze. » Elle plia, déplia, plia, déplia quatorze fois son origami et montra l'intérieur à Shawn, attendant son choix. L'étoile vite-fait dessinée ou le nuage ? Il pointa l'un des deux gribouillis, puis elle ouvrit le papier plié. « "Feux de voix dans les flots." » Un froncement de sourcils. « Bon, ça veut rien dire, c'est des trucs au pif. » Elle s'excusa d'un regard et d'un sourire, la cocotte toujours au bout des mains. « Tiens, garde-la. » La cocotte partit dans ses mains à lui, avec une petite hésitation, un vol plané maladroit dans la valse du vent. Nour, elle tâtait le terrain, la piste dégagée. Elle atterrissait sans secousse, comme le canard qui sautait sur la terre, les palme et les plumes recouvertes d'eau. Elle n'avait pas peur de la chute. Pas vraiment. Pas là, tout de suite. Plus tard, peut-être. Elle avait la tête ailleurs, pour l'instant. Sous le papier plié, quelque part, au milieu des bouts de poésie aléatoire, elle avait mis son numéro. S'il la regardait bizarrement, elle lui répondrait que c'était pour éviter de devoir glisser des mots dans son casier. Effrontée, imprudente. La pente était glissante. Mais pas dans ses yeux à elle.