look what you made me do (Poppy)

Elle était nerveuse, Poppy. Tellement qu’elle se demandait si elle avait bien fait d’accepter ce rendez-vous. Elle savait parfaitement que ça allait tourner au vinaigre. Elle savait que ça allait mal finir parce qu’elle avait menti sur toute la ligne. Menti sur son âge, sur qui elle était. Et celui qui viendrait s’asseoir à sa table allait vite déchanter. Il allait probablement lui dire qu’elle n’aurait jamais dû faire ça ou même que c’était inapproprié. Et il aurait raison. Il aurait tout à fait raison. Il aurait le droit de partir avec un air offusqué, il aurait le droit de la bloquer sur ce site. Mais Poppy avait tant aimé leurs conversations. Elle avait tant aimé leurs confidences, ce petit bout de relation qui s’était construit au fil des mots échangés. La jeune fille soupira, le regard au fond de sa tasse de café noir – elle détestait le café noir en plus, mais c’était une boisson de grande personne et elle voulait paraître adulte alors. Pendant une seconde, elle se dit qu’elle ferait mieux de partir avant que son rendez-vous n’arrive. Elle pourrait toujours prétexter un empêchement de dernière minute, une urgence. Elle pourrait mentir, une fois encore, comme elle le faisait si bien.
Mais une voix qui résonna dans l’air la pétrifia sur place. Elle ne se souvenait même pas d’avoir donné son véritable prénom à cet inconnu du net. Elle resta quelques secondes, le dos raide, immobile, à lui tourner le dos. Là encore, elle pouvait lui dire qu’il se trompait. Qu’elle n’était pas la Poppy qu’il recherchait mais qu’elle s’appelait Valentine. Ou quelque chose comme ça. Alors, elle se retourna, un sourire tremblant sur les lèvres et tomba sur un visage doux, tiré par la nervosité. Il était probablement encore plus beau en vrai que sur ses photos. La gorge sèche, elle se mit à doucement acquiescer. « Oui, c’est moi, elle répondit d’une petite voix enrouée. Je t’attendais. » Machinalement, elle se mordilla la lèvre inférieure avant de détourner le regard. Finalement, elle n’avait pas osé lui mentir de vive voix. C’était beaucoup plus difficile de cacher la vérité dans la vie réelle que derrière son ordinateur. « Tu t’assois ? elle proposa en désignant la chaise juste en face d’elle. Tu prendras quoi ? » Poppy avait encore le mince espoir qu’il passe outre son jeune âge et ses mensonges pour lui accorder un peu de son temps. Elle avait encore le mince espoir qu’il ne parte pas en courant.

En cet instant, Poppy regrettait presque de s’être inscrite sur ce site. D’avoir menti sur son âge, sur certainement d’autres choses encore. Les gens ne méritaient pas ses mensonges. En réalité, l’adolescente n’avait jamais cherché à mal sur ce site – elle cherchait juste des réponses. Elle se cherchait aussi, un peu. Tout était si compliqué et confus en ce moment, pour elle. Alors elle aurait pu tout simplement dire à Lex qu’elle n’était pas intéressée, qu’elle ne recherchait plus. Elle aurait pu ne jamais lui répondre. Mais le blond lui avait paru si doux, si attachant. Si cassé aussi. Lex était une belle rencontre. C’était un peu pour cette raison qu’elle était là aujourd’hui. Malgré ses mensonges. « Tu n’es pas en retard, c’est moi qui étais en avance, rétorqua-t-elle en forçant un peu plus le sourire. » Elle lorgna ensuite sur sa tasse encore à moitié pleine et grimaça. « Non, je… Je prendrai plutôt un soda à la place… » Elle se sentait tellement bête d’avoir voulu jouer à la grande fille.
C’était un peu étrange, d’ailleurs, de se dire qu’elle était là avec Lex. Généralement, elle inventait excuse sur excuse pour ne pas rencontrer les gens. Mais avec Lex, ça avait été différent. Poppy ne savait pas bien pourquoi, peut-être parce qu’il était différent. Peut-être parce qu’il était touchant. « Un peu, oui, elle rigola, un peu étonnée mais soulagée qu’il ne lui fasse pas de remarque sur son âge. Mais je suis contente qu’on ait franchi le pas, quand même. » Il était bien plus facile de paraître plus âgée derrière un ordinateur. Non pas à cause du physique – ou pas seulement – mais parce qu’il y avait toujours la possibilité de bien réfléchir à ses mots. De faire attention à la formulation de ses phrases. Dans la réalité, Poppy n’avait pas les moyens de mettre le monde sur pause et de préparer ses phrases de façon à lui paraître plus mature ou plus âgée. « Je crois que je dois commencer par te présenter des excuses, elle soupira doucement, le regard baissé. Je t’ai menti sur mon âge… » Des milliers de fois, Poppy avait essayé de trouver comment le lui annoncer. Des milliers de fois, elle s’était sentie bête et coupable de ne pas avoir dit la vérité. « En vrai, j’ai dix-huit ans. »