Un croissant acheté, le deuxième offert [Feat. Leilani Wilson]

Depuis que Jonathan est installé à Bowen, il n'est pas ce que l'on peut appeler un homme heureux. Il essaye simplement d'aborder chaque jour qui arrive du mieux qu'il peut, mais ce n'est parfois pas suffisant. Il est constamment en train de regarder par dessus son épaule pour la simple et bonne raison qu'il est terrifié. Le terrible secret qu'il renferme lui pourrir l'existence depuis qu'il a été retrouvé. Officiellement il est libre, mais il ne se sent pas comme tel. Il est prisonnier de toutes les souffrances qu'il garde enfouit en lui depuis toutes ces années.

Il faut dire que sortir après le travail, voire en pleine nuit lorsque les rues sont désertes, ce n'est clairement pas une vie. Et pourtant, c'est comme ça que lui réussit à sortir, se promener, profiter des paysages. Chaque contact l'effraie mais derrière son comptoir, il se sent comme protégé. C'est peut-être aussi pour cette raison qu'il arrive à être plus ou moins sociable avec ses clients. Parce qu'il est dans sa zone de confort et tant qu'il n'en sort pas, il se sent protégé et en sécurité.

Aujourd'hui, une nouvelle journée débute. Pour la plupart des personnes, il fait encore nuit et elles terminent leur nuit, Jonathan lui, s'active déjà aux fourneaux pour donner le maximum et fournir ce dont sa clientèle a besoin, aussi bien en pâtisserie qu'en pain. Les heures passent et les premiers clients commencent à arriver.

La journée s'écoule petit à petit et la sortie des écoliers arrivent. C'est à ce moment là qu'il côtoie pas mal d'adolescents. Ils achètent souvent des bonbons, mais parmi ceux-là, une tête l'a attiré plus que les autres. Une certaine Leilani d'après ce qu'il a pu entendre. Elle vient souvent, pour ne pas dire tous les jours après ses cours. Alors, pour la remercier de sa fidélité et aussi, de ne le juger, il lui arrive de lui offrir une pâtisserie lorsqu'elle vient. C'est un peu son rayon de soleil dans sa journée taciturne, mais aujourd'hui, il ne l'a pas encore vu, peut-être qu'elle ne viendra pas, ou alors il n'est tout simplement pas encore l'heure. 

Depuis son retour à la liberté, Jonathan n'avait jamais été réellement libre. Il avait toujours ses anciens démons qui l'agitait ainsi que ces nombreuses images qui se dessinaient dans son esprit, se rappelant sans cesse les moments durs qu'il avait vécu. Pour fuir tout cela et essayer de se reconstruire ailleurs, il avait décidé de partir loin. Très loin. À plusieurs centaines de kilomètres du calvaire qu'il avait vécu, malgré la distance, il était toujours aussi tétanisé à l'idée que l'homme qui lui a fait subir cet enfer soit toujours là, quelque part à l'observer. Jonathan était devenu méfiant sur tout, aussi bien sur les gens que sur leurs actions.

Sa boulangerie, c'était la seule chose qui lui restait au jour d'aujourd'hui, il n'avait pas d'amis et il n'arrivait pas à s'en faire. Il faut dire que lorsqu'on fuit toute relation humaine, il est compliqué de se faire des amis. La foule, ça l'effrayait, il fuyait tout contact que ce soit physique ou parfois visuel. Et pourtant, il gérait son commerce et celui-ci semblait fonctionne et plaire puisqu'il y avait un peu plus de nouvelles têtes chaque jour.

Une nouvelle tête. Celle de la petite Leilani. Il la voyait souvent, pour ne pas dire tous les jours. Au fond, même s'il ne l'avouera probablement pas, c'était son rayon de soleil de la journée. Il l'attendait, juste pour la voir, voir son sourire. La cloche de la porte retentit annonçant un nouveau client. Il sortit de la réserve pour l'accueillir. Et un sourire timide se dessina sur son visage en la voyant.

" - Bonjour." fit-il en s'avançant vers elle.

Il avait toujours eu du mal avec le contact humain, mais cette dernière ne semblait pas lui en tenir rigueur. Peut-être grâce aux pâtisseries qu'il lui offrait de temps en temps. Bien évidemment, il ne pouvait pas non plus se permettre de le faire tout le temps, sinon ce serait une perte pour lui, mais même s'il semblait froid et distant, il avait le coeur sur la main.

Une fois qu'elle eut commandé, Jonathan s'exécuta et emballa la forêt noire dans un petit papier et fournit une serviette avec. Il s'apprêtait à la voir repartir mais non, elle avait une idée derrière la tête qui déboussola totalement l'allemand.

" - Je.. Euh.. Oui je suis libre.."

En même temps, il était toujours libre. Ses journées se résumait à la boulangerie et lorsqu'il n'y était pas, il restait enfermé chez lui pour ne pas affronter les autres personnes qui l'entouraient.

" - Est-ce que.. Est-ce qu'il y aura beaucoup de monde.. ?"

La foule et lui ne sont pas meilleurs amis et même s'il acceptait volontiers de venir voir la jeune demoiselle à son concours, la perspective d'être touché par quelqu'un le hantait.

Jonathan avait besoin d'une certaine routine pour se sentir à l'aise. Il avait besoin de sa zone de confort, une fois sorti de celle-ci, c'est comme s'il était perdu dans un océan en ne sachant où il devait aller et ce qu'il devait faire. Il avait beau avoir la trentaine, parfois, en le croisant, on pourrait presque penser que c'est un enfant. Un enfant perdu et terrorisé par ce qui pourrait lui arriver une fois de plus.

Les images de son enlèvement, celles de son kidnappeur lui promettant de bien s'occuper de lui, de lui donner tout ce dont il avait besoin, mais surtout, lui en train d'abuser de ce gosse sans défense. Si quelqu'un lui avait conté une telle histoire, il aurait eu du mal à croire que de telles pourritures pouvaient exister, et il le savait mieux que quiconque puisqu'il l'avait côtoyé durant quatre ans. Quatre ans c'est long quand on n'a aucun repère.

C'est alors que la jeune fille le sortit de ses pensées en lui demandant s'il était libre ce samedi. Sans trop réfléchir il avait répondu instantanément, il n'avait jamais rien de prévu hormis ses ballades nocturnes. Alors oui il était libre. En revanche, le fait qu'il puisse y avoir du monde, c'était un véritable frein, un seul contact suffisait pour qu'il replonge dans ses cauchemars, un seul contact et il pouvait faire une crise d'angoisse rapidement incontrôlable. Il ne voulait pas infliger ce genre de spectacle à cette demoiselle qui avait un sourire radieux, qui méritait d'être heureuse, et ce n'est certainement pas lui qui pourrait lui offrir quoique ce soit. Jonathan n'a rien à offrir, pas même à lui.

" - Je.. Non.. Enfin ça va aller.."

Il se concentra quelques instants sur sa respiration comme on le lui avait appris. Il devait inspirer quatre secondes. Bloqué. Expirer quatre secondes. Bloqué. Et cela encore et encore jusqu'à ce que les symptômes passent. Il devait combattre sa peur pour cette gamine, même si elle aurait très certainement sa famille auprès d'elle et c'était le plus important. Il assisterait à sa représentation, lui ferait un petit signe et s'échappera en silence comme il le fait si bien.

" - Je serai là." annonça-t-il avec un sourire.

Il trouvera bien une place debout loin de toute personne susceptible d'entrer en contact avec lui. Et si ce n'est pas le cas, il devra aviser le moment venu.

Jonathan n'avait jamais été très à l'aise avec la foule. Enfin, pas très à l'aise était en réalité un euphémisme. Il ne supportait pas la foule, c'est donc toujours le soir, quand les rues étaient quasiment désertes qu'il s'y promenait. Ou bien, il avait l'habitude d'aller faire ses courses à une heure qui lui permet de ne pas être bousculer par les gens venus faire leurs courses tout comme lui. C'est certain que ce n'était pas facile de vivre avec cette phobie au quotidien, mais il gardait de sévères traumatismes de son enlèvement, et même s'il ne le portait pas sur le visage, ses agissements qui peuvent paraître parfois dénués de sens, en avaient lorsque l'on connaissait son passif.

La jeune femme avait donc payé son achat avant de quitter la boulangerie, laissant le jeune homme retourner à ses occupations, c'est-à-dire, s'occuper des clients qui franchissaient le seuil de sa boulangerie après elle. Et ce, jusqu'à l'heure de fermeture. Jonathan se livra à la même routine que tous les autres jours. Il quitta la boutique, puis rentra chez lui avant de ressortir plus tard dans les rues désertes et d'y passer une à deux heures, quitte à empiéter sur son sommeil. De toute façon, ce dernier était tel qu'il n'osait presque plus fermer l'oeil à cause des terreurs nocturnes qui s'emparaient de lui dès qu'il faisait l'erreur de s'endormir.

N'ayant pas dormi plus de quelques heures, l'allemand tourna chez lui jusqu'à ce que le soleil se lève à son tour. On étaient samedi, et il avait promis d'essayer de venir au spectacle de Leilani. Bien sûr qu'il pouvait ne pas y aller, elle ne remarquera sans doute pas son absence vu le monde qu'il risquait d'y avoir, et au fond, c'était surtout ça qui le faisait paniquer. Pourtant, il peut le temps de passer sous la douche puis ensuite d'enfiler des vêtements. Il aurait prendre le premier jean et tee-shirt qui lui passait sous la main, mais quelque chose le poussa à choisir une chemise blanche ainsi qu'un pantalon de couleur noire serrant un peu plus ses jambes. Il n'avait pourtant rien à prouver, mais peut-être que le fait d'essayer de se rendre dans ce lieu où il sera forcément mal à l'aise, c'était déjà un premier pas contre sa phobie. Il lui arrivait parfois de se demander si une fois il pourrait se mêler à des inconnus, et faire comme si de rien n'était. Mais au fond, il savait pertinnement que c'était qu'une pure illusion, il n'y arrivera pas, il restera dans sa bulle et finira même probablement puceau.

Le spectacle se déroula sous l'oeil avisé du boulanger, il n'était pas installé sur les sièges comme l'était les familles ou proches des candidates, mais de là où il était, il était à l'écart des autres mais avait tout de même un bon aperçu de la scène. Il se contenta de regarder chacune des demoiselles et lorsque vient le tour de Leilani, il ne put s'empêcher de sourire. Elle semblait si belle et si talentueuse, elle avait un grand avenir devant elle, c'était certain. C'était la dernière à passer, alors lorsque le rideau se referma, les résultats ne tardaient pas à tomber. Elle était première. En même temps, même s'il n'a aucune notion dans ce domaine, elle semblait très douée et méritait amplement sa place.

Les gens commençaient à se bousculer pour aller saluer leur fille, leur soeur ou proche de la famille, c'est à cet instant que Jonathan décida de se faufiler au niveau du banquet, là où il n'y avait pas encore grand monde. Ça lui permettait de respirer avant que la foule ne remplisse cet endroit. Il lui restait quelques minutes. Est-ce qu'il serait capable de rester jusqu'à ce qu'elle vienne ici ? Si la foule se faisait trop dense, c'est certain qu'il allait faire une nouvelle crise d'angoisse, il était incapable de les contrôler. C'est alors qu'il l'aperçu au loin, changée mais avec un sourire radieux. Elle était sublime. Il n'y avait aucun autre mot, et même si ça pouvait paraître déplacé de la part de Jonathan qui avait plus de dix ans qu'elle, il ne pouvait nier que cette jeune femme devait avoir des admirateurs à n'en plus finir.