Gangsta's Paradise - PV Cleo <3

Les soirées se suivent et ne se ressemblent pas. Soit Cleo bosse jusqu’à pas d’heure parce que c’est un le seul moyen de tourner en extérieur sans avoir toute la flicaille aux fesses, soit elle sort. Avec Fabian, avec Bart, avec Billy, parfois même avec Seth. Enfin, ça c’était quand son corps ne décidait pas de lui-même qu’il avait désespérément besoin de sommeil et qu’il ne lui laissait pas d’autre choix que de dormir douze heures d’affilées. La vérité, et ça faisait bien longtemps que la rouquine le savait, c’est que ce n’était pas si simple de sociabiliser ; c’est d’ailleurs pour cette raison qu’elle ne se donnait que très peu la peine. Mais il y avait certaines personnes à qui elle ne pouvait tout simplement pas refuser une sortie et Billy était de celles-là. Ce soir-là, elle ne savait pas trop ce qu’il avait en tête mais ça ne serait pas la première fois qu’ils passeraient la soirée à zoner dans la roue, à la recherche d’une bêtise qui ne prête pas à conséquence à faire, histoire de se tenir éveillés.

« Hé ! » répond-elle gaiement en arrivant au point de rendez-vous où son ami l’attend déjà.

Elle marche droit vers lui tandis qu’il lui demande qu’il lui demande si elle a deviné ce qu’il a prévu de faire ce soir. Bien sûr que non, elle n’a pas deviné mais c’est du Billy tout craché : il adore faire planer le mystère et donner des indices au compte-goutte. Tant et si bien que Cleo, qui n’avait jamais eu tant de patience que ça, finissait inévitablement par lâcher l’affaire au bout de quelques minutes jusqu’à ce qu’il lui révèle de quoi il s’agissait.

« Pas du tout mais dis-moi. On va se balader dans un cimetière ? Visiter une maison hantée ? S’inscrire à une rap battle façon Eight Miles ? »

Le pire, c’est qu’aucune de ces propositions n’était impossible. Le pire ou le mieux puisque ça garantissait de ne jamais s’ennuyer, au moins. Toujours est-il qu’un souvenir lui revint alors en mémoire : il avait parlé de danse. Et l’écossaise était pratiquement certaine qu’on ne dansait pas dans une rap battle. Ou alors on se faisait lapider pour avoir osé. Autre chose, alors. Oh, mais peut-être… Cleo, tout excitée, tambourina alors contre le bras de Billy.

« Me dis pas que c’est une battle sur DDR ?? Tu sais très bien que je suis imbattable à ce jeu-là, ça serait malhonnête. »

Aussi malhonnête que de proposer une partie de billard à une novice mais la rouquine se garda bien de faire cette réflexion à voix haute. Puis qui sait, si c’était ça, alors elle tenait sa revanche. Ce n’était pas que Billy manquait de grâce, mais… un peu quand même. Après tout, personne n’est parfait. Mais à la tête qu’il était en train de faire, elle voyait bien que ça ne devait pas être ça. Elle continue de se creuser la tête encore quelques secondes avant de laisser tomber une fois de plus.

« Allez, dis-moi, j’sèche. »

C’est que, mine de rien, il ne teasait pas si mal que ça.

Attendez, quoi ? Stop. Rewind. Ils ne sont tout de même pas là pour faire du shopping ? Si ses amis comptaient plus d’hommes que de femmes, c’était précisément pour cette raison : Cleo avait le shopping en horreur. C’est une véritable galère de trouver une couleur qui lui aille bien au teint et elle finit inévitablement par retourner à ses bons vieux jeans, ses bons vieux shorts et son bon vieux blouson de cuir. Des valeurs sûres, en somme. La rouquine reste là, sans rien dire, à cligner de ses grands yeux verts jusqu’à ce que Billy lui prenne la main et la tire jusqu’à la boutique de fringues. Et il fallait voir de quel genre fringues il s’agissait ; des tenues de soirée. Même le jour de son mariage, elle n’avait pas porté quelque chose d’aussi élégant. Une explication serait la bienvenue, non ? Si… Et il semble lire dans ses pensées puisque c’est pile à ce moment-là qu’il consent à lui en dire un peu plus. Enfin, façon de parler parce que les quelques informations qu’il veut bien lui donner la laisse plus perplexe que jamais et c’est avec un air dubitatif qu’elle le fixe. Avant de se laisser entraîner par une vendeuse.

« Mais… tu veux pas au moins me dire pour quelle occasion on fait ça ? Billy ! »

Non parce que bon, tout dépendait toujours de l’occasion. En tout cas, elle croyait bien avoir entendu ça quelque part. Mais Billy ne prétendit pas lui répondre et filait déjà vers une cabine d’essayage. Bon, hé bien il ne lui restait plus qu’à se plier aux exigences de son ami si elle voulait savoir de quoi il retournait. Dire que, d’aussi loin qu’elle se souvienne – ou surtout depuis que ses parents étaient morts, en fait -, elle avait toujours détesté les surprises. C’est qu’une surprise, ça ne veut rien dire ; ça peut être bon comme mauvais. Cleo se prête tout de même au jeu et cherche une robe puisque c’est la consigne. Et ne sait que choisir, évidemment. Décolleté vertigineux ou dos plongeant ? Et surtout : quelle couleur ? Elle tâcha de se souvenir des conseils que Lily lui avait un jour donné mais en vain… c’était bien la peine. Oh, elle pouvait toujours lui passer un coup de fil mais l’écossaise préféra laisser la vendeuse s’occuper d’elle comme d’une poupée, façon Pretty Woman.

Une robe verte – pour faire ressortir celui de ses yeux, avait dit la vendeuse - extrêmement courte – pour mettre ses longues jambes en valeur, avait-elle ajouté – mais avec de longs voiles sur l’arrière et une paire de talons hauts plus tard, la rouquine était prête. Mais encore une fois, façon de parler parce qu’elle n’était pas maquillée ni coiffée de façon suffisamment sophistiquée pour que le tout aille réellement bien ensemble mais bon, elle devait bien avoir quelques élastiques et de quoi se refaire une beauté dans sa trousse de maquillage. Cleo était en train de forcer sur le rouge-à-lèvres lorsqu’elle retrouva Billy à qui elle accorda un regard. Wow… ça, c’est sûr qu’elle ne l’avait jamais vu si élégant. Et ce n’était pas pour lui déplaire mais ça faisait bizarre.

« C’est quoi ce nouveau délire ? On va s’incruster à une réception mondaine ? »

La rouquine n’avait rien contre l’idée, ça lui semblait même assez fun mais elle avait surtout très envie de savoir. S’ils devaient escalader un mur, voire une haie pas de souci mais elle préférait le savoir parce que ça demandait quand même une certaine logistique si on veut. Puis elle le désigne globalement à l’aide de son bâton de rouge-à-lèvres.

« Ça te va bien, soit dit en passant. »

C’est fou, parfois il suffit de trois petits mots de rien du tout pour vous faire complètement changer d’humeur. « Tu es merveilleuse ». Bien sûr, ce n’était pas la première fois qu’elle l’entend mais pour une fois, ça sonne tellement sincère et sans arrière-pensée perverse que Cleo peut y croire et son visage s’éclaire alors d’un sourire rayonnant tandis que lui rougit. En voilà un autre truc inédit. Depuis quand Billy encaissait-il un compliment en rougissant ? Puis il se reprend. Si vite qu’elle se demande si elle n’a pas rêvé. Il lui explique alors qu’il ne forcerait jamais une demoiselle à s’incruster dans ce genre de soirées. Quel cinoche ! Cleo ne se considérait pas comme une demoiselle et ça ne serait pas la première fois qu’elle s’inviterait quelque part. Bref, il lui apprend ensuite qu’ils sont invités. Hum mouais ça paraît louche et pas forcément plus légal que de sauter par-dessus un grillage mais la jeune femme retient surtout qu’il y aura des célébrités, à cette soirée. Des célébrités ! Voilà qui change tout. Qui sait, avec de la chance il y aurait peut-être Dwayne Johnson. En chair et en os. Mais elle préférait ne pas se faire trop d’illusions, après tout, il venait toujours d’avoir une fille… quoique, Kate Middleton n’avait pas fait tant de cirque, elle. Bref, Cleo est tout à coup bien plus enthousiaste et elle comprend pourquoi il avait fallu qu’ils se mettent sur leur trente-et-un.

« C’est une super idée ! J’vois vraiment pas pourquoi je m’inquiétais. »

Sur ce, ils se mettent en route main dans la main et c’est toujours aussi excitant de faire quelque chose d’interdit. Ils arrivent alors sur les lieux et l’écossaise peut constater que son ami n’a pas menti ; ç’a l’air d’être la soirée du siècle. Il y a foule et même des tapis rouges un peu comme si c’était la montée des marches, au festival de Cannes. Puis il y a les photographes et leurs flashs éblouissants. Ça en revanche, c’est mauvais signe. Cleo est en train de se dire qu’ils auraient peut-être dû forcer davantage sur le déguisement, perruques, lunettes et tout le bazar avant de finalement en arriver à la conclusion que c’est bien inutile, ce n’est pas comme s’ils étaient venus poser une bombe, non plus. Ils se placent alors dans la file – décidément, on fait la file vraiment partout et ça serait très intéressant de voir combien d’heures de sa vie on perd à attendre de cette façon – et Billy s’approche pour lui murmurer à l’oreille de jouer le jeu et de lui faire confiance. Elle hoche imperceptiblement la tête pour toute réponse.

Un peu stressée, la rouquine ? Quand même ! Mais c’est un bon stress, pas de ceux qui vous cloue sur place et vous font bégayer. Plutôt du genre « et qu’est-ce qu’on risque, si on se fait choper ? », à vrai dire. Sûrement rien d’autre que se voir mettre à la porte comme des malpropres et ça, Cleo était certaine de pouvoir y survivre. La voix de son ami la sort alors de ses pensées en annonçant le Prince Kitkat et la Duchesse Carter. Et là, c’est le drame. Enfin, ç’aurait pu l’être étant donné qu’elle ne parvient à ne pas pouffer mais se rattrape aussitôt en dissimulant le tout en une quinte de toux et la personne qui check la liste des invités n’y voit que du feu. C’est donc vrai ce qu’on dit : plus c’est gros, plus ça passe, allons, elle devrait le savoir depuis le temps. Elle relève alors la tête et affiche le même air dédaigneux que toutes les dames de son pseudo rang et après avoir vérifié que leurs noms se trouvaient bien sur la liste, on les laisse entrer.

Un jeu d’enfants. Billy la traîne ensuite dans un coin et Cleo trouve tout juste le temps d’attraper une coupe de champagne en passant. C’est ce qui s’appelle être habile. Puis Billy se la joue grand seigneur et elle trouve ça très drôle. D’ailleurs, après s’être esclaffée, elle répond à sa révérence par une courbette.

« Plaisir partagé, votre altesse sérénissime. »

Quitte à jouer le jeu, autant en faire des connes. Son regard parcourt la salle et ses yeux tombent sur Dieu en personne. Non, pas Dwayne Johnson mais bien Phil Collins, le Dieu de tous les batteurs. Et comme elle n’en croit pas ses yeux, la jeune femme se pince. Aïe… pas de doute, elle ne rêve pas, alors elle met un petit coup de coude à Billy.

« Regarde, c’est Phil Collins, faut absolument qu’on aille le saluer. »

Que l’on soit bien clairs : c’est très rare que Cleo soit intimidée par un homme. Par qui que ce soit, en fait, indépendamment du genre. Mais là, on est quand même en train de parler d’une de ses idoles absolues. Elle a grandi avec ses chansons, a dansé dessus en compétition, c’est même grâce à In the Air Tonight qu’elle s’est essayée à la batterie. Oui, c’est cliché mais c’est ainsi. Partant de là, pas étonnant qu’il faille la pousser un peu aux fesses même si elle meurt d’envie d’aller à la rencontre de son Dieu. Mais une lampée de champagne et ça repart. Et donc en avant pour serrer la main de Phil Collins et plus si affinités. Billy les présente alors et c’est tant mieux parce qu’elle en aurait presque oublier leurs fausses identités. Puis il les laisse bavarder et décide de s’éclipser. Okay, no panic, la rouquine est débrouillarde. Et elle s’en sort plutôt pas mal, à sa grande surprise. Son accent écossais est plus flagrant que jamais mais ça fait totalement illusion et la star est en fin de compte très abordable, qui l’eut cru ?

Cleo bavasse, elle avoue même à Phil qu’ils ont dansé sur Jesus He Knows Me à son mariage alors que c’est totalement faux ; il n’y avait pas de musique à son mariage, alors encore moins de danse, forcément, mais c’est une réplique qu’on entend souvent dans les films et elle avait très envie de la sortir un jour, quand Billy revient en toute hâte, un plateau de petits fours dans les mains. Il baragouine quelque chose que personne n’arrive à comprendre étant donné qu’il a la bouche pleine. Elle en est encore à essayer de le décoder lorsqu’il lui attrape le menton pour lui faire tourner la tête dans la bonne direction. Evidemment que ça provoque chez elle un mouvement de recul instantané mais elle se fige en voyant ce qu’il y a de si important à voir. Dwayne Douglas Johnson aka The Rock se tient juste devant eux dans toute sa splendeur. Sa splendeur, le mot est faible… The Rock, c’est un peu la perfection selon l’écossaise qui a vu chacun de ses films et qui clame haut et fort que c’est sans aucun doute possible l’un des meilleurs acteurs sur cette planète. Ce moment de pur flottement, comme si le temps s’était arrêté et que tout avait disparu autour d’elle si ce n’est lui dure plus longtemps que prévu mais la voix de Billy la ramène à la réalité.

« Arrête, il va nous remarquer… »

Et oui, c’est ça, il les remarque. Mince, il vient même droit sur eux et la rouquine reste paralysée. Ça doit être exactement ça la définition de starstruck sur urban dictionary. Est-ce que c’est réellement en train de se passer ? Non parce que pourquoi est-ce qu’il les remarquerait, d’abord ? Toujours est-il qu’il se dresse à présent devant eux et lui prend la main. Oh Mon Dieu, il lui a pris la main ! Cleo est d’autant plus sous le choc et ne trouve rien d’intelligible à dire alors elle se contente de soupirer. Et puis, alors qu’il se penche un peu pour récupérer des petits fours sur le plateau que Billy a fini par poser derrière eux, le réflexe qui tombe mal : elle se penche à son tour et lui claque la bise. Moment gênant. La surprise peut se lire sur le visage de l’ancien catcheur mais il n’a pas l’air vexé, bien au contraire. Et pour cause, des fans qui lui sautent au cou, c’est tous les jours qu’il en croise, Cleo est bien placée pour le savoir étant donné qu’elle le suit sur Instagram. N’empêche qu’elle devient aussi rouge qu’une pivoine et qu’elle aimerait se faire toute petite. Ça, mieux vaut ne pas y compter alors que fait-on dans ce cas-là ?

« Passezunedivinesoirée, salut ! »

On tourne les talons et on prend la fuite. Vite, loin. Le plus beau jour de sa vie, oui, et aussi l’un des plus embarrassants. Peut-être plus embarrassant que la fois où elle avait accepté de jouer un rôle très secondaire dans un porno pour filer un coup de main.

La situation est drôle, c’est certain et, grâce à son naturel conciliant, elle parvient même à passer outre son embarras pour en rire à son tour. Ce qui ne l’empêche pourtant pas de faire la grimace quand Billy lui fait remarquer qu’elle a littéralement fondu devant quelqu’un. Ce qu’elle n’aurait pas cru possible elle non plus. Comme quoi, on peut encore se surprendre soi-même. Mais soit, Cleo tâche de se remettre de ses émotions en sifflant sa coupe de champagne et c’est alors que son ami a l’air d’hésiter avant de se lancer finalement. Elle, pas une danseuse. La rouquine ne peut s’empêcher de rire. C’est qu’elle joue admirablement bien la comédie, il faut croire. Elle s’était toujours demandé quelle tête les gens feraient s’ils apprenaient qu’une femme comme elle avait été championne de swing et de rock acrobatique à plusieurs reprises parce que de prime abord, elle ne devait pas en avoir l’air. Et pourtant. Toujours est-il qu’elle se plaisait à faire croire qu’elle n’aimait pas danser depuis qu’elle avait arrêté les concours et manifestement, les autres tombaient dans le panneau.

« Si tu y tiens vraiment alors pourquoi pas ? »

Mais l’écossaise a tout juste le temps de répondre que Billy se fait pratiquement kidnapper sous ses yeux. Okay ? Il se serait agi d’une abduction alien qu’elle n’aurait sans doute pas réagi différemment. Une foule de théories plus absurdes les unes que les autres se bousculent alors dans sa tête tandis qu’elle essaye du mieux qu’elle peut de suivre le mouvement, remontant jusqu’à la scène, s’emparant d’une autre coupe de champagne au passage. Alors, sous son regard ébahis, le jeune homme est présenté comme le témoin du marié et s’il se trouve en ce moment sur scène, c’est pour faire un discours, bien évidemment. Cleo manque s’étrangler avec sa gorgée de champagne en entendant ça tellement c’est drôle et observe Billy se dépatouiller de cette affaire. L’idée est noble, certes ; faire croire qu’il est réellement la personne annoncée est intéressante mais pas sans risque. La preuve : à peine s’est-il lancé dans un discours passionné que le vrai témoin l’interrompt pour prendre sa place. Hé oui, c’est un peu la honte et si l’assemblée à l’air confuse, elle ne se permet pourtant pas de huer. Ils sont si bien élevés, ces riches. Billy la rejoint ensuite, lui demande comment il était et c’est tout sourire qu’elle répond :

« Franchement, c’était un discours très émouvant. Dommage qu’il t’ait coupé la chique. Non mais écoute-le parler, c’est pas drôle ce qu’il raconte. A ta place, j’aurais sûrement fait le coup de l’annonce, du genre « au propriétaire de la LeSabre turquoise de 1985 qui bloque le passage, merci de bien vouloir déplacer votre véhicule. » mais ce que tu as fait, toi, c’était culotté ! Allez viens, on va squatter le buffet. »

Parce que dans le fond, le seul et unique point positif dans un mariage, c’est bien le buffet. Pouvoir dîner gratuit. Cleo se faufile donc parmi la foule qui se masse toujours pour écouter le discours ô combien larmoyant des proches du couple en jouant des coudes jusqu’au buffet.

Dire que le buffet est toujours l’attraction principale d’un mariage mais que Cleo n’y trouve jamais ce dont elle a envie. Vous me direz qu’elle a qu’à ne pas être si difficile et vous auriez raison mais la vie est ainsi faite. Inutile de préciser que la jeune femme ne s’extasie pas le moins du monde devant des tranches de steaks – en revanche, elle ne se prive pas de glousser au jeu de mots non-voulu de Billy -, ça la fait même plutôt grimacer et c’est d’instinct qu’elle se dirige vers les desserts. Crème brûlée, voilà qui fera parfaitement l’affaire. Elle se sert et Billy lui fait alors savoir qu’il y a une table libre un peu plus loin. Une chance que le discours totalement nunuche du témoin sur l’amour éternel – quelle connerie, sérieusement – que se vouent les deux mariés ne soit pas encore terminé, sinon il y a fort à parier qu’il n’y aurait pas une seule place assise. Soit, autant profiter de cette aubaine en suivant Billy et en se posant sur une chaise. Et là, c’est l’extase. Cleo s’est souvent demandé quel était le connard sadique et misogyne qui avait bien pu inventer les talons hauts. Oui, oui, ça met les jambes en valeur mais à quel prix ? Bref.

La rouquine a à peine plongé sa cuiller dans sa crème brûlée que son ami reprend la parole. Elle lève alors les yeux sur lui et se rend compte qu’il est en train de virer au cramoisi. Très préoccupant… Elle fronce les sourcils et se retient tout juste de tendre le bras pour lui prendre la température. Au lieu de quoi elle se contente d’un petit :

« T’es sûr que ça va ? »

Non parce que ce qu’il a à lui dire doit être pas mal important pour en rougir à ce point. Et c’est que ça a tout de même un peu éveillé sa curiosité, tout ça. Mais il faut croire que ce n’est pas le moment puisque le Prince de Bel Air, l’agent J, Deadshot bref, Will Smith en personne, quoi, vient les interrompre en s’asseyant à leur table. A la cool, comme si c’était la chose la plus naturelle au monde. Et sans doute que ça le serait si Cleo n’avait pas passé une majeure partie de son enfance à regarder le Fresh Prince à la télé. Okay, son préféré c’était Carlton mais quand même, c’est quelque chose ! Elle en reste coite, sa cuiller en suspens à mi-chemin entre l’assiette et sa bouche, environ un quart de seconde mais ça lui paraît bien plus long que ça. Et puis, comme si la scène n’était assez surréaliste comme ça, voilà qu’il se met à la draguer. Elle. La petite – oui, bon – rouquine sans intérêt qui rêvait d’être Ashley quand la série passait encore à la télé.

La minute d’émerveillement passée, l’écossaise se souvient que Will Smith a une femme, normalement. Et des enfants, plein d’enfants. Il doit même probablement approcher la cinquantaine ; elle pourrait carrément être sa fille. Et cette constatation lui fait l’effet d’une gifle en pleine poire. C’est hilarant quand on y pense. D’autant qu’il est littéralement en train de lui proposer un verre, une danse, une entrée pour le carré VIP – parce qu’il y en a un ? Toute cette cérémonie n’est-elle pas un gigantesque carré VIP en soi ? – et puis quoi encore ? Oh, elle sait très bien ce qui vient ensuite, ou ce qui pourrait venir, en tout cas. Non parce que bon, elle travaille quand même dans le milieu du show business et elle sait comment ça se passe.

« C’est très aimable à vous mais, comme vous pouvez le constater, j’ai déjà un cavalier. Comment va Jada, d’ailleurs ? »

Ce n’était pas parce que c’était une star mondiale qu’elle allait se laisser impressionner. Enfin, un peu, mais juste un peu, pas assez pour laisser Billy sur le carreau. Le fait qu’elle mentionne sa femme est assez clair et ce cher Will comprend bien le message. Il ne va pas jusqu’à changer de table mais il laisse tomber l’affaire et c’est encore une fois fort aimable de sa part.