nuit au musée (robin)

Malgré le père qu’ils ont, aux scrupules parfois un peu douteux, je fais de mon mieux pour qu’Elliot et Leo aient une éducation qui me ressemble plus, une éducation qui ressemble à celle que j’ai eu. Pour l’instant, je trouve que je m’en sors plutôt bien, mais les années les plus compliquées sont encore à venir et je ne suis donc pas à l’abri de quelques surprises. Comme celle que souligne Robin, où le plus grand des deux garçons pourraient vouloir une voiture de marque lorsqu’il sera en capacité de conduire. Bien sûr, je ne le renierais pas pour ça, mais je suppose que nous devrons avoir une conversation si cela arrive vraiment. « S’il s’attend à ce que je lui offre une Ferrari à sa majorité, il risque de vivre sa première déception. » Si déjà, j’arrive à lui offrir une voiture en deçà de ce modèle, ce sera déjà bien. Mais pour ça, laissons les années faire, car avant que nous n’en arrivions là, peut-être que j’aurais les moyens pour me permettre d’acheter une voiture en tant que cadeau d’anniversaire. Deux voitures même, car si Elliot en a une, je suppose que Leo voudra avoir la sienne quelques années plus tard.
Le tour du musée terminé et les enfants déjà pressés de retrouver la lumière du jour, je propose à ma sœur d’aller manger une glace. En arrivant, j’ai fait la promesse aux garçons que nous nous arrêterons au marchand de glace sur le retour et si Robin veut se joindre avec nous, avec Harper qui dort à poings fermés, ce sera avec plaisir. En évoquant ce dessert, je vise juste avec la jeune femme qui se retrouve bien incapable de refuser une telle proposition. « Allons-y ! » Dis-je, maintenant que sa décision est prise. Naturellement, Elliot nous devance de quelques mètres, alors que j’ai toujours son frère dans mes bras. Visiblement, il a le sens de l’orientation, puisqu’il se souvient parfaitement de l’endroit où nous avons vu le glacier. En seulement quelques minutes, nous sommes sur place et je commande deux glaces simples, une à la vanille et l’autre au citron, pour les garçons, histoire qu’ils ne soient pas obligés d’attendre plus longtemps. « Qu’est-ce que tu veux ? » Dis-je, alors que je me tourne vers ma sœur. Après le tour qu’elle nous a offert et les friandises qu’il y avait dans la salle de repos, elle mérite bien que je lui offre ce petit excès. Pour ma part, ce sera une boule au chocolat. Une commande que je passe, alors que je récupère celles des garçons que je leur donne à tour de rôle. L’avantage avec leurs parfums respectifs, c’est qu’ils ne devraient pas entraîner de tâches irrécupérables. Même si je suis toujours surprise de voir Elliot choisir le citron à chaque fois — tout comme Leo, qui a déjà regretté plusieurs fois de vouloir goûter à la glace de son frère, toujours avec une grimace amusante sur le visage.

Il est encore un peu tôt pour parler de voitures, mais en plaisanter avant que cela n’arrive vraiment n’est pas une si mauvaise idée : ça peut me permettre de me préparer un peu. Par chance, aujourd’hui, Elliot est bien plus intéressé par la glace qui l’attend que par ce qui peut aller vite et faire du bruit. En parlant de vitesse, la faim semble le guider, puisque nous arrivons rapidement au stand de glaces où je m’occupe de commander pour tout le monde. Arrivée à table avec les autres, je commence à déguster mon en-cas. « Dans une bonté de cœur, son frère lui a déjà laissé goûter sa glace, mais ce n’est jamais venu de lui. » Il est encore petit et a une préférence pour les goûts un peu plus doux, telle que la vanille qu’il est en train de déguster. Cependant, en abordant ce sujet du citron, je ne peux m’empêcher de sourire en repensant à la dernière fois où il a eu l’occasion d’en avoir dans la bouche. « Ce que l’on peut voir sur internet est tout à fait vrai d’ailleurs. Nous avons déjà essayé de faire goûter du citron à Leo et il grimaçait, se faisant sûrement la promesse qu’on ne l’y reprendrait pas deux fois. » Certains enfants réessayent juste après avoir posé le morceau de fruit, mais pas lui. Une fois posé sur la tablette de sa chaise haute, il n'a plus jamais voulu y toucher et son frère s'est fait un malin plaisir à le terminer. « Peut-être qu'il aimera un jour. Ou alors, il continuera sur la même lancée que moi. » Je mange globalement de tout, mais les fruits acides ne sont pas ceux qui me font le plus rêver. La preuve aujourd'hui, je me suis même permise une glace au chocolat. Nous sommes bien loin des fruits, mais un peu d'excès n'a jamais tué personne. « Les goûts et les couleurs, ça peut vite changer. » Et globalement, je crois que ça change toute la vie, pas seulement lorsque l'on passe de bambin à enfant ou d'enfant à adolescent. Disons que nous avons tous nos périodes où nous préférons telle ou telle chose. « Tu te souviens de certains péchés mignons que tu n'as plus aujourd'hui ? » Qui sait, s'il y a une part de génétique, alors peut-être que Harper passera par là aussi. Ou alors, elle récupérera tout de Matthew et là, peut-être que Robin aura de quoi s'inquiéter — je ne peux pas juger, je ne connais pas les goûts de mon beau-frère.

Les goûts et les couleurs, ça ne s'explique pas et bien souvent, ça change avec le temps. Pour certains, c'est plus facile que d'autres et quand on devient parent, on a naturellement une préférence pour les premiers. Avec les enfants, il faut introduire les aliments petit à petit, alors si en plus, ils commencent à devenir compliqués, c'est le début de la fin. Nous nous amusons du sujet de la nourriture et je l'interroge sur ses anciens péchés mignons, des péchés mignons que Harper pourrait bien lui faire plus tard, si jamais les goûts viennent un minimum de la génétique. Avec les années, il faut croire que certaines choses sont devenues à son goût et je ne trouve pas cela surprenant, surtout quand on sait que nous gardons volontairement des aliments ou boissons loin des enfants un temps. « Vie saine depuis toujours. Même dans le ventre de maman. » Dis-je, alors qu'elle m'interroge à mon tour, ne se souvenant plus de ce que j'ai pu aimer ou non plus jeune. « J'ai dû avoir certaines périodes, notamment lors de mes grossesses. Mais je crois que naturellement, j'ai plutôt tendance à me tourner vers des plats salés que sucrés. » Tout particulièrement les lasagnes, mais ça, ce n'est un secret pour personne. « Avec l'ouverture de la pâtisserie et les éventuels invendus, je ramène plus souvent des en-cas à la maison – pour le plus grand bonheur de ces deux-là. » Par chance, mon métabolisme n’est pas mauvais et j’arrive naturellement à garder un poids constant. Sinon, vu où je travaille et la tentation quotidienne, je serais obligée de me déplacer à pied pour éliminer les excès. C’est aussi pour cela que le recrutement était important ! Plus il y a d’employés, plus la répartition des invendus est grande. Et vu ma place dans l’établissement, on ne peut pas vraiment dire que je suis celle qui est le plus dans le besoin, alors naturellement, quand j’en ai l’occasion, je laisse ma part à d’autres. D’une pierre deux coups.. car même si ce n’est pas le but de l’opération, ça peut aussi me faire gagner des points auprès de mes employés. Je ne pense pas être une tortionnaire, mais travailler dans un endroit agréable est important. « Pour ce qui est de la nourriture, je n’ai pas vraiment de soucis à me faire. Surtout s’ils me ressemblent. » Même si j’ai une préférence pour le salé, je ne suis pas compliquée et je peux manger n’importe quoi, à n’importe quelle heure – ou presque. Ma glace bien avancée, je viens aider Leo avec la sienne. Même s’il veut faire comme son frère et se débrouiller seul, il reste encore petit. « Regarde, il a déjà quasiment terminé. » Je pourrais facilement dire à Elliot que manger une glace aussi vite va lui donner mal à la tête, mais au point où il en est, ça ne changera sûrement pas grand-chose.

Les hormones, ça fait parfois faire des choses un peu bizarre. Ou alors, c’est notre inconscient qui profite des grossesses pour mettre au goût du jour nos envies les plus secrètes ? Pour Leo, avec mon déni de grossesse, c’est quelque chose que j’ai moins eu l’occasion de tester, mais je me souviens que pour son frère, il m’arrivait de manger des pots entiers de cornichons. Juste comme ça, juste parce que ça me donnait envie. Aujourd’hui, je doute que j’arriverais à refaire cela : l’acidité de ces aliments me bloquerait sûrement un peu. Autre hypothèse qu’il faut peut-être envisager — à prendre avec des pincettes, car je ne suis pas toujours la plus calée scientifiquement parlant —, mais est-ce que ces envies peuvent survenir comme annonciatrices des goûts de l’enfant à venir ? Est-ce que plus tard, dans quelques années ou quand il sera adulte, l’aîné de ma fratrie raffolera de ces petits légumes verts ? Peut-être. Pour l’instant, ce n’est pas le cas et il ne se prive pas avec les pâtisseries que je peux ramener du boulot. Et quand ils n’ont pas le temps d’arriver à la maison, les garçons sont bien souvent passés au café et ils ont réussi à amadouer le ou les serveurs pour avoir le droit à un ou plusieurs gâteaux. Vu comme ça, il est vrai que les garçons ont sûrement la belle vie, notamment avec le sucre — même si je contrôle ça du mieux que je peux, histoire qu’ils ne peinent pas trop à trouver le sommeil et qu’ils n’aient pas des problèmes de santé plus tard. Des exceptions de temps en temps, ça n’a jamais fait de mal, surtout quand à côté, les fruits et légumes, les viandes et poissons, ainsi que les féculents sont de rigueur. Il y a sûrement des choses à redire sur mon éducation — personne n’est parfait —, mais je pense que sur ce point, un bon nombre de parents auraient des choses plus urgentes à revoir que moi. Et puis, ça ne fait pas de mal de temps en temps, surtout à en voir la joie qui se dessine sur le visage du petit garçon quand sa tante propose de piocher un peu dans sa glace. Est-ce que j’ai fait un gourmand ? Je n’ai aucun doute là-dessus. Reste à voir si le deuxième suivra le même mouvement. « Une glace ? Si c’est ça, il ne faudra pas traîner. Sinon tu auras plus de chances d’arriver avec Milk-shake qu’avec une boule de glace. » Dis-je, alors que Robin propose de ramener quelque chose à son mari. Au plus près de nous, c’est ce qu’il y a. Mais peut-être qu’elle envisage quelque chose un peu plus loin : un souvenir du musée — j’en doute, néanmoins je trouverais ça très amusant —, des biscuits ou chocolats qu’il est possible de trouver dans les magasins du coin, ou quelque chose de plus consistant si elle y tient. « A-t-il été un mari modèle dernièrement ? » Pour prendre sa décision, Robin peut compter les points. Même si je n’ai aucun doute sur le fait que Matthew soit du genre à ramener de petits cadeaux à son épouse de temps en temps, juste comme ça, juste pour faire plaisir. « Si tu veux, j’ai peut-être un dessin dans mon sac, fait par son filleul. » Du haut de ses un ans, c’est principalement des points et des traits, mais il peut s’assurer que c’est un cadeau qui vient du cœur.

Avec le trajet qu’elle devrait faire jusqu’à chez elle, je trouvais cela marrant que Robin envisage de prendre une glace en cadeau à Matthew. « C’est vrai. » Qui ne tente rien n’a rien. « Et si jamais ça fond, tu pourras toujours lui dire que c’était un Milkshake et non une glace. » Après tout, pour mon beau-frère, je suis sure que ce sera l’attention qui compte. Parfois, il suffit de pleins de petites choses pour maintenir la flamme dans un couple et non quelque chose de gros tous les X mois ou années. Surtout que d’après les propos de ma sœur, son mari mérite bien un petit cadeau pour le remercier d’être aussi attentif et présent au quotidien — quoi dirait non à une glace en plus. Je trouve cela très attendrissant de les voir comme ça. Depuis l’arrivée du jeune homme à Island Bay, je vois bien que ma sœur est heureuse et ça me donne envie de vivre une relation comme celle-ci aussi. Peut-être que ça finira par m’arriver, avec Eden par exemple. Nous ne sommes qu’au début de quelque chose, mais l’avenir sera  peut-être clément entre nous. Si jamais Robin se ravise sur cette idée de glace, je lui propose d’emporter avec elle un dessin, fait avec amour par Leo, le filleul de son mari. Cette idée semble l’amuser, même si on serait bien loin de l’art présent dans les salles que nous avons traversées tout à l’heure. « C’est un cadeau que tu comptes lui faire ou c’est quelque chose qu’il a déjà vu et que tu gardes avec toi car il l’a en horreur ? » Dis-je, alors qu'elle me présente un objet à l'effigie de la Joconde. Les goûts et les couleurs, encore une fois. Même si là, pour le coup, l'argument avancé peut aussi être la décoration générale de leur maison. Peut-être que Matthew tient à ce que son réfrigérateur ne soit pas trop encombré. C'est quelque chose que je comprends, car il m'arrive de lutter contre les garçons, surtout Elliot, quand ils décident de ramener des vignettes de leurs chambres pour les mettre sur le gros électroménager dans l'espoir de faire des formes amusantes — s'il a un tableau magnétique dans sa chambre, ce n'est pas pour rien. Je me permets de récupérer l'objet qu'elle a sorti de sa poche pour le regarder de plus près. « C'est quelque chose que tu as acheté à ton boulot ? Ou peut-être que ça fait partie des goodies qu'ils vous offrent ? » Je dis cela sans même savoir si c'est quelque chose qu'ils font. Ce ne serait pas déconnant que ça vienne simplement de la boutique de souvenirs, mais l'idée que ce soit des cadeaux faits aux employés m'inspirent pour le café. Qui sait, déployer la marque du Jardin d'Eden ne peut que nous être bénéfique. Je rends la vignette à Robin, avant d'aider Leo à finir sa glace. Désormais, il ne reste plus que la mienne, même si je n'ai aucun doute sur le fait qu'ils se proposeront sans trop de mal si j'ai des difficultés à la terminer.

Matthew n'était pas de la partie aujourd'hui, mais cela n'a pas empêché Robin de penser à son mari et d'envisager le fait de lui rapporter un cadeau. Si elle pensait à une glace, j'avais une autre idée en tête. Ce n'est sûrement pas ce que quelqu'un espère, mais le dessin d'un enfant reste attendrissant, non ? Surtout quand il s'agit d'un filleul. Ma maison est remplie de dessins d'enfants, ce serait quand même cruel de ma part de ne pas chercher à partager cela avec les autres. « Pourquoi pas ! » Dis-je, alors qu'elle m'interroge sur les idées que l'objet qu'elle m'a montré, offert par son boulot, me donne. « Pas la Joconde, bien sûr. Mais faire quelque chose à l'image du café pourrait être une bonne idée. » Je ne prendrais pas cette décision seule, mais je suis presque sûre que cette idée emballera mes partenaires, surtout si nous arrivons à faire quelque chose de sympa. « Qui sait, dans quelques mois, peut-être que ces magnets se trouveront sur chaque réfrigérateur de chaque maison de la ville. » Et si cela arrive, j'en serais particulièrement fière. Même si cela voudrait simplement dire que ces personnes sont venues une seule fois au café et non qu'il s'agit de clients fidèles. Alors qu'Elliot porte son attention sur sa cousine et que Leo est confortablement installé dans sa poussette, je décide de fouiller dans mon sac pour trouver ce que j'ai promis à ma sœur. Comme je m'y attendais, deux ou trois dessins traînent par ici – il faudrait peut-être que je fasse un peu de tri. « Tiens ! » Dis-je, tout en lui tendant celui qui semble avoir le plus de sens. Tout cela reste abstrait, mais ça laissera la possibilité à Matthew, ou bien même à ma sœur, d'imaginer ce que cela représente. Leo est encore petit et il est encore compliqué de mettre sur papier ce qui lui passe vraiment par la tête. « S'il ne le trouve pas à son goût, il se fera un plaisir d'en faire un autre, sûrement aidé par Elliot. » Si je précise que c'est à destination de leur tante, alors je suis certaine qu'ils mettront beaucoup d'énergie – et d'amour – dedans. « D'ailleurs, on ferait bien de prendre la route pour la maison. Histoire que ces deux-là s'entraînent pour devenir de vrais artistes. » Si je veux que leurs tableaux se vendent au plus offrant plus tard, alors ils vont encore devoir s'entraîner. Bien sûr, je plaisante, faisant simplement référence à ce que nous avons pu dire tout à l'heure, au sein du musée. En réalité, une fois à la maison, je pense que nous jouerons un peu, avant de commencer notre routine du soir.