strange magic. (craig)

On entend parler que de ça aux informations, dans les bouches de locaux, aux abords du commissariat et des hôpitaux : un groupe de cambrioleurs tente de semer le chaos à Island Bay. Et ils réussissent. À travers des vols, des maisons saccagés et des blessures infligées. Certaines personnes auront besoin de se confier durant de longues séances à un psychologue, d’autres devront supporter une rééducation après une blessure, d’autres encore se verront obligés de déménager, ne se sentant plus en sécurité chez eux. Une lourde tension pèse sur la ville et le mot que tous les habitants aimeraient prononcer est le même : l’injustice. Personne ne peut trouver une justification à ce carnage orchestré, pas même le pire des voyous du quartier. Depuis son arrivée en Nouvelle-Zélande, Craig a connu quelques problèmes avec la justice, il s’est déjà retrouvé derrière les barreaux pour quelques longues heures et les menottes autour de ses poignets, il n’arrive pas à les oublier. Pourtant, il n’aurait jamais été capable de s’en prendre à des innocents comme le fait ce groupe de personnes. S’il lui arrive de dépasser les bornes, c’est toujours avec des personnes à sa hauteur, qui savent se défendre et qui, bien souvent, provoquent la bagarre. Rentrer chez un innocent pour bouleverser sa vie, ça ne lui a jamais traversé l’esprit. Et il n’aurait jamais imaginé que ça pouvait lui arriver à lui, qu’il pouvait rentrer chez lui et se retrouver face à ces personnes cagoulées. Et il a essayé de les arrêter, de les empêcher de saccager son appartement, de prendre ses effets personnels. Déjà qu’il n’a pas grand-chose, l’idée qu’on lui dérobe ce qui lui appartient ne lui plaît pas. Ça s’est terminé en bagarre, qu’il n’a pas pu gagner, à plusieurs contre une seule personne, il s’est rapidement retrouvé au sol. Sa fierté l’a aidé à tenir debout et à grimper sur sa moto pour se rendre à l’hôpital, refusant de voir une ambulance débarquer pour lui. Là-bas, on lui a rapidement fait un point sur ses blessures : des côtes brisées. Il y a plus grave, certainement plus douloureux, mais les médecins ont insisté pour qu’il passe la nuit en observation, au cas où il aurait d’autres blessures internes. Et puis pour se reposer, profiter des antidouleurs que l’on peut lui administrer ici et ne pas se retrouver dans un appartement en bordel. Il a finalement accepté son sort, à la seule condition que l’on appelle sa petite amie. Son envie de la voir a été plus forte que tout le reste et, même s’il ne sait pas ce qu’il va lui dire à son arrivée, il a demandé aux médecins de le faire.

Elle est arrivée bien plus rapidement qu’il ne l’aurait imaginé, comme si elle n’était qu’à quelques pas de l’hôpital quand le coup de fil a été passé. Allongé dans son lit, assez fatigué par les récents événements et surtout shooté aux médicaments, le brun la regarde, sans vraiment savoir quoi dire. Dans un sens, ça lui fait plaisir de la voir. Mais il se demande ce qu’elle faisait, là, dehors, alors qu’il y aurait bien besoin de policiers qui errent dans la ville pour protéger les habitants. ▬ J’ai connu mieux. Dit-il en se redressant dans son lit, alors qu’elle s’approche de lui. Il grimace un peu, chaque mouvement lui fait mal, mais paraît-il que ça finira par aller mieux, et rapidement. ▬ J’suis tombé sur une bande de mecs en rentrant chez moi, j’ai pas pu faire grand-chose. Il ne sait même pas combien ils étaient, au final, tout s’est passé trop rapidement. ▬ Vous en entendez pas parler à ton boulot ? La question le démange trop pour ne pas la poser, est-ce qu’ils ont des pistes concernant ces cambrioleurs ?

La colère qui le submerge prend toute la place dans son esprit, ne laisse pas de place à la compassion. C’est pour ça qu’il n’a pas remarqué ses larmes tout de suite, mais il s’y intéresse quand elle relâche son bras pour essuyer ses joues. Il fronce les sourcils, se demandant si elle est dans cet état à cause de lui, ou s’il y a autre chose. Il n’est pas blessé si gravement, il y a bien pire et il finira par s’en remettre, contrairement à d’autres personnes qui pourraient avoir des séquelles. ▬ Des ennuis ? Il soupire en la regardant, se sentant presque jugé. Même s’il a beaucoup de problèmes avec les alcooliques des quartiers voisins, il n’en a pas suffisamment pour que des types s’amusent à venir chez lui et lui casser la figure. Clairement, cette attaque n’était pas visée spécifiquement sur lui. ▬ C’était les cambrioleurs. On en entend parler de partout en ce moment, c’est tombé sur moi aujourd’hui. Il détourne le regard, ses yeux se dirigeants vers le plafond tandis qu’il cale son dos contre l’oreiller. Il s’en veut à lui-même de ne pas avoir été suffisamment fort pour les repousser et sortir indemne de cette bagarre, qui finalement était à sens unique, puisqu’il n’a pas pu donner énormément de coups, se retrouvant rapidement au sol. ▬ Ils quittent tous le commissariat tôt, tes collègues ? Parce qu’on se sent pas tellement en sécurité dans c’te ville. Il ne peut pas s’empêcher de prendre un ton plein de reproches. Il parle plus à la policière qu’à sa petite amie, actuellement. Presque vexé d’être toujours le premier à être arrêté dans les bars, quand une bande de voyous bien plus dangereuse peut agir impunément. ▬ J’peux sortir demain, ils veulent juste me garder en observation ce soir, simple prévention. Finalement, il se calme légèrement, déposant sa main sur la joue de Nahla pour établir un nouveau contact entre eux. Il essaye d’ignorer son métier, de simplement voir la personne qui se trouve en face de lui : celle qu’il aime, celle qui est là pour lui. ▬ Comment ça se fait que t’es arrivée aussi vite, t’étais dans les parages ? La question lui brûlait les lèvres. Si elle a pris sa journée, comme il a cru le comprendre, ce n’est sûrement pas pour la passer à l’hôpital.

Visiblement, sa tentative de rapprochement n’apaisera pas la tension qui vient de s’installer entre eux. C’est de sa faute, c’est vrai, mais est-ce qu’il peut se reprocher d’avoir été honnête envers elle ? La sécurité de la ville n’est pas correctement assurée, sinon, comment expliquer tous ces cambriolages, comment expliquer que les responsables ne soient pas encore derrière les barreaux ? Le tatoué soupire longuement en regardant sa petite amie, ce moment n’est pas agréable. Entre la douleur qu’il ressent et cette dispute qui commence doucement mais sûrement, il ne se sent pas bien. ▬ Je dis juste qu’il y a une faille dans votre système. Il enfonce sa tête dans l’oreiller, détournant son regard de Nahla. Peut-être qu’il a mal fait en demandant à l’appeler, peut-être qu’il aurait préféré être seul. ▬ Je suis loin d’aller « bien », en fait. J’suis bien chez moi, dans mon canapé, pas dans un lit d’hôpital à cause d’une bande d’abrutis que les flics sont incapables de choper. Finalement, les mots sortent, même s’il ne le désire pas forcément. ▬ Donc j’te repose la question, qu’est-ce que tu faisais ? T’es une policière alors j’me demande ce qu’il y a de plus important que de protéger les habitants. Dans un sens, il n’aime pas se cacher derrière son métier, il doute qu’elle aurait été plus efficace que lui face à la bande de cambrioleurs. Mais avec son uniforme, avec une arme, avec tout ce qui représente les forces de l’ordre, peut-être que son appartement n’aurait pas été attaqué. ▬ Non, j’crois qu’on m’a rien volé. Et honnêtement j’m’en fous, je m’attache pas à tout ce qui est matériel. Ça me fait juste chier de me retrouver ici, tu peux le comprendre non ? Ses yeux se reportent sur sa rouquine, il se doute qu’elle ne prend pas non plus du plaisir à se retrouver ici. L’hôpital, peu importe la raison pour laquelle on s’y trouve, ce n’est pas plaisant d’y être. C’est un lieu qui sent la mort, le danger, toutes les choses négatives qu’un être humain préfère éviter.

À ses mots, le temps s’arrête. Les aiguilles de l’horloge ne tournent plus, tout comme la Terre. Il se fige, sans son cœur ralentir, sa respiration se couper. Il secoue légèrement son visage de gauche à droite, essayant d’assimiler l’information qu’elle vient de lui donner. Le sujet des enfants n’a jamais réellement été abordé, c’est vrai qu’il s’est imaginé en concevoir un avec elle, l’autre fois, quand ils devaient garder la gamine d’une amie à elle. Mais c’était un projet lointain, discrètement enfoui au plus profond de lui, qui ne devait pas refaire surface avant de nombreuses années. Si son but était de le faire taire en lui balançant cette nouvelle au visage, elle a réussi sa mission. Plus aucun son ne sort de sa bouche, il se contente seulement de réfléchir. Pourquoi maintenant ? Comment ils vont faire ? Est-ce qu’il en a envie ? Est-ce qu’ils feront de bons parents ? ▬ Je.. Il se surprend à ressentir un manque : cette dispute qu’ils viennent d’avoir, elle était bien plus plaisante que ces longues dernières secondes. Il comprend maintenant pourquoi elle n’était pas au travail aujourd’hui, comment elle est arrivée aussi vite dans sa chambre d’hôpital : elle était déjà là, pour cette grossesse. Pourtant, une question lui brûle les lèvres, une qu’il est obligé de lui poser. Parce qu’il a besoin de savoir, de comprendre. ▬ Tu le sais depuis combien de temps ? Avant l’annonce officielle du médecin, il y a les tests de grossesse, qui eux-mêmes ne sont pas faits sans raison : les symptômes. Il n’a que cette question à lui poser, il se doute que ce n’est pas un mensonge, qu’elle ne jouerait pas avec un sujet aussi sensible que celui-ci. Et il ne s’aventurera pas à lui demander s’il est bel et bien le père, il a confiance en elle. La fidélité, ce n’est pas une option, autant pour lui que pour elle, c’est ce qui fait la force de leur couple, qui reste malgré tout fragile à cause de toutes ces épreuves qu’ils ont eu à affronter depuis qu’ils se connaissent. Ses yeux quittent ceux de sa petite amie pour se diriger vers le matelas, il y a une autre idée qui vient de parcourir son esprit. Une idée qu’il n’arrive pas à assumer, dont il n’est pas fier, qu’il ne peut pas exprimer fièrement. ▬ Tu comptes le garder ? Cette question est presque murmurée, comme s’il n’était pas certain de vouloir le lui demander. Il sait qu’il a peur de la réponse, mais il ne sait pas laquelle l’effraie le plus : oui ou non ?

Il aimerait pouvoir réagir comme le feraient toutes personnes normalement constituées. Lui sourire, la prendre dans ses bras et lui faire comprendre que tout ira bien. Lui dire qu’ils peuvent le faire, qu’ils seront de bons parents et que leur enfant ne manquera jamais de rien et surtout pas d’un père. Sauf que Craig n’a jamais fait dans la normalité et ce n’est certainement pas suite à cette annonce qu’il va commencer. Au fond de lui, il se dit toutes ces choses, toutes ces paroles rassurantes et pleines de volonté. Le problème est pourtant là : elles ne peuvent pas franchir ses lèvres, elles sont bloquées au fond de sa gorge, coincées entre ses craintes et ses envies de fuir. Enceinte, c’est un mot qui engendre énormément de responsabilités. Il ne sait pas s’il a envie de prendre soin d’elle durant les neuf prochains mois, de faire attention à chaque décision qu’il prend, uniquement pour s’assurer de son bien-être. Il ne sait pas s’il a envie de se lever toutes les nuits durant des mois pour nourrir son enfant, lui changer la couche et le bercer jusqu’à ce qu’il s’endorme. Il ne sait rien et c’est cette incertitude qui prime, qui prend toute la place dans cette pièce, dans sa tête et dans son corps. Il est totalement perdu dans ses pensées, absent de cette conversation. Il a bien entendu qu’elle vient seulement d’apprendre cette grande nouvelle et puis, après, c’est le flou total. Il reporte son attention sur elle seulement quand elle se lève du matelas, l’idée qu’elle s’en aille ne lui déplaisant pas totalement. Il sait que ce n’est pas la meilleure chose à faire, qu’elle est certainement tout autant perdue que lui actuellement, qu’elle a besoin de son soutien. Qu’elle a besoin du père de l’enfant qu’elle porte. Mais c’est peine perdue, il ne lui accordera pas cette chance, pas maintenant, pas après cette annonce qui l’a assommé comme le ferait un coup de massue. ▬ Je préfère que tu t’en ailles, oui. Il fuit son regard et, pour appuyer ses propos, se retourne dans son lit, dos à elle. Il a envie et besoin d’être seul, bien qu’il sache déjà au plus profond de lui-même qu’il va regretter cette décision dans les minutes qui suivront son départ.

fin