Un p'tit déj pour deux (Connor & Noa)

Les messages de Connor ont rongé une partie de ma nuit. Il m’a invitée à laisser tomber l’inquiétude, mais depuis la lecture de sa lettre, c’est impossible. Sa maladie me perturbe jour et nuit. Je l’ai attendu une poignée d’années, alors que j’aurais du le relancer. Je pensais qu’il m’avait rayée de sa vie. J’ai compris que non. Je me suis engagée auprès d’un autre et je suis sûre de ce que je ressens pour Leeth. Mais je ne peux m’empêcher de penser que je n’ai pas su attendre le temps qu’il fallait. Bien que cela fut inutile, la lettre ne devait me parvenir qu’après le décès de Connor. De toutes façons, j’aurais patienté pour rien. Et maintenant ? Il me restait à veiller sur lui. Non pas comme si nous étions en couple et que nous affrontions ensemble son calvaire, ça c’était raté, mais veiller sur lui autant que je le pouvais, cela ne faisait aucun doute pour moi. Il me reste une immense tendresse pour lui que je ne peux pas taire. Je dois organiser mon temps entre les deux hommes de ma vie ! C'est la chose la plus perturbante qui soit pour moi, moi qui est passé près de sept ans de mon existence à refuser toute attache !

Connor n’a pas voulu que je passe le voir hier soir, je n’attendrais pas ce soir. Ce sera ce matin. J’ai dévalisé la pâtisserie du coin. Je ne me sentais absolument pas d’humeur à me mettre aux fourneaux pour lui préparer un petit déjeuner copieux et... non, ça c’est réservé au couple, pas à deux célibataires. Ou plutôt... un célibataire et une en couple. C’est pire ! Alors mon carton rempli de choses sucrées à avaler de bon matin est parfait. Je suis en bas de chez lui. De chez eux. Connor et ses colocs. J’ai l’impression de m’imposer à eux, même si nous nous sommes à peine croisés une fois ou deux. Mais ils ont repéré probablement les boites hermétiques étiquetées au nom du plat que je laisse régulièrement à Connor. Je prends des cours, on dit rien, on tourne la tête, c’est pas moi, c’est quelqu’un qui me ressemble, un peu, à peine, une silhouette similaire. J’ai pris un cap que ce soit avec Connor ou avec Leeth dans lequel j’ai du mal à me reconnaitre. Je ne pensais pas le prendre avant trente ans ! Je sonne à sa porte sans savoir qui va m’ouvrir. Homme ? Femme ? Sa soeur ? L’autre dont je n’ai pas encore réussi à enregistrer le nom ? Connor lui-même ?

C’est évident qu’il ne m’attendait pas. C’était le but aussi, qu’il ne dise pas non, qu’il ne trouve pas une fausse excuse. Pas le choix. D’ailleurs il le comprends directement en me faisant entrer. — Quoi ? Pas content de me voir ? Ah oui, c’est à cause des baskets ! Bien sûr je serais venue ce soir en talons hauts avec une robe moulante pour t’entrainer dans un bon resto et qui sait où nous aurions fini au bout de la nuit, tu aurais eu le sourire, au lieu de cette tête de déterrer. A peine dit que je regrette ce mot. Trop tard. Bien sûre que je ne suis pas obligée de venir le voir régulièrement. Enfin, je sais pas, “obligée” non bien sûr mais “en avoir besoin”, oui c’est d’avantage de ce côté qu’il faut se tourner. J’ai ce besoin irrépressible d’être avec lui. Plutôt que de prendre la direction de la cuisine, il va à la fenêtre pour fumer... jusqu’à la quinte de toux, et si en plus il chope une pneumonie !  Je ne veux pas non plus jouer les méchantes qui le privent de tout, même si je meurs d’envie de lui enlever cette cigarette des doigts. Je le regarde. Je me surprends à le détailler. Je cherche ce que l’âge à changer. Il est torse nu. Je l’ai vu plus d’une fois encore moins vêtu, sur une plage. Dans l’intimité de l’appartement, c’est une autre sensation. Vraiment, je ne m’attendais pas à ce que mes souvenirs tentent de redessiner ses contours cherchant s’il était plus ou moins mince, plus ou moins musclé. J’essaie de me souvenir ce que mes doigts cherchaient, trouvaient quand ils le caressaient. Mauvaise idée ! Je me racle la gorge. Je pose le carton sur la table du salon. J’enlève ma veste. Je m’occupe. C’est mille fois mieux que penser. Mille fois moins dangereux. — Thé ou café ? Si tu me dis où le trouver, je le fais. Et puis parce que oui, quand même, je suis chiante... — Tu vas prendre froid à cette fenêtre. Je pourrais aller moi-même lui chercher un tee-shirt pour qui se couvre s’il veut continuer à fumer, à tousser, mais... fermer la fenêtre, c’est mieux. Mieux ? Pourquoi ? Parce qu'il va rester torse nu s'il ferme la fenêtre ? Euh... — Euh... pas grave, je vais fouiller la cuisine pour trouver. Je vais me débrouiller. Je pivote sur moi-même pour prendre cette direction avant que les souvenirs ne soient trop présents, ne veuillent se réactualiser. Là je me sens mal. Oh merde ! Je lui ai parlé de robe moulante et de nuit. Au bout de la nuit, il y a le petit matin. Nous n’avons jamais eu de réveil au petit matin, parce que découcher n’était pas au programme à cette époque. Et j’ai envie, là, maintenant, de ces petits déjeuners dont nous avons été privés.

Connor est de mauvaise humeur. C’est flagrant. En savoir la cause exacte est plus dure, même si je me doute que son état de santé n’y est pas étranger, directement ou indirectement. Il n’a pas tord. Il n’a rien demandé. Je m’impose. J’arrive, je débarque comme une tornade. A bien y réfléchir, mon attitude revient à gouger une oie. Il n’est pas une oie, okay, mais mes allées et venues tournant autour du culinaire... Ce matin aussi. C’est flou dans ma tête. Ça tient du “tant qu’il a l’appétit c’est qu’il va bien”, mais c’est un leurre. Café, va pour café. Je suis thé le matin et café en journée. Ça ne me dérange pas de partager un café avec lui. J’ai déjà ouvert une porte de placard et déplacer plusieurs boites, sacs, sachets et autres vaisselles quand Connor me rejoint. J’ai un gros sourire quand il me dit que je suis invitée. Ce n’est pas le cas. Je me suis invitée plus ou moins de force. Ça va plus vite quand on sait où se trouve les affaires. Il récupère les tasses et se met à faire le café. Connor sans appétit, je n’aime pas. — Ben si je deviens obèse, ce sera ta faute. Même allusion à la boite remplie de gâteaux, sous-entendu : si tu manges pas, je vais être obligée de le faire pour ne pas que ça se perde, alors t’as pas le choix, on partage. Mais je ne le forcerais pas bien sûr, ce serait mal. — Je suis désolée si je te dérange, en venant soir ou matin. Ce n’est pas mon intention. Je m’arrête là. Je ne veux pas ajouter “je m’inquiète, j’ai besoin de voir, de vérifier comment tu te sens, que tu vas comme tu vas, certes, mais que tu es toujours là”. Je dis rien et pourtant... Alors je le regarde, j’observe chacun de ses gestes. Cigarette, café, je ne sais pas si c’est sa routine. On n’a pas la même. Je démarre parfois avec une cigarette, mais si je le fais c’est qu’il y a un stress qui traine dans un coin. Petit déjeuner souvent avec mon frère. Leeth par contre c’est pareil, cigarette, café. Ah les hommes ! Merde ! Je suis en train de comparer. C’est nul. — Je pourrais dire que si tu veux pas que je vienne je ne viendrais plus, mais c’est pas vrai. J'le ferais quand même. Comme ce matin. Je m’appuie à la table. Je serais trop triste de ne plus le voir. Je peux pas rester à l’écart. Surtout ne sachant pas le temps qui nous reste.