La saison des cambriolages... (Jackson & Noa)

Island Bay, c’est un coin tranquille. Ici, on n’imagine pas qu’une moto file à toute allure pour arracher le sac d’une vieille dame qui tente de traverser la rue. On n’imagine pas un carjacking au feu du carrefour près du cinéma. On n’imagine pas se retourner le soir quand on rentre à pied parce qu’une ombre persiste à vous suivre. On ne va pas dire que c’est le paradis, mais ce n’est pas la zone où la criminalité est la plus élevée. Alors cette histoire de cambriolages depuis un mois, ça rend la population nerveuse et paranoïaque. Je n'ai pas envie d'y céder, mais... Des amis m’ont demandé de passer régulièrement chez eux durant leurs vacances. J’ai les clés. J’entre, j’arrose les plantes, je fais le tour du lieu et je repars. Ce n’est pas la première fois qu’ils me demandent de le faire, mais cette fois, j’ai bien senti qu’ils espéraient que je n’ai à les appeler en urgence que pour leur annoncer que le cactus a perdu ses épines. Parce que l’inquiétude est évidente en cette saison de cambriolages à répétitions dans toute la ville.  

Dix-huit heures vingt. Comme d’habitude, je prends le chemin pavé pour me diriger vers la porte qui donne sur le jardin. J’ai encore en tête ce qui s’est passé durant ma journée de travail. J’avance tranquille. Jusqu’à ce que quelque chose m’arrête. Un frisson. Je regarde autour de moi. J’écoute. Rien. Pas envie de céder à la panique sournoise qui agite les habitants. Pourtant tous mes sens sont en éveil. Un truc les a boosté. Je ne sais pas quoi. Je continue plus lentement jusque devant la porte. J’ai le coeur qui bat plus fort en la regardant. Je n’ai pas de doute en la voyant. Elle a été fracturée. Je recule de quelques pas et cherche mon portable. Inutile d’entrée pour vérifier, je suis sûre qu’il y a eu une intrusion. J’appelle la police. Je donne le numéro et la rue. Ils sont sur le pied de guerre. Ils vont venir. Une patrouille n’est pas loin. Je reprends la direction de ma voiture quand un bruit me fait sursauter. Je me retourne, j’ai à peine le temps de voir des hommes courir qu’il est déjà trop tard. L’un me plaque au sol. Un bulldozer ! Mon téléphone vole dans un buisson et je me retrouve étendue sur le gazon. J’aurai dû faire rugby plutôt que surf, ça m’aurait mieux servi à cet instant précis.

La chute m’a sonnée. Le cambrioleur me secoue dans tous les sens. De la violence, mais pas autant que lors de mon enlèvement. Je crois que sa brutalité vient surtout de son empressement. En faite, je ne sais pas trop ce qu’il se passe, perdu dans cette bourrasque imprévue d'agitation. J’entends la sirène de police. Elle fait fuir le type. La fille que j’ai eu au standard avait raison, il y avait une patrouille à proximité. Ça c’est vachement réconfortant. Je soupire de soulagement. Toujours étendue sur le sol, le temps de retrouver mes moyens et mon calme. Le flic s’annonce. Son nom... sa voix... son visage au-dessus de moi. Il y a si peu de flics dans ce coin de Nouvelle Zélande que je me retrouve en face de celui-là ? Après, c’est peut-être pas mal de rester avec le même. Pas besoin de s’étaler, il connait mon histoire. — J’suis en un seul morceau, donc de ce côté-là, on va dire que ça va. Je me redresse lentement. La tête me tourne un peu. Je reste assise. Je passe ma main sur mon front. Je vais avoir une bosse, c’est certain. Un passage aussi dans mes cheveux, mais c’est surtout pour les remettre à leur place. — Vous l’avez eu, le type ? Celui qui s’est jeté sur moi ? Il m’a semblé qu’il n’était pas seul, mais je ne le jurerai pas. Ça s’est passé si vite. J’essaie de réfléchir. Je tends la main vers la maison. — La porte était entrouverte. C’est pour ça que je vous ai appelé. Euh... c’est pas chez moi, c’est chez des amis. Les idées me viennent dans tous les sens. Ouais lui dire que c’est chez des amis, qu’il ne me prenne pas pour la voleuse. Notre première rencontre pourrait avoir laissé des traces négatives dans sa cervelle. Je regarde autour de moi. Mon portable ? Je l’avais à la main quand il m’a bousculé. — J’ai perdu mon téléphone. Je le cherche du regard. Une idée me vient. Je me tourne vers mon ami le policier. — Téléphonez-moi. Comme s’il y a besoin d’expliquer ! Je ne le crois pas stupide au point de ne pas comprendre mon plan. Pourtant j’explique ! — Quand il va sonner, on l’entendra. Comme ça... Je le regarde avec un désespoir émergeant, avec une angoisse qui vient de loin. Tout se brouille. Tout s’embrouille. — J’crois que non, j’vais pas bien. J’me sens pas bien.

Un malaise, un mal être, une angoisse qui remonte jusqu’au bord des lèvres et qui me donne envie de vomir. Mon copain le flic est déjà en train de téléphoner pour qu’une ambulance vienne. Je voudrais lui dire non ou secouer la tête mais je crains que ce ne soit pas une bonne idée. Je fais comme il me dit, respirer, lentement, me calmer. Parce que je tremble. Parce que j’ai froid. Parce que l’idée que ce soit les agresseurs qui m’ont enlevée, qui reviennent finir le travail me tiraille la tête et le ventre. Je l’écoute me parler, ça me réconforte, mais l’appel de son collègue qui à perdu le voleur, c’est moins apaisant. Encore ! Les flics sont des passoires, ils laissent filer encore un type. Ça ne finira jamais. Il y aura toujours des pourris en cavale. Je n’ai pas calmé mon angoisse, mais je trouve la force de lui préciser comment je vais. — Oui, je crois que c’est le choc, la peur. J’ose le mot que je refuse de prononcer la plupart du temps. — J’crois que c’est maintenant que j’ai peur. Tout à l’heure je ne m’étais pas vraiment rendu compte quand j’ai vu la porte entrouverte, quand j’ai appelé la police, même quand le voleur m’a percutée. J’ai pris le portable qu’il me tendait. Je ne sais pas par quel réflexe, je fais le numéro de ma mère au lieu du mien pour retrouver mon téléphone. C’est quand j’entends sa voix enregistrée sur le répondeur que je me rends compte. — Je vais bien maman. T’inquiète pas, je vais bien. J’avais besoin de la rassurer avant qu’elle ne s’inquiète d’un appel de ma part sans message. Dire un truc anodin, “Je serai en retard, je suis dans les embouteillage”, “Je m’arrête faire une course au supermarché”, des trucs absurdes, ma mère ne m’attend pas. Personne ne m’attend. Je pourrai disparaitre encore que personne ne s’inquiéterait. A mon boulot, peut-être, mais ça se solderait par une lettre de licenciement. Pas de recherche. L’angoisse, elle est là. J’agrippe le policier en face de moi, passe un bras autour de son cou pour le serrer contre moi. Lui, il est là. Il s’inquiète. Il ne me laissera pas tomber. — Me laisse pas s’te plait. Ne m’laisse pas. J’ai besoin de quelqu’un. De lui. C’est bizarre de se croiser comme ça. Par pur hasard. Dans des situations épineuses. Peut-être que c’est mon ange gardien.

J'acquiesce au fait d’aller m’installer dans la voiture de police. Moins froid, je ne sais pas, me sentir plus en sécurité, à n’en pas douter. Avec les voisins qui montrent leur visages curieux, j’aurais moins l’air bête de foire au milieu du jardin de mes amis... j’aurais l’air coupable !? Soupir. Tant pis. Ça se solutionnera de lui-même, pas de menottes aux poignets et je sortirai tout à l’heure du véhicule sans être inquiétée. Avant de partir rejoindre le bitume de la rue, mon pote le flic me propose d’appeler un proche. Qui ? — Leeth. C’est clair, c’est net, c’est lui. L’homme qui a éveillé des sentiments en moi depuis quelques mois. Si j’avais encore des doutes, le subconscient a fait le reste. — Euh... Mais mon cerveau embrouillé par les événements ne parvient pas à retrouver son numéro. Je fronce les sourcils en retournant ma mémoire. Je retrouve plein de chiffres, mais ceux-là me résistent. — Dans mon portable. Retour à la case départ. Retrouver mon portable. Cette fois, je pianote sur le clavier pour faire sonner mon portable. Dans le parterre de fleurs ! Au moins il est en vie, il fonctionne. Pourtant maintenant que je le peux, j’hésite à téléphoner. Je ne suis pas le genre de fille à appeler au secours un homme dès qu’il y a une peccadille qui la perturbe. Enfin, je ne crois pas. Et je ne pense pas que Leeth soit amateur du genre. Ce qui nous a uni, c’est notre liberté d’être. On se trouve, on s’aime, on repart, pas d’attache. Alors un appel au secours ne fait pas partie du registre “je suis une femme qui s’assume”. Je souris à mon policier. — Je vais le faire tout à l’heure. On file jusqu’à la voiture, on s’installe. C’est là que son collègue apparait, essoufflé. La course a probablement été à vive allure. Je repense à la mienne, au squat, quand j’ai semé les flics. Lui qui est à côté de moi. Je ne me souviens pas de la tête de son acolyte. Aucune idée si c’est le même. Je tremble encore un peu. Je commence à me détendre. En sécurité. C’est fou comme les forces de l’ordre passe de “à défoncer”, “à éviter”, “à espérer”, “à apprécier”. Là, leur uniforme est la plus belle chose que j’ai envie de voir près de moi.

Il va falloir pénétrer dans la maison. Je hoche la tête. Je comprends. Non pas que je connaisse chaque élément de la maison de mes amis, mais suffisamment pour repérer s’il manque des gros éléments de décor. Mon policier attentionné propose d’attendre d’abord l’arrivée de l’ambulance. Une sécurité pour lui que d’être sûr de se promener sur une scène de crime avec une personne en bonne santé. — Okay, je vous accompagne dès que les ambulanciers donnent leur feu vert. J’esquisse un sourire. Il a raison, ils ne doivent pas être loin, j’entends la sirène. Dès que l’ambulance se stationne, ils bondissent de l’intérieur pour venir vers nous. Je passe du véhicule de police au leur. L’examen n’est pas long, mais sérieux cependant. Pas de plaie. Un choc, ça oui, mais leur verdict est confiant. Rien de grave. Un choc plus émotionnel que physique. L’un des deux infirmiers discute avec les policiers. Alors que l’autre me donne ses recommandations, si j’ai le moindre soucis dans les heures qui suivent, ne pas hésiter à les faire revenir.

L'examen étant fini, je rejoins l’officier de police Clarke. Je retrouve un peu d’humour, c’est signe que ça va mieux. — Y’a moins de casse que l’autre fois. Ma première agression, mon enlèvement. — Je m’améliore. La prochaine fois, c’est moi qui défonce mon agresseur. Je f’rais votre boulot. Petit sourire. Humour...? Ou prédiction ? Parce que je compte lui défoncer sa gueule à celui qui à tuer Jack. — Je vous laisse passer devant pour la visite de la maison ? Ne sachant ce qu’on va trouver à l’intérieur, je préfère avoir un rempart contre les mauvaises surprises.

On entre dans la maison pour le constat des dégâts. Les deux gars étaient à l’intérieur alors forcément ils ont fouillé. Je le suppose. Mais rien de visible dans le salon, la première pièce où nous mettons les pieds. Je suis arrivée avant qu’ils ne déménagent les meubles ! Je secoue la tête, rien ne me parait anormal. — Je ne vois rien d’inhabituel. La remarque suivante me laisse un doute. Est-ce que j’ai dit aux policiers que c’est la maison d’amis partis en vacances. Avec ce remue-ménage, et remue-méninges aussi, je ne m’en souviens plus. C’est vrai que j’ai les clés, inutiles en l’occurence, les voleurs s’étant occupés de forcer la serrure. Todd tient la boutique d’équipements nautiques la plus prisée d’Island Bay, de là à en faire un gars fortuné qui dort sur un matelas de billets ? Cependant, je ne l’ai jamais vu se priver sans pour autant acheter dans la démesure. Je ne pense pas qu’il ait laissé trainer de l’argent sachant qu’il partait plusieurs jours. Mais je ne peux jurer de rien. Bijoux ? J’essaie de me remémorer. Jessica m’avait montré un collier... Boucles d’oreilles... Bracelet... De la qualité mais là encore, pas de diamant valant une fortune. — Dans la chambre. Cette fois, je passe devant pour montrer le chemin. J’en profite pour remettre les pendules à l’heure. — En fait ce n’est pas chez moi. La maison appartient à des amis qui sont actuellement en vacances. Je venais arroser les plantes et ramasser le courrier. Je suis tombé pile au mauvais moment ! — Ouch ! La chambre, c’est une toute autre affaire. Je reste bouche bée devant le spectacle. Une montagne de vêtements jonche le sol. Impossible d’avancer sans marcher dessus. Tous les tiroirs sont ouverts et vidés. Le dressing est saccagé aussi. Ils cherchaient quelque chose, c’est évident. Et ils l’ont trouvé visiblement, derrière la rangée de fringues initialement installés en guise de rideau pour masquer un petit coffre scellé dans le mur. Ouvert bien sûr. Une fois remise de la surprise, je regarde le policier près de moi. — Jessica a quelques bijoux. Après je sais pas ce que pouvait contenir le coffre. Il faudrait que je prévienne Todd pour qu’il vous le dise. Parce que là, je suis d’aucun secours.

L’explication que donne mon pote le flic sur le repérage pour voir qui est là et qui ne l’est pas pour passer aux cambriolages successifs me fait lâcher un soupir. Il n’y avait même pas besoin de passer dans la rue pour savoir que mes  amis, propriétaires de la maison, n’étaient pas. Il suffisait de passer sur leur compte Instagram pour voir les photos de leur voyage au Vietnam. Merci la technologie moderne et l’exhibitionnisme chronique. Bon d'accord, il fallait associer le nom des proprios, l'adresse de la maison et le compte Instagram, mais ce n'était pas impossible pour qui les connait un peu. Si les cambrioleurs ont eu besoin de vérifier un truc, c’est l’heure à laquelle je passais pour arroser les plantes. Il s’en est fallu de peu qu’ils aient disparu avant mon arrivée.

J’aurais bien besoin de m’assoir, j’aurais bien besoin de ne pas être ici et que rien ne se soit passé, mais je suppose que si je m’écroule sur le lit ça fera mauvaise effet pour les indices. J’aimerai bien que la police gère l’appel à mes amis, oui, c’est évident, parce que leur dire « Vous vous êtes bien amusés ? Alors pleurez maintenant » ça donne vraiment pas envie. Les assurances, les déclarations, une fin de vacances pourrie jusqu’à la moelle. Je le laisse m’expliquer sans intervenir, je n’ai rien à ajouter. Il n’y a que ses questions qui me tirent quelques phrases — Ecourter ? J’en sais rien, ce sera peut-être pas... pas simple. Je sais pas trop. Tout dépend si on peut les joindre rapidement, s’ils ne sont pas loin d’un aéroport, s’ils trouvent des billets d’avion pour rentrer. Aux dernières nouvelles, ils visitaient un temple au Vietnam... Je fais une petite grimace tristounette face à la situation et à sa quasi absurdité. — Cf les photos qu’ils ont postées sur les réseaux sociaux. On est en relation par WhatsApp. Je vais leur envoyer un message. Là c’est le gros soupir. J’aurais vraiment préféré qu’il le fasse, mais c’est mon job de gardienne de la maison que j’ai foiré et je dois en assumer les conséquences et la première c’est les prévenir. Non en fait, c’est la deuxième, la première fut de me prendre les cambrioleurs en pleine face !

Les policiers prennent tout en charge, contacter mes amis, leur expliquer la situation, voir avec eux comment et quand ils vont revenir. Il va y avoir des tonnes de formalités sans nul doute. Bizarrement, je me sens d’une coup soulagée. Libérée du poids de l’annonce funeste. Et puis c’est pas chez nous que c’est arrivé ! P’tain comment je l’aurais pris si j’avais trouvé ce désordre en rentrant chez ma mère, chez moi ! Mal. Je regarde encore autour de moi. Des vêtements... Des sous-vêtements... Etalage de leur intimité. Je cherche quelque chose qui serait encore plus du domaine privé, non pas par voyeurisme, non pas que je pourrais le dissimuler alors que la police est présente, mais plus pour me rassurer. Je n’aurais pas à rougie ou à faire semblant si mes amis me demandent si j’ai vu quelque chose de particulier. C’est quand même tordu dans ma tête, plutôt que chercher je devrais regarder le plafond, mais bon...!

Mon pote flic finit par me demander si ça va mieux. Je tourne la tête pour le regarder. Ça m’évitera de me poser des questions sur le fait qu’il y a une combinaison de plongé dans leur chambre. Moi, je n’ai qu’une pièce donc je stock tout au même endroit, mais eux, la maison est suffisamment grande pour mettre le matériel sportif ailleurs. Je hoche la tête. — Ça va. Le choc avec le gars dehors et celui de ce carnage, je digère. La forme de sa question me laisse pourtant un doute. La dernière fois qu’on s’est vu, il m’avait posé entre les mains ce rendez-vous avec Aoline. Il continue à me fixer. Je me sens obligée d’aborder le sujet. — J’avais rencontré la psychologue... l’autre fois... notre précédente rencontre.  Elle vous l’a dit peut-être ? Mauvaise pioche parmi tous les psys de cette ville. Prendre la petite amie de mon frère ! Il fallait le faire quand même. Ce mauvais hasard. Une entrevue chez madame la psychologue qui a mis un gros bordel entre les membres de ma famille. Pas de sa faute à lui. Il ne savait pas.