i think we're alone now ⚝ marlan #1

« Un spectacle sans public, ça s’appelle une répétition générale... Mais oui, tu pourras venir ! Au spectacle, pas la répétition. » Je lève les yeux au ciel, je vois que ma bêtise n’est pas tombée dans l’oreille d’une sourde. Mais c’est de bonne guerre, et je ne suis pas du tout du genre à me vexer pour si peu. Je m’imagine assez bien en première supportrice, mais me ravise rapidement en pensant à ma cousine, qui est avant tout la meilleure amie de Tegan. Et de ce fait, ce serait plutôt à elle d’être en première ligne. « Vous aurez toutes les deux votre place au premier rang. Pas de jalouse, comme ça. » Je hoche la tête, heureuse de l’entendre dire. « Je prends. » Je ne suis pas bien difficile, je ne cherche pas le conflit, et puis, la compétition, trop peu pour moi.
Tegan me fait goûter sa pizza, et comme pour me livrer un peu à elle, je lui explique qu’elle a choisi celle que je préfère. « T’as pas besoin de te trouver des excuses. Tu peux le dire, que tu voulais que je te nourrisse. » Je la regarde en plissant les yeux comme pour la fusiller du regard. Sauf que je ne suis pas du tout crédible. Je la regarde ensuite croquer avec appétit dans son morceau de pizza. Un échange pour le moins intime pour deux personnes qui ne se connaissent quasiment pas. Mais j’ai un bon feeling, ça ne s’explique pas.
Un tel feeling que je lui laisse le champs libre sur la suite de la soirée, quand elle parle d’un exercice d’improvisation. J’ai toujours été un peu mal à l’aise avec ça, mais allez savoir pourquoi, je lui fais confiance, je sais qu’elle ne me jugera pas. Et puis, je dois bien admettre que la curiosité l’emporte. Tegan semble plus heureuse que jamais que je lui offre cette opportunité de partager avec moi son savoir. Je m’en amuse, je trouve ça même touchant. « Tu verras, c’est facile. Il faut juste te lever. » Je finis à la hâte mon petit morceau de pizza et referme la boîte sur la table basse, avant de me lever, aidée par sa main qu’elle me tend. Elle m’explique alors l’exercice, pendant que je suis debout face à elle, sa main toujours dans la mienne. Nos regards ancrés, je suis très attentive à ce qu’elle m’explique. Je dois lui faire confiance. Je crois que ça devrait aller. Je suis plutôt du genre crédule, même si je me soigne. Faire confiance à des gens qui n’en sont pas dignes ça n’a pas été une difficulté pour moi, alors donner ma confiance à quelqu’un qui en semble digne, ça devrait aller. Les consignes sont plutôt simples, je n’ai qu’à me laisser guider. Elle connecte son téléphone sur l’enceinte du salon, et lance des bruitages style jungle sauvage. C’est plutôt agréable je dois dire. Elle me demande de fermer les yeux, et, un peu dubitative face à ma propre capacité à les garder ouverts, je propose. « Hum, est-ce que je peux plutôt mettre un bandeau pour être sûre de les garder bien fermés ? » Je trottine jusqu’à l’entrée où je récupère un petit foulard léger. Avec deux tours, ça devrait le faire. Elle m’aide à le nouer, et je tends à nouveau mes mains pour récupérer les siennes, sentant mon palpitant s’accélérer. Je souffle un peu pour tenter de me concentrer. Je connais pourtant ma maison, mais c’est comme si tous mes repères étaient chamboulés. Je la suis sans trop de problème, tant que je tiens ses mains, j’arrive à lâcher prise, plus ou moins. Mais quand elle finit par les lâcher, là je panique un peu. Je me raccroche au son de sa voix, que je trouve étonnamment plus doux, et je tente de garder une respiration à peu près calme, pour rester concentrée. Je ne sais plus du tout où je me trouve, je suis vraiment bouleversée. « Ça doit durer longtemps ? On peut dire que je te fais confiance là, non ? » Je ris un peu, mais n’entends plus du tout sa voix désormais. « Tegan ? Tu m’as lâchement abandonnée ? » J’ai l’impression de la ressentir, c’est une sensation étrange. Mes sens sont en alerte, comme si j’arrivais à savoir qu’elle ne se trouve plus si loin, sans pour autant l’entendre. Je fais des micro pas, me concentrant sur mes ressentir. « Tegan… » Je souffle entre mes lèvres, comme un murmure, même si je ne l’entends même pas respirer. Et puis après un dernier pas, je sens sa chaleur, puis le contact de son corps contre le mien. Je porte ma main à mon visage pour retirer le bandeau, et me retrouve nez à nez avec elle, plus proche que nous ne l’avons jamais été. Je lui offre un sourire avant de lui demander. « J’ai validé le cours d’impro ? »

Même si je n’ai jamais trop aimé l’école, j’étais plutôt du genre bonne élève. Sans trop faire d’efforts, j’arrivais largement à une moyenne plus que raisonnable. J’étais volontaire juste ce qu’il fallait pour me faire bien voir des profs, qui pourtant savaient que j’avais un potentiel que je n’utilisais pas. Il n’y avait que pour l’art plastique que je donnais tout. Et le théâtre m’a vraiment aidée à sortir de ma zone de confort. Ça n’a pas été évident au début, mais je m’en suis plutôt bien tiré. Et refaire un exercice d’impro, ici, chez moi, avec une actrice en devenir, ça me fait plaisir. Je ne dis pas que c’est facile, je ressens quand même une petite angoisse, mais je fais confiance à la jeune femme, je sais que ça ira.
Au fil de l’exercice, je m’immerge totalement dans la jungle grâce aux bruits, et le pouvoir de l’imagination est très puissant. Tegan m’aide beaucoup à me mettre dans la peau d’une exploratrice, et je suis à fond dedans. Pourtant, quand elle lâche ma main, je sens comme un vide. Au début, je me sens désorientée, mais je m’efforce de faire confiance cette fois en mes sens, et j’arrive à la retrouver sans trop de mal, attirée par elle comme à un aimant. Une fois quasiment contre elle, je retire le foulard et me rends compte à quel point je suis proche d’elle. Je peux même sentir son souffle buter sur mon visage. « Deux en un. T’as même passé celui où on parle d’espace personnel. » Oh, est-ce que c’est dérangeant ? Je n’ai pas vraiment conscience de notre proximité, je ne m’en rends compte que lorsqu’elle vient frotter délicatement mon nez du sien. Mon coeur s’emballe sans que je ne comprenne bien pourquoi. « Ça y est, t’es prête pour le théâtre maintenant. » dit-elle en souriant, prenant cette fois de la distance. « Immersion totale. Mais je ferai pas de théâtre pour autant, c’est… éreintant ! » J’ai l’impression d’avoir vraiment traversé la jungle, c’est dingue. Je me laisse retomber dans le canapé en soupirant, je crois que je vais bien dormir. Entre ma journée de boulot, le sport, ma blessure et le cours de théâtre, c’est une soirée pour le moins mouvementée. « Mais tu dois être épuisée à la fin de tes journées, avec des cours pareils ! » Je ne me rendais pas bien compte à quel point on peut donner de soi, et être lessivé le soir venu. Je comprends par contre combien elle peut aimer ça, se mettre dans la peau de quelqu’un d’autre le temps d’un instant, plus ou moins long. « Merci en tout cas, j’ai beaucoup aimé cette expérience. Et cette soirée d’ailleurs. Même si elle n’est pas finie. » Pas tout à fait, mais je sens quand même la fatigue qui pointe le bout de son nez. Je termine mon morceau de pizza - sans terminer la pizza en entier, parce que je ne la termine jamais en entier - et m’étale un peu plus sur le canapé en soupirant. « Ça te dit un bon vieux film d’action pour terminer en beauté ? Histoire que je m’endorme comme une loque…! » Je ris un peu et me cale contre les coussins, prête à entamer ma nuit. Je me sens étrangement en sécurité avec la jeune femme. Etrangement bien, aussi. C’est une sensation que je n’avais pas ressentie depuis très, très longtemps.