l'histoire de ma vie
There’s a million things I haven’t done.
Just you wait, just you wait.
T’as seize ans lorsque vous couchez ensemble pour la première fois. Ça te semblait une bonne idée, lorsque tu l’avais proposé – perdre votre virginité ensemble et mettre cela derrière vous une fois et pour toute. Vous vous connaissez depuis l’école primaire, après tout, vous savez tous l’un de l’autre, jusque dans vos moindres secrets, vos plus grandes peurs. Lui, ton meilleur ami, ton univers. Tu te dis que s’il faut confier cette tâche à quelqu’un, c’est lui et pas un autre ; c’est à lui que tu fais le plus confiance, avec ton corps et ton cœur.
La première fois, elle est passable tout au plus, un joyeux bordel où l’on ne sait pas où mettre les mains et les lèvres. La deuxième fois voit un peu de progrès. Puis la dixième, la vingtième, jusqu’à devenir des pros, jusqu’à en oublier que cela ne devait qu’être un événement exceptionnel, de quoi mettre cette étape de vos vies derrière vous et basta.
Lui, ton meilleur ami, avec beaucoup d’avantages en nature désormais.
Tu te plains de maux de ventre toute la journée, jusqu’à en être en pleurs, pliée en deux dans ton lit, jusqu’à ce que ta mère admette qu’il vaudrait mieux aller à l’hôpital. Juste au cas où. Juste par précaution. Elle ne pense pas que ce soit l’appendicite, mais mieux vaut s’assurer que tout va bien tout de même, parce que tu continues de pleurer de doubleur, parce que c’est ta mère et qu’elle s’inquiètera toujours pour toi.
Les médecins te font faire une batterie de tests, lèvres pincées et sourcils froncés lorsqu’ils lisent les résultats, avant de se refiler la patate chaude d’un département à l’autre. Tu finis dans un lit, trop grand, trop froid, avant une femme en blouse blanche qui te sourit doucement.
« A quand remontent tes dernières règles, Lizzie ? » te demande-t-elle.
Tu fronces les sourcils, et grince des dents contre une nouvelle vague de douleur.
« Deux semaines. Assez régulier. »La médecin lance un coup d’œil vers ta mère, avant de demander,
« Est-ce que tu as des rapports sexuels réguliers ? »Tu te sens blanchir, juste un peu. Réguliers, plus ou moins. Dès que vous avez le temps, ou l’envie, ou le besoin. Dès que vous êtes seuls chez toi, mais plus souvent chez lui – moins de monde, plus d’intimité. « Plus ou moins, ouais, » tu te retrouves à marmonner, et évite soigneusement le regard surpris, presque courroucé, de ta mère.
« Toujours avec protection ? »Ta lèvre est presque en sang, à force de la mordiller, tes doigts serrant les draps du lit d’hôpital jusqu’à en souffrir un peu. Tu sens le rouge te monter aux joues, et baisse le regard. Un petit gémissement de douleur s’échappe de ta bouche, avant que tu arrives à avouer,
« La capote a craché, juste une fois. Mais on fait toujours attention et… »Et. Et… et. Tu ne sais même pas, tu n’as pas d’excuse. Et maintenant, tu vas apparemment devoir expliquer à ton meilleur pote que tu lui as refilé quelque chose, ou il t’a refilé quelque chose, ou truc du genre. Bravo. Vous qui aviez fait tellement attention jusqu’à maintenant. La grande classe.
« Elizabeth, » la médecin t’appelle, doucement, délicatement. Tu relèves la tête pour croiser son regard.
« Tes douleurs sont des contractions. Tu es sur le point d’accoucher. »« Quoi ? Non ! QUOI !? » La panique te monte à la gorge, ton cœur battant la chamade dans ta poitrine. Tu lances un regard désespéré vers ta mère, qui est bien trop choquée pour réagir, avant de regarder à nouveau la médecin.
« Je peux pas être enceinte. J’ai mes règles et… et je suis toute plate et… Je suis pas enceinte. Je peux pas être enceinte. C’est pas possible. »« C’est un déni de grossesse, » t’explique-t-elle calmement. Trop calmement. Comment elle peut être aussi calme, alors qu’elle t’annonce que t’es sur le point d’avoir un bébé, toi qui n’a même pas fini le lycée ?
« Cela arrive très rarement, mais cela arrive… »C’est seulement quand tu éclates en sanglots que ta mère te prend dans ses bras.
Tu t’étais attendue à beaucoup de choses – pas à ce qu’il s’engage dans l’armée, complètement paniqué à l’idée d’être père. C’est une réaction un peu excessive. Tu ne lui as rien demandé, pas même d’élever Maya avec toi, pas même de la reconnaître. Son nom est à côté de tien sur l’acte de naissance, mais son nom est également sur la liste de nouvelles recrus pour l’armée. Tu ne sais pas quoi en penser ; tu te dis qu’il est en train de risquer sa vie par peur des responsabilités.
Toi, tu n’as pas le choix. Le berceau de Maya est dans un coin de ta chambre, et tu la berces au beau milieu de la nuit quand elle pleure, même si tu as un exam le lendemain. Tes notes en pâtissent un peu, mais au moins le reste de ta famille te donne un coup de main. Surtout lorsque tu entres en école d’art, à passer tes heures entre dessiner et donner le biberon. Tu retrouves Chris allongé dans le canapé avec Maya sur son torse plus de fois que tu ne peux le compter. Ton père promène le bébé et le chien pendant des heures. Ta mère l’emmène partout avec elle durant la journée. Tout le monde y met la main à la pâte.
It takes a village, comme le dirait certains.
Maya te ressemble tellement que c’en est presque ridicule – son premier mot est « non » bien entendu, et elle est aussi têtue que toi. Mais elle a les yeux de son père, et sa douceur, et tous ces petits détails qui te rappelle à quel point il te manque. Il envoie des cartes postales aussi souvent que possible – le service postal n’est pas des meilleurs en Afghanistan – et des cadeaux pour Noël et son anniversaire. Maya a même une photo de lui dans sa chambre, parce que tu refuses qu’elle grandisse sans savoir d’où elle vient.
Enfin. Tout de même. Tu aurais aimé un peu de soutien, c’est si peu demandé.
Tu trouves un boulot dans une maison d’édition à Canberra, toi le première à quitter le cocon familial. Maya et toi emménageaient dans un petit appartement au centre-ville, et vous passez vos soirées au téléphone avec mamie, et vos weekends au parc, et tu dessines, et tu dessines, et tu dessines.
Tes illustrations commencent, doucement mais surement, à avoir du succès. Tu as même un blog assez populaire, et tu arrives à payer le loyer seulement avec les œuvres que tu vends sur internet. Ca te permet d’offrir la meilleure éducation possible à Maya, et vous passez même les vacances d’été en Europe une année, entre Paris, Barcelone et Rome.
Tu as tout juste vingt-sept ans lorsqu’on t’offre un travail en Nouvelle-Zélande, Maya sur le point de finir l’école primaire. Tu te dis que c’est le meilleur moment pour changer de vie – elle pourrait se faire de nouveaux amis plus facilement, et tu as besoin d’un peu de renouveau. D’air frais.
Vous faites les demandes de visa.
Vous faites vos bagages.
Une nouvelle aventure, à découvrir un nouveau pays, une culture proche de la vôtre mais oh combien différente. Maya s’habitue beaucoup plus rapidement que toi, mais l’Australie vous manque terriblement. Vous retournez à Perth pour Noël, et Skype permet de garder le contact bien plus facilement désormais.
Petit à petit, tu trouves tes marques, tu ne te sens plus aussi seule qu’avant.
Chris débarque, un peu par hasard ou par erreur. Tu l’accueilles chez vous, et c’est bizarre d’avoir un mec dans votre petit antre féminin. Maya est sur le point d’entrer à l’université, mais tu préférerais mourir que d’avouer que la présence de Chris est un cadeau – tu as peur d’être seule, de rentrer chez toi pour ne retrouver que le silence de ta maison.
Ton blaireau de frangin, fraichement divorcé, prend de la place dans ton canapé et ton frigo, et n’a toujours pas appris à baisser la cuvette après avoir pissé. Ça t’énerve, juste un peu, juste assez pour te souvenir que ta famille te manque, terriblement. Mais, comme avec tout le reste, tu t’y fais.
Tu t’y habitues, jusqu’à adorer cela.
Maya est sur le point d’entrer à l’université.
Et son père est sur le point de revenir dans ta vie.
Tu paniques, juste un peu.