Bent out of shape Ϟ Nate & Brooke

Une journée de travail comme une autre diraient les spécialistes. Pourtant, en médecine, chaque journée est différente et se distingue de la précédente. Une aubaine pour Nate qui détestait la monotonie. Il avait affaire à des cas complexes, c’était en majorité pour ça qu’on venait le consulter, lui qui était une figure montante de la chirurgie cardiothoracique. Cependant, il lui arrivait qu’on vienne à sa rencontre pour des problèmes plus simples qui ne lui donnaient pas trop de fil à retordre. C’était le cas avec M. Carlson. Il y a des mois de cela, plusieurs spécialistes l’avaient recalé, jugeant qu’une opération à cœur ouvert était bien trop risquée à son âge. En vérité, ils avaient juste eu peur de se mouiller. Nate, lui, n’avait pas franchement hésité. Il avait pris en compte tous les paramètres et s’était sérieusement penché sur le cas pour prendre le moins de risques possibles. En deux temps trois mouvements, le patient avait été opéré et sa pathologie n’était plus. Certes, il fallait qu’il soit prudent et qu’il vienne régulièrement en consultation, mais ce n’était rien face à tous les ennuis qu’il avait pu rencontrer auparavant.

Ce jour-là, Nate avait demandé à Mme Carlson d’attendre dans le couloir. Il ne voulait pas la froisser ou la tenir à l’écart, mais il savait qu’à l’image de beaucoup d’hommes, son mari avait du mal à parler en sa présence. Pour assurer le meilleur suivi possible à son patient, le métis avait choisi de prendre le risque de s’attirer les foudres de son épouse en lui demandant de s’exiler pendant quelques instants. A peine la conversation finie, Nate était ressorti avec son mari qui était tout sourire. Le secret médical, dirons-nous.

Dans la masse de visages qui s’offraient à lui, le médecin n’en reconnut qu’un seul et c’est alors qu’il s’apprêtait à prendre la parole qu’une phrase prononcée par une femme sortie de nulle part lui en vola la possibilité. Un peu à la manière d’un chien auquel on s’adresse, Nate pencha la tête sur le côté. Le moins qu’il puisse dire, c’est qu’il ne s’y attendait pas. A priori, le couple Carlson n’avait pas d’enfant et il y avait fort à parier que personne ne connaissait vraiment l’individu. Observateur, Nate reconnut le bracelet de l’hôpital au poignet de la jeune femme et leva les yeux au ciel. Encore une patiente dont le suivi était trop long et qui avait réussi à échapper à la vigilance des infirmières. En silence, il se mit entre elle et son couple patient pour les remercier d’être venu et leur indiquait dans combien de temps il faudrait qu’ils se revoient. La manœuvre ne prit que quelques minutes et Nate se retourna aussitôt pour gérer le cas de la mini-fugue de la patiente. « Alors, on s’est évadé du service de psychiatrie, ma bonne dame ? » Touché. Il savait pertinemment que ce n’était pas de là qu’elle venait, mais il avait décidé de la piquer. Après tout, si elle voulait s’amuser, il allait lui donner de quoi satisfaire ses pulsions pendant quelques minutes.

Un stéthoscope autour du cou, la blouse blanche sur les épaules, Nate n’imaginait pas qu’on puisse le confondre avec une secrétaire – ou plutôt, dans le cas présent, avec une sorte de guide d’agence de tourisme. Il se gratta la nuque et haussa un sourcil pour montrer sa surprise. Décidément, cette rencontre n’aurait rien d’ordinaire. Il écouta la présumée évadée s’expliquer sur sa demande et sa situation avant de se rendre compte qu’une minorité de passants et de patients les observait. En quelque sorte, il lui donnait de l’attention et de l’importance, chose qu’on ne faisait pas souvent ici, encore moins quand les personnes concernées semblaient totalement dérailler. « Vous avez essayé de vous acheter une gameboy pour voir ? Ils doivent encore en vendre à côté de la cafétéria, vous savez. » dit-il, un sourire aux lèvres, jugeant qu’il pouvait se permettre ce type de fantaisie maintenant qu’il était sûr qu’elle n’avait rien d’une hystérique en cavale « Il y a aussi une collection inestimable de magazines people dont les femmes raffolent en général. Avec un peu de chance, vous trouverez un exemplaire annonçant que rien ne va plus entre Charles et Diana. » Certes, il en faisait des tonnes, mais il y avait un peu de vrai dans ce qu’il disait. L’option de laisser à l’inconnu ses patients était inenvisageable : il était prêt à faire beaucoup de sacrifices pour son métier, mais tout avait des limites. « Vous savez, les patients viennent ici pour être soignés en général, pas pour mourir. Donc considérez ma réponse comme un non. » En revanche, il était bien décidé à se débarrasser de la jeune femme. Il montra le siège du doigt et lui demanda de s’asseoir un instant avant de se précipiter au bureau des accueils de son service « Je n’ai plus de consultations pour le moment ? J’ai une hystérique à ramener dans son service là, vous pouvez me biper en cas d’urgence, d’accord ? » ordonna-t-il à une femme de la quarantaine qui n’avait d’autre choix que d’acquiescer. Il revint auprès de l’inconnue, constatant qu’elle avait changé de siège rien que pour l’embêter « Vous me suivez ? On va faire en sorte de vous trouver une ou deux grilles de sudoku pour que vous ne veniez plus perturber mes patients. »

Certes, Nate était de ceux qu’on appréciait ou qu’on détestait aux premiers mots. Il n’y était pas allé de main morte avec cette inconnue, mais elle le méritait. Venir perturber son service de la sorte, quel toupet ! Pour s’amuser un peu à son tour, il l’avait traité d’attardée superficielle. « Bon alors, j'ai trois ans et je suis superficielle. Je vois que je vous vous êtes fait une belle opinion de moi. » En vérité, il savait bien qu’elle devait sacrément s’ennuyer pour faire le tour des services de la sorte. Peut-être qu’il en saurait plus à l’avenir, mais pour l’instant, il avait d’autres priorités. Chacune de ses remarques eurent le don de lui faire lever les yeux au ciel. Décidément, elle méritait une bonne dose de morphine pour la calmer. Il fit son devoir et arpenta les couloirs aux côtés de la jeune femme jusqu’à rejoindre un ascenseur pour monter d’un étage. « Et encore, là, je suis dans un bon jour, vous avez de la chance. » Les portes automatiques s’ouvrirent devant ses yeux et il jugea bon de laisser passer sa compagne d’un instant pour s’assurer qu’elle ne comptait pas jouer avec ses nerfs. Le temps de la montée lui servirait pour en apprendre davantage sur elle et pour connaître les raisons de sa présence à l’hôpital. « Blague à part, pourquoi vous êtes là ? A première vue, vous êtes en pleine forme. On peut savoir c’qui vous amène ici ? » demanda-t-il d’un ton posé, bien différemment de celui avec lequel il l’avait attaqué. Nate pouvait avoir des propos aiguisés qui laissaient sous-entendre qu’il était agressif. Pourtant, il cachait une épaisse couche de bienveillance qui s’avérait être précieuse dans le métier qu’il exerçait. Des patients, il en voyait à longueur des journées. Certains cas le mettaient à l’épreuve, l’empêchaient de dormir et le poussaient à se dépasser. D’autres étaient plus classiques et demandaient simplement une part de concentration. Pourtant, dans chaque situation, le métis restait tout aussi attentionné. Il passa une main sur son visage pour se frotter les yeux et attendit une réponse honnête, la première depuis le début de leur discussion.

désolé:

Pour quiconque n’était pas habitué, l’hôpital de Wellington pouvait rapidement s’avérer être un labyrinthe. Nate connaissait certains étages comme sa poche. Pour y avoir vécu jour et nuit pendant plusieurs semaines, il savait qu’il y avait des raccourcis, des passages secrets et des recoins à éviter, si ce n’est pour avoir un minimum d’intimité. Toujours était-il qu’il traînait derrière lui la brebis égarée sans lui laisser la moindre chance d’échapper à sa surveillance. Son rire mit du baume au cœur du chirurgien. A vrai dire, si les choses avaient commencé en dents de scie, il espérait que cette ambiance ne dure pas. Nate n’était pas de ceux qui passaient leur temps à être aigris ou amers sous prétexte d’être rancuniers. Il était de nature à passer vite à autre chose et c’est ce qu’il avait choisi de faire.

La référence au docteur Frankenstein le fit sourire. En une fraction de seconde, il s’imagina plus palot avec deux boulons de chaque côté du visage et avec une mine cadavérique, un vrai symbole de chaleur humaine. « A priori, je n’ai pas subi d’expérience scientifique ayant mal tourné… Pourquoi ? Vous trouverez que j’ai si mauvaise mine que ça aujourd’hui ?! » dit-il en faisant mine de s’affoler à la manière d’une fashion victim que le fond de teint aurait lâchement abandonné. Blague à part, il écouta les informations données par son interlocutrice : une hépatite C ? Décidément, la jeune femme était pleine de surprises. Il délaissa son côté farceur et taquin pour prendre un air sérieux. Ca aussi, il savait faire : passer d’un registre à l’autre sans transition sans que personne ne lui reproche. Il était capable d’amuser la galerie et d’agir en médecin responsable. Dans ce cas précis, il savait que la maladie qui avait cloué la jeune femme à un lit d’hôpital n’était pas une partie de plaisir et était longue à soigner. Une partie de lui se mit à compatir. A sa place, il ne supporterait pas d’être enfermé. Déjà qu’il ne lui fallait pas grand-chose pour se sentir comme un lion en cage… « Je vois et je comprends votre frustration, mais je pense qu’ici, vous trouverez de meilleurs soins que chez vous. » conclut-il d’une voix raisonnable. « Au fait, je ne me suis pas présenté, mais je suis le docteur Nate Wayne. Et vous… ? Vous avez plus qu’un numéro de dossier que je peux jouer au loto… ? »

A l’hôpital, Nate avait la réputation du médecin sexy dont le cœur était à prendre. Néanmoins, pour beaucoup, c’était la personnalité qui pêchait. Du moins, celle que le chirurgien métis laissait voir à la majorité des gens qu’il fréquentait. Il n’était pas de ceux qui s’ouvrent facilement et se servait régulièrement de son armure, celle qu’il s’était créée dans l’urgence, pour donner le change. Séduire une patiente n’était pas franchement envisageable. A vrai dire, Nate n’y avait jamais pensé et il ne comptait pas changer d’avis sur la question. Il se devait d’être éthique et même s’il lui était déjà arrivé d’avoir des propositions. « Effectivement, peut-être qu’on tentera de régler ce léger détail, dans ce cas. »

Netflix et crème glacée… Tout cela ressemblait à une caricature de série. Pourtant, et il le savait, beaucoup de jeunes femmes de l’âge de la patiente fonctionnaient ainsi. Cependant, comme il était bon prince et qu’il ressentait désormais un peu d’empathie pour la jeune femme, il pourrait lui trouver une solution. « Si vous me promettez de rester sagement dans votre chambre, je peux m’arranger pour vous trouver de la glace et une tablette pour combler vos pulsions d’addict aux séries » dit-il avec un sourire coquin. Il savait que de cette façon, il marquerait des points. La main dans celle de la jeune femme, il fit un geste dont il l’avait l’habitude et écouta les renseignements que lui donnait la jeune femme avec une attention non négligeable. Brooke Bailey, c’est ainsi qu’elle se nommait. Ce patronyme n’évoquait rien si ce n’est… Le nom du béluga du Monde de Dory, mais ça, il se passerait de le dire. Il s’étonna quand elle se mit à parler cambriolage. Y avait-il quelque chose que Nate n’avait pas suivi ? Sa mine figée parla pour lui : il n’avait aucune idée de ce dont elle voulait parler et visiblement, c’était mieux ainsi. « Euhm… Il vous arrive souvent d’évoquer des faits divers sans queue ni tête sur un coup de nerf ? Pas que je sois réfractaire au fait d’échanger sur les unes des journaux locaux, mais tout de même… »

A contrario de beaucoup de ses pairs, Nate n’était pas devenu chirurgien parce que l’un d’entre eux l’avait sauvé plus jeune. Non, il n’avait pas choisi la médecine par reconnaissance, mais véritablement par passion. Certes, sa mère était une pointure du domaine médical et il marchait dans ses pas, mais il s’était fait sa propre vision du bistouri. Il avait grandi et la passion pour son métier avait grandi avec lui. L’hôpital ne l’étouffait pas ; il avait le bon rôle. Souvent, il était dans la peau du sauveur, de celui qui agit, et non pas dans celle de celui qui subit. Il aidait ses patients à relativiser, mais peinait à s’imaginer à leur place. Aurait-il le même courage ? Probablement pas. S’il y avait bien une chose que Nate maîtrisait, c’était la capacité à être honnête envers lui-même. Il n’avait aucun mal à se dire qu’il était mieux dans sa position que dans celle des patients et c’était aussi la raison pour laquelle il lui arriverait de dépasser ses fonctions pour récupérer de la glace ou de quoi se connecter sur Netflix. Il l’avait fait, par le passé, une fois précisément. Les souvenirs qu’il en gardait étaient tous teintés de gratitude et d’une forme de complicité qu’il n’avait jamais connue auparavant.

Quand la question du parfum de glace fut amenée sur le tapis, il ne sut quoi répondre. De son côté, il avait une nette préférence pour les crèmes glacées. Les sorbets… Très peu pour lui. Il n’était pas de ce genre-là, Nate. Si cela ne tenait qu’à lui, il opterait pour un pot de Ben&Jerry’s au beurre de cacahuète, un classique, mais il savait que ses goûts n’étaient pas universels. Néanmoins, il n’eut pas le temps de réfléchir au parfum que pourrait bien vouloir la jeune femme. En une fraction de seconde, elle en était venue à lui vanter les capacités de son cerveau en se basant sur des informations lues dans une vulgaire revue dont le prix exorbitant ne reflétait que rarement la qualité. Cependant, cette remarque eut le don d’arracher un sourire au chirurgien du cœur. « Si vous pouviez faire usage de vos capacités hors-norme pour aller vous allonger dans votre lit, ce serait vraiment bien. De mon côté, je vais essayer de vous satisfaire à ma manière. Deal ? » demanda-t-il en tendant la main devant lui pour conclure un marché qui était plus à l’avantage de la patiente qu’au sien.